Caucase, EUROPE

Le génocide arménien

Considérés comme des complices de l’ennemi russe, les Arméniens ont été victimes d’une succession de massacres au tournant des XIXème et XXème siècles.

Au début du XIXème, les Arméniens sont environ trois millions, la grande majorité vivant dans l’Empire Ottoman. Ceux qui sont restés paysans et n’ont pas émigré dans les villes – notamment après les invasions turco-mongoles – se trouvent en Cilicie, ainsi que dans une zone allant de Diyarbakir et Erzeroum à l’ouest jusqu’à l’est du lac Sevan. Les choses changent à la suite des traités signés par la Russie, avec la Perse en 1828 et avec les Turcs l’année suivante. Plus de 100 000 Arméniens quittent alors l’Anatolie orientale pour l’Arménie « russe ». Le pouvoir ottoman profite de leur départ pour les remplacer par des populations musulmanes réfugiées des Balkans, ainsi que du Caucase (comme les Circassiens ou Tcherkesses). Les tensions que cela génère avec les paysans arméniens restés sur place sont d’autant plus vives que des nomades kurdes s’implantent aussi sur ces terres.

En 1860, sous la pression de ses créanciers européens, l’Empire Ottoman doit concéder un « Règlement de la nation arménienne », flanquant le patriarche de Constantinople – la seule autorité qu’il reconnaisse – d’un conseil élu. Ces promesses, et celles du traité de Berlin, étant restées lettre morte, des mouvements révolutionnaires apparaissent au sein de l’intelligentsia arménienne, mais pas de la bourgeoisie qui craint que l’agitation ne nuise à ses affaires : le Hentchak (socialiste) est fondé en 1887 à Genève et le Dachnak trois ans plus tard à Tiflis. Réclamant l’application des réformes et l’autonomie des six provinces de l’est anatolien à forte population arménienne (Bitlis, Van, Sivas, Erzeroum, Diyarbakir et Mamuret ul-Aziz), le Hentchak suscite des insurrections en Anatolie orientale. Le sultan y répond en s’appuyant sur les Kurdes qui ont tout à perdre de l’émancipation de leurs « sujets » arméniens. En 1891, Abdülhamid II crée une cavalerie légère kurde, sur le modèle des Cosaques russes : ces Hamidiyé sont aux premières loges des massacres qui sont commis, entre 1894 et 1896, contre les Arméniens du Sassoun, révoltés contre la double taxation dont ils font l’objet de la part du sultan, mais aussi des seigneurs kurdes locaux. Selon les sources, les massacres font entre 100 000 et 300 000 morts et provoquent l’exode de 100 000 personnes en Transcaucasie. Ils engendrent aussi le passage au terrorisme du Dachnak-Fédération révolutionnaire arménienne (Dachnak).

L’arrivée au pouvoir du mouvement des Jeunes Turcs, en 1908, n’y change rien, même si le progressisme qu’ils affichent leur vaut d’abord un accueil favorable de la part des dirigeants arméniens. En réalité, le nouveau triumvirat au pouvoir à Constantinople est un fervent adepte du panturquisme, doctrine qui exclut la présence de toute autre ethnie que les Turcs entre le Bosphore et l’Asie centrale. De nouveaux massacres d’Arméniens font plus de 15 000 morts dès l’année suivante, cette fois dans le district d’Adana en Cilicie. En 1914, la Russie obtient que les Arméniens de l’Empire Ottoman soient regroupés dans deux provinces (Van et Erzeroum) et que l’application de réformes y soit supervisée par des inspecteurs européens. Mais la mesure reste sans lendemain puisque, en novembre de la même année, la Sublime Porte déclare la guerre au tsar. Les premiers combats éclatent entre les lacs de Van et d’Ourmia.

Après la déroute de l’armée d’Enver Pacha dans le Caucase (100 000 soldats turcs tués en deux semaines !), les Arméniens sont considérés comme les complices de la Russie, elle aussi de religion orthodoxe. Une révolte arménienne ayant éclaté à Van, en avril 1915, les autorités ottomanes y répondent par une vaste campagne de meurtres et de déportations : elle est organisée par le bras armé des Jeunes Turcs, l’Organisation spéciale, créée en 1914 avec des Kurdes, des réfugiés musulmans des Balkans et du Caucase et des repris de justice turcs. Visant d’abord les élites urbaines, elle touche ensuite toute la population arménienne d’Anatolie, de Cappadoce et de Cilicie : les hommes en âge de combattre sont généralement exécutés dès le départ, tandis que les femmes, les enfants et les vieillards sont déportés vers les déserts de Syrie et de Mésopotamie (avec Deir ez-Zor comme destination finale). Entre 1,3 et 1,5 million d’Arméniens auraient perdu la vie dans ce que la plupart des historiens considèrent comme un génocide, du fait de son caractère sélectif et planifié, même s’ils concèdent que la première guerre mondiale et les conquêtes russes jusqu’à Erzeroum et Trébizonde ont fait au moins autant de victimes parmi les populations musulmanes d’Anatolie orientale. En Turquie, la vision officielle des événements est d’ailleurs celle de « massacres mutuels » entre Arméniens et Turcs, consécutifs à l’effondrement de l’Empire ottoman, massacres qui auraient fait 400 000 morts chez les Arméniens et autant côté turc. Un siècle plus tard, la question du « Medz Yeghern » (grand carnage) empoisonne toujours les relations entre Erevan et Ankara (cf. Turquie).


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