Balkans, monde grec et bas Danube

La Transnistrie séparatiste

La petite république dissidente de Moldavie est un tampon pro-russe entre l’Ukraine et les pays de l’OTAN.

La République moldave du Dniestr, son nom officiel, a été proclamée par les populations russophones de Moldavie, vivant sur la quasi-totalité de la rive gauche du Dniestr (d’où son nom de « Transnistrie »)[1] : cela représente un territoire de 4 163 km², dont la largeur n’excède pas 50 km (contre 230 km dans le sens nord-sud), avec une « frontière » de 363 km avec le reste de la Moldavie. Ses 480 000 habitants se répartissent entre Russes (un peu plus d’un tiers), Moldaves (un tiers), Ukrainiens (un peu plus d’un quart) et autres ethnies (6 %). Plus de 90 % sont de religion orthodoxe. Un tiers de la population vit dans la capitale, Tiraspol. La monnaie est le rouble transnistrien (aligné sur le rouble russe).

[1] Seule la ville de Bender (Tighina) est située sur la rive droite du Dniestr ; inversement, une partie du raïon (district) de Dubăsari, sur la rive gauche, est restée sous souveraineté moldave.

Clairement alignée sur la Russie (bien que non reconnue officiellement), la RMD présente un caractère hautement stratégique pour Moscou : limitrophe d’une Moldavie qui est membre de l’OTAN, elle partage aussi 454 km de frontières avec l’Ukraine, devenue pro-occidentale. Historiquement, elle correspond à une partie de la République autonome socialiste soviétique moldave (RASSM) instituée par Moscou en 1924, en réaction à la proclamation d’indépendance de la Moldavie orientale, puis à son rattachement en 1918 à la Roumanie (formée notamment à partir de la Moldavie occidentale). Rattachée à l’Ukraine, la RASSM est deux fois plus vaste que la « Transnistrie » actuelle, puisqu’elle s’étend de la rive gauche du Dniestr au Bug et comprend donc des zones qui font aujourd’hui partie de l’oblast ukrainien d’Odessa. En juin 1940, la superficie de la RASSM passe même à plus de 50 000 km², Moscou lui rattachant la quasi-totalité de la Bessarabie prise à la Roumanie. Au mois d’août suivant, la Moldavie orientale, reprise aux Roumains, devient une république socialiste soviétique à part entière (la RSSM), mais dans une configuration géographique restreinte. Elle perd en effet sa petite façade sur la mer Noire et 40 % de son territoire, attribués à la RSS d’Ukraine : c’est le cas de la partie orientale de l’ancienne RASSM (4 800 km²), qui ne compte quasiment plus de roumanophones, mais aussi de la région méridionale du Boudjak, de la Bucovine du nord et de la zone voisine de Hert(sa)a. La Moldavie se trouve réduite à un peu plus de 30 000 km², dont la partie occidentale de l’ex-RASSM, sur la rive gauche du Dniestr. Cf. https://journals.openedition.org/bagf/9095


En août 1991, lorsque la Moldavie devient pleinement indépendante, certaines de ses minorités redoutent de revivre un scénario déjà vécu entre les deux guerres mondiales : une fusion avec la république « sœur » roumaine. Même si la Roumanie n’a pas les moyens d’absorber un pays qui est encore plus pauvre qu’elle, cette hypothèse conduit les Gagaouzes à proclamer leur propre république. Ils sont bientôt suivis des russophones et ukrainophones de la rive gauche du Dniestr : majoritaires dans une zone qui n’a jamais fait partie de la « Grande Roumanie », ils refusent tout passage sous une quelconque tutelle roumanophone et proclament leur République moldave du Dniestr.

Bien que le spectre d’une réunification avec la Roumanie se soit éloigné, la Transnistrie renforce son indépendance, avec la bénédiction de Moscou : sans reconnaître officiellement les autorités sécessionnistes (à la différence de ce qu’elle fait en Géorgie ou en Ukraine), la Russie est trop heureuse de garder un pied dans une région qui aspire majoritairement à se rapprocher de l’Union européenne et de l’OTAN. Principale zone industrielle de la Moldavie et siège de la XIVe armée russe, la RMD abrite des dépôts militaires de l’ex-URSS, dont les stocks sont vendus, légalement ou clandestinement, sur divers marchés, notamment au Moyen-Orient. Ayant conservé le russe pour langue officielle, elle arbore divers attributs de l’ère soviétique tels que la faucille et le marteau sur son drapeau ou encore l’usage du rouble comme moyen de paiement. Son premier Président, Igor Smirnov, n’est d’ailleurs pas moldave, mais citoyen de la Fédération de Russie.

En 1992, la Moldavie essaie de faire rentrer dans le rang la province rebelle. Mais ses forces sont inférieures en nombre et moins bien armées que celles de son adversaire. Après une série d’escarmouches ayant fait sept-cents morts, les combats s’arrêtent et un accord est signé en juillet, sous l’égide de la Russie : les séparatistes du Dniestr obtiennent le droit de décider de leur destin, en cas d’union de la Moldavie avec la Roumanie. Tout en demeurant officiellement moldaves, ils sont en pratique quasi-indépendants et refusent le statut d’Unité territoriale autonome que la Gagaouzie accepte fin 1994. En décembre 1995, la Transnistrie adopte à 81 % une nouvelle constitution indépendantiste et vote son adhésion à la Communauté des États indépendants (CEI), animée par Moscou.


En décembre 1996, le nouveau Président moldave Petru Lucinschi, clairement pro-russe, milite en faveur d’un système fédéral associant trois entités : la Moldavie, la Transnistrie et la Gagaouzie. Mais rien ne bouge. Ainsi la Russie ne retire pas ses troupes et armes de RMD, alors qu’elle s’était engagée à le faire d’ici fin 2002, en échange du renforcement de sa présence sur son flanc sud, dans le Caucase : Moscou désire conserver des implantations qu’elle considère comme stratégiques, face à la multiplication des bases américaines dans ce qu’elle considère comme son « étranger proche« .

En février 2001, de nouvelles élections portent à la Présidence de la république de Moldavie un ancien général russo-moldave et dernier ministre de l’Intérieur de la Moldavie soviétique. Ouvertement communiste, Vladimir Voronine ambitionne de « re-russifier » le pays, mais doit y renoncer face à la levée de bouclier des roumanophones. En 2003, il effectue même une volte-face : lassé de voir que Moscou continue à soutenir les « criminels » séparatistes de Transnistrie, il rejette le plan russe d’une Moldavie fédérale et démilitarisée, renoue des liens avec la Roumanie, puis avec l’Ukraine, et soutient l’intégration de son pays à l’Union européenne (tout en restant membre de la CEI pro-russe). Fin 2005, il accepte même le déploiement d’une centaine de douaniers européens à la frontière entre la Transnistrie et l’Ukraine, dans le cadre de l’aide que l’UE apporte aux pays souhaitant la rejoindre. En mai 2006, face aux pressions de la Russie, la Moldavie réactive sa coopération avec la Géorgie, l’Ukraine et l’Azerbaïdjan au sein du GUAM, ce qui a pour effet quasi-immédiat de renforcer le séparatisme transnistrien : 97 % des participants au référendum organisé par les autorités de Tiraspol se prononcent en faveur de l’autodétermination de la RMD, en vue d’une éventuelle intégration à la Russie.

En décembre 2011, la Transnistrie change de dirigeant : le clan Smirnov qui avait mis la RMD en coupe réglée – les deux fils du Président étant respectivement chef des douanes et patron de la firme d’import-export des armes – est lâché par Moscou, le Kremlin souhaitant changer d’interlocuteur pour relancer les négociations avec Chisinau sur le statut de la république séparatiste. Smirnov n’arrive que troisième aux présidentielles. Au second tour, ce n’est pourtant pas le nouveau poulain du Kremlin qui est élu, mais un ancien Président du Parlement, Evgheni Șevciuk, membre de la minorité d’origine ukrainienne. Sans remettre en cause l’autodétermination de la RMD, il affiche sa volonté de normaliser ses relations avec l’Ukraine et la Moldavie.

En 2014, les dirigeants de Transnistrie profitent de l’annexion de la Crimée ukrainienne à la Russie pour réclamer leur propre rattachement à la Fédération russe. Moscou n’y a pas donné suite, mais a multiplié les gestes de bonne volonté à leur égard, comme l’octroi de passeports russes et les livraisons d’énergie, situation qui enrichit quelques oligarques locaux : le plus puissant, un ancien membre des services de renseignement soviétiques, a fondé le conglomérat Sheriff, qui domine la quasi-totalité de l’économie locale. En pratique, la RMD comme la Gagaouzie jouent sur deux tableaux : si Moscou contribue de manière significative à leur budget, elles effectuent l’essentiel de leur commerce extérieur avec l’UE, grâce aux facilités dont bénéficie la Moldavie ; ainsi, la part de la Russie dans les exportations de Transnistrie est passée de plus de la moitié à 8 % en dix ans.

L’instabilité fait un retour en force au printemps 2022, à l’occasion de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine : la Transnistrie, comme la Gagaouzie, réaffirment alors leurs sympathies vis-à-vis de Moscou, suspectée de vouloir établir une continuité territoriale entre la Crimée et la Transnistrie en passant par le sud de l’Ukraine, le long de la mer Noire. Pour faire face à cette situation, l’UE renforce ses aides au pays, tandis que les dirigeants de Transnistrie accusent les services ukrainiens de chercher à les déstabiliser.

Photo : Bender en RMD. Crédit : yuriy-vinnicov / Unsplash

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