Balkans, monde grec et bas Danube

Moldavie

En proie aux séparatismes de la Transnistrie russophone et des Gagaouzes, le pays peine à trouver sa voie entre Russie et Europe occidentale.


33 851 km2 (y compris la Transnistrie séparatiste)

République parlementaire

Capitale : Chisinau

Monnaie : leu moldave

3,5 millions de Moldaves, dont 2,6 millions de résidents[1]

[1] Plus de 400 000 Moldaves vivent à l’étranger, majoritairement en Occident. S’y ajoutent les 480 000 habitants de la république séparatiste de Transnistrie.

Très majoritairement composé de plaines et de plateaux (son point culminant dépassant à peine 400 m), le pays s’étend sur 450 km du nord au sud et 200 km d’est en ouest.

Il partage plus de 1 200 km de frontière avec l’Ukraine au nord-est et plus de 680 km avec la Roumanie au sud-ouest. Son climat est de type continental tempéré.

Bordée par les fleuves Prut à l’ouest et Dniestr à l’est, la Moldavie est dépourvue d’accès maritime (cf. Encadré) : son seul port marchand et commercial vers la mer Noire est celui de Giurgiulești, à la confluence du Prut et du Danube.

Crédit : Gabriel Richard

Unitaire à l’époque soviétique, la Moldavie indépendante est devenue fédérale, la Gagaouzie (au sud) ayant le statut d’unité territoriale autonome[1]. A l’est, les populations russophones de la rive gauche du Dniestr (ou « Transnistrie ») ont proclamé leur propre République moldave du Dniestr, avec Tiraspol pour capitale[2]. D’après le dernier recensement, organisé en 2014, 75 % des habitants de Moldavie (hors Transnistrie) sont d’ethnie moldave et 7 % roumains[3]. Un peu moins de 7 % sont d’origine ukrainienne et 4 % russe. Les Gagaouzes[4] turcophones représentent un peu plus de 4 %, le reste de la population étant constitué de 2 % de Bulgares, ainsi que de Polonais, Roms, Juifs, Tatars, Arméniens… La religion orthodoxe est pratiquée par plus de 95 % des habitants de l’ensemble des territoires, y compris chez les Gagaouzes.

[1] Répartie sur quatre territoires non contigus représentant 1 830 km², la Gagaouzie rassemble près de 90 % des Gagaouzes de Moldavie. Sa capitale est Comrat.

[2] La quasi-totalité des 4 163 km² de la RMD (50 km de large sur 230 km de long) se trouve sur la rive gauche du Dniestr, sauf Bender/Tighina situé sur la rive droite ; inversement, une partie du raïon (district) de Dubăsari, sur la rive gauche, est restée sous souveraineté moldave.

[3] Bien que le moldave ne soit qu’une variante du roumain, les institutions admettent leur différenciation.   

[4] Des minorités de ce peuple d’origine turkmène existent aussi en Ukraine, en Turquie et en Russie.

SOMMAIRE

Cathédrale de Chisinau. Crédit : dorin seremet / Unsplash

Des tourments dès l’indépendance

En juillet 1990, sous l’impulsion du Front populaire moldave, le Parlement de Chisinau proclame la souveraineté de la Moldavie, qui avait été fortement russifiée depuis son retour dans le giron soviétique en 1944[1]. La réouverture de la frontière avec la Roumanie sur le Prut rouvre la perspective d’une réunification avec Bucarest et d’une résurrection aussi bien de la principauté moldave médiévale que de la « Grande Roumanie » d’entre les deux guerres mondiales (cf. Encadré). Les premiers signes de souveraineté vont d’ailleurs dans le sens d’un alignement sur le voisin roumain : le choix d’un drapeau quasiment identique et d’une monnaie homonyme (le leu), l’adoption du roumain comme langue officielle et le retour de l’alphabet latin en 1991. En août de la même année, la Moldavie devient pleinement indépendante et se dote d’un président communiste, élu au suffrage universel en décembre suivant : l’ancien président du Soviet suprême moldave, Mircea Snegur, arrive à la tête d’un Etat en proie aux tensions communautaires. Excluant toute fusion avec la Roumanie, qu’ils ont déjà vécue entre les deux guerres mondiales, les Gagaouzes proclament leur propre république. Ils sont bientôt suivis des russophones et ukrainophones de la rive gauche du Dniestr : majoritaires dans une zone qui n’a jamais fait partie de la « Grande Roumanie », ils refusent tout passage sous une quelconque tutelle roumanophone et proclament leur République moldave du Dniestr (RMD), généralement appelée Transnistrie. En réalité, l’idée d’une réunification avec le voisin roumain n’est pas du tout à l’ordre du jour : sortie exsangue d’une longue dictature communiste, la Roumanie n’a pas les moyens d’absorber une Moldavie qui est encore plus pauvre qu’elle et dont les tensions ethniques pourraient aggraver celles que Bucarest rencontre déjà avec ses propres minorités magyare et tzigane.

Bien que le spectre d’une réunification avec la Roumanie se soit éloigné, la Transnistrie n’en renforce pas moins son indépendance, avec la bénédiction de Moscou. En 1992, la Moldavie essaie de faire rentrer dans le rang la province rebelle. Mais ses forces sont inférieures en nombre et moins bien armées que celles de son adversaire. Après une série d’escarmouches ayant fait sept-cents morts, les combats s’arrêtent et un accord est signé en juillet, sous l’égide de la Russie : les séparatistes du Dniestr obtiennent le droit de décider de leur destin, en cas d’union de la Moldavie avec la Roumanie.

La même année, le moldave remplace le roumain comme langue officielle[2], signe de la volonté du régime d’asseoir l’identité propre du pays et de dissiper les ambiguïtés sur ses relations avec Bucarest. Officiellement neutre, selon sa Constitution votée en 1994, la Moldavie n’en est pas moins active sur le terrain diplomatique : elle adhère ainsi à la Communauté des États indépendants (CEI), qui prolonge l’URSS, puis au Conseil de l’Europe. Toute sa gouvernance va être caractérisée par cette oscillation permanente entre une attirance pour l’Europe occidentale et un maintien dans la sphère d’influence russe. La situation économique l’explique en partie :  ayant remplacé l’Albanie comme pays le plus pauvre d’Europe, la Moldavie dépend très largement de la Russie pour son approvisionnement en gaz et pour une large partie de ses exportations agricoles. Mais au moins un tiers de son PIB est assuré par l’argent que lui envoient ses très nombreux expatriés. Enfin, une part non négligeable de ses revenus provient de recettes illicites, issues de la prostitution en Europe ou encore de trafics d’organes.

[1] L. Brejnev fut ainsi un des secrétaires du PC moldave au début des années 1950.

[2] En décembre 1995, la Transnistrie adopte à 81 % une nouvelle constitution indépendantiste et vote son adhésion à la CEI.

[3] Fin 2013, la Cour constitutionnelle a cependant jugé que le texte de la Déclaration d’indépendance (faisant du roumain la langue officielle) primait sur celui de la Constitution.


Le retour des communistes

En décembre 1996, Snegur doit céder sa place à l’ancien Président du Parlement, Petru Lucinschi, soutenu par les communistes du PCM et les agrariens. Clairement pro-russe, le nouveau chef de l’État milite en faveur d’un système fédéral associant trois entités : la Moldavie, la Transnistrie et la Gagaouzie. Paradoxalement, son élection intervient alors que, de l’autre côté du Prut, la Roumanie vient de se défaire des post-communistes du Président Iliescu. Trois ans plus tard, une nouvelle donnée apparait, à l’occasion d’un sommet de l’OSCE tenu à Istanbul : alors que la guerre fait rage en Tchétchénie, la Russie obtient, via une nouvelle mouture du CFE (Traité sur les forces conventionnelles en Europe), de renforcer sa présence dans la « zone des flancs sud » (le Caucase). En échange, elle s’engage à retirer toutes ses troupes et armes en Moldavie d’ici fin 2002 (en plus de la fermeture de bases en Géorgie). En réalité, rien de significatif n’interviendra, Moscou désirant conserver des implantations qu’elle considère comme stratégiques, face à la multiplication des bases américaines dans ce qu’elle considère comme son « étranger proche ».

Fin 1999, le gouvernement de centre-droit tombe, sous les coups des communistes mais aussi des démocrates-chrétiens du Front populaire, partisans du rattachement à la Roumanie. Le poste de Premier ministre échoit finalement à un ancien leader des jeunesses communistes, après plusieurs essais pour trouver une majorité parlementaire. La même difficulté se représente, un an plus tard, quand il s’agit d’élire un successeur au chef de l’État : depuis une révision constitutionnelle de juillet 2000, il n’est plus élu au suffrage universel mais par une majorité qualifiée de trois cinquièmes des députés de la Chambre unique. Après quatre tours de scrutin infructueux au Parlement, Lucinschi le dissout et convoque de nouvelles élections pour février 2001. Les communistes en étant sortis largement vainqueurs, ils portent un des leurs à la Présidence de la république : ancien général russo-moldave et dernier ministre de l’Intérieur de la Moldavie soviétique, Vladimir Voronine est le premier communiste ouvertement revendiqué à être porté à la tête d’un pays de l’ex-URSS. Louant Poutine, les « frères communistes chinois » et le pacte Molotov-Ribbentrop ayant détaché la Bessarabie de la Roumanie, il affiche d’emblée son intention d’organiser un référendum sur l’adhésion du pays à l’union “économique” Russie-Biélorussie, ainsi que sa volonté de réintroduire le russe comme langue obligatoire dans les écoles et d’éditer un nouveau manuel d’histoire rappelant la période soviétique. Il doit cependant y renoncer, face aux manifestations que ces tentatives de « re-russification » engendrent chez les roumanophones début 2002. L’opposition ne désarmant pas, le Parlement – pourtant toujours dominé par les communistes – instaure la double nationalité fin 2002 : les Moldaves pourront également détenir un passeport roumain, que Bucarest ne s’empresse cependant pas de délivrer, afin de ne pas compromettre ses chances d’accession à l’UE ; la dotation de la nationalité roumaine permettrait en effet aux habitants de Moldavie de circuler librement dans l’espace européen Schengen.

Un an plus tard, Voronine effectue une volte-face : lassé de voir que Moscou continue à soutenir les « criminels » séparatistes de Transnistrie, il rejette le plan russe d’une Moldavie fédérale et démilitarisée, renoue des liens avec la Roumanie, puis avec l’Ukraine, et soutient l’intégration de son pays à l’UE, tout en restant membre de la CEI. En avril 2005, il est réélu pour un second mandat, avec le soutien des formations de droite pro-européennes. Au grand dam de Moscou, il accepte même à la fin de l’année le déploiement d’une centaine de douaniers européens à la frontière entre la Transnistrie et l’Ukraine, dans le cadre de l’aide que l’UE apporte aux pays souhaitant la rejoindre, afin qu’ils se mettent aux normes européennes de contrôle frontalier. En mai 2006, face aux pressions de la Russie, la Moldavie réactive sa coopération avec la Géorgie, l’Ukraine et l’Azerbaïdjan au sein du GUAM, ce qui a pour effet quasi-immédiat de renforcer le séparatisme transnistrien.

Bender en RMD / Crédit : yuriy-vinnicov / Unsplash

Le poids montant des pro-européens

En avril 2009, à l’issue de législatives ayant donné 50 % des voix aux communistes, le pouvoir est ébranlé par des manifestations qui dénoncent des fraudes et réclament le rattachement à la Roumanie, devenue membre de l’UE. Débordant la police, les protestataires incendient les sièges du gouvernement et du Parlement, au sommet duquel est déployé le drapeau roumain. Dénonçant une « tentative de coup d’État », le régime accuse la Roumanie et l’OTAN d’être impliquées dans ces événements ; certains observateurs suspectent en revanche Moscou d’avoir activé ses réseaux dans l’appareil sécuritaire moldave, afin d’affaiblir le pouvoir de Chisinau et de fragiliser sa candidature d’adhésion à l’UE. Le mois suivant, Voronine se fait élire président du Parlement, lequel ne lui trouve pas en revanche de successeur à la tête de l’État. Des législatives anticipées sont donc organisées en juillet, sans donner de résultat clair : le PCM reste la première formation du pays avec 45 % des voix, mais il est affaibli par la dissidence du Parti démocratique, qu’un de ses leaders modérés a fondé après la répression des manifestations d’avril ; lui et les trois autres formations libérales de l’Alliance pour l’intégration européenne recueillent un peu plus de 50 % des suffrages. Aucun des deux camps ne réunissant la majorité au Parlement, l’élection d’un Premier ministre échoue par deux fois, avant qu’un démocrate ne soit nommé par intérim. Quant à la fonction présidentielle, elle reste vacante.

L’arrivée au pouvoir de pro-européens favorise un rapprochement avec la Roumanie. En janvier 2010, le Président roumain est acclamé à Chisinau, où il promet de créer une agence chargée de délivrer effectivement des passeports roumains aux Moldaves roumanophones[1]. Le mois suivant, le chef du gouvernement entame la destruction des 360 km de barbelés séparant encore son pays de la Roumanie ; de son côté, l’UE finance la construction d’un pont sur le Prut, ainsi que de postes-frontières. En parallèle, les démocrates essaient de sortir de l’impasse créée par le blocage de l’élection du chef de l’Etat. Ils proposent qu’un référendum statue sur une élection directe du Président au suffrage universel, mais les communistes du PCRM appellent au boycott : seuls 30 % des électeurs s’étant déplacés pour voter, la réforme est rejetée. De nouvelles législatives ont donc lieu fin novembre 2010 : elles voient le reflux des communistes, qui à leur tour dénoncent des fraudes, et la victoire des partis de la coalition pro-européenne à laquelle il manque cependant deux députés pour atteindre la majorité qualifiée des trois cinquièmes. La fonction présidentielle échoit donc à des intérimaires.

En décembre 2011, la Transnistrie qui change de dirigeant : le clan Smirnov, qui avait mis la RMD en coupe réglée, est lâché par Moscou, le Kremlin souhaitant changer d’interlocuteur pour relancer les négociations avec Chisinau sur le statut de la république séparatiste. Sans remettre en cause l’autodétermination de la RMD, il affiche sa volonté de normaliser ses relations avec l’Ukraine et la Moldavie.

[1] Entre 20 et 40 % des Moldaves souhaiteraient acquérir la nationalité roumaine.


La redistribution des cartes politiques

La Moldavie sort de sa crise institutionnelle en mars 2012, en se dotant d’un nouveau chef de l’État, en l’occurrence le Président du Conseil supérieur de la magistrature. L’investiture de ce candidat indépendant a été rendue possible par l’émergence d’une nouvelle formation : issu du PCRM, le Parti socialiste de la République de Moldavie (PSRM) a accepté de joindre ses voix à celles des libéraux, contre la promesse qu’il n’y aurait pas de réforme de la Constitution et que le pays resterait neutre dans ses relations avec Moscou et l’Occident. Pourtant, l’été suivant, le Parlement condamne les crimes du régime de l’ex-république soviétique de Moldavie et interdit les symboles communistes dans le pays. En représailles, Moscou décrète un embargo sur les vins moldaves et menace de mettre fin à ses « prix d’ami » sur ses livraisons de gaz. Cela n’empêche pas Chisinau de signer en juin 2014, comme l’Ukraine et la Géorgie, un accord d’association avec l’UE. Moscou réplique en bloquant l’importation de fruits et de légumes moldaves, à l’exception de ceux provenant de Transnistrie et de Gagaouzie qui, trois mois plus tôt, ont profité de l’annexion de la Crimée ukrainienne à la Russie pour réclamer leur propre rattachement à la Fédération russe. Moscou n’y a pas donné suite, mais a multiplié les gestes de bonne volonté à leur égard, comme l’octroi de passeports russes et les livraisons d’énergie. En pratique, la RMD comme la Gagaouzie jouent sur deux tableaux : si Moscou contribue de manière significative à leur budget, elles effectuent l’essentiel de leur commerce extérieur avec l’UE, grâce aux facilités dont bénéficie la Moldavie.

Sur le plan politique, la situation moldave est toujours aussi inextricable : fin 2014, les trois partis pro-européens remportent la majorité absolue des sièges aux législatives, mais c’est le PSRM, pro-Moscou, qui devient le premier parti du pays, le pouvoir ayant par ailleurs interdit la participation d’une nouvelle formation, Patria, accusée d’être financée par des fonds russes. Une nouvelle fois, aucune majorité ne se dessine pour élire le Président de la République, d’autant que le camp pro-occidental se déchire, après la décision du Parti libéral de renoncer à la neutralité en vigueur, afin de faire adhérer le pays à l’OTAN. C’est donc sans les libéraux que les deux autres partis modérés forment un gouvernement minoritaire, en février 2015, avec le soutien des communistes, ce qui éloigne les perspectives d’adhésion à l’UE. Deux mois plus tard, l’absence de majorité claire permet aux députés communistes de faire voter un statut d’autonomie en faveur de la région méridionale de Taraclia, peuplée aux deux tiers de Bulgares, accroissant d’autant la fragilité de l’Etat central. Celle-ci se matérialise crûment avec la révélation, en mai, de la disparition inexpliquée d’un milliard de dollars des coffres des trois principales banques du pays. L’affaire, qui provoque la naissance d’un mouvement de protestation populaire baptisé « Dignité et vérité », entraine l’arrestation du chef du Parti libéral-démocrate au pouvoir et la chute du gouvernement.

A l’automne 2016, l’élection présidentielle se tient à nouveau au suffrage universel, la Cour constitutionnelle ayant cassé la révision de 2000. Discrédité par le scandale bancaire de l’année précédente, le camp pro-européen est battu et abandonne la Présidence du pays au socialiste Igor Dodon, élu au second tour avec un peu plus de 52 % des voix et une participation légèrement supérieure à 53 %. Mais il doit cohabiter, non sans crise, avec un gouvernement dirigé par le Parti démocratique (PDM), une formation de centre-gauche pro-européenne, dirigée par l’oligarque le plus puissant du pays. En février 2019, les socialistes remportent les législatives avec 31 % des voix, devant la nouvelle coalition pro-européenne ACUM (formée autour du parti Action et Solidarité) et le PDM. Aucun des trois blocs ne détenant de majorité suffisante, ils sont contraints de s’allier, ce que les deux premiers font en juin. Se retrouvant évincé du pouvoir, le chef du PDM fait alors invalider la nomination du gouvernement par la Cour constitutionnelle à sa botte et déploie la police pour empêcher les nouveaux ministres d’accéder à leurs bureaux. Mais ce coup de force suscite une telle réprobation internationale, à Moscou comme en Occident, que l’oligarque fait machine arrière et s’enfuit. La cheffe d’Action et Solidarité, l’économiste Maia Sandu, prend alors la tête du gouvernement de coalition socialo-libéral, mais pour peu de temps : sa volonté de nommer un Procureur général anti-corruption provoque sa chute dès le mois de novembre, les socialistes formant un gouvernement minoritaire.

Battue au scrutin de 2016, Sandu prend sa revanche en novembre 2020, en remportant le second tour de l’élection présidentielle, avec près de 58 % des voix devant Dodon. Arrivée largement en tête dans la capitale, elle a également raflé 90 % des suffrages d’une diaspora qui s’est fortement mobilisée. Ne disposant pas de majorité, elle organise des législatives anticipées que son Parti gagne largement, en juillet 2021, avec près de 53 % des suffrages, soit 20 % de plus que les diverses formations pro-russes. Mais seuls 48 % des électeurs sont allés voter (7 % de moins qu’aux présidentielles).

L’instabilité fait un retour en force au printemps 2022, à l’occasion de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine : le pays se retrouve confronté à l’afflux de dizaines de milliers de réfugiés ukrainiens et à la réaffirmation des sympathies pro-russes de la Transnistrie et de la Gagaouzie. La Moldavie rencontre également de grandes difficultés d’approvisionnement énergétique : non seulement Moscou cesse de livrer des hydrocarbures à un pays qui a obtenu (en juin) le statut de candidat officiel à l’Union européenne, mais les acheminements en provenance d’Ukraine sont limités par les bombardements russes sur les infrastructures ukrainiennes, bombardements qui empruntent parfois la voie de l’espace aérien moldave. En février 2023, alors que la Présidente affirme que les pro-Russes prépareraient un coup d’État, des manifestants défilent à Chisinau pour exiger sa démission et réclamer le paiement de leurs factures d’énergie : le mouvement est organisé par une coalition animée par le parti Shor, du nom de son fondateur, un oligarque pro-Kremlin réfugié en Israël.

Pour faire face à cette situation, l’UE renforce ses aides au pays, tandis que les dirigeants de Transnistrie accusent les services ukrainiens de chercher à les déstabiliser. En Gagaouzie, c’est une candidate du Shor qui est élue en mai au poste de gouverneur. En décembre, l’Union européenne donne son feu vert à l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Moldavie (comme avec l’Ukraine voisine). En avril 2024, le gouvernement de Chisinau lance la construction d’une ligne de plus de 150 km pour se raccorder au réseau électrique roumain et réduire ainsi sa dépendance vis-à-vis du gaz russe et de l’électricité produite par ses voisins (l’Ukraine en guerre et la Transnistrie, où se trouve la plus importante centrale du pays).

D'UNE MOLDAVIE A L'AUTRE

L’actuelle république de Moldavie ne couvre que 36 % de l’ancienne principauté moldave, en l’occurrence la partie centrale de l’ancienne Bessarabie, telle que le traité de Bucarest l’attribua à la Russie en 1812. La plus grande partie de l’ancienne principauté (46 %) se trouve en Roumanie, où elle forme la région de Moldavie occidentale, territoire de 35 800 km² qui intègre le sud de la Bucovine et compte 4,7 millions d’habitants, soit davantage que la Moldavie indépendante. La frontière entre les deux Etats a fait l’objet d’un traité de délimitation en novembre 2010. Les 18 % restants de la Moldavie historique sont situés en Ukraine. Il s’agit de la région de Tchernivtsi (capitale de l’ancien duché austro-hongrois de Bucovine) au nord, ainsi que de la Bessarabie méridionale (ou Boudjak) située à la frontière roumaine, au sud de la république Moldave et séparée du reste de l’Ukraine par la vaste embouchure du Dniestr. 
Voir CARTE
Au lendemain de la révolution bolchévique, la Moldavie orientale s’émancipe de la tutelle de la Russie et proclame son indépendance, en janvier 1918, sous le nom de République démocratique moldave. Mais les menaces des communistes russes sont telles que, deux mois plus tard, le Parlement de Chisinau vote le rattachement du jeune Etat à la Roumanie, formée au milieu du XIXe siècle par l’union de la Moldavie occidentale avec la Valachie. Les Soviétiques répliquent, en octobre 1924, en instaurant une République autonome socialiste soviétique moldave (RASSM) dans la partie de Podolie ukrainienne située entre la rive gauche du Dniestr et le Boug ; c’est la région que les roumanophones appellent Transnistrie (et les Russes Pridniestrie). Rattachée à l’Ukraine, elle a une superficie de 8 300 km², soit le double de l’actuelle République sécessionniste de Transnistrie puisqu’elle comprend des zones qui font aujourd’hui partie de l’oblast ukrainien d’Odessa. Dans l’attente de la récupération de Chisinau, la capitale officielle de la RASSM est fixée à Balta, puis à Tiraspol à partir de 1929.
En juin 1940, la superficie de la RASSM passe à plus de 50 000 km², Moscou lui rattachant la quasi-totalité de la Bessarabie prise à la Roumanie (à l’exception du judet – département – de Hotin, attribué à l’Ukraine). Le territoire de la république autonome de Moldavie est alors supérieur de plus d’un tiers à celui de l’actuelle république moldave. Au mois d’août suivant, la RASSM devient une république soviétique de Moldavie à part entière, distincte de l’Ukraine, mais en perdant 40 % de son territoire, ses 135 km de façade sur la mer Noire et la quasi-totalité de ses rives sur le Danube : la Bucovine du nord et la zone voisine de Hert(sa)a sont en effet attribuées à Kiev, de même que la région méridionale du Boudjak (peuplée d’Ukrainiens, de Russes, de Bulgares et de Gagaouzes) et que la partie la plus orientale de l’ancienne RASSM (4 800 km²) qui ne compte quasiment plus de roumanophones. La nouvelle République socialiste soviétique de Moldavie (RSSM) se trouve ainsi réduite à un peu plus de 30 000 km², à savoir les deux tiers de la Bessarabie n’ayant pas été attribués à l’Ukraine, ainsi que la partie occidentale de l’ex-RASSM sur la rive gauche du Dniestr.
En juin 1941, la Roumanie du dictateur Antonescu, efface la RSSM de la carte en participant à l'attaque allemande contre l'URSS et en reprenant la Bessarabie. Elle annexe aussi la Transnistrie ukrainienne : toute la région allant du Dniestr à Odessa est transformée en une zone d’occupation militaire de 44 000 km², le « Gouvernorat de Transnistrie ». Durant cette période, 120 000 des 250 000 juifs locaux « disparaissent », de même que 10 000 des 130 000 Roms. La moitié des victimes se sont enfuies derrière l'Armée rouge en déroute, mais elles ont été rattrapées en Ukraine et fusillées sur place, par les Allemands, les Roumains ou des retardataires soviétiques. D'autres ont été enfermées par l'armée d'Antonescu dans des hangars ou silos, incendiés ou dynamités. 
En août 1944, après le reflux des Allemands, la Moldavie et l’Ukraine soviétiques retrouvent leurs territoires d’avant l’invasion germano-roumaine. La récupération s’accompagne de la déportation de 120 000 roumanophones (après les 110 000 déjà déportés lors de la conquête de la Bessarabie en 1940). Quelques ajustements tortueux de frontière agrandissent la Moldavie d’environ 2 000 km². Elle devient la principale région viticole de l’URSS, tandis que le cours du bas-Dniestr s’industrialise, notamment avec des usines mécaniques et d’armement.
Se retrouvant privée de l’accès qu’elle possédait autrefois sur la mer Noire, la Moldavie moderne a négocié avec l’Ukraine un échange de territoire d’une dizaine de km², afin de bénéficier d’une ouverture significative sur le Danube. Mais ce protocole de 2001 n’a pu être mis en œuvre (cf. Encadré dans Ukraine).

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