Caucase, EUROPE

Azerbaïdjan

Boosté par les rentes gazières et pétrolières, Bakou a repris l’avantage sur l’Arménie et garde ses distances avec Moscou.

86 600 km²

République autoritaire

Capitale : Bakou

Monnaie : le manat

10,4 millions d’Azerbaïdjanais

L’Azerbaïdjan indépendant (moins grand et moins peuplé que les quatre provinces de l’Azerbaïdjan iranien, environ 123 000 km²) est bordé par 710 km de côtes sur la mer Caspienne à l’est.

Il se compose de plaines, dont celle des fleuves Koura et Araxe, surplombées de montagnes plus ou moins élevées : le Grand Caucase au nord (avec le Bazardüzü Dagi, à plus de 4 400 mètres, près de la frontière russe, longue d’un peu plus de 280 km), le Petit Caucase le long de la frontière avec l’Arménie à l’ouest et les montagnes Talych, frontalières de l’Iran au sud-est.

Géographiquement, l’Azerbaïdjan est divisé en deux : à la partie qui borde la Caspienne (et qui inclut les 4 400 km² de la république autonome du Haut-Karabakh) s’ajoutent les 5 500 km² de l’exclave du Nakhitchevan (460 000 habitants) ; bordée par la rivière Araxe et par le massif arménien du Zanguezour, elle est distante d’une trentaine de kilomètres du reste de l’Azerbaïdjan, dont elle séparée par le corridor de Meghri, un territoire de l’Arménie qui longe la frontière iranienne. Cette particularité géographique confère à l’Azerbaïdjan une frontière de 9 km avec la Turquie et des frontières supplémentaires avec l’Arménie (un peu plus de 220 km sur près de 790) et avec l’Iran (près de 180 km sur plus de 610). Le pays partage également plus de 320 km de frontière avec la Géorgie au nord-ouest. Le climat, majoritairement subtropical (semi-aride dans les parties centrales et orientales du pays, humide dans le Sud-Est), est en revanche tempéré le long du littoral et continental, voire montagnard, ailleurs.

Crédit : Gabriel Richard

Près de 92 % des Azerbaïdjanais sont d’ethnie azérie. Le reste de la population se décompose en Lesghiens (2 %, dans la partie voisine du Daguestan russe au nord[1]), Russes (un peu plus de 1 %) Arméniens (un peu plus de 1 %, au Haut-Karabakh) et Talysh (un peu plus de 1%, près de la frontière avec l’Iran).

Près de 97 % de la population est musulmane, très majoritairement chiite (plus de 85 %). Le reste est essentiellement chrétien (orthodoxe ou apostolique arménien).

[1] Les Lesghiens du nord de l’Azerbaïdjan sont un peu moins nombreux que ceux vivant au Daguestan.

Bakou / gerhard reus / Unsplash

Promu à la tête de l’Azerbaïdjan communiste à la suite des pogroms anti-arméniens de 1990 (cf. Caucase), Ayaz Moutalibov devient Président de l’Azerbaïdjan indépendant en septembre 1991. Mais ses jours sont comptés : non seulement l’opposition a boycotté l’élection présidentielle, mais la guerre avec les Arméniens se poursuit au Haut-Karabakh (cf. article dédié). Après la dissolution de l’URSS et le retrait des troupes russes, le conflit tourne au fiasco pour l’armée et les milices azéries. L’accumulation des revers provoque des manifestations de rue qui entraînent la démission du chef de l’Etat, en mars 1992. Moutalibov est remplacé par le très anti-communiste Aboulfaz Eltchibeï : candidat du Front populaire azéri, il obtient 64 % des voix aux présidentielles de juin, tenues au suffrage universel.

Les résultats sur le terrain militaire ne s’arrangent pas pour autant et, en juin 1993, le pouvoir doit affronter la rébellion de la garnison de Gandja, la deuxième ville du pays. Partisans du colonel Gousseïnov – évincé du front du Karabakh pour ses résultats insuffisants et des liens supposé avec la mafia – les soldats se mutinent après le brusque retrait des dernières unités russes de parachutistes … qui abandonnent aux rebelles des blindés et des avions, ainsi que des hommes pour les faire fonctionner. Moscou soutient en effet toute initiative qui pourrait favoriser le retour au pouvoir de l’ancien secrétaire général du PC azerbaïdjanais Gaydar Aliev[1], face à un Président Elchibey jugé trop proche de la Turquie et qui rechigne à faire adhérer son pays à la CEI, la communauté que la Russie a créer pour succéder en partie à l’URSS. Forts de leur matériel, les mutins marchent sur Bakou, où ils ne rencontrent qu’une faible résistance : non seulement la plupart des forces loyalistes sont engagées sur le front du Karabakh, mais elles doivent affronter une autre rébellion qui se déroule au sud-est ; conduite par un ancien vice-ministre de la Défense du Front Populaire, la minorité talysh y réclame la création d’une république propre, rattachable à l’Iran voisin où vivent 100 000 de ses congénères, mais aussi davantage d’Azéris qu’en Azerbaïdjan même. Considérablement affaibli, Elchibey s’enfuit. Destitué par le Parlement, il est remplacé par Aliev, qui est élu au suffrage universel en octobre 1993. Tout en s’entourant de membres de son clan originaire du Nakhitchevan (comme l’était son prédécesseur), il prend Gousseïnov comme premier ministre.

[1] Ancien général du KGB arrivé à la tête du PC azerbaïdjanais en 1969 et devenu le premier musulman membre de droit du Politburo soviétique en 1982, Aliev en avait été évincé en 1987 par Gorbatchev. Il s’était alors replié dans son fief du Nakhitchevan, y négociant même avec les Arméniens la levée de leur blocus sur l’enclave.

La Tour Maiden à Bakou. Crédit : Bakhrom Tursunov / Unsplash

La confiscation du pouvoir par le clan Aliev

Dès le mois de septembre 1993, l’Azerbaïdjan adhère à la CEI, sans pour autant satisfaire toutes les exigences de la Russie : le pays refuse en effet l’installation de bases russes sur son territoire et la présence de garde-frontières russes le long de sa frontière avec l’Iran. Du coup, le régime reste sous la menace d’opérations téléguidées par Moscou, Ankara, Téhéran ou encore certains mafieux qu’il tente de mettre au pas. En mars et juillet 1994, deux attentats – non revendiqués – endeuillent le métro de Bakou. En octobre suivant, Aliev échappe à une tentative de coup d’Etat de Gousseïnov, qu’il avait évincé de la tête du gouvernement. Entre deux événements, le chef de l’Etat a en revanche pacifié la situation sur le front du Karabakh, en signant le cessez-le-feu proposé par Moscou, même il si cet accord entérine les conquêtes arméniennes : l’Azerbaïdjan se retrouve alors amputé de 13 % de son territoire.

La situation extérieure étant momentanément stabilisée, le pouvoir pourchasse son opposition intérieure accusée, à tort ou à raison, de comploter contre lui. Le Front populaire, le PC, le Parti islamiste et le Moussavat sont tour-à-tour muselés voire interdits. C’est dans ce contexte que se déroulent les législatives de novembre 1995, qui voient le parti présidentiel (Yeni Azerbaïdjan, nouvel Azerbaïdjan) recueillir 70 % des suffrages. Selon les observateurs occidentaux présents, les élections ont été entachées de graves irrégularités :  une même personne a pu voter pour toute sa famille, voire tout son immeuble, des urnes ont disparu, des policiers ont exercé des pressions dans certains bureaux de vote… De même, « des signes évidents de bourrage d’urnes » sont relevés lors de la réélection d’Aliev en octobre 1998. Mais le régime tient grâce aux améliorations économiques permises par la découverte de nouveaux gisements pétroliers et surtout gaziers, dont celui de Shah Deniz dans la mer Caspienne[1]. L’exploitation de ces réserves devient d’ailleurs un contentieux majeur avec tous les pays riverains de la mer intérieure (cf. Caspienne), de même que l’évacuation de la production à destination de l’Europe. Jaloux de son indépendance vis-à-vis de Moscou, Bakou va favoriser le tracé de « tubes » évitant le passage par le territoire russe : ce sera le cas de l’oléoduc rejoignant Ceyhan en Turquie, via Tbilissi, ou du gazoduc passant également par la capitale géorgienne jusqu’à Erzurum (cf. Géopolitique des « tubes »).

A la fin de l’année 2002, Aliev – qui est malade – commence à préparer sa succession. Une révision constitutionnelle, adoptée par 97 % des votants accroit les pouvoirs du Premier ministre et prévoit notamment qu’il assure l’intérim du chef de l’État en cas d’empêchement. Le poste échoit à son fils Ilham qui, deux mois avant le décès de son père, est élu Président en octobre 2003, avec près de 80 % des voix. Le scrutin est contesté par l’opposition, dont des centaines de dirigeants et de membres sont arrêtés dans les semaines suivantes. Les fraudes apparaissent tout aussi nombreuses aux scrutins suivants. Réélu avec 89 % des suffrages en octobre 2008, Aliev fils prend soin de faire supprimer par le Parlement toute limitation du nombre de mandats présidentiels, ce qui lui permet de se faire réélire confortablement cinq ans plus tard, face à une opposition morcelée et muselée, l’arrestation pour trafic de stupéfiants étant le moyen de plus répandu d’envoyer les opposants en prison. Seule ombre au tableau, les révoltes populaires qui surviennent ici ou là, comme celle qui éclate au printemps 2002 à Nardaran, ville chiite proche de Bakou, mais derrière laquelle le régime ne voit que la main du voisin iranien. Pourtant la corruption est toujours là, de même que les inégalités creusées par la mauvaise redistribution de la rente des hydrocarbures (jusqu’à 90 % des exportations) : non seulement elle bénéficie peu aux campagnes, mais elle peut varier en fonction des cours mondiaux.

En septembre 2016, un nouveau référendum porte la durée du mandat présidentiel de cinq à sept ans et crée le poste de vice-président, qu’Aliev confie à son épouse dès le début de l’année suivante. En avril 2018, le chef de l’État remporte un quatrième mandat, face à sept autres candidats dont le premier n’obtient que 3 % des voix. Un fait nouveau intervient aux législatives de février 2020, boycottées par l’opposition : pour la première fois, le taux de participation à une élection passe sous la barre des 50 %. Est-ce la raison pour laquelle le régime réactive la carte nationaliste ? Toujours est-il que, en septembre suivant, l’Azerbaïdjan lance une nouvelle offensive sur le Haut-Karabakh. Cette fois, elle est couronnée de succès puisque, après une quarantaine de jours de combats, les troupes de Bakou récupèrent les deux tiers des territoires perdus entre 1992 et 1994. Soutenue par l’allié turc, l’opération est même saluée par le rival iranien, du moins temporairement.


L’affirmation d’un leadership régional

En octobre 2021, Téhéran lance en effet de grandes manœuvres militaires à sa frontière avec l’Azerbaïdjan, pour protester contre une partie des conquêtes de son voisin : Bakou s’est en effet emparée d’une bande méridionale du Karabakh, privant du même coups les transporteurs routiers iraniens d’une voie de passage privilégiée vers la Russie et les pays européens. Ce contentieux avec l’Iran s’ajoute aux griefs traditionnels de Téhéran selon lequel l’Azerbaïdjan offre une base arrière aux Israéliens pour monter des opérations contre son programme nucléaire ou bien accueille des djihadistes utilisés pour combattre au Haut-Karabakh. En janvier 2023, un employé de l’ambassade d’Azerbaïdjan à Téhéran est abattu par un assaillant iranien : alors que Téhéran met en avant un différend familial – le meurtrier étant marié à une Azerbaïdjanaise – Bakou dénonce « un acte terroriste », consécutif à une campagne de dénigrement de l’Azerbaïdjan dans la presse iranienne.

Entretemps, Bakou a administré une nouvelle illustration de son indépendance vis-à-vis de Moscou : en juillet 2022, le pays a signé un nouvel accord gazier avec l’Union européenne, soucieuse de se passer au maximum de gaz russe, afin de ne pas alimenter le budget de guerre du Kremlin contre l’Ukraine. En décembre suivant, l’Azerbaïdjan lance, avec la Géorgie et deux pays de l’Union européenne (Roumanie et Hongrie), un projet de câble électrique contournant la Russie en passant sous la mer Noire. Le même mois, l’autocrate qui dirigeait le Nakhitchevan à sa guise « démissionne », signe d’une reprise en main de l’exclave par le pouvoir central.

En septembre 2023, une nouvelle offensive éclair des troupes de Bakou conduit à la capitulation des séparatistes du Haut-Karabakh, sans interposition des forces russes pourtant déployées à cette fin. Tout en promettant une « réintégration pacifique » à la minorité battue, Bakou publie un nouveau plan de l’ancienne capitale séparatiste comportant des noms de rues turcs, dont celui d’un des principaux artisans du génocide arménien de 1915. La proximité d’Aliev avec son homologue turc se traduit par une rencontre au Nakhitchevan, destinée à lancer la construction d’un gazoduc de 85 km entre l’est de la Turquie et l’exclave azerbaïdjanaise, via la Géorgie. Mais Bakou est soupçonnée d’avoir de plus grandes ambitions : lorgner sur l’est de l’Arménie, qualifié « d’Azerbaïdjan occidental » et s’emparer du corridor de Meghri (pour relier son territoire de moins en moins autonome au reste de l’Azerbaïdjan), voire mettre la main sur tout le sud de l’Arménie (le Zanguezour, ancienne Siounie). Cette perspective entraîne une mise en garde de Téhéran qui, pour éviter de perdre toute frontière avec l’Arménie, propose que la voie terrestre en question passe par le sol iranien. En décembre, Bakou et Erevan promettent conjointement « des mesures concrètes » pour normaliser leurs relations et réaffirment leur intention de « signer un accord de paix ».

Souhaitant capitaliser au maximum ses succès militaires, Aliev avance d’un an la date du scrutin présidentiel, que le Müsavat et le FPA décident de boycotter. La demi-douzaine de candidats autorisés à affronter le sortant rivalisent de propos à sa gloire ou de propositions ultranationalistes, telles que l’annexion du Zanguezour ou l’attribution au pays du nom d’Azerbaïdjan du nord. Sans surprise, le Président sortant – qui vote dans la capitale du Haut-Karabakh (rebaptisée de son nom azéri, Khankendi) – est réélu pour un cinquième mandat, avec plus 90 % des suffrages dès le premier tour, en février 2024.

En avril, la force d’interposition déployée par la Russie au Haut-Karabakh se retire dix-huit mois plus tôt que prévu, à la satisfaction de Bakou qui supportait mal cette présence étrangère sur son sol. Malgré ce retrait, les tensions et les différends territoriaux avec l’Arménie restent nombreux (cf. Haut-Karabakh). Par crainte d’une nouvelle offensive ennemie, Erevan accepte de céder à l’Azerbaïdjan quatre villages que ses forces occupaient depuis une trentaine d’années, au nord-est de l’Arménie. Bakou avait fait de cette rétrocession le préalable à toute signature d’un accord de paix.

[1] De premiers gisements avaient été exploités à Bakou dès les années 1870.

Pour en lire plus : les clans en Azerbaïdjan

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