Israël et Palestine

Israël et Palestine

Malgré la multiplication des plans de paix, la coexistence de deux Etats s’avère impossible entre Méditerranée et Jourdain.

Israël : 20 770 à 27 799 km², selon les juridictions[1]

République parlementaire

Capitale : Tel-Aviv (en droit international) ou Jérusalem (pour Israël et certains de ses alliés)

Monnaie : le shekel

9,7 millions d’Israéliens

[1] La superficie la plus vaste intègre les territoires occupés par Israël (y compris le Golan syrien), occupations non reconnues par le droit international.

Entités palestiniennes autonomes :

L’État de Palestine, administré par l’Autorité palestinienne[1] sur une partie de la Cisjordanie, avec Ramallah pour capitale. 5 860 km², 3,2 millions d’habitants.

La bande de Gaza (2,4 millions d’habitants, 360 km²) administrée par les islamistes du Hamas.

[1] Bénéficiant du statut d’État non-membre observateur à l’ONU, la Palestine est reconnue par plus de 130 pays.

Bien que les limites de l’ancien « pays de Canaan » et des Philistins aient pu varier au fil de l’histoire, la Palestine désigne en général la région comprise entre la Méditerranée à l’ouest, le Jourdain à l’est, le Liban et la Syrie au nord et le désert du Sinaï au sud-ouest : c’est ainsi qu’elle est tracée dans le mandat confié aux Britanniques en 1923 (cf. Proche-Orient). Elle recoupe plus ou moins la « Terre promise » par les Patriarches juifs aux Hébreux, cet Eretz Yisrael n’étant défini qu’approximativement dans la Bible, entre l’Euphrate et le fleuve al-Arish au Sinaï.

Entre la plaine littorale et la vallée du fleuve s’étendent les collines et montagnes de Carmel, de la Galilée, de Naplouse, de Jérusalem et de Hébron. Le Sud est occupé par les 13 000 km² du désert du Néguev. L’altitude varie de 423 mètres au-dessous du niveau de la mer sur les rives de la mer Morte (le point le plus bas du monde terrestre) à un peu plus de 1200 mètres en Galilée[1]. Le climat est de type méditerranéen.

[1] Les Israéliens considèrent que leur point culminant se situe au mont Hermon (2 000 m), sur le plateau du Golan.

L’État d’Israël s’étend sur un peu plus de 78 % de la Palestine mandataire, la Cisjordanie (Judée-Samarie dans la terminologie israélienne) sur 20,2 % et la bande de Gaza sur 1,3 %. Long de 470 km entre la frontière libanaise au nord et la ville d’Eilat sur le golfe d’Aqaba au sud, le territoire israélien est large de 135 km entre Gaza et la mer Morte. Comptant 273 km de littoral sur la Méditerranée à l’ouest, il est frontalier de six pays ou entités : le Liban (79 km de frontière) au nord, la Syrie (76 km avec le plateau du Golan) au nord-est, la Jordanie (238 km) et la Cisjordanie palestinienne (307 km) à l’est, l’Égypte (255 km avec la péninsule du Sinaï) et la bande palestinienne de Gaza (51 km) au sud-ouest. Cette dernière compte 40 km de littoral et 13 km de frontière avec l’Égypte.

Les quelque 15 millions de personnes peuplant l’ex-Palestine du mandat se partagent en parts quasi-égales entre Juifs et Palestiniens.

Sur 7,6 millions de JUIFS, environ 6,9 millions vivent en Israël proprement dit, 500 000 en Cisjordanie et 200 000 dans la partie orientale de Jérusalem.

Les 7,2 millions d’Arabes PALESTINIENS se répartissent sur trois entités : un peu plus de 2 millions en Israël (quand ils n’étaient plus que 160 000 en 1948), 3 millions en Cisjordanie (dont 10 % à Jérusalem-est) et plus de 2,2 millions à Gaza.

En 2050, la population pourrait passer à 25 millions, du fait de la forte fécondité des Palestiniens de Gaza (4,7 enfants par femme, contre 3,7 en Cisjordanie) et des ultra-orthodoxes juifs (6 enfants par femme en moyenne contre 3 à la moyenne israélienne) : le taux de croissance dans les colonies juives est de 5 % par an en moyenne, soit deux fois la moyenne israélienne.


Israël abrite environ la moitié des 14,5 millions de JUIFS que compte le monde. La population juive de l’État hébreu (75 %) se décompose en 35 % de juifs « orientaux » et séfarades[2], 23 % de juifs ashkénazes (européens), 16 % de juifs ashkénazes « russes«  et 2 % de juifs éthiopiens.

[2] Originaires du Maghreb, les séfarades sont les descendants des Juifs expulsés de la péninsule ibérique en 1492. Les mizrahim ou « Juifs orientaux » appartiennent aux communautés natives des régions allant du Caucase jusqu’à l’Égypte, le Yémen et l’Inde. Ils ne doivent pas être confondus avec le parti politique israélien Mizrahi (fondé à Vilnius à la fin du XIXe siècle) qui est une des branches du sionisme religieux (cf. Judaïsmes et sionisme).

Les Juifs israéliens se définissent généralement davantage en fonction de leur degré de pratique religieuse qu’en fonction des courants du judaïsme (cf. Judaïsmes et sionisme). Ainsi se désignent-ils ou bien comme hilonim, c’est-à-dire laïcs (en majorité des ashkénazes européens), ou bien comme datim (religieux). Selon les sociologues locaux, environ 50 % des Juifs israéliens sont des Juifs laïcs, comme l’étaient les fondateurs de l’État d’Israël ; en dépit de leur laïcité affirmée, ils observent quelques pratiques traditionnelles comme l’allumage des bougies, la limitation de certaines activités le jour de shabbat et le maintien de certaines modalités de la cacherout (prescriptions alimentaires de la religion juive). Les traditionalistes (massorti, plutôt sépharades) et les réformistes, dont la pratique religieuse est partielle, représentent 30 à 35 % de la population juive du pays. Les 15 à 20 % restant se répartissent en deux familles, caractérisées par une pratique religieuse très stricte : d’une part les ultra-orthodoxes (hassidim et mitnagdim), caractérisés par leur séparatisme social (cf. Encadré), et d’autre part les orthodoxes et les mizrahim qui, eux, vivent en immersion dans le monde moderne. Dans l’État hébreu, seul le judaïsme orthodoxe est officiel et légalement reconnu, bien que ce monopole ait été écorné par une décision de la Cour suprême en 2021 (cf. Encadré sur les ultraorthodoxes).

La population israélienne compte également 21 % d’Arabes (ou « citoyens palestiniens d’Israël » comme ils préfèrent se dénommer) : plus de 90 % d’entre eux sont musulmans et 9 % chrétiens.

Les 4 % restant de la population appartiennent à d’autres communautés ethnico-religieuses telles que les Druzes (cf. L’islam et ses chapelles) dont 95 000 (vivant en Galilée et dans la région du Mont Carmel au sud d’Haïfa) sont citoyens israéliens et 20 000 (peuplant le Golan occupé) sont de nationalité syrienne. Sans oublier une des plus petites communautés religieuses du monde : les Samaritains (moins d’un millier) qui ont rompu avec le judaïsme traditionnel au VIe siècle AEC.


Sur la douzaine de millions de PALESTINIENS vivant dans le monde, une grande moitié habite dans l’ancienne Palestine du mandat (cf. supra), une petite moitié dans les pays arabes du Moyen-Orient (5,5 M) et le reste en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde. Des 725 000 expulsés de 1948 (soit les deux tiers de la population palestinienne de l’époque), le nombre des réfugiés a dépassé les 5 millions en 2017 : ils représentent plus de 40 % de la population palestinienne de Cisjordanie et environ 60 % de celle de la bande de Gaza. Au fil des confiscations de terres et des rasages de maisons, les Arabes d’Israël ne possèdent plus que 3 % du territoire israélien, dans lesquels les infrastructures souvent inférieures à celles des zones de peuplement juif. Ils n’ont pas le droit d’acheter de terres juives et ne sont que 6 % dans la fonction publique. Plus de la moitié des familles vivent sous le seuil de pauvreté.

S’y ajoute le cas particulier des 360 000 Bédouins semi-sédentarisés du vaste Néguev (« sud » en hébreu biblique), soit entre un tiers et la moitié de la population de la région ; ils y occupent moins de 5 % des terres, alors que celles-ci leur appartenaient quasi-entièrement avant l’annexion israélienne. La moitié habite dans des villages périodiquement rasés (puis reconstruits) car basés sur des titres de propriété datant des occupations ottomane ou britannique qu’Israël ne reconnait pas. Vivant dans des conditions extrêmes de précarité (70 % sous le seuil de pauvreté), ils affichent cependant une croissance démographique telle (+ 4,2 %) que l’État d’Israël essaie de les contenir en les sédentarisant, non sans difficultés, dans des villes nouvelles construites dans les années 1970 et 1980. Proches de la bande de Gaza… et de la centrale nucléaire de Dimona, ils sont périodiquement victimes, comme les Juifs israéliens, des tirs de roquettes du Hamas. 27 000 Bédouins vivent également en « zone C » en Cisjordanie, en particulier dans des campements périphériques de Jérusalem-est et dans la vallée du Jourdain.

SOMMAIRE

La naissance de l’État d’Israël

Dès la fin de la deuxième Guerre mondiale, les cartes de la Palestine sont rebattues, en raison de l’holocauste[1] subi par les juifs en Allemagne et en Europe centrale (six millions de morts). En 1945, les milices juives Irgoun (ou Etsel) et Stern (ou Lehi), rejointes par la Haganah, commencent à attaquer les intérêts britanniques. Alors que la population juive a atteint un tiers de la population de Palestine (soit 600 000 personnes), Londres décide de soumettre la question de l‘avenir du territoire à l’ONU (successeur de la SDN) en 1947, un an avant la fin de son mandat. En l’absence des Palestiniens, qui continuent à pratiquer la politique de la chaise vide adoptée avant guerre, arabe et juif (respectivement sur 44 % et 56 % de la Palestine), Jérusalem et Nazareth constituant une zone internationale (cf. Jérusalem ville trois fois sainte). Mais ce plan est rejeté par les pays arabes, puisque les Palestiniens recevraient moins de la moitié du territoire alors qu’ils représentent encore les deux tiers de la population. Dès novembre de la même année, des affrontements meurtriers éclatent entre les Palestiniens et leurs alliés (l’Armée de libération arabe) et les diverses forces juives, à Jérusalem, Haïfa, Saint-Jean d’Acre, Jaffa…

En mai 1948, dès le départ des Britanniques, les Juifs sautent le pas : David Ben Gourion, chef de l’Agence juive (l’exécutif sioniste), proclame l’État d’Israël, ce qui déclenche une guerre immédiate avec les pays arabes. D’abord mise en difficulté, l’armée israélienne inverse la tendance, grâce à des aides américaine et soviétique[2]. Après la mort de 15 000 Palestiniens et 6 000 Israéliens, la guerre s’achève en janvier 1949 par la défaite d’Arabes[3] aux intérêts trop divergents : rêve de Grande Syrie pour les uns, projets d’extension territoriale pour la Jordanie hachémite et l’Égypte… Dès le début du conflit, Ben Gourion a d’ailleurs passé un pacte avec le roi de Transjordanie pour que son armée, la Légion arabe, n’attaque pas les territoires attribués à Israël et ne se déploie qu’en Cisjordanie, une des zones attribuées aux Palestiniens. Ces derniers sont eux-mêmes divisés entre partisans des Hachémites de Jordanie (les Nashashibi) et nationalistes intransigeants (les Husseini).

L’armistice qui est conclu fixe une ligne de démarcation, la « ligne verte », qui consacre les importants gains territoriaux du nouvel État : par rapport au plan de partage de l’ONU, les Israéliens obtiennent près de 78 % des terres palestiniennes, après s’être emparés de l’ouest de la Galilée (à la frontière sud du Liban), du désert du Néguev (dont 80 % des occupants Bédouins s’enfuient, principalement vers Gaza) ainsi que de Jérusalem-ouest (la ville neuve). Ces conquêtes entrainent l’exil de 700 000 Palestiniens sur 1,4 million (dont près de la moitié en Jordanie)[4]. Pour les 150 000 qui restent, l’État hébreu adopte un régime juridique d’occupation militaire hérité du mandat britannique. Quant à la perspective d’un État indépendant de Palestine, elle disparaît totalement puisque le restant des territoires qui avaient été attribués aux Palestiniens par le plan onusien passe aux mains de l’Égypte (qui administre le district de Gaza) et de la Transjordanie : celle-ci domine désormais Jérusalem-est, ainsi que la rive droite du Jourdain (Cisjordanie) qui, fusionnée en 1950 avec la rive gauche, donne naissance à la Jordanie[5].

En 1949, le Mapaï (Parti des travailleurs, social-démocrate) de Ben Gourion remporte les premières élections législatives, loin devant les marxistes du Mapam. Dès le début, le leader sioniste forme des gouvernements avec des partis de la droite religieuse (comme les historiques Mizrahi et Agoudat Israël, fondés au début du XXe siècle en Europe) à qui il donne des gages, tels que l’exemption de service militaires pour les étudiants en religion ; mais ses gouvernements d’union associent aussi des formations arabes israéliennes et des groupes représentant les communautés séfarades et orientales. La population israélienne s’est en effet enrichie de nouvelles vagues d’immigration : d’Europe centrale et orientale (où les rescapés de la Shoah excluent de revenir), mais aussi du Moyen-Orient, ainsi que du Maroc et de Tunisie, où ont éclaté des émeutes anti-juives. La quasi-totalité des 800 000 Juifs du monde arabe le quittent alors, dont les trois-quarts pour s’installer en Israël. Du fait d’une natalité supérieure, ces séfarades – généralement plus pauvres que les ashkénazes – deviennent aussi nombreux qu’eux au milieu des années 1960. Le pays adopte comme langue officielle l’hébreu, qui ne servait plus qu’aux pratiques religieuses (l’idiome parlé par les Juifs d’Europe centrale et orientale étant le yiddish, mélange d’hébreu, d’araméen et d’allemand).

Démissionnaire en 1953, Ben Gourion revient au pouvoir deux ans plus tard, à la faveur d’une large victoire du Mapaï sur un nouveau parti sioniste de droite dirigé par Menahem Begin : le Hérout (Liberté), héritier du Parti révisionniste fondé dans les années 1920 pour promouvoir un Grand Israël sur les deux rives du Jourdain. Le vainqueur forme de nouveau une coalition hétéroclite, cette fois avec le Mapam, le futur Parti national religieux (issu du Mizrahi) et des formations arabes.

La même année 1955, la situation d’Israël se détériore gravement avec l’Égypte, passée trois ans plus tôt sous la coupe des militaires. Le nouveau Président Nasser instaure un blocus complet du détroit de Tiran (qui sépare le golfe d’Aqaba de la mer Rouge), auquel Israël – de nouveau dirigé par Ben Gourion sorti de sa retraite – répond par un bombardement du QG de l’armée égyptienne à Gaza. L’année suivante, l’État hébreu parvient à sortir gagnant du fiasco de la crise de Suez, à la différence de ses alliés britanniques et français : le libre passage du détroit de Tiran est rétabli et une force de l’ONU déployée le long de sa frontière avec l’Égypte en mars 1957. Au nom de la protection des pays « menacés par le communisme international », Israël va bénéficier d’une assistance militaire et économique croissante des États-Unis, face aux « pays du champ de bataille » passés dans le giron soviétique, l’Égypte et la Syrie, brièvement mariées au sein d’une République arabe unie.

[1] La Shoah : « anéantissement » en hébreu.

[2] Malgré une politique intérieure largement antisémite, Staline soutient Israël parce-qu’il considère que c’est un État « social » par rapport aux régimes « féodaux » arabes de l’époque.

[3] La « nakba » (catastrophe) est célébrée chaque année par les Palestiniens.

[4] Inversement, 700 000 à 850 000 Juifs fuient les pays arabes, très souvent pour Israël.

[5] Le roi Abdallah paiera cette fusion de sa vie, assassiné en 1951 par un Palestinien.


Des premiers pas de la résistance palestinienne à la guerre des Six jours

Les Palestiniens se retrouvent « citoyens de seconde zone » en Israël ou bien réfugiés dans des pays qui, à l’exception de la Jordanie, ne favorisent nullement leur intégration. Rivaux, les États arabes instrumentalisent même la cause palestinienne, ce qui contribue à des divisions entre ceux qui ont rejoint des mouvements communistes ou nassériens, ou bien islamistes, ou encore panarabes comme le Baas . C’est pour contrer l’influence de ce parti irakien que, en 1964, l’Égypte favorise la création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), laquelle ne joue toutefois qu’un rôle mineur par rapport à une organisation fondée en 1959 au Koweït : le Fatah (« conquête » en arabe, mais aussi acronyme inversé de Mouvement de libération de la Palestine). Le Fatah lance ses premières opérations de guérilla en 1965, avec le soutien de la Syrie : désormais dirigé par l’aile « gauchiste » du parti Baas, le régime de Damas s’oppose en effet ouvertement à l’utilisation des eaux du haut Jourdain pour irriguer les terres israéliennes du Néguev. En mai 1967, il est suivi par l’Égypte qui vit comme une occupation la présence onusienne dans le Sinaï : Le Caire bloque à nouveau le détroit de Tiran et mobilise ses troupes, de telle sorte que la force de l’ONU doit se retirer. La Syrie rejoint le camp égyptien, de même que le roi de Jordanie, Hussein.

Au nom de sa doctrine « d’attaque préventive », Israël réagit en clouant au sol les forces aériennes de ses trois ennemis. Les cinq jours suivants, il occupe la Cisjordanie[1], la bande de Gaza et le Sinaï jusqu’au canal de Suez ; l’armée israélienne (Tsahal) se rend même maîtresse des deux tiers du plateau syrien du Golan, un territoire peuplé de Druzes qui ne fait certes pas partie de la « Terre promise », mais qui abrite une des sources du Jourdain alimentant le lac de Tibériade (cf. Le Golan, plateau convoité). Durant cette « guerre des Six Jours », dirigée par Moshe Dayan, Israël prend aussi le contrôle de la vieille ville de Jérusalem et s’y empare du Mont du Temple (l’esplanade des Mosquées pour les musulmans) que défendaient des troupes jordaniennes. Pour tripler son territoire, l’État hébreu n’a perdu « que » 300 hommes contre 10 000 à la seule armée égyptienne.

Cette victoire donne des ailes aux adeptes de l’idéologie messianique du Grand Israël (Eretz Israel Hashlema) : le Herout, qui a rejoint la coalition gouvernementale, ainsi que les mouvement sioniste religieux (PNR et Goush Emounin, Bloc de la foi, fondé en 1974), dont des partisans investissent le tombeau des Patriarches de la Bible, à Hébron en 1968. Non seulement l’armée ne les en déloge pas mais, après un an et demi d’agitation et d’attaques sanglantes d’Arabes envers les colons, le pouvoir israélien permet à ces derniers de s’installer dans une base désaffectée à la périphérie de la ville et d’y fonder Kiryat Arba, qui deviendra une des plus importantes colonies de Cisjordanie. C’est le coup d’envoi de la création de colonies dans des zones stratégiques (Jérusalem et vallée du Jourdain), sachant qu’ailleurs elles restent interdites. En novembre 1967, la résolution 242 de l’ONU pose comme principe le respect de la souveraineté de tous les États de la région à l’intérieur de frontières reconnues, assorti de l’évacuation par Israël des territoires nouvellement occupés et de l’étude d’une solution juste pour les réfugiés. Mais la résolution est rejetée par la Syrie et par l’OLP de sorte que, à la différence de 1956, Israël ne rend pas les territoires conquis, ce qui entraîne un nouveau départ de 450 000 Palestiniens. Dans ses nouvelles possessions, l’État hébreu instaure un double régime juridique : droit israélien dans les colonies, mais lois d’exception militaire pour les Palestiniens, ce qui favorise l’application rapide de mesures aussi diverses que la fermeture de routes, l’instauration de couvre-feux ou la destruction d’habitations.

[1] La Cisjordanie est une terre de collines et de plateaux relativement fertiles.

Attentats palestiniens et guerre du Kippour

En 1969, le Fatah de Yasser Arafat prend le contrôle, qu’il ne quittera plus, de l’OLP. Désormais financée massivement par les pays arabes, en particulier par les pétromonarchies du Golfe, l’organisation prône la poursuite de la lutte armée contre Israël. Elle mène ses actions depuis ses bases du Liban et surtout depuis la Jordanie, où elle a établi son siège et où les Palestiniens représentent 60 % de la population. Dès 1968, les mouvements insurgés développent une nouvelle stratégie qui va rendre leur cause mondialement célèbre : le détournement, parfois meurtrier, d’avions de ligne, suivi d’un certain nombre d’attentats aveugles, notamment en France. Les organisations de fedayins opèrent notamment depuis un aéroport qu’ils ont « libéré » au nord de la Jordanie, ce qui achève de dégrader leurs relations avec la royauté hachémite.

Celles-ci ont commencé à se détériorer quand certains nouveaux mouvements palestiniens, à la fois marxisants et panarabes, se sont mis à prôner le renversement des régimes arabes « capitulards », à l’image du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine, créé en 1967 par fusion du Mouvement nationaliste arabe du chrétien Georges Habache et du Front de libération de la Palestine d’Ahmed Jibril) et de ses dissidences : le FPLP-CG (Commandement général, créé dès 1968 par Jibril[1]) et le FDLP (Front démocratique de libération de la Palestine, né en 1969). En 1970, le roi Hussein réagit : l’armée jordanienne attaque et expulse les combattants palestiniens. A l’issue de ce « Septembre noir », qui fait 4 000 morts, les survivants se réfugient dans les pays voisins. Certains donnent ce nom au groupuscule qui s’illustre, notamment, par l’assassinat de douze athlètes israéliens aux JO de Munich en septembre 1972. Israël réplique en bombardant des camps de réfugiés palestiniens au Liban et en Syrie.

L’année suivante, en octobre 1973, Égyptiens et Syriens, toujours armés par l’URSS et de plus en plus financés par l’Arabie saoudite, lancent une nouvelle offensive contre Israël. D’abord déstabilisée par la soudaineté de cette « guerre du Kippour »[2], l’armée israélienne reprend le dessus dans le Golan et sur le canal de Suez, grâce à un pont aérien américain qui est le pendant de celui que les Soviétiques organisent vers les pays arabes. Israël doit toutefois se résoudre à accepter le cessez-le-feu réclamé par l’ONU, après que les pays arabes ont instauré un embargo sur leurs exportations pétrolières, en signe de soutien aux Égyptiens et Syriens.

Sous l’égide des États-Unis, un accord est conclu entre le Président égyptien Sadate (qui a succédé à Nasser, décédé en 1970) et l’État hébreu qui, en 1975, abandonne la rive orientale du canal de Suez. Deux ans plus tard, les socialistes perdent le pouvoir en Israël, pour la première fois depuis l’indépendance : né (en 1968) de la fusion du Mapaï avec d’autres formations de gauche, le Parti travailliste est battu par le Likoud (« Consolidation »), lui-même issu de l’association du Herout avec d’autres mouvements de droite. En novembre 1977, Sadate fait le voyage de Jérusalem pour négocier avec Begin, devenu Premier ministre. Signé en 1978, les accords de Camp David sont suivis d’un traité de paix (en mars 1979) qui permet à l’Égypte de récupérer tout le Sinaï en 1982. En revanche, le Golan syrien est officiellement annexé par Israël (en 1981), la Syrie s’étant engagée dans un « front de la fermeté ». 

[1] Financé par le régime syrien, le FPLP-CG se distingue dès 1970 par des attentats sanglants, contre un avion de la Swiss Air (47 morts) et un bus d’écoliers israéliens (12 morts).

[2] Elle est déclenchée le jour de la Fête juive du Grand Pardon.


Colonisation et intervention au Liban

En Israël, la difficulté de la victoire (obtenue au prix de 2 500 morts), traumatise la société. Elle voit notamment s’affirmer le Bloc de la Foi (Goush Emounim) qui milite en faveur du « Grand Israël » et dont des militants créent la première colonie non autorisée en Cisjordanie, à Ofra, en pérennisant le chantier de construction d’une station radar par Tsahal. De 1977 à 1995, le nombre de colons en Cisjordanie passe de 6 000 à 109 000. La stratégie adoptée par le Likoud de Menahem Begin, arrivé au pouvoir en 1977 avec un soutien massif des séfarades, n’est plus celle de ses prédécesseurs travaillistes : il ne s’agit plus seulement de conserver Jérusalem, la vallée du Jourdain et des colonies sécuritaires dans des zones arabes peu peuplées, mais de réaliser des « blocs » fragmentant au maximum les territoires palestiniens et réduisant d’autant la menace qu’ils représentent. Désormais, la colonisation inclut des terres cultivables et des ressources en eau ; elle se traduit aussi par la construction de vastes cités-dortoirs (telle la colonie d’Ariel, à l’est de Tel-Aviv) et par l’extension de l’agglomération de Jérusalem : la vieille ville est progressivement ceinturée de colonies et, en juin 1980, l’ensemble de la cité est décrété « capitale éternelle » de l’Etat hébreu. En parallèle, les droits des Palestiniens sont considérablement restreints, par exemple en matière de construction ou de forage.

Dans le camp palestinien, l’issue de la guerre du Kippour crée des divisions. Reconnu comme seul représentant légitime du peuple palestinien au sommet arabe de Rabat (1974) et soutenu par l’URSS, Arafat défend désormais l’idée d’un Etat se limitant aux Territoires occupés, assorti d’un droit au retour des réfugiés ; mais cette vision est rejetée par ceux qui restent fermement attachés à la récupération de toute la Palestine. Soutenu par la Syrie, l’Irak, la Libye, le sud Yémen, ce « front du refus » est surtout influent dans les camps de la diaspora, à l’image du FPLP, du FDLP, de la Saïka, du Front de libération arabe (FLA, lié au Baas irakien), du FPLP-CG ou encore du Fatah-Intifada et du Fatah-Conseil révolutionnaire d’Abou Nidal[1]. La plupart de ces organisations sont engagées dans la guerre politico-confessionnelle qui, à partir de 1975, ravage le Liban, devenu la base de l’OLP depuis son expulsion de Jordanie (cf. Liban).

La situation est telle que, trois ans plus tard, l’armée israélienne entre au sud-Liban, jusqu’au cours inférieur du fleuve Litani, longtemps revendiqué comme frontière d’Israël par les sionistes. Après le déploiement d’une force d’interposition de l’ONU, Tsahal se retire en conservant une « zone de sécurité » qu’il confie à une milice supplétive, majoritairement chrétienne, l’Armée du Liban Sud (ALS). C’est également à la demande du principal leader chrétien libanais qu’Israël lance l’opération « Paix en Galilée » en 1982, avançant cette fois jusqu’aux faubourgs de Beyrouth. L’Etat hébreu finit par se retirer du Liban trois ans plus tard, sans avoir enrayé l’influence de la Syrie dans le pays – à l’exception de la zone méridionale (dont il se retirera en 2000) – ni vraiment vaincu la résistance chiite incarnée par le Hezbollah pro-iranien ; en revanche, l’opération a considérablement affaibli l’OLP, contraint à s’exiler en Tunisie. Malmené par le terrorisme palestinien dans les années 1980, Israël réagit aussi par des frappes aériennes : sur le QG tunisien de l’OLP en 1985 puis, l’année suivante, sur les villes de Tripoli et Benghazi en Libye, l’un des pays les plus engagés aux côtés des fedayins, les combattants palestiniens.

[1] Certains des mouvements radicaux palestiniens ont une telle haine des Juifs qu’ils s’entourent des conseils de rescapés du régime nazi.

De l’Intifada aux accords d’Oslo

En décembre 1987, la situation s’enflamme dans les Territoires occupés, après la mort de quatre Palestiniens renversés par un camion israélien. Malgré la mise en place d’un Commandement national unifié (intégrant le FPLP et le FDLP, revenus dans le giron de l’OLP), les nationalistes historiques vont être dépassés par ce soulèvement (Intifada) qui mêle désobéissance civile, élimination de « traîtres » ainsi que de civils israéliens et affrontements avec les forces de Tel-Aviv. Très rapidement en effet, cette « guerre des pierres » est animée par le Hamas (acronyme de Mouvement de la résistance islamique[1] qui signifie « enthousiasme » en arabe). Officiellement fondé en 1987, le Hamas est en réalité le prolongement nationaliste d’Al-Moujamaa Al-Islami (Centre islamique), un mouvement de réislamisation de la société palestinienne créé en 1973 à Gaza par un cheikh tétraplégique, Ahmed Yassine. Bien qu’il soit lié aux Frères musulmans, l’État hébreu l’avait laissé s’établir à Gaza puis en Cisjordanie, dans les années 1970, afin de contrer l’influence du Fatah et d’un autre groupe de la même mouvance, le Djihad islamique palestinien. Celui-ci a prospéré au début des années 1980 dans la bande de Gaza, avant d’être expulsé au Liban en 1987 et d’y bénéficier du soutien de la milice chiite du Hezbollah.

Dépassée dans les territoires, l’OLP réagit sur le terrain diplomatique : en 1988, elle reconnait le droit à l’existence de l’État hébreu, mais seulement sur les territoires qui lui ont été attribués avant 1967 (reconnaissance des résolutions 242 et 338 de l’ONU) ; sur le reste, elle réaffirme le droit à exister d’une Palestine ayant Jérusalem pour capitale et proclame un État palestinien en exil, enterrant de facto le projet de confédération jordano-palestinienne avancé par le roi Hussein, au début de la décennie. En 1989, après avoir renoncé au terrorisme, Arafat déclare « caduque » la Charte constitutive de l’OLP qui excluait, entre autres choses, « toute solution de remplacement à la libération totale de la Palestine » (charte qui sera officiellement abrogée en 1996).

Dans le même temps, Israël connait sa dernière vague de grande immigration, venue d’une URSS qui se désagrège et dont les nouveaux dirigeants rétablissent des relations diplomatiques avec Tel-Aviv, en même temps qu’ils diminuent leur soutien à la Syrie et aux autres pays du « front du refus ». La structure démographique de la société israélienne s’en trouve profondément modifiée et, avec elle, sa représentation politique : des partis ouvertement communautaires s’ajoutent aux formations sionistes qui représentaient jusqu’alors la société israélienne, qu’elles soient laïques (comme le Parti travailliste ou le Likoud) ou religieuses (comme le PNR, Parti national religieux). Ainsi, les ashkénazes non « russes » (un peu plus d’un quart des Israéliens) sont défendus par le Judaïsme unifié de la Torah (JUT, Yahaduth Hatorah), coalition formée à partir de l’historique Agoudat Israël. Les juifs orientaux (mizrahim) et séfarades (plus d’un tiers de la population) ne sont pas en reste : s’estimant marginalisés par les juifs d’origine européenne, ils se sont dotés en 1984 de leur propre formation, le Shas (Gardiens séfarades de la Torah). A cette mosaïque s’ajoutent 2 % de Juifs exfiltrés d’Éthiopie à la fin des années 1970. Regroupés dans une vingtaine de zones urbaines, ces falachas et autres falachmoras (des convertis au christianisme dont la judaïté a été reconnue en 2002) sont victimes d’un racisme croissant de la part de leurs concitoyens. De leur côté, les russophones perpétuent certaines traditions de leur pays d’origine, dans leurs commerces ou dans l’emploi de leur langue ; leur intégration est d’autant plus délicate que le grand rabbinat considère qu’un peu moins d’un tiers d’entre eux ne sont pas juifs : en effet, si l’État attribue la citoyenneté israélienne à toute personne ayant un ascendant juif, même mâle, en vertu de la « loi du retour » votée en 1950, la loi religieuse (la halakha) ne considère comme juifs que les enfants nés d’une mère juive.

Considérablement affaiblie dans les territoires occupés (à la suite de l’Intifada[2]), l’OLP l’est aussi sur la scène internationale, après avoir soutenu l’invasion du Koweït par l’Irak et perdu, par ricochet, l’aide des pétromonarchies. Elle doit donc se résoudre à accepter l’ouverture de négociations sur le Proche-Orient[3]. Celles-ci débutent à l’automne 1991 à Madrid, mais elles piétinent tant que Palestiniens et Israéliens décident d’ouvrir, l’année suivante, des pourparlers informels en Norvège. Ce processus d’Oslo aboutit, à l’automne 1993, à la signature d’un traité à Washington, marqué par une poignée de mains entre Arafat et le nouveau chef du gouvernement israélien, le travailliste Yitzhak Rabin. L’accord du Caire (ou Oslo 1) signé en mai 1994 prévoit la reconnaissance mutuelle d’Israël et de l’OLP, ainsi que l’autogouvernement de deux zones, par une Autorité palestinienne intérimaire (AP) : la bande de Gaza et la région de Jéricho (avec extension possible à d’autres villes de Cisjordanie) ; au terme d’une période de trois ans, commenceraient les négociations sur le statut final, incluant les questions des réfugiés palestiniens, de Jérusalem, des implantations israéliennes, des frontières définitives et les problèmes de sécurité d’Israël.

Signé en 1995, à Taba, l’accord dit « Oslo 2 » divise les Territoires occupés en trois zones discontinues : composée de Gaza et de six agglomérations urbaines de Cisjordanie (Tulkarem, Jénine, Kalkiliya, Naplouse, Ramallah et Bethléem), la zone A est intégralement confiée à l’AP ; en revanche, dans les districts ruraux constituant la zone B, les fonctions sécuritaires restent du ressort d’Israël ; enfin, la zone C (incluant les colonies et Jérusalem-est) demeure sous le contrôle total de l’État hébreu. Laissé en suspens, le cas sensible d’Hébron est réglé début 1997 : les quartiers périphériques passent sous autonomie palestinienne, tandis que le cœur historique de la Vieille Ville (incluant le caveau des Patriarches) est placé sous le contrôle de l’armée israélienne. In fine, la zone A comprend 18 % des Territoires occupés, la zone B 22 % et la zone C 60 %, dont tous les lieux considérés comme stratégiques par Israël : la vallée du Jourdain frontalière de la Jordanie, les carrières, l’accès aux nappes phréatiques, les camps militaires, les routes dites de contournement (reliant les colonies aux grandes agglomérations israéliennes sans passer par les localités palestiniennes) et les lieux saints vénérés, y compris par les musulmans, comme les tombeaux de Rachel à Bethléem et de Joseph à Naplouse. L’opération permet également à l’État hébreu de déléguer à l’AP les délicates missions de sécurité dans la majorité des zones de peuplement palestinien et de laisser la communauté internationale subvenir aux soins de leurs habitants.

[1] Dans son article 11, la Charte du Hamas (publiée en 1988) stipule que la Palestine est une terre entièrement islamique « jusqu’au Jugement dernier ».

[2] La première Intifada, qui ne prendra fin qu’en 1993, aura fait 1 600 morts côté Palestinien (dont 25 % de moins de 16 ans) et 160 côté Israélien et conduit plus de 120 000 personnes en prison.

[3] Non reconnue par Israël, l’OLP est intégrée dans une délégation jordano-palestinienne


Ascension de Netanyahou et déclin d’Arafat

A peine signés, les accords « d’Oslo » (qui ont également abouti à une paix israélo-jordanienne) sont remis en cause plus ou moins explicitement par leurs signataires et surtout violemment contestés par les radicaux de chaque camp : d’un côté les sionistes religieux, de l’autre l’Alliance des forces palestiniennes[1], qui bénéficie de la formation que lui procurent les combattants libanais du Hezbollah. Renforcé et structuré (avec des représentations extérieures, des liens avec d’autres mouvements radicaux anti-israéliens et ses propres commandos, les brigades Ezzdine Al-Qassam, du nom d’un combattant des années 1930), le Hamas multiplie les attentats et tue une vingtaine d’Israéliens. En février 1994, ce sont vingt-neuf Palestiniens qui sont tués à Hébron, en pleine prière, par un colon israélien adhérent d’un parti nationaliste-religieux. L’année suivante, en novembre, un membre de la même mouvance assassine Rabin à Tel-Aviv, lors d’une manifestation en faveur du processus de paix israélo-palestinien. Successeur du défunt, le travailliste Shimon Peres est battu aux élections de mai 1996 – les premières prévoyant l’élection du Premier ministre au suffrage universel – par le nouveau chef du Likoud, Benyamin dit « Bibi » Netanyahou. Paradoxalement, le nouveau mode électoral ne met pas fin, loin de là, aux marchandages : non seulement au sein du Likoud (pour faire une place au renommé général Sharon, leader des « faucons »), mais aussi avec les partis représentant les russophones, les colons et les religieux, dont le poids s’est singulièrement accru au sein de la Knesset.

Passé par les commandos d’élite de l’État-major, le nouveau chef du gouvernement affiche d’emblée la couleur : hostile à toute création d’un État palestinien, il préconise à la place une juxtaposition d’implantations palestiniennes largement autonomes dans leur vie quotidienne. Pour conforter son pouvoir, il forme un Conseil de sécurité nationale, dont la création avait été envisagée après la guerre de 1973 mais était restée sans suite. Dès le début, la gouvernance de Netanyahou est entourée d’un parfum de scandale. Il est notamment suspecté d’avoir aidé le leader du Shas à se dépêtrer d’une procédure judiciaire, en échange de son soutien, mais sort finalement blanchi de ce « Bibigate » qui sera suivi d’autres affaires. Sinon, le nouveau pouvoir ne va pas au-delà de ce qui avait pu être déjà engagé[2] et ne respecte pas toutes les promesses d’Oslo : ainsi, il laisse des colons construire des avant-postes illégaux qu’il ne démantèle pas, voire qu’il légalise a posteriori. De 1993 à 2001, le nombre de colons passe de 110 000 à 185 000 en Cisjordanie et de 130 000 à 175 000 à Jérusalem-est. Les accords de paix d’Oslo donnent même une vigueur supplémentaire à la colonisation, grâce à la construction de routes reliant directement les colonies entre elles, sans passer par les quelque deux cents enclaves administrées par l’AP[3].

Ce découpage territorial en « peau de léopard » freine toute perspective de développement économique des Palestiniens : dépendant à plus de 90 % d’Israël pour leurs importations et exportations, ils sont également soumis à de multiples barrages pour se déplacer d’une zone à l’autre, pour aller travailler en Israël ou pour commercer avec la Jordanie et l’Égypte. Pour l’État hébreu, le bouclage des Territoires et la rétrocession (ou non) des droits de douane qu’il perçoit pour l’AP[4] deviennent ainsi des armes majeures, chaque fois qu’il s’agit de la rappeler à l’ordre, notamment après les attentats. En effet, malgré la répression réelle exercée par les forces de sécurité palestiniennes contre certains groupes extrémistes, tels que le Djihad islamique pro-syrien et iranien, la lutte contre Israël continue : elle est menée par les islamistes, mais aussi par des groupes proches du Fatah, bien que ce mouvement ait officiellement abandonné la lutte armée. Ainsi, si l’idée d’un Etat palestinien s’est renforcée sur la scène internationale, elle s’est en réalité affaiblie sur le terrain, de même que la représentativité de l’OLP : sa participation au processus d’Oslo l’a en effet coupée de la diaspora, extrêmement concernée par la question du droit au retour ; quant à la gestion de l’AP, elle est souvent considérée par « la rue » comme un « embourgeoisement » et une trahison (la CIA apportant même une aide à la formation des forces de sécurité palestiniennes).

En septembre 1997, le pouvoir d’Arafat est encore affaibli quand Israël libère le fondateur et guide spirituel du mouvement islamiste, cheikh Ahmed Yassine, condamné huit ans plus tôt à la perpétuité. Redoutant que la mort en prison d’un sexagénaire paralytique ne déclenche une flambée de violence, l’État hébreu répond aussi à une demande de l’ennemi juré d’Arafat, le roi Hussein de Jordanie : celui-ci réclamait en effet un geste positif en faveur de la paix… et de la libération de deux agents du Mossad impliqués dans une tentative, ratée, d’assassinat d’un dirigeant du Hamas à Amman. Cet « aventurisme » fragilise Netanyahou dont la stratégie de négociations avec les Palestiniens et la politique sociale lui valent de perdre des alliés à la fois sur sa droite et au centre (ou de devoir se débarrasser de collaborateurs proches comme Avigdor Lieberman[5]).

[1] Initiée par la Syrie comme une « contre-OLP », au début des années 1990, l’Alliance regroupe des islamistes (Hamas, Djihad islamique) et des laïcs (FPLP-CG, Comités populaires ou Saïka, branche palestinienne du Baas).

[2] Accords de Wye River en 1998 et de Charm-el Cheikh (ou Wye River II) en 1999. En octobre 2000 est par exemple restitué à l’AP le supposé « tombeau de Joseph », seule trace restante de la présence israélienne à Naplouse (en zone A).

[3] Le territoire palestinien de Cisjordanie est constitué de près de deux-cents « morceaux », allant de Jénine au nord à Naplouse au sud, en passant par Hébron, Bethléem et l’enclave de Jéricho près de la frontière avec la Jordanie.

[4] Les droits de douane qu’Israël prélève et doit reverser à l’AP peuvent représenter jusqu’à deux tiers de son budget.

[5] Ancien videur de boîte de nuit et militant notoire d’extrême-droite, Avigdor Lieberman est surnommé « KGB » ou « Raspoutine », du fait de ses origines moldaves.

Deuxième Intifada et échec travailliste

Affaibli, le Premier ministre doit se résoudre à convoquer des élections anticipées qui sont largement marquée par la question du poids croissant des religieux dans la société israélienne, un mois après le défilé de 250 000 harédim (« craignant Dieu ») dans les rues de Jérusalem : alors qu’ils s’étaient longtemps accommodés du partage instauré en 1948 (aux laïcs la gestion de la cité, aux rabbins celles des affaires privées), les partis religieux se sont considérablement radicalisés, soit par réaction à la position dominante des ashkénazes, soit par opposition à une gauche accusée de « déjudéisation » des esprits. Dans le camp travailliste, l’ancien chef d’État-major Ehoud Barak promet de revoir la loi qui dispense les religieux de service militaire et de diminuer les aides de l’État en leur faveur. Quant à l’éphémère parti russophone Israël Ba Aliah, il réclame le ministère de l’Intérieur et accuse son détenteur, membre du Shas, de ne pas appliquer la loi du retour et de refuser la nationalité israélienne à de nombreux immigrants de l’ex-URSS. La campagne se termine par la nette défaite de Netanyahou, devancé de plus de 12 % par Barak, l’ancien dauphin de Rabin. La Knesset, elle, est plus que jamais fragmentée : quinze partis et coalitions y ont au moins un élu, du fait du net recul de la gauche ainsi que du Likoud et du « camp des colons ». Seul le Shas progresse, tandis qu’émergent deux nouveaux partis : le laïc Shinouï et Israël Beiténou (Israël notre maison) création de Lieberman, inspirée par Netanyahou, pour défendre les ashkénazes russophones. Victorieux, Barak forme un gouvernement hétéroclite qui se distingue des précédents à deux titres : pour la première fois, les juifs orientaux y sont majoritaires, de même que les partisans de la paix, qu’ils soient convaincus ou pragmatiques. De son côté, le Likoud rejoint l’opposition, avec un nouveau chef : l’ancien général Ariel Sharon, artisan majeur de la colonisation et de l’opération Paix en Galilée au Liban.

Côté palestinien, cheikh Yassine appelle, dès son retour à Gaza, à la poursuite de la lutte armée pour chasser les Israéliens. Ses vœux sont exaucés quand une deuxième Intifada éclate, en septembre 2000 : elle survient au lendemain d’une visite, jugée provocatrice, d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem. Cette « Intifada Al-Aqsa » diffère de la première dans son expression : cette fois, ce n’est pas la rue qui se révolte, mais des jeunes de 15 à 25 ans[1], munis d’armes et plus seulement de pierres. Parfois aidés par des policiers palestiniens, ils portent le combat aux abords des colonies et sur le sol même d’Israël, dans la région de Jaffa. Malgré la prolifération des services de sécurité dont il s’est entouré[2], Arafat laisse faire : non seulement ce mouvement détourne la colère populaire de sa propre personne, mais il permet aussi à des groupuscules issus du Fatah (comme les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa) de participer à la révolte et de ne pas la laisser aux seuls islamistes. Laïcs et religieux s’associent même au sein de Comités de résistance populaire (CRP). Aux attentats suicides et assassinats ciblés commis par les insurgés (y compris contre des membres d’autres factions), l’armée israélienne répond par des tirs de missiles et des déploiements de blindés.

Dans ce contexte, les travaillistes essaient de relancer des négociations avec l’AP, sous l’égide des Etats-Unis. L’idée est de renoncer au « Grand Israël » pour passer à une solution à deux Etats, sachant que la démographie joue contre les Juifs (les Arabes étant appelés à être fatalement plus nombreux) et qu’Arafat est devenu trop fragile pour régler quoi que ce soit politiquement. Le pouvoir du « vieux » – le surnom que lui a donné son peuple – est fragilisé non seulement par le poids accru de ses rivaux islamistes (y compris financiers, grâce aux aides extérieures et aux réseaux de solidarité musulmans), mais aussi par la corruption régnant dans son administration[3]. En décembre 2000, une idée nouvelle a donc été mise sur la table : les Israéliens annexeraient trois blocs de colonies représentant 80 % des colons (soit 4 à 5 % de la Cisjordanie) et maintiendraient une présence militaire le long du Jourdain ; en échange, ils cèderaient 3 à 4 % de leur territoire aux Palestiniens qui gèreraient également les quartiers arabes de Jérusalem et une partie de l’Esplanade des Mosquées. Mais l’AP rejette une solution qui fractionne en six son territoire et n’autorise pas tous les réfugiés à revenir.

Usé par les divisions sur la conduite à tenir vis-à-vis de l’Intifada, mais aussi par le chantage permanent du Shas (sur le financement de ses écoles privées et son refus de la conscription… alors qu’il réclame toujours plus de fermeté militaire contre les Palestiniens), Barak décide de convoquer une élection anticipée au poste de Premier ministre… élection qu’il perd en février 2001, ayant notamment perdu le soutien des Arabes israéliens. Elu à plus de 62 %, Sharon doit former un gouvernement d’union puisque la Knesset, elle, n’a pas été renouvelée.

[1] Plus de 40 % des Gazaouis ont moins de 15 ans (36 % en Cisjordanie et 28 % en Israël).

[2] L’AP rémunère jusqu’à 40 000 hommes au sein d’une dizaine de services de sécurité qui multiplient les exactions, voire se marchent sur les pieds et règlent leurs différends à la kalachnikov.

[3] En mars 2001, le commissaire de l’Union européenne conditionne la poursuite de ses aides à la soumission de comptes “transparents” par l’AP. Selon un rapport du FMI, publié en septembre 2003, Arafat aurait détourné plusieurs centaines de millions de dollars des caisses de l’AP, surtout à partir de 1996, par divers procédés (comme revendre au prix fort à ses compatriotes du pétrole acheté en Israël… et coupé avec du kérosène !). Selon le magazine Forbes (2003), sa fortune se monterait à au moins de 300 M$ qui seraient surtout utilisés pour acheter des fidèles et nourrir ses réseaux.


Oslo aux oubliettes

La violence à son encontre ne faiblissant pas, notamment sous la forme de tirs de mortier sur des habitations, Israël n’hésite pas à multiplier les interventions armées en 2001, y compris en zone A : des maisons suspectées de servir d’abri à des snipers sont rasées dans le camp de réfugiés de Khan Younes dans la bande de Gaza, de même que des bâtiments de plusieurs forces liées à l’AP ou au Fatah. Tsahal intensifie aussi ses ripostes « ciblées » contre des terroristes présumés, tuant ici un responsable du Fatah (dans l’explosion d’une cabine téléphonique), là des activistes en réunion… et des enfants jouant au pied de l’immeuble visé. En août, c’est le successeur de Habache à la tête du FPLP qui est tué dans son bureau de Ramallah, en représailles à l’attaque par son organisation d’un poste de l’armée israélienne au sud de la bande de Gaza. La riposte viendra trois mois plus tard, avec l’assassinat d’un ministre d’ultra-droite. Arafat refusant de livrer les meurtriers, Tsahal réoccupe les grandes villes palestiniennes, estimant que l’AP n’assure pas la sécurité en zone A. A la fin de l’année 2001, c’est l’héliport personnel du chef de l’AP qui est bombardé : le « vieux » se retrouve coincé à Ramallah, illustration symbolique de son incapacité à agir. Homme de calcul plus que d’action, le leader palestinien est doublement coincé : d’une part, par l’activisme des islamistes et de la « jeune garde » nationaliste issue de la première Intifada ; d’autre part, par Israël qui fragilise ses quelques moyens d’action en bombardant les maigres infrastructures de l’AP… tout en lui reprochant de ne pas agir, comme avait pu le faire Ben Gourion en 1948[1].

Sur le terrain, la nature même des belligérants évolue : en septembre, l’un des kamikazes qui tue des civils n’est pas un Palestinien des territoires occupés, mais un Arabe d’Israël. En décembre, un attentat meurtrier frappe lourdement Haïfa, où le mélange des communautés était plutôt pacifique jusqu’alors ; du côté des forces d’élite de Tsahal, l’encadrement est de plus en plus assuré par des officiers ultranationalistes et religieux, formés dans les « yeshivot hesder » (des écoles rabbiniques mêlant études religieuses et formation militaire et implantées, pour la quasi-totalité, dans les territoires occupés). En février 2002, Tsahal effectue une nouvelle « première » : l’opération « Voyage pittoresque » vise à prendre pied dans des camps de réfugiés considérés comme des places fortes du Hamas et du Fatah, à Jénine, à Tulkarem, près de Naplouse et de Bethléem, et même à Ramallah. Ces intrusions sans précédent déclenchent le plus grand cycle de violences jamais enregistré durant les Intifada avec, pendant plusieurs jours, une vingtaine de morts quotidiens. Militairement, les Palestiniens usent de nouvelles roquettes d’une portée accrue et s’en prennent aux check-points qui jalonnent désormais tous leurs territoires.

[1]En juin 1948, le leader hébreu n’avait pas hésité à faire bombarder, au large de Tel-Aviv, un bateau bourré d’armes affrété par le Herout, un parti ultranationaliste issu de l’Irgoun.

D’Abdallah à Genève, les plans avortés

En mars, la Ligue arabe adopte à la quasi-unanimité le plan présenté par le futur roi saoudien Abdallah : il propose un accord de paix et l’établissement de relations normales avec Israël, à condition que l’Etat hébreu accepte la création d’un Etat palestinien, avec Jérusalem-est comme capitale, sur les territoires palestiniens occupés en 1967 (au prix de quelques ajustements éventuels de tracé) et trouve une « solution juste » aux problèmes des réfugiés palestiniens (sans « droit au retour » systématique[1]). Mais un nouvel attentat du Hamas contre une cité balnéaire met immédiatement fin au fragile espoir né de ce projet.  Tsahal lance l’opération « Mur de protection » qui vise en particulier Jénine (camp de formation supposé de kamikazes) et Bethléem (où des terroristes présumés sont assiégés dans l’église de la Nativité). L’armée israélienne investit même partiellement le QG d’Arafat, désigné comme « ennemi (d’Israël) à la tête d’une coalition terroriste ». Le gouvernement israélien fait le pari que, en se débarrassant de lui, les islamistes porteraient seuls le flambeau de la cause palestinienne, ce qui pourrait affaiblir celle-ci sur la scène internationale. Toutefois, en septembre 2002, Israël doit se résoudre à mettre fin à l’isolement d’Arafat, sous la pression des Etats-Unis (alors en pleins préparatifs de guerre contre l’Irak).

Le mois suivant, la droite se retrouve seule aux manettes à Tel-Aviv : les travaillistes se retirent, mécontents de voir les dotations aux colonies continuer à progresser (crédits d’impôts, prêts immobiliers avantageux, frais de scolarité gratuits, constructions de synagogues et de bains rituels…), alors que tous les budgets sociaux sont en baisse. Minoritaire, Sharon doit se résoudre à affronter de nouvelles élections anticipées en janvier 2003 : elles voient une nette victoire du Likoud et de la droite nationaliste religieuse, tandis que les travaillistes enregistrent leur pire score depuis la création d’Israël. Reconduit dans ses fonctions, le Premier ministre forme un gouvernement tout juste majoritaire avec ce qui reste du Parti national religieux (affecté en 1998 par le départ de radicaux, partis fonder le Tkuma) et les laïcs du Shinouï, qui sont braqués contre les ultraorthodoxes mais très discrets sur la question palestinienne.

Côté palestinien, Arafat doit se résoudre à partager le pouvoir et à nommer un premier ministre en mars 2003 : le poste échoit au n°2 du Fatah et principal négociateur des accords d’Oslo, Mahmoud Abbas, honni des radicaux car partisan de l’arrêt de l’Intifada. Pour asseoir son autorité, le chef du gouvernement essaie d’obtenir le contrôle de toutes les forces de sécurité, mais sans succès : Arafat continue à nommer leurs responsables au fur et à mesure de ses envies. Six mois après sa nomination, Abbas en tire les conséquences et démissionne. Il est remplacé par un autre modéré, le Président du Conseil législatif Ahmed Qoreï, lui aussi artisan des accords d’Oslo.

Entretemps, un Quartet composé de l’ONU, des Etats-Unis, de la Russie et de l’Union européenne a adopté en avril 2003 une « feuille de route » préconisant la création de deux Etats, sur la base d’un échange « paix contre territoires ». En octobre, une nouvelle alternative de paix israélo-palestinienne apparaît sous le nom de « pacte de Genève » ; elle prévoit un partage de Jérusalem (avec souveraineté palestinienne sur les trois quarts de la vieille ville, dont l’esplanade des Mosquées, sous contrôle multinational) contre un abandon du droit au retour des réfugiés et un tracé des frontières basé sur la Ligne verte de 1967 (à l’exception des grands blocs de colons, Israël cédant en échange des terres le long de la bande de Gaza et au sud-ouest de la Cisjordanie), avec un corridor routier reliant Gaza à Hébron.

[1] Le retour des réfugiés apparaît quasi-insoluble : Israël les juge trop nombreux pour revenir (avec les risques inhérents de déséquilibre démographique entre Hébreux et Arabes), y compris dans un futur Etat palestinien (qui, dans le meilleur des cas, ne dépasserait pas 5 000 km2).


Le retrait israélien de Gaza

C’est une autre voie qui va être adoptée par Israël en février 2004, une quinzaine de jours après qu’une mère de deux enfants – la première femme kamikaze du Hamas – se soit fait exploser au terminal routier, au nord de la bande de Gaza. Pour la première fois, Sharon évoque publiquement le redéploiement des colonies « qui posent problème dans la bande de Gaza ». Seule la « route Philadelphie », frontalière de l’Égypte, resterait sous contrôle israélien, de même que le contrôle des espaces aérien et maritime. Inversement, l’État hébreu agrandirait certains grands blocs de colonies de Cisjordanie et en engloberait le maximum à l’intérieur de la clôture de sécurité lancée en 2002. Bien que désavoué par une majorité de militants du Likoud et par les représentants des colons au sein de son gouvernement, le Premier ministre israélien persévère et obtient le soutien des travaillistes ainsi que du Président américain George Bush. L’évolution de Sharon est d’autant plus grande que, au début des années 1970, il avait été un des « pères » de la colonisation de Gaza, renforcée par l’arrivée des colons évacués du Sinaï après la paix avec l’Égypte. Mais le coût de protection de 8 000 colons, vivant retranchés au milieu de 1,4 M de Palestiniens sur 365 km² très arides, commençait à être vivement critiqué dans la population israélienne, le nombre de soldats déployés dans certaines colonies s’avérant même parfois supérieur au nombre de personnes y vivant. Qualifiée de « cancer » par Ben Gourion, l’ancienne terre des Philistins ne présente pas, non plus, la valeur idéologique et économique de la Judée-Samarie (dont les nappes phréatiques assurent un tiers de la consommation israélienne d’eau).

Pour autant, le gouvernement israélien ne souhaite pas donner l’impression de capituler devant l’ennemi, comme il l’avait fait en se retirant du sud-Liban sans avoir désarmé le Hezbollah… ce qui avait d’ailleurs donné des ailes aux radicaux palestiniens pour déclencher la seconde Intifada. A la fin du mois de mars, après un attentat-suicide commis par deux étudiants palestiniens dans le port protégé d’Ashdod, des roquettes tirées d’un hélicoptère tuent cheikh Yassine, alors qu’il sortait en chaise roulante d’une mosquée de Gaza. Son successeur, qui promettait un bain de sang à Israël, est éliminé de la même façon le mois suivant. En octobre, c’est le « père de la roquette Qassam » (dont 450 ont été lancées en 2 ans sur Israël, avec une portée de moins de 10 km) qui est tué dans un raid aérien. Ce faisant, l’État hébreu s’expose à des représailles qui dépassent la résistance palestinienne. En témoignent les attentats commis en octobre, sans doute par Al-Qaida, contre des stations balnéaires du Sinaï égyptien, très fréquentées par les Israéliens (notamment pour leurs casinos, interdits dans leurs pays).

Tout en faisant adopter, en 2003, une loi sur la citoyenneté qui interdit aux Palestinien(ne)s épousant des Arabes israélien(ne)s d’obtenir la nationalité ou la résidence en Israël, Sharon accélère son plan de retrait de Gaza. Il le fait voter fin octobre 2004 à la Knesset, contre une partie du Likoud (dont Netanyahou) mais avec l’appui de la gauche. Lâché par la plupart de ses partenaires, le Premier ministre parvient à former, en janvier 2005, le cinquième gouvernement d’union nationale de l’histoire israélienne. Les travaillistes y obtiennent notamment un poste inédit de vice-Premier ministre pour Shimon Peres, chargé du désengagement de Gaza.

En novembre précédent, Arafat est mort. Souffrant d’une grave maladie du sang[1], il décède à Paris, où il avait été hospitalisé, avant d’être enterré à Ramallah. Nommé Président de l’OLP, Abbas est élu avec 62 % des voix à la tête de l’Autorité palestinienne, sans rival de poids : malgré sa popularité, le chef du Fatah cisjordanien Marouan Barghouti (condamné à la détention à vie par Israël en juin précédent) a renoncé à se présenter, tandis que le Hamas boycottait le scrutin. Tout en rappelant son attachement aux droits de son peuple, le nouveau Président palestinien déploie des troupes de la sécurité aux frontières nord et sud de la bande de Gaza, afin d’empêcher les tirs de roquettes artisanales sur les villes israéliennes. Les contacts « sécuritaires » reprennent également avec Israël, dont les chefs militaires ont convaincu leur gouvernement que la mort d’Arafat offrait l’opportunité de desserrer en partie l’étau sur les territoires occupés et d’associer les forces de l’AP à une évacuation ordonnée de Gaza. Même le Hamas fait preuve de modération, à la différence du Djihad islamique qui, n’ayant aucune ambition de gouvernance, joue exclusivement la carte de la lutte armée : à la demande de l’Égypte, le Hamas signe donc une trêve, sous réserve qu’Israël cesse ses « agressions » et libère les détenus. A l’exception de quelques « répliques », la deuxième Intifada prend fin : en un peu plus de quatre ans, elle aura fait près de 3 200 morts côté palestinien et un peu plus de 1 000 côté israélien.

L’évacuation des colonies de Gaza (et de quatre colonies mineures de Cisjordanie) commence mi-août 2005 et s’achève sans les violences majeures que laissait craindre une possible mobilisation de groupes d’extrême-droite et de colons radicaux. Israël parachève son retrait par la signature d’un accord avec l’Égypte, à laquelle il appartiendra de surveiller la frontière sud de Gaza, notamment les trafics d’armes effectués via un réseau de tunnels clandestins. La demi-douzaine de points de communication avec l’extérieur, dont Erez au nord, sont sous contrôle israélien, à l’exception de Rafah : à la demande des Américains, Israël accepte que le terminal méridional soit contrôlé par l’AP, sous supervision israélo-européenne. En revanche, la persistance d’attentats terroristes, émanant essentiellement du Djihad islamique, freine la restitution à Ramallah des villes encore occupées par Israël en Cisjordanie.

[1] Omniprésente dans les opinions arabes, la thèse de l’empoisonnement a été rejetée par plusieurs analyses toxicologiques.


Redistribution des cartes dans les deux camps

Ce succès politique est à peine engrangé que la scène politique israélienne explose : Sharon quitte le Likoud et fonde le parti centriste Kadima (« En avant ») qui reçoit le soutien de Peres, battu à la présidence du parti travailliste par un leader plus à gauche, et premier séfarade à occuper cette fonction, le syndicaliste Amir Peretz. Les démissionnaires font le pari qu’entre la « droitisation » du Likoud et la « gauchisation » des travaillistes, ils trouveront un espace pour promouvoir leur vision d’un Etat palestinien sans Jérusalem et d’un renforcement de l’exécutif israélien (avec, notamment, l’adoption d’une véritable Constitution en lieu et place de la dizaine de Lois fondamentales qui en tiennent lieu). Le pari est d’autant plus surprenant que Kadima est animé par des hommes et des femmes, surnommés « les princes », qui sont tous fils et filles de dirigeants historiques favorables au « Grand Israël » (fondateurs ou responsables de l’Irgoun et du groupe Stern, puis dirigeants de l’Hérout). Le pari s’avère en partie réussi, puisque Kadima remporte les législatives de mars 2006 (l’élection directe du Premier ministre ayant été supprimée en 2001), tandis que le Likoud n’arrive que quatrième (le plus faible score des conservateurs depuis 1951), juste devant les partis des colons (Israël Beiteinou et PNR). Les travaillistes s’étant redressés, c’est avec eux que s’allie le nouveau chef du parti centriste Ehoud Olmert (désigné après les problèmes de santé de Sharon), ce qui conduit à une situation inédite : pour la première fois de l’histoire israélienne, ni le Premier ministre, ni le ministre de la Défense (Peretz) n’ont exercé de fonction militaire significative.

Le changement côté palestinien n’est pas moins significatif puisque le Hamas capitalise sa popularité dans les urnes : aux législatives de janvier 2006, il devance largement le Fatah, battu non seulement au scrutin uninominal dans les districts, mais aussi à la représentation proportionnelle alors que sa liste nationale était conduite par Barghouti. Le mouvement islamiste se retrouve en position de diriger une Autorité issue d’accords qu’il ne reconnaît pas, avec une administration largement noyautée par le Fatah et un Président dirigeant aussi l’OLP. Il essaie donc de former un gouvernement d’union en choisissant comme Premier ministre celui qui était sa tête de liste, Ismaïl Haniyeh, ancien secrétaire de cheikh Yassine néanmoins considéré comme un « pragmatique ». Mais le Fatah exclut toute participation à une coalition, d’autant que les Brigades Al-Aqsa menacent d’exécuter tout responsable du parti qui participerait au nouveau pouvoir.

Le Hamas maître de Gaza

La redistribution des cartes côté palestinien conduit l’ensemble de la classe politique israélienne à refuser tout contact avec des ministres appartenant à un mouvement classé comme terroriste. De surcroît, l’Etat hébreu est fragilisé par la « semi-défaite » qu’il a enregistrée au Liban-sud. L’opération a révélé plusieurs lacunes[1] : défaillance des renseignements (par exemple sur les missiles antichars et les réseaux souterrains du Hezbollah), déploiement tardif de troupes au sol ayant, par ailleurs, perdu le sens du combat (parce qu’effectuant surtout des missions de police dans les Territoires occupés), mauvaise organisation dans l’accès à certains stocks (de casques et de gilets pare-balles pour les réservistes ou encore de rations alimentaires et d’aides pour les réfugiés israéliens)…

Le sentiment se développe aussi dans la population que les retraits unilatéraux opérés par Israël n’ont servi à rien, puisque Gaza comme le sud-Liban sont devenus des repaires d’extrémistes. C’est dans ce contexte que Tsahal reprend temporairement pied dans la bande de Gaza à l’été 2006, après de nouveaux tirs de roquettes sur le sol israélien et l’enlèvement d’un caporal lors de l’attaque de son poste par des rebelles palestiniens. Le déploiement de blindés et de troupes au sol s’ajoute aux bombardements ciblés de chefs palestiniens, d’infrastructures civiles (telle que l’unique centrale électrique de la zone) et des souterrains creusés en direction du Sinaï égyptien. La situation est telle que le chef du Hamas menace l’État hébreu d’une troisième Intifada si la communauté internationale ne dégage pas au plus vite l’horizon : malgré la présence d’observateurs européens, les points de passage comme Rafah ne fonctionnent quasiment plus et les produits agricoles pourrissent dans des hangars faute de pouvoir être exportés vers Israël ! Fin 2006, une trêve est instaurée entre Abbas et Olmert (qui a dû ouvrir son gouvernement à Lieberman et nommera même un ministre arabe en janvier suivant[2]) : les Israéliens acceptent de se retirer du nord de la bande de Gaza si les tirs de roquettes palestiniens cessent. Le chef du gouvernement hébreu donne également son feu vert au renforcement des forces loyales à Abbas, via la livraison d’armes légères par l’Égypte et le rapatriement de la brigade Badr, stationnée en Jordanie, pour en faire une force de réaction rapide de l’AP.

L‘accalmie est de courte durée. Rentrant d’un séjour à l’étranger mi-décembre, Haniyeh est empêché de franchir le poste frontière de Rafah par les Israéliens, qui confisquent la trentaine de millions de dollars qu’il transportait dans ses bagages et le reversent à l’AP. Furieux de voir cet argent leur échapper, des activistes du Hamas s’attaquent au poste frontière tenu par la garde présidentielle de Abbas (les observateurs européens ayant pris la tangente), laquelle est également accusée d’avoir mitraillé le convoi du Premier ministre palestinien. Déjà à son comble, la tension entre Palestiniens s’accroit encore quand le Président de l’AP annonce que, faute de voir se former un gouvernement d’union nationale, il convoquera des élections anticipées : criant au « coup d’État » (la Loi fondamentale palestinienne ne prévoyant pas de dissolution présidentielle du Conseil législatif), le Hamas déploie les 5 500 hommes de sa Force exécutive qui se heurtent, des jours durant, aux 4 000 hommes de la Garde présidentielle. Les combats mettent également aux prises quelque 30 000 hommes moins bien armés, membres des divers services de sécurité proches du Fatah et de différents groupes armés liés à l’un ou l’autre camp. La violence est attisée par des rivalités claniques et des règlements de comptes entre les grandes familles qui régissent la vie sociale et économique des Territoires et dont le pouvoir a été renforcé par l’AP elle-même : pour financer leurs activités illégales, certaines de ces « hamula » se sont dotées d’armées « privées » qui se vendent au plus offrant, au gré des circonstances. Jugeant le Hamas trop modéré, ces nouvelles factions (comme l‘Armée de l’Islam du clan gazaoui des Doughmouch) prônent une application plus stricte des lois islamiques, s’en prenant aux boutiques de musique, aux cafés Internet, aux pharmacies, aux salons de coiffure…

Les combats inter-palestiniens de Gaza trouvent leur aboutissement en juin 2007 : le Hamas s’empare de toutes les positions du Fatah et des forces de l’AP dans la bande de Gaza, sans combats majeurs ; mal payés, dépourvus de convictions idéologiques, haïs par la population (pour leur corruption et le soutien qu’ils reçoivent des Américains) et infiltrés par les islamistes, les soldats présidentiels ne se sont quasiment pas battus. En réaction, Abbas démet le gouvernement formé par le Hamas et nomme, pour une durée illimitée[3], un gouvernement d’urgence chargé de préparer des élections. Dans les faits, cette équipe composée d’indépendants ne contrôle plus que la Cisjordanie, où la chasse aux militants du Hamas commence, notamment dans leur place forte de Naplouse, tandis celle aux partisans du Fatah se poursuit à Gaza. Outre la zone C restant sous contrôle israélien, les Territoires occupés se retrouvent divisés entre deux entités rivales[4] : un « Hamastan » dans la bande de Gaza et une AP administrant plus ou moins directement les zones A et B de Cisjordanie.

En décembre 2008, l’aile militaire du Hamas rompt la trêve instaurée avec Israël. Il est vrai que, avec le concours des Iraniens[5], le Hamas a nettement renforcé son arsenal militaire : ce n’est plus avec des Qassam artisanales, mais avec des katiouchas ou des missiles Grad, plus puissants et d’une portée supérieure, qu’il est désormais capable de toucher les 250 000 Israéliens vivant en périphérie de la bande de Gaza[6]. Tsahal répond à cette rupture par une nouvelle occupation partielle de la bande, utilisant au passage des bombes au phosphore, ainsi que des boules de carbone contenant des alliages métalliques. Les frappes n’épargnent rien, pas même les bâtiments de l’UNRWA (l’organisme de l’ONU chargé des réfugiés, quarante tués dans une école), à telle enseigne que le bilan des victimes en trois semaines dépasse largement le millier de morts, soit davantage qu’en 2002, année pourtant la plus meurtrière de la deuxième Intifada.  

[1] Des rapports officiels pointeront la défaillance du Gouvernement et de l’État-major, notamment de son chef (le premier aviateur à occuper cette fonction, ce qui expliquerait le faible recours initial aux blindés et à l’infanterie).

[2] Une première en Israël, combien même s’agit-il d’un ministre sans portefeuille.

[3] Pour avoir les mains libres, Abbas abroge par décret les dispositions de la Loi fondamentale qui réduisait à deux mois maximum le mandat d’un gouvernement « d’urgence ».

[4] Israël participe, à sa manière, à la partition en empêchant le maximum de Gazaouis de venir s’installer en Cisjordanie (l’inverse n’étant pas vrai, l’intérêt pour Tel-Aviv étant de réunir le maximum de Palestiniens dans la bande de Gaza).

[5] Début 2009, l’aviation israélienne intervient jusqu’au Soudan pour détruire des convois d’armes iraniennes destinées à passer par les tunnels entre le Sinaï et Gaza.

[6] Selon un rapport de l’ONU, 8 000 roquettes ont été tirées sur Israël entre 2001 et 2008.


Les radicaux aux manettes

En Israël, la multiplication des affaires de corruption a entraîné la démission d’Olmert, en juillet 2008. Les nouvelles élections anticipées de février 2009 voient une très courte victoire de Kadima, mais un effondrement de ses alliés travaillistes, de telle sorte que c’est à la droite, revenue en grâce, que S. Peres – devenu Président de la République – demande de former un gouvernement. Netanyahou prend la tête d’une équipe pléthorique, alliant des partis des colons jusqu’aux travaillistes, en passant par le Shas. La position du nouveau Premier ministre est intransigeante : hostile à tout gel de la décolonisation, il exige que les Palestiniens reconnaissent Israël comme « l’État du peuple juif » (ce qui ferait fi du droit au retour des réfugiés et des droits des Arabes vivant déjà en Israël), après quoi un État palestinien indépendant pourrait éventuellement voir le jour, sous réserve qu’il soit démilitarisé et que sa diplomatie soit contrôlée (par exemple, pour éviter toute alliance avec l’Iran). Des deux côtés, les esprits sont plus radicalisés que jamais : tandis que le nouveau ministre israélien de l’éducation supprime, dans les manuels pour les élèves arabes, la référence à la « nakba » introduite par son prédécesseur travailliste, le Hamas interdit toute mention de l’Holocauste dans les livres scolaires préparés par l’UNRWA.

Sur son territoire, le mouvement islamiste laisse le Djihad et les autres groupes radicaux continuer à tirer des obus et roquettes sur Israël (sachant que, de son côté, il respecte de nouveau une trêve de fait). En revanche, il réprime dans le sang toute contestation interne : en août 2009, à Rafah, ses forces donnent ainsi l’assaut à la mosquée du Jund Ansar Allah (« Les soldats des défenseurs de Dieu »), un mouvement salafiste se réclamant d’Al-Qaida. Le Hamas place également sous sa coupe « l’industrie des tunnels », en imposant des taxes sur les marchandises de contrebande lui rapportant au moins 40 % de ses recettes. De son côté, l’Égypte laisse faire[1], tout en instaurant des blocus partiels de la bande et en essayant aussi de réconcilier les « frères ennemis » palestiniens. En vain.

La tension internationale monte encore d’un cran en mai 2010, quand des commandos israéliens arraisonnent – en faisant neuf morts – une flottille affrétée par une ONG turque d’obédience islamiste. L’Etat hébreu argue que ce convoi, humanitaire et militant, a refusé de débarquer sa cargaison au port d’Ashdod et poursuivi sa route jusqu’à Gaza, dont les eaux ont été placées sous son contrôle par Israël jusqu’à 40 miles nautiques (bien au-delà des 12 à 24 miles fixés par la convention internationale de Montego Bay, jamais approuvée par Tel-Aviv). L’affaire provoque un tel tollé que l’Égypte rouvre sans restriction le terminal de Rafah et qu’Israël allège son propre blocus, exception faite de certains matériaux, par exemple ceux à double usage civil et militaire, comme les engrais et les produits chimiques.

Sous la pression des Etats-Unis, de nouvelles négociations débutent en septembre 2010, mais elles avortent rapidement, l’administration américaine ne faisant plus de l’arrêt de la colonisation un préalable à une résolution du confit. Le pouvoir israélien en profite, allant jusqu’à annoncer de nouveaux programmes quand un officiel de Washington est en visite dans le pays (ou réciproquement). En janvier 2011, les Palestiniens vivent notamment comme une provocation la démolition, à des fins immobilières, de l’hôtel Shepherd, construction du Jérusalem arabe ayant appartenu au mufti qui avait conduit la révolte palestinienne de 1936-1939. Deux mois plus tard, Israël déploie, au nord de Gaza, les premiers éléments du « Dôme de fer », un dispositif d’interception de roquettes unique au monde[2]… juste avant que la bande de Gaza ne connaisse un regain de tension, sans doute provoqué par les brigades al-Qassam. Comme son parrain syrien, l’aile militaire du Hamas juge en effet que sa branche politique est trop conciliante vis-à-vis de l’État hébreu et même du Fatah. Leur action est aussi un moyen de couper l’herbe sous le pied au Djihad islamique et aux groupuscules salafistes qui prônent un « djihad global » dépassant la seule cause palestinienne.

La tentation de nuire à l’AP est d’autant plus grande que Abbas, sans cesse reconduit à la présidence faute d’élections, enregistre quelques avancées économiques. En avril 2011, le FMI crédite l’AP de la capacité à « conduire les politiques économiques saines que l’on attend d’un futur État palestinien », tout en notant les fragilités auxquelles elle reste soumise : importance vitale de l’aide internationale[3], imposition de barrières par Israël (par exemple dans le commerce avec la Jordanie), hypertrophie des services de sécurité (40 % des fonctionnaires et un budget deux fois supérieur à celui de la protection sociale). Sur le plan diplomatique, l’AP obtient deux succès consécutifs : son adhésion comme membre à part entière de l’Unesco en octobre 2011 puis, treize mois plus tard, comme Etat non-membre de l’ONU[4] (et non plus comme simple observateur, statut dont la Palestine bénéficiait depuis 1974).

[1] En s’attaquant à cette contrebande (qui fait vivre, directement ou indirectement, près de deux-tiers des Gazaouis), l’Egypte risquerait de provoquer ses opposants qui en sont les principaux acteurs : les tribus bédouines du Sinaï et les groupes liés aux Frères musulmans.

[2] En octobre 2012, Tsahal abat aussi un drone, apparemment non armé, au-dessus du Néguev et près de la centrale nucléaire de Donoma ; de fabrication iranienne, il a été lancé par le Hezbollah depuis le sud Liban, en longeant la Méditerranée.

[3] Qu’elle soit humanitaire, budgétaire ou d’aide au développement, l’aide internationale a été majoritairement assurée par les Européens et Américains, puis par les pays arabes, premiers contributeurs au paiement de 125 000 fonctionnaires, dont 70 000 civils.

[4] L’AP espérait un statut de membre à part entière mais y a renoncé, cette décision étant soumise à un vote du Conseil de sécurité (et pas seulement de l’Assemblée générale).

Le Hamas fragilisé politiquement

La reconnaissance onusienne divise le Hamas : tandis que l’aile extérieure, dirigée par Khaled Mechaal soutient la démarche d’Abbas, Haniyeh la rejette au motif qu’elle entérine, par ricochet, l’existence d’Israël. Les divisions au sein du Hamas sont amplifiées par la baisse du soutien iranien (une vingtaine de millions de dollars par an[1]), consécutive à la rupture survenue entre le mouvement islamiste et la Syrie : quand le régime pro-iranien de Damas commence à massacrer à grande échelle ses insurgés sunnites en 2012, le bureau politique du Hamas quitte la capitale syrienne et s’installe au Qatar, un des principaux sponsors des rebelles de Syrie liés aux Frères musulmans. En octobre 2012, l’émir du Qatar lui-même se rend à Gaza pour annoncer une aide à la reconstruction et aux infrastructures de 400 M$… exactement la somme manquant à l’AP pour honorer ses échéances budgétaires (faute d’avoir reçu l’aide promise par plusieurs pays arabes… dont le Qatar).

A peine le souverain est-il parti que la bande de Gaza s’enflamme de nouveau : Tsahal lance plusieurs centaines de frappes, en particulier sur les rampes de lancement des engins que les Palestiniens tirent sur Israël ; certains, comme les missiles iraniens Fajr, sont capables de toucher des banlieues de Tel-Aviv et Jérusalem[2]. Tandis que l’AP reste globalement muette, le Hamas redore en revanche son blason international, en recevant le soutien de la plupart des pays musulmans, Turquie et Égypte en tête. Mais le soutien égyptien s’achève quand, à l’été 2013, les militaires locaux mettent fin au gouvernement des Frères musulmans : convaincu que Gaza est la « base arrière » des djihadistes agissant dans le Sinaï, le nouveau régime du Caire détruit ou inonde la quasi-totalité des souterrains de contrebande et réduit drastiquement les passages à Rafah. De son côté, Israël a accéléré, en 2012, la construction de ses 230 km de barrière de séparation à travers le Néguev et les montagnes d’Eilat, destinés à stopper les infiltrations, via le Sinaï, de commandos terroristes, d’armes (issues notamment des stocks de l’ex-dictateur libyen Kadhafi) et de migrants africains.

A peine le souverain est-il parti que la bande de Gaza s’enflamme de nouveau : Tsahal lance plusieurs centaines de frappes, en particulier sur les rampes de lancement des engins que les Palestiniens tirent sur Israël ; certains, comme les missiles iraniens Fajr, sont capables de toucher des banlieues de Tel-Aviv et Jérusalem[2]. Tandis que l’AP reste globalement muette, le Hamas redore en revanche son blason international, en recevant le soutien de la plupart des pays musulmans, Turquie et Égypte en tête. Mais le soutien égyptien s’achève quand, à l’été 2013, les militaires locaux mettent fin au gouvernement des Frères musulmans : convaincu que Gaza est la « base arrière » des djihadistes agissant dans le Sinaï, le nouveau régime du Caire détruit ou inonde la quasi-totalité des souterrains de contrebande et réduit drastiquement les passages à Rafah. De son côté, Israël a accéléré, en 2012, la construction de ses 230 km de barrière de séparation à travers le Néguev et les montagnes d’Eilat, destinés à stopper les infiltrations, via le Sinaï, de commandos terroristes, d’armes (issues notamment des stocks de l’ex-dictateur libyen Kadhafi) et de migrants africains.

A peine le souverain est-il parti que la bande de Gaza s’enflamme de nouveau : Tsahal lance plusieurs centaines de frappes, en particulier sur les rampes de lancement des engins que les Palestiniens tirent sur Israël ; certains, comme les missiles iraniens Fajr, sont capables de toucher des banlieues de Tel-Aviv et Jérusalem[2]. Tandis que l’AP reste globalement muette, le Hamas redore en revanche son blason international, en recevant le soutien de la plupart des pays musulmans, Turquie et Égypte en tête. Mais le soutien égyptien s’achève quand, à l’été 2013, les militaires locaux mettent fin au gouvernement des Frères musulmans : convaincu que Gaza est la « base arrière » des djihadistes agissant dans le Sinaï, le nouveau régime du Caire détruit ou inonde la quasi-totalité des souterrains de contrebande et réduit drastiquement les passages à Rafah. De son côté, Israël a accéléré, en 2012, la construction de ses 230 km de barrière de séparation à travers le Néguev et les montagnes d’Eilat, destinés à stopper les infiltrations, via le Sinaï, de commandos terroristes, d’armes (issues notamment des stocks de l’ex-dictateur libyen Kadhafi) et de migrants africains.

En avril 2014, les initiatives des parrains des frères ennemis de Cisjordanie et de Gaza finissent par porter leurs fruits : l’OLP et le Hamas concluent un accord de réconciliation qui, à défaut d’aborder les questions de sécurité, propose un règlement politique. C’est dans ce cadre qu’un gouvernement d’entente nationale, constitué uniquement de technocrates, entre en fonctions en juin. Par ricochet, le gouvernement du Hamas à Gaza démissionne, mais l’équilibre est fragile : ainsi, Abbas est vivement contesté pour la collaboration que les forces palestiniennes apportent à leurs homologues israéliennes après l’enlèvement de trois Juifs, puis pour son inaction quand Tsahal lance une violente offensive de représailles sur la bande de Gaza, faisant plusieurs centaines de morts.

L’armée israélienne fait face à des combattants du Hamas ayant considérablement renforcé leurs techniques de lutte, grâce à l’aide du Hezbollah : pratique de la guérilla urbaine (cellules mobiles équipées de lance-roquettes portatifs), drones de surveillance, creusement de galeries de plusieurs centaines de mètres entre habitations, transformation en caches d’armes de bâtiments publics (y compris des mosquées et des hôpitaux), voire utilisation de civils comme boucliers humains[3]. Après cinquante jours d’affrontements, ayant fait plus de 2 100 morts côté palestinien et près de 70 côté israélien, une trêve illimitée est signée sous l’égide de l’Égypte, en vue de négociations indirectes sur la levée du blocus de Gaza et sur sa reconstruction. A peine la tension retombée dans la bande, la violence reprend à Jérusalem-est. Les attaques palestiniennes se multiplient sous de nouvelles formes, à l’aide de « voitures béliers » ou bien de couteaux. En novembre, de nouvelles violences surviennent à Gaza où des biens appartenant à des cadres du Fatah sont la cible d’attentats : ceux-ci ont probablement été commis par les forces de sécurité du Hamas, dont le nouveau gouvernement palestinien refuse de payer les salaires, leur employeur restant considéré comme une organisation terroriste par de nombreux États donateurs.

[1] Téhéran continue en revanche de soutenir le Djihad islamique et les CRP.

[2] Sur les relations entre Israël et l’Iran, cf. ce pays ainsi que Syrie et Liban.

[3] Inversement se multiplient les actes de violence commis par des colons juifs, tels que le groupuscule « Le prix à payer », spécialisé dans les dégradations de mosquées et de bâtiments palestiniens.


Le nouveau divorce palestinien

Du côté israélien, les élections législatives de janvier 2013 ont de nouveau accouché d’un gouvernement hétéroclite. La coalition formée par le Likoud et Israël Beitenou est certes arrivée en tête mais, n’ayant pas de majorité, elle a dû s’allier avec deux formations centristes, ainsi qu’avec les nationalistes religieux du Foyer juif (Bayit Yehudi) : héritier du PNR, ce parti réclame l’annexion pure et simple de la zone C. Cet attelage explose fin 2014 quand le gouvernement essaie de faire voter à la Knesset un texte faisant d’Israël « l’État du peuple juif », au mépris de la déclaration d’indépendance de 1948 qui stipulait « l’égalité politique et sociale complète entre tous les citoyens, quelle que soit la religion, la race ou le sexe ». Après le limogeage des centristes, le Premier ministre convoque de nouvelles législatives pour mars 2015. Pour la première fois, celles-ci voient les Arabes israéliens présenter une seule liste, des islamistes aux communistes, pour deux raisons : parce-que le seuil d’obtention d’élus a été relevé de 2 à 3,25 % des suffrages, mais aussi parce que, en février puis mai 2014, des lois ont taché de diviser leur communauté sur des bases confessionnelles (rendant par exemple possible la conscription des Arabes chrétiens[1]). Contre toute attente, ce scrutin permet au Likoud de consolider sa position et à Netanyahou de se succéder à lui-même, à la tête d’un gouvernement très marqué à droite .

Chez les rivaux palestiniens, l’heure est à nouveau au divorce : en juin 2015, Abbas provoque la démission du gouvernement d’entente nationale, imputant son échec au Hamas. Celui-ci est d’autant moins enclin à collaborer avec l’AP qu’il a établi ses propres contacts avec l’Egypte (qui a besoin d’un régime stable à Gaza pour faire face à sa propre guérilla islamiste dans le Sinaï) et même avec Israël : en échange d’une trêve de cinq ans, un port de fret pourrait être construit à Gaza (par l’Arabie saoudite, soucieuse de contrecarrer l’expansion régionale de l’Iran et du Qatar), avec un corridor maritime allant jusqu’à la partie de Chypre sous contrôle turc. Cette évolution n’empêche pas l’arrivée, en février 2017, d’un « faucon » à la tête du Hamas de Gaza : co-fondateur des brigades al-Qassam, Yahya Sinwar, a passé une vingtaine d’années dans les geôles israéliennes pour le meurtre de « collaborateurs » de l’Etat hébreu ; il succède à Haniyeh qui, lui-même, remplace Mechaal, non reconductible, comme chef du bureau politique du mouvement en mai suivant, juste après l’adoption d’une nouvelle Charte. Sans abroger celle de 1988 (niant, notamment, l’existence d’Israël), la nouvelle doctrine est censée rendre l’organisation plus présentable sur la scène internationale : prétention à un Etat palestinien mais dans les seules frontières de 1967, inclusion de la résistance pacifique dans les formes de résistance à Israël (désormais qualifié « d’occupant » et plus « d’ennemi juif »)… Le nouveau texte supprime également tout lien fonctionnel du mouvement avec les Frères musulmans (tout en restant idéologiquement proche), afin de satisfaire le voisin égyptien. Ceci – ainsi que la mise en place de dizaines de nouveaux postes le long de leur frontière commune et d’une nouvelle zone tampon équipée de caméras de surveillance – permet au Hamas d’obtenir du fuel égyptien, en juin 2017, pour remettre en route l’unique centrale électrique du territoire, après la baisse des aides de l’AP.

Celle-ci a en effet très mal pris l’instauration d’un « comité administratif » chargé de superviser l’action des ministères palestiniens dans la bande de Gaza. Par mesure de rétorsion, Ramallah diminue d’au moins 30 % la solde des fonctionnaires de Gaza et ne paie plus que 60 % de l’électricité qu’Israël fournit au territoire. Les pressions sont telles que, en septembre, le Hamas dissout son Comité administratif et signe avec le Fatah, le mois suivant, un accord intérimaire prévoyant le transfert à l’AP de l’administration civile de Gaza… sans que ne soit de nouveau abordé le sort des 25 000 hommes de sa branche armée (pas plus que celles des autres groupes qui refusent toute mise sous tutelle de leurs combattants).

[1] Jusqu’alors la conscription était réservée aux seuls Druzes, les Arabes étant supposés peu fiables en cas d’opérations contre des Palestiniens.


Israël, « foyer national du peuple juif »

Sur le sol israélien même, les violences continuent : de début octobre 2015 à fin 2016, « l’Intifada des couteaux », fait près de deux-cent cinquante morts côté palestinien (principalement des assaillants) et quarante côté israélien, ainsi qu’une poignée d’étrangers. La révolte se distingue de ses devancières à deux titres : déconnectée de tout mouvement organisé, elle met en scène un nombre croissant d’Arabes israéliens. La colonisation, elle non plus, ne faiblit pas. Le gouvernement doit certes procéder au démantèlement de la colonie sauvage d’Amona, exigé par la Haute Cour de justice, mais c’est pour en créer une nouvelle en faveur des expulsés. Après l’entrée en fonctions, début 2017, d’un Président américain plus favorable à Israël que son prédécesseur, Netanyahou donne des gages supplémentaires à ses partenaires les plus à droite, en annonçant la construction de milliers de nouveaux logements dans les colonies. En décembre, le Président républicain Trump confirme ses orientations pro-israéliennes en décidant de transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, fragilisant encore un peu plus la position de la ville sainte comme capitale d’un futur État palestinien. Riyad y contribue aussi : la même année, le prince héritier saoudien propose que le centre politique de l’éventuel État de Palestine soit situé à Abu Dis, dans la banlieue de Jérusalem.

Entretemps, tandis que les négociations inter-palestiniennes piétinaient à nouveau, l’agitation a repris à Gaza, sous une nouvelle forme : en mars 2018, des Palestiniens sont tués et blessés en plusieurs points de la frontière clôturée entre Gaza et l’État hébreu, à l’occasion de la « Journée de la terre » ; organisée par tous les mouvements palestiniens, cette commémoration de l’expropriation des terres arables par Israël en 1976 servait aussi de prélude à une « marche du grand retour » prévue pour durer jusqu’à début juin, date anniversaire de la guerre des Six jours. Pour justifier ses tirs, Tsahal avance que quelques dizaines de participants (sur des dizaines de milliers) s’étaient aventurés dans une zone tampon interdite, afin d’y jeter des projectiles sur les soldats israéliens. Le point culminant des violences est atteint mi-mai quand des manifestants essaient de franchir la clôture de sécurité, le jour du transfert officiel de l’ambassade américaine à Jérusalem, à la veille du 70ème anniversaire de la Naqba. Une nouvelle période de tension a lieu au début de l’été quand le Hamas envoie des ballons et des cerfs-volants incendiaires au-dessus de la clôture. A Gaza comme en Cisjordanie s’instaure ainsi un cycle alternant scènes de violence, répression, trêves et « paix armée », régulièrement violée par le Djihad islamique.

En août, l’administration américaine prend une nouvelle décision radicale en annonçant la suppression de toute aide aux Palestiniens, qu’elle soit bilatérale (200 M$) ou sous forme de contribution au budget de l’UNRWA[1]. Washington accuse cette organisation onusienne de favoriser le sentiment anti-israélien (à travers les programmes enseignés dans les écoles qu’elle finance) et de contribuer à pérenniser le problème des réfugiés au lieu d’aider à le résoudre (le nombre de bénéficiaires étant passé de 750 000 à plus de 5 millions depuis 1948). Américains et Israéliens plaident pour que l’agence soit remplacée par d’autres instances, telles que le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU. La décision américaine est lourde de conséquences pour la bande de Gaza : la moitié de ses habitants dépendent en effet des aides de l’UNRWA, sachant que de 2011 à 2017, le taux de pauvreté y est passé de 39 % à 53 % et que le taux de chômage y dépasse les 50 % (jusqu’à 70 % chez les plus jeunes). La concentration de la population dépasse les 5 200 habitants au km² puisque, sur les 365 km² du territoire, Israël en a gardé soixante (représentant 35 % des terres agricoles locales) comme zone tampon le long de sa frontière. La situation n’est pas meilleure sur le front maritime où la limite de pêche a été fixée par Israël à six milles nautiques (au lieu des vingt prévus dans les accords d’Oslo) … alors que les eaux les plus poissonneuses sont situées au-delà de huit milles.

Fort du soutien américain, le gouvernement israélien parvient, en juillet 2018, à faire voter une Loi fondamentale faisant d’Eretz Israël « le foyer national du peuple juif », avec Jérusalem comme capitale « complète et unifiée », l’hébreu comme seule « langue nationale » (l’arabe perdant cette position, remplacée par un « statut spécial » à définir) et une primauté donnée au développement des communautés juives. Cette réglementation vaudra pour Jérusalem-est et le Golan, mais pas pour la Cisjordanie qui restera sous administration militaire, au moins dans l’immédiat. La réforme est contestée par les laïcs (pour lesquels la nationalité israélienne ne saurait se résumer à la religion juive) et même par certains ultraorthodoxes (la loi mettant sur un même pied leur pratique, majoritaire dans le rabbinat d’État, et les judaïsmes libéral ou réformé). Elle provoque également la colère de la population druze, de langue arabe mais loyale vis-à-vis de l’État hébreu (plus de 80 % de ses jeunes hommes effectuent leur service national) : près de la moitié des Druzes manifestent à Tel-Aviv aux côtés de l’opposition.

[1] L’aide américaine sera rétablie en avril 2021 par la nouvelle administration démocrate américaine.

Des majorités parlementaires de plus en plus fragiles

Fin 2018, la négociation d’une énième trêve avec le Hamas (allant jusqu’à laisser un émissaire qatari franchir la frontière à Erez avec de l’argent liquide destiné au paiement des fonctionnaires de Gaza), provoque une nouvelle crise gouvernementale : lâché par Lieberman, Netanyahou doit se résoudre à convoquer de nouvelles élections. Au début du printemps, il prend une mesure forte en déduisant des taxes qu’il reverse à l’AP le montant des aides que celle-ci verse aux prisonniers et aux familles de « martyrs » palestiniens. En avril 2019, Netanyahou remporte de nouveau les législatives anticipées avec le meilleur score jamais obtenu à la tête de son parti, même si c’est d’une courte tête devant l’Alliance Blanc-Bleu (Kahol Lavan), une coalition de centre-droit réunissant le Hosen L’Yisrael (« Résilience d’Israël ») de l’ancien chef d’État-major Benny Gantz et le Yesh Atid (« Il y a un futur ») de Yaïr Lapid, un ancien partenaire du Premier ministre. Bénéficiant de ses habituels soutiens religieux et nationalistes, le Premier ministre sortant forme un nouveau gouvernement qui, comme le précédent, bute sur la conscription des ultraorthodoxes. Faute d’accord avec Lieberman sur ce sujet, de nouvelles législatives sont convoquées pour septembre suivant. Quelques jours avant le scrutin, Netanyahou promet d’annexer toute la vallée du Jourdain, pour tenter de rallier au maximum le vote des colons. La nouvelle élection confirme l’ancrage à droite de la société israélienne, mais sans qu’aucun camp ne réunisse la majorité absolue : cette fois, l’Alliance Blanc-Bleu devance même le Likoud d’un siège, les Arabes (à nouveau unis) arrivant troisièmes. Placé en quatrième position, Israël Beitenou prône un gouvernement national sioniste, donc sans les Arabes qualifiés de traîtres, mais aussi sans la droite ultraorthodoxe ou nationaliste religieuse… et sans Netanyahou à sa tête. La proposition échouant, un nouveau scrutin est programmé pour mars 2020.

Entretemps, en janvier, les Etats-Unis proposent ce qu’ils présentent comme un plan de paix de la dernière chance pour les Palestiniens, fût-il en contradiction avec plusieurs dispositions des résolutions internationales déjà prises sur le sujet. Les Palestiniens se verraient certes dotés d’un État, bénéficiant de solides aides économiques, mais au prix de très nombreuses concessions : démilitarisation générale, renonciation au droit de retour des réfugiés et à toute action devant les instances de l’ONU, fixation de la capitale dans un faubourg oriental de Jérusalem (derrière le mur construit par les Israéliens), ouverture de l’Esplanade des mosquées aux prières de toutes confessions… Agrandie d’une étroite bande entre le Néguev et le Sinaï, Gaza serait reliée, par un train à grande vitesse, à la Cisjordanie… amputée de toutes les colonies israéliennes (y compris les avant-postes illégaux) et de la vallée du Jourdain ; en échange, les Palestiniens recevraient la région du Triangle à l’est de Tel-Aviv, majoritairement peuplée d’Arabes. Le plan est massivement rejeté par les factions palestiniennes, ainsi que par la Jordanie et les pays arabes radicaux ; les autres restent discrets, soucieux de ne pas perdre l’appui des États-Unis. Quant à la rue palestinienne, elle hésite entre la revendication d’un État et l’affirmation de ses droits au sein d’un État israélien qui ne serait plus sioniste mais binational. De son côté, Netanyahou saisit l’occasion de la campagne électorale pour annoncer de nouvelles colonisations, par exemple sur les terres incultes dites « E1 » à l’est de Jérusalem… ce qui priverait définitivement la Cisjordanie palestinienne de toute continuité territoriale avec la ville trois fois sainte.

Soutenu sans ambigüité par Washington, le Premier ministre remporte de nouveau les élections, malgré sa mise en examen pour corruption dans trois affaires, dont la principale porte sur l’échange de bons procédés avec un groupe de communications. Le Likoud arrive en tête devant Blanc-Bleu mais, une nouvelle fois, aucun des deux camps n’a de majorité et dépend des « faiseurs de roi » que sont Lieberman et la Liste arabe unie[1] (qui a rassemblé les suffrages de 90 % des 65 % d’Arabes palestiniens ayant voté). Les négociations étant de nouveau dans l’impasse, Gantz décide de rallier Netanyahou, pour former un gouvernement « d’urgence nationale » destiné à lutter contre une pandémie de coronavirus… et éviter un quatrième scrutin d’affilée. En avril, le Premier ministre sortant, qui conserve la main sur la précieuse nomination des autorités judiciaires, prend la tête d’une équipe pléthorique : intégrant aussi bien les travaillistes que les partis religieux et les représentants des colons, elle défend un programme ultranationaliste, dont l’annexion de la vallée du Jourdain, ce qui conduit l’AP à cesser sa coopération sécuritaire avec Israël. Nommé vice-Premier ministre, en charge de la Défense, Gantz est censé succéder à Netanyahou au bout de 18 mois.

[1] La LAU est une coalition de quatre partis de toutes obédiences, dont l’axe commun est la défense des Arabes d’Israël. Le plus important est le Hadash, Front démocratique pour la paix et l’égalité, issu du PC judéo-arabe.


Débuts de normalisation israélo-arabe

En août 2020, à l’initiative des Américains, les Émirats arabes unis annoncent une normalisation de leurs relations diplomatiques avec Israël, en échange du report des projets d’annexion israéliens. Bahreïn en fait autant le mois suivant, sans doute avec l’aval des Saoudiens, bien que ces « accords d’Abraham » (en référence à l’œcuménisme du patriarche) soient contradictoires avec l’initiative de paix Abdallah de 2002. En octobre, des négociations s’ouvrent également avec le Liban, sous l’égide de l’ONU : elles visent à délimiter les frontières, notamment maritimes entre les deux pays, sujet majeur depuis la découverte de gisements gaziers en Méditerranée orientale[1]. Dans ce contexte, le Fatah et le Hamas – réunis en septembre à Istanbul, où résident plusieurs cadres du second mouvement – s’engagent une nouvelle fois à organiser des élections, y compris pour renouveler la direction de l’OLP avec la participation de la diaspora.

Fin octobre, une normalisation des relations israéliennes est annoncée avec le Soudan, le pays africain souhaitant sortir son pays de son isolement diplomatique et économique. L’annonce de cette normalisation est doublement symbolique car c’est à Khartoum que, au lendemain de la guerre des Six jours, la Ligue arabe avait exclu toute reconnaissance de l’État hébreu ; c’est aussi depuis Port-Soudan que des armes iraniennes étaient, à une époque, livrées au Hamas. En décembre, le Maroc annonce à son tour le rétablissement de relations diplomatiques et économiques avec Israël[2], à l’initiative du Président américain, juste avant qu’il ne quitte la Maison blanche.

Anticipant une défaite électorale du Président Trump, le Premier ministre israélien avait opéré une nouvelle volte-face en novembre : dans un courrier aux autorités palestiniennes, il annonçait que les accords d’Oslo constituaient « le cadre juridique applicable » entre les deux parties, synonyme d’un renoncement à des annexions unilatérales en Cisjordanie. A la fin du même mois, Netanyahou effectue une visite très discrète à Neom – démentie par Ryad – pour y rencontrer « MBS », en présence du Secrétaire d’État américain et du chef du Mossad. En mars 2021, c’est de la CPI (Cour pénale internationale) que vient un coup de semonce ; elle annonce l’ouverture d’une enquête sur certains faits commis, depuis 2014, dans les Territoires occupés : guerre de l’été 2014 entre Tsahal et le Hamas, répression israélienne de la « marche du retour » de 2018 et modification, contraire aux conventions de Genève, de la démographie desdits territoires par Israël.

[1] Début 2020, Israël commence à livrer à l’Égypte et à la Jordanie une partie du gaz extrait de son gisement Léviathan, les Égyptiens possédant les installations de liquéfaction que les Israéliens ne détiennent pas.

[2] Entre 700 000 et un million d’Israéliens ont des racines marocaines. Théoriquement rompue, la collaboration entre les deux pays n’avait jamais cessé en pratique, notamment la coopération sécuritaire instaurée dans les années 1960.

Blocages israéliens et immobilisme palestinien

A la fin du mois de mars 2021, les électeurs israéliens se rendent de nouveau aux urnes, pour la quatrième fois en deux ans, le pacte électoral signé entre Netanyahou et Gantz ayant volé en éclats fin 2020, lors de la discussion du budget. Légèrement moins suivi que d’ordinaire (67 % de participation), le scrutin livre une nouvelle fois un résultat incertain : malgré les défections, le Likoud demeure le premier parti de la Knesset, avec une douzaine de sièges et 10 % de plus que les centristes du Yesh Atid, suivis d’une dizaine de partis dont Hosen L’Yisrael. Les soutiens ultranationalistes et ultra-religieux du Premier ministre se maintiennent, voire effectuent une percée, à l’image de la coalition du Sionisme religieux (intégrant, avec le soutien de Netanyahou, les suprémacistes de « Force juive », héritiers du rabbin Kahane). Aucun des deux camps ne possédant la majorité, les arbitres pour l’atteindre sont deux partis dissidents du Likoud (Yamina Nouvelle droite et Nouvel Espoir) et les députés arabes, de nouveau divisés entre la Liste arabe unie et les dissidents islamo-conservateurs du Raam. Netanyahou comptant plus de soutiens que ses adversaires, c’est lui qui est chargé de former le nouveau gouvernement, mais il échoue : ni sa promesse de partager le poste de premier ministre avec le chef de Yamina, ni son projet d’associer les islamistes au pouvoir ne convainquent les partis de droite. La tâche de former la nouvelle équipe est donc confiée au leader des centristes.

C’est dans ce contexte d’intérim du pouvoir que des violences éclatent sur l’Esplanade des Mosquées, ainsi que dans un quartier où des Arabes sont menacés d’expulsion, à l’occasion du « jour de Jérusalem » commémorant le rattachement de la ville entière à Israël : les heurts font près de six cents blessés et dégénèrent en émeutes dans certaines villes mixtes telles que Lod, près de Tel-Aviv. Le Hamas et le Jihad islamique répliquent en tirant un déluge de roquettes – plus de quatre mille au total, dont près de cinq cents en vingt-quatre heures – sur le territoire israélien, afin de saturer les capacités de blocage du « Dôme de fer ». Ces tirs, qui vont jusqu’à viser Jérusalem, conduisent Tsahal à bombarder Gaza. Au motif de détruire les souterrains qui s’étendent dessous (le « métro » de Gaza), les bombardements israéliens touchent des immeubles et une artère commerçante, même si l’objectif premier de Tsahal est de détruire les ateliers de fabrication de roquettes et d’éliminer les techniciens qui ont été formés à les produire par les Iraniens. Un cessez-le-feu est finalement signé au bout d’une dizaine de jours : les violences ont fait 240 morts, dont 95 % de Palestiniens (et un quart d’enfants).

En déclenchant son opération « Épée de Jérusalem » sur la Ville sainte, le Hamas a pertinemment franchi une « ligne rouge » vis-à-vis d’Israël, mais son intervention lui permet de tirer un bénéfice politique d’une révolte issue de la rue, au sein d’un camp palestinien plus divisé que jamais. Annoncées en janvier 2021, les trois élections palestiniennes prévues entre mai et août (législatives, présidentielles et élection du Conseil national palestinien) sont reportées par le chef de l’AP, au motif qu’Israël met des freins au vote des Palestiniens de Jérusalem-est. En avril, Abbas fait valider sa décision par les treize factions de l’OLP (dont trois seulement sont suffisamment représentatives pour avoir pu monter des listes), décision qui illustre surtout sa peur de perdre ; outre le Hamas, le Fatah aurait en effet dû affronter deux listes issues de ses rangs, l’une conduite par Dahlan (exclu du parti en 2011 et condamné pour détournement de fonds en 2016), l’autre par Barghouti et un neveu d’Arafat.


Coopération régionale et violences internes

Un nouveau gouvernement israélien entre finalement en fonctions en juin : disposant tout juste de la majorité absolue, il associe huit partis dont l’unique point commun était leur volonté d’en finir avec Netanyahou. Autour des centristes figurent en effet la gauche et le Raam (premier parti arabe à accéder formellement au pouvoir), ainsi que des ultranationalistes hébreux, laïcs et religieux. C’est de leurs rangs que sort le Premier ministre Naftali Bennett : issu du Foyer juif, le chef de la coalition Yamina est investi contre la promesse de céder son poste au bout de deux ans à son homologue du Yesh Atid, chargé d’ici là de la diplomatie israélienne. C’est la première fois qu’un dirigeant de Yesha, la principale organisation des colons de Cisjordanie occupée, occupe la plus haute des fonctions gouvernementales.

L’entrée en fonctions de cette nouvelle équipe permet une reprise du dialogue entre Israël et l’AP, en vue d’aboutir à des gestes concrets améliorant la vie quotidienne des Palestiniens et, par ricochet, affaiblir un Hamas qui a repris de la vigueur. Mis à l’index par l’Iran et la Syrie, pour avoir soutenu les révoltes des sunnites syriens en 2012, le Hamas est en effet revenu en grâce à Téhéran et Damas, une fois les rébellions matées. En novembre, Israël signe coup sur coup un accord économique avec la Jordanie (de fourniture d’eau désalinisée contre de l’énergie solaire) et de coopération sécuritaire avec le Maroc, friand de longue date des drones et des logiciels de cyber-espionnage israéliens… et dont le roi préside le comité al-Qods pour la défense de Jérusalem. En décembre, Bennett est le premier chef de gouvernement de l’État hébreu à se rendre dans les Émirats, en vue de renforcer leur coopération, notamment militaire ; durant l’automne, Tsahal avait été associé à des exercices navals et aériens avec ses homologues émiratis et bahreïnis, sous l’égide du Centcom, le commandement régional américain. L’État hébreu poursuit en parallèle sa politique nationaliste. En décembre, il autorise l’armée à tirer à balles réelles sur les lanceurs de pierres et autres cocktails Molotov, quelques jours après avoir annoncé un programme de développement économique sans précédent du Golan, destiné à y doubler le nombre de colons juifs en cinq ans.

En mars 2022, Israël et les États-Unis tiennent un sommet sans précédent, avec quatre membres de la Ligue arabe : l’Égypte, le Maroc, Bahreïn et les EAU. Tenue vingt ans, jour pour jour, après la signature de la « feuille de route » de la Ligue arabe, la réunion se déroule dans un lieu hautement symbolique : un kibboutz du Néguev dans lequel Ben Gourion avait passé les dernières années de sa vie. Le même jour, le roi de Jordanie se rend à Ramallah, pour y rencontrer le chef de l’AP, tandis que les djihadistes saluent à leur manière la tenue du sommet israélo-arabe : une douzaine de citoyens israéliens, dont un policier arabe, sont tués lors de quatre attaques commises dans le Néguev, dans une ville du littoral méditerranéen, dans une banlieue ultraorthodoxe de Tel-Aviv et enfin dans une artère animée de la capitale. En réponse, l’armée lance l’opération « Briser la vague » et procède à des arrestations massives, parfois mortelles, dans le camp de réfugiés de Jénine (Nord) dont était originaire un des meurtriers et où s’est formé un groupe insurrectionnel, les Brigades de Jénine, associant les différents mouvements palestiniens. L’opération déclenche une nouvelle vague de violences, en particulier sur l’esplanade des Mosquées : les orthodoxes juifs entendent en effet y prier pour leur fête de Pâque qui, cette année-là, coïncide avec le ramadan.

Les heurts provoquent la mise en retrait du Raam de la coalition gouvernementale qui perd également sa majorité parlementaire, après la défection d’une députée d’ultradroite. En mai, une nouvelle vague d’affrontements à Jénine entraîne la mort d’une journaliste américano-palestinienne renommée de la chaîne panarabe Al-Jazira, chacun des camps accusant l’autre de l’avoir tuée, avant que Tsahal ne finisse par reconnaître qu’elle a probablement été victime d’un tir israélien malencontreux. Affaibli par les défections de tous bords, y compris dans son propre parti, Bennett ne parvient pas à réunir la majorité nécessaire à la prorogation de la loi plaçant les Palestiniens des territoires occupés sous administration militaire. Le Premier ministre doit donc se résoudre à dissoudre la Knesset, laissant au centriste Yaïr Lapid le soin de diriger le gouvernement jusqu’aux nouvelles élections.

C’est lui qui, en août, donne le feu vert à une opération contre le Djihad islamique, dont l’influence en Cisjordanie s’est accrue à la faveur des faiblesses de l’AP. Après avoir arrêté des membres du mouvement en Palestine, Tsahal bombarde des positions gazaouies de sa branche armée, les brigades al-Qods, lesquelles répliquent par des tirs de roquettes jusqu’en banlieue de Jérusalem. Affaibli par le précédent conflit, au point d’avoir dû renouer avec le régime syrien qui pourchasse les mouvements islamistes, le Hamas reste cette fois à l’écart des affrontements. Les heurts prennent fin par une trêve négociée par l’Égypte, mais Tsahal ne désarme pas pour autant et élimine, à Naplouse, un haut commandant du Fatah soupçonné d’avoir organisé les violences anti-israéliennes du printemps précédent. La ville fait également l’objet d’un blocus, après la naissance en son sein d’un nouveau groupe dénommé Areen Al Oussoud (« la fosse aux lions », en français) qui se démarque des organisations traditionnelles. Dans de nombreux cas, les jeunes radicaux de Jénine ou Naplouse sont des fils de responsables de la sécurité du Fatah, dégoûtés de la coopération de leurs pères avec l’État hébreu. Ils sont renforcés par des membres des forces officielles de l’AP qui ont abandonné leur uniforme pour rejoindre l’insurrection.

En octobre, Israël enregistre un succès sur la scène diplomatique et signe avec le Liban un accord de délimitation de leur frontière maritime (cf. Encadré dans Liban), combien même les deux pays sont-ils encore formellement en guerre.


Une droite renforcée

C’est dans ce contexte que 71 % des électeurs – une participation jamais vue depuis 2015 – participent aux législatives anticipées, qui voient les différentes droites obtenir la majorité absolue des sièges. Le Likoud, nationaliste läic, demeure certes le premier parti. Mais il doit compter avec un allié qui a progressé au point de devenir la troisième force du pays et de devancer les ultra-orthodoxes (pas nécessairement sionistes) du Shas et du JUT : il s’agit du bloc suprémaciste juif, ultra-nationaliste et ultra-conservateur, formé par Force juive (Otzma Yehudit), le Parti sioniste religieux (PSR, parti des colons héritier du Tkuma) et Noam (fondé en 2019 pour défendre les valeurs traditionnelles juives). Dans la coalition sortante, le Yesh Atid conforte sa deuxième place nationale, mais ses anciens partenaires paient leur incapacité à s’entendre : bien qu’associé au Foyer juif, Yamina paie le retrait de son chef de la vie politique, tandis que Lieberman a fait cavalier seul, de même que Gantz qui a pris la tête du nouveau Parti de l’unité nationale, formé avec Nouvel Espoir. A gauche, le Meretz disparait de la Knesset pour la première fois depuis sa création, faute d’avoir pu s’allier aux travaillistes. Côté arabe, la faible participation et les divisions partisanes font que le Raam ne conserve que cinq élus, comme l’union laïque Hadash-Taal, tandis que les nationalistes du Balad disparaissent. Autant d’épisodes qui, compte-tenu du mode de scrutin, ont fait le succès de la droite. Sans surprise, Netanyahou se voit confier la responsabilité de former le nouveau gouvernement. Un double attentat répond à cette annonce : visant des stations de bus fréquentées par des militaires, il fait un mort et plusieurs blessés à Jérusalem.

A l’issue d’âpres négociations, le Premier ministre forme une équipe très fortement orientée à droite : le chef de Force juive est nommé à la tête d’un ministère de la Sécurité nationale aux pouvoirs et aux moyens renforcés et celui du Noam prend le contrôle des associations intervenant en milieu scolaire ; le PSR se voit confier les finances, ainsi qu’un nouveau ministère chargé de gérer les colonies et les territoires occupés au sein de la Défense ; enfin, les partis ultraorthodoxes obtiennent diverses promesses sur les sujets qui leur tiennent traditionnellement à coeur (financement des écoles, conscription…). A peine entré en fonctions, le nouveau gouvernement instaure un prélèvement supplémentaire sur les taxes qu’il perçoit, puis reverse en partie à l’AP, au titre des biens et les marchandises entrant dans les Territoires palestiniens, puisque ces derniers n’ont pas le contrôle de leurs frontières. La mesure intervient après que l’AP a demandé à l’ONU de saisir la Cour internationale de justice sur la légalité de la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-est.

Ayant affiché ostensiblement sa volonté de réduire le pouvoir des juges – eu égard à ses propres déboires judiciaires – le Premier ministre s’attire les foudres de la Cour suprême qui invalide la nomination du numéro deux du gouvernement : emprisonné pour corruption dans les années 2000, le chef du Shas n’avait échappé à une nouvelle condamnation ferme, pour fraude fiscale, que contre la promesse de se retirer de la vie politique ; promesse vite oubliée, puisque la nouvelle majorité avait voté, en urgence, une loi lui permettant de devenir vice-Premier ministre. Nétanyahou doit obtempérer et se séparer de son second, leader du deuxième plus important parti de la coalition.

Fin janvier 2023, l’Autorité palestinienne annonce mettre fin à sa coordination sécuritaire avec l’Etat hébreu, comme elle l’avait fait durant plusieurs mois en 2020 : sa décision fait suite à la mort de dix personnes, dont des civils, dans un raid mené par Tsahal contre le Jihad islamique, au sein du camp de réfugiés de Jénine ; c’est le plus lourd bilan depuis la fin de la seconde Intifada, en 2005. En moins d’un an, les opérations israéliennes ont fait plus de cent-quatre vingt-dix morts côté palestinien, le total le plus élevé depuis sept ans (trente Israéliens ayant été tués dans le même temps). Le lendemain de l’opération de Jénine, alors que débute le shabat, un jeune Palestinien mitraille les abords d’une synagogue, dans une colonie juive de la banlieue de Jérusalem-est : une demi-douzaine de fidèles sont tués, soit le plus lourd bilan enregistré chez des civils israéliens depuis 2008. L’action est accueillie par des scènes de liesse à Gaza et Ramallah. Dès le lendemain matin, une nouvelle fusillade fait des blessés dans une zone tendue du secteur oriental : le tireur est âgé de treize ans ! En février, l’armée israélienne procède à un nouveau raid meurtrier, cette fois dans le camp d’Aqabat Jabr, voisin de Jéricho, ville jusqu’alors plutôt paisible à l’entrée de la vallée du Jourdain ; comme à Jénine et Naplouse, les jeunes s’y sont organisés en brigade locale, plus ou moins liée au Hamas et au Jihad islamique. Quelques jours plus tard, un Palestinien fonce en voiture sur un arrêt de bus, dans une colonie ultraorthodoxe de Jérusalem-est, tuant deux jeunes enfants et un étudiant d’une yeshiva (école tamudique).

Cette nouvelle poussée de fièvre n’empêche pas certains pays musulmans de poursuivre leur rapprochement avec Israël : après la réouverture d’une ambassade du Tchad à Tel-Aviv, c’est le Soudan qui affiche son intention de poursuivre le processus de normalisation, jusqu’à la signature d’un traité de paix et au développement de relations économiques. Quant aux Emirats arabes unis, ils font peu de cas du droit international et n’opèrent pas de distinguo, dans les produits israéliens qu’ils commercialisent, entre ceux fabriqués en Israël même ou dans les colonies de Cisjordanie et du Golan. En revanche, sous la pression de l’Algérie et de l’Afrique du sud, la représentante israélienne est expulsée du sommet de l’Union africaine, après l’annonce de diverses mesures destinées à enrayer le « terrorisme » palestinien, à commencer par la légalisation d’avant-postes de colons. L’Etat hébreu avait été admis en 2021 à l’UA en tant qu’observateur en 2021, quatre pays africains sur cinq reconnaissant son existence.

En février, une nouvelle incursion de Tsahal à Naplouse fait onze morts, nouveau bilan le plus lourd depuis 2005. Sous l’égide des Etats-Unis et de ses alliés régionaux, les responsables sécuritaires d’Israël et de l’AP s’entendent sur des mesures destinées à freiner l’expansion de la violence. Mais au même moment, un Palestinien tue les deux passagers d’une voiture israélienne obligée de traverser une localité arabe, située aux portes de Naplouse. En représailles, des dizaines de colons saccagent la ville et ses environs, sans réaction des soldats hébreux. Une demi-douzaine d’émeutiers sont certes arrêtés, mais ils sont relaxés par un tribunal de Jérusalem. Sur recommandation du Shin Beth, deux d’entre eux sont toutefois placés en détention administrative, une procédure controversée héritée du mandat britannique et plutôt utilisée contre les Palestiniens ; prise par le ministre de la Défense, cette décision provoque un tollé à l’extrême-droite.

Quelques jours plus tard, les ultras obtiennent sa tête : bien que réputé proche de Netanyahu, il est démis de ses fonctions pour avoir demandé la suspension de réformes judiciaires contestées par la rue israélienne, mais aussi par le Président de la République, les alliés occidentaux de l’État hébreu, une partie de l’armée et même au sein du Likoud. A la fin du mois de mars, la pression est telle que le Premier ministre doit suspendre ses projets, visant en particulier la Cour suprême. Entretemps, la Knesset a toutefois voté une loi qui restreint très fortement la possibilité de démettre un chef de gouvernement, même s’il fait l’objet de poursuites judiciaires. En échange de son accord pour « geler » les réformes judiciaires, le chef de Force juive obtient la concrétisation d’un projet envisagé après les violences de 2021 dans les villes « mixtes », mais demeuré à l’état d’initiatives locales : la création d’une Garde nationale formée de policiers chargés de lutter contre les crimes nationalistes, le terrorisme et la criminalité dans les localités arabes d’Israël ; à la différence de la police, elle pourrait être placée sous l’autorité opérationnelle directe du ministre de la Sécurité nationale.

C’est dans ce contexte que de nouveaux heurts éclatent sur l’Esplanade des Mosquées, début avril 2023 : quelques jours après l’engagement du roi de Jordanie à faire respecter la liberté de prier dans les lieux de culte musulmans et chrétiens de Jérusalem, la police israélienne arrête plusieurs centaines d’activistes palestiens jusque dans l’enceinte de la mosquée al-Aqsa. Selon leurs dires, ils s’étaient regroupés à cet endroit pour empêcher des militants messianiques juifs d’y égorger un mouton pour la Pâque juive, comme ils menacent de le faire depuis plusieurs années. La réplique palestinienne ne se fait pas attendre : tirs de roquettes depuis Gaza, le sud-Liban et même la Syrie, meurtre de deux soeurs israélo-britanniques et de leur mère dans une colonie de Cisjordanie, assassinat d’un touriste italien sur le front de mer de Tel-Aviv à l’aide d’une voiture-bélier. En dépit de ce climat volatil, des milliers de colons défilent, leurs ministres en tête, en direction d’une colonie sauvage, évacuée en 2021 au sud de Naplouse. Ne voulant pas s’aliéner ces alliés, le Premier ministre laisse faire, tout en rétablissant dans ses fonctions le ministre de la Défense qu’il avait démis quelques semaines plus tôt.

Un nouvel épisode de tension survient en mai, après la mort en prison d’un cadre du Djihad islamique, gréviste de la faim. Accusé de mollesse par ses alliés radicaux, le chef du gouvernement israélien autorise l’assassinat ciblé d’une demi-douzaine de commandants du mouvement – tuant au passage une vingtaine de civils – mais en prenant soin d’épargner le Hamas. Le Djihad réplique par le tir de plusieurs centaines de roquettes. A la fin du même mois, le Premier ministre donne de nouveaux gages à ses alliés : il accorde une large rallonge aux partis ultra-orthodoxes pour permettre le vote du budget. Fin juin, le ministre sioniste-religieux des Finances hérite de la planification des colonies, jusqu’alors du ressort de la Défense, en même temps qu’est simplifiée la procédure de lancement des constructions.


Des violences allant crescendo

De nouvelles vagues de violences s’en suivent en Cisjordanie. L’AP refusant d’y envoyer ses troupes de choc, formées par les Américains, l’armée israélienne intervient dans un camp de réfugiés de Jénine qu’elle avait détruit vingt-et-un ans plus tôt. Elle se heurte à une telle résistance, les premiers jours, qu’elle doit recourir à une méthode inemployée depuis l’Intifada : tirer des missiles depuis un hélicoptère pour permettre à ses troupes de se dégager. En réaction, deux activistes du Hamas exécutent quatre civils au voisinage d’une colonie, ce qui entraîne de nouvelles actions de centaines de colons contre des localités palestiniennes. A ces vagues de violences communautaires s’ajoute une très forte hausse de la criminalité chez les Arabes d’Israël : de 2018 à 2022, 70 % des personnes ayant succombé à un meurtre appartenaient à cette communauté, alors qu’elle ne représente que 20 % de la population. En cause : le manque d’infrastructures policières dans leurs localités, mais aussi l’accroissement des armes illégales en circulation (400 000 en 2020) et une paupérisation accrue ; celle-ci conduit la population à emprunter toujours plus aux usuriers et précipite les plus jeunes dans les rangs d’organisations mafieuses palestiniennes qui ont pris le relais des mafias juives, éradiquées dans les années 2000.

A la fin du mois de juillet, Nétanyahou relance la réforme de la justice. La Knesset vote un premier texte qui restreint les pouvoirs de la Cour suprême sur la nomination de hauts fonctionnaires. Cet épisode ranime la contestation, y compris de la part d’anciens chefs du Mossad et du Shin Beth, ainsi que dans les rangs de milliers de réservistes qui refusent d’effectuer leurs périodes de rappel. Leur menace risque de fragiliser les capacités de l’armée et de la diviser socialement : en effet, beaucoup d’entre eux appartiennent aux corps d’élite, tandis que l’essentiel des troupes est composé de Mizrahi (juifs originaires d’Orient et d’Afrique du Nord), d’Ethiopiens et de Druzes. Dans le camp palestinien, Abbas et Haniyeh se rencontrent à Ankara, avant un nouveau round de négociations organisé au Caire ; mais le Jihad islamique n’y participe cas (en raison des arrestations que l’AP opère en Cisjordanie), tandis que des combats meurtriers opposent le Fatah à des « forces islamiques », telles que Jund Al-Cham, dans le camp de réfugiés de Aïn el-Heloué, proche de Saïda au Liban.

En août, alors que la possibilité d’un rapprochement avec Israël piétine, l’Arabie saoudite annonce la nomination d’un ambassadeur pour les Territoires occupés, basé à Amman, alors que le dossier palestinien était jusque là traité par l’ambassadeur saoudien en Jordanie. Proche du prince héritier Mohammed ben Salman, le diplomate servira aussi de consul général à Jérusalem, considérée comme palestinienne par la monarchie saoudienne. En septembre, il se rend à Jericho et Ramallah, première visite d’un officiel saoudien en Cisjordanie depuis les accords d’Oslo.

Dans le même temps, la société israélienne connait un déchirement supplémentaire, avec des heurts meurtriers, à Tel-Aviv et d’autres villes, entre migrants érythréens, opposants ou partisans du régime d’Asmara.


Pogroms en terre juive

Le 7 octobre, cinquante ans après le déclenchement de la guerre du Kippour, le Hamas déclenche l’opération « déluge d’al-Aqsa » pour « mettre un terme à tous les crimes de l’occupation » israélienne : au moins quatre mille roquettes sont tirées sur Israël et des centaines de combattants palestiniens s’infiltrent sur le sol israélien, en parapente motorisé, en débarquant sur ses plages et en enfonçant en une vingtaine de points son « mur de fer », une barrière de 140 000 tonnes de fer et d’acier ayant coûté un milliard de dollars. Déclenchée un jour de shabbat, à la fin d’une fête juive, l’opération est un massacre. Profitant de l’affaiblissement de la défense israélienne du côté de Gaza (beaucoup de forces ayant été redéployées en Cisjordanie), les commandos du mouvement islamiste peuvent agir pendant deux jours : près de mille deux cents personnes sont tuées, dont des dizaines d’étrangers et une vingtaine de Palestiniens d’Israël (essentiellement des Bédouins) ; de véritables pogroms sont commis dans un festival de musique et dans des kibboutz, où des corps sont décapités, des bébés exécutés et des femmes sans doute violées. Les miliciens s’emparent aussi de deux cents cinquante otages, militaires et civils, qu’ils emmènent avec eux. Tsahal élimine mille cinq cents assaillants et pilonne la bande de Gaza. Au troisième jour de son opération « Epée de fer », le régime hébreu instaure un blocage complet des alimentations en eau, en gaz, en électricité et en nourriture de la zone, le poste de Rafah étant également bombardé. L’armée israélienne réplique aussi à des tirs du Hezbollah sur des secteurs contestés de la frontière israélo-libanaise, ainsi qu’à une incursion de combattants du Djihad islamique, initiatives qui accréditent la thèse selon laquelle l’Iran aurait participé à l’organisation de cette opération sans précédent. Même les Houthis yéménites lancent des drones sur Israël.

Pour préparer sa riposte de grande ampleur contre une enclave comptant au moins trente mille combattants, et des centaines de kilomètres de réseaux souterrains (« le métro de Gaza »), l’armée rappelle plus de trois cents mille réservistes. De son côté, Netanyahou forme un gouvernement d’union et un cabinet de guerre auxquels adhère Gantz, mais pas Lapid. Le Président américain y participe même une fois, juste après le bombardement d’un hôpital gazaoui ayant fait plusieurs dizaines de morts (et non des centaines comme indiqué par le Hamas) : tandis que le monde arabe incrimine Israël et que l’AP réclame l’ouverture d’une enquête de la CPI, Tsahal impute le drame à la chute accidentelle d’une roquette du Djihad. Sous la pression internationale, l’Etat hébreu accepte que de l’aide alimentaire soit acheminée, via le poste égyptien de Rafah, au sud de la bande, où les Gazaouis ont été pressés de se réfugier. Dans les deux pays, plus d’un million de personnes ont fui les zones de combat. A la fin du mois, Tsahal intensifie ses bombardements sur le nord de la bande et y déploie des troupes, afin de couper le territoire en deux, de détruire les infrastructures souterraines du Hamas et d’éliminer les chefs de sa branche armée. Négocié principalement par le Qatar, un accord est trouvé pour effectuer un échange de femmes, d’enfants et de jeunes hommes : cinquante des otages capturés par le Hamas contre cent cinquante des six-mille sept cents prisonniers palestiniens détenus par Israël[1] (dont deux mille en simple détention préventive et cinq cent cinquante condamnés à perpétuité).

Sur le plan politique, des émissaires du Hamas rencontrent des conseillers de Barghouti et de Dahlan, en vue de faire adhérer le mouvement islamiste à l’OLP, de mettre en place une administration commune à la Cisjordanie et à Gaza, voire de préparer la succession d’Abbas à la tête de l’AP. Côté israélien, le devenir de l’enclave ne fait pas consensus, alors que le conflit coûte cent millions de dollars par jour : excluant tout retour des colons (réclamé à cor et à cri par l’extrême-droite), le pouvoir rejette tout aussi fermement une administration par l’AP, même renouvelée, et envisage des solutions telles que le déploiement d’une force internationale et un appui sur les chefs de clans (les mokhtars). Alors que la trêve liée à l’échange d’otages et de prisonniers est péniblement reconduite, le Hamas revendique l’assassinat de trois Israéliens à un arrêt de bus de Jérusalem à la fin du mois de novembre. Le conflit à Gaza reprend le lendemain. Tsahal bombarde même le sud et entre dans Khan Younès, dont sont originaires les chefs politique et militaire du mouvement islamiste et où ils se seraient réfugiés.

Sur le plan intérieur, Netanyahou subit un revers politique majeur, en janvier 2024 : la Cour Suprême invalide une disposition majeure de sa réforme judiciaire, celle selon laquelle ses juges n’auraient pu annuler les décisions du gouvernement au motif qu’elles étaient « déraisonnables ». Le lendemain, dans leur reprise d’assassinats ciblés, les Israéliens éliminent le numéro deux du bureau politique du Hamas : considéré comme l’un des fondateurs de sa branche armée et comme un partisan du rapprochement avec le Fatah, il est victime d’un drone dans son bureau de la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. L’un des principaux chefs des forces d’élite du mouvement chiite libanais connait le même sort quelques jours plus tard. En décembre, c’est le plus haut gradé des Gardiens de la révolution basés en Syrie qui avait été éliminé dans un faubourg de Damas (avant le chef de leurs renseignements en janvier suivant).

Alors que les pertes de Tsahal s’aggravent (une vingtaine de morts à Khan Younès en une seule journée de janvier), des fissures commencent à apparaître au sein du cabinet de guerre israélien : les centristes redoutent que le Premier ministre ne cherche à prolonger indéfiniment le conflit, afin d’assurer sa survie politique, tandis que les ultranationalistes réclament la recolonisation de Gaza. Aucun des objectifs poursuivis par le pouvoir n’a été atteint : ni la libération des otages (dont plusieurs auraient été tués), ni l’élimination des chefs du Hamas, ni la destruction du « métro de Gaza », qui s’avère beaucoup plus long que les 400 km attendus et beaucoup plus profond (jusqu’à quatre-vingt mètres) ; Tsahal ne parvient ni à inonder ses galeries, ni à les faire exploser.

Plusieurs dizaines de Palestiniens sont également tués en Cisjordanie, des colons extrémistes multiplient les exactions contre les populations locales, notamment les bédouins, sans que l’armée ne s’interpose. En 2023, vingt-cinq nouveaux avant-postes ont été établis – portant à 20 000 le nombre des colons y habitant – pendant que vingt et une communautés palestiniennes étaient chassées de leurs terres. Tsahal mène également des raids meurtriers réguliers à Jénine, Naplouse et Tulkarem, considérés comme des foyers d’insurrection potentielle. Des voix s’élèvent pour dénoncer le comportement de « Netzah Yehuda », une unité particulière de l’armée israélienne : créée à la fin des années 1990 pour encourager l’enrôlement de jeunes issus de la communauté ultraorthodoxe, elle accueille de nombreux ultranationalistes (colons illégaux, « jeunes des collines »…).

En janvier 2024, alors que la Cour internationale de justice souligne le risque qu’un génocide finisse par être commis dans la bande de Gaza, le travail de l’UNRWA se trouve fragilisé, après la mise en cause d’une douzaine de ses salariés : ils sont accusés d’avoir participé au massacre du 7 octobre précédent.


Crise humanitaire à Gaza

Refusant toute trêve sans libération préalable des otages encore vivants, l’armée israélienne commence à encercler Rafah, où se serait réfugiée la direction du Hamas et où s’entassent 1,4 million de Palestiniens (27 000 habitants au km² !). Le gouvernement israélien envisage aussi d’occuper la « route Philadelphie », zone tampon qui longe la frontière égyptienne sur 13 km, ce que Le Caire dénonce comme une violation des accords de Camp David. Au lendemain d’une fusillade mortelle dans une colonie de Cisjordanie (un colon et ses agresseurs tués), un des ministres ultranationalistes du gouvernement annonce la mise en chantier de 3 000 logements dans cette même colonie.

De plus en plus rare, la distribution d’aide humanitaire tourne au chaos, certains convois étant rançonnés ou attaqués par des pillards. Une opération organisée sans aucune concertation par Israël fait ainsi plus de cent morts à Gaza-ville, l’armée israélienne étant accusée d’avoir tiré sur des civils qui essayaient de récupérer des denrées par tous les moyens ; Tsahal se défend en affirmant que de nombreuses victimes sont mortes piétinées. Aucune trêve n’ayant pu être signée pour le ramadan, les Etats-Unis essaient de promouvoir la fourniture d’aide depuis Chypre, en construisant au plus vite un port provisoire dans le nord de la bande. Le chaos ne fait que s’aggraver : des Palestiniens meurent noyés en essayant de récupérer des largages en mer, d’autres sont écrasés lors de distributions qui ne sont plus supervisées par la police du Hamas, traquée par le Hamas, mais par les bandes armées des clans gazaouis. Ces victimes s’ajoutent à celles des bombardements israéliens. Près des deux tiers sont des civils, dont beaucoup d’enfants, les infrastructures islamistes étant souvent imbriquées dans un milieu très dense de commerces, d’habitations, de mosquées… milieu d’autant plus dense que la population se réfugie dans un espace de plus en plus restreint.

Sur le plan politique, les discussions engagées par certains cadres du Fatah avec le Hamas poussent Abbas à démettre son Premier ministre, un technocrate pourtant apprécié des milieux internationaux. Mais c’est pour le remplacer par un autre économiste proche de lui, au grand dam du Hamas, du Djihad, du FPLP et de Barghouti. Le Fatah rétorque en accusant le mouvement islamiste d’avoir engendré la situation à Gaza « en entreprenant l’aventure du 7 octobre« . Du côté israélien, le piétinement des troupes relance les critiques contre Netanyahou, de la part de Gantz mais aussi du ministre de la Défense : les deux hommes dénoncent publiquement le projet gouvernemental de prolonger les exemptions militaires dont bénéficient plus de 60 000 étudiants ultraorthodoxes.

Le jusqu’au-boutisme du Premier ministre irrite également les Américains : en mars, ils laissent ainsi passer un vote du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu immédiat. L’irritation de Washington s’accroit encore quelques jours plus tard, après le mitraillage par les Israéliens d’un convoi d’aide alimentaire d’une ONG américaine : une demi-douzaine de ses salariés sont tués, quasiment tous Occidentaux. La réprobation internationale est telle, y compris chez les alliés de Tel-Aviv, que le gouvernement israélien doit relâcher sa pression sur l’aide humanitaire, qui arrive notamment de Jordanie. Il annonce aussi le retrait de ses troupes de toute la moitié sud de la bande de Gaza, officiellement pour laisser la place à des opérations ciblées. L’objectif le plus important demeure le contrôle du corridor de Philadelphie au sud (100 mètres de large sur 14 kilomètres de long) afin d’empêcher la contrebande d’armes venues d’Egypte.

En avril, quelques jours après une frappe meurtrière des Israéliens sur le consulat iranien de Damas (cf. Syrie), l’Iran intervient directement contre l’Etat hébreu : lui et ses alliés libanais et yéménites envoient plus de trois cents drones et missiles, principalement sur une base aérienne du Neguev. Les dégâts sont cependant faibles, Tel-Aviv ayant intercepté la quasi-totalité des engins, avec l’aide des pays occidentaux possédant des bases dans les pays de survol (Irak et Jordanie) et même de pays arabes sunnites, alliés des Etats-Unis : la défense antiaérienne jordanienne est intervenue, de même que les renseignements de Bahreïn et des Emirats arabes unis. Quelques jours plus tard, Israël procède à une riposte modérée, destinée à montrer de nouveau sa capacité à opérer sur le sol iranien : des drones frappent les abords de sites militaires dans la région centrale d’Ispahan. La crise que connait Gaza a des répercussions variables dans le reste du monde musulman. Tandis que la Turquie interrompt ses relations commerciales avec Tel-Aviv, le Maroc s’engage dans la construction de drones militaires avec une société israélienne.

En mai, le Hamas accepte une proposition de cessez-le-feu qataro-égyptienne, mais tellement éloignée des exigences d’Israël que celui-ci la rejette. Deux jours après la mort de quatre soldats tués par une roquette tirée près du point de passage de Rafah, Tsahal s’empare de sa partie gazaouie. Les Palestiniens vivant à l’est de la ville sont invités à rejoindre une « zone humanitaire » de fortune, aménagée par Tsahal sur tout le littoral à l’ouest de Khan Younès. Près de 800 000 personnes aurait quitté Rafah et sa région pour s’entasser un peu plus au nord. En Cisjordanie, l’administration des territoires légalise des colonies sauvages, lance de nouvelles constructions et convertit des terrains militaires sur le Jourdain en « terres d’Etat », attribuables à des colons.

Alors que les combats ne sont pas terminés, le coût de la reconstruction des infrastructures détruites dans la bande de Gaza est estimé à quarante milliards de dollars, sur un territoire dont Israël remodèle la configuration : à la frontière, l’Etat hébreu a établi sur une « zone de sécurité » d’environ un kilomètre de profondeur ; le bâti a été rasé et les terres agricoles confisquées. En plus de postes avancés, l’armée israélienne construit également une route militarisée orientée d’ouest en est, le corridor de Netzarim, afin de couper la bande en deux ; l’objectif est de ne laisser à Gaza-ville et ses environs que les 300 000 Palestiniens qui s’y trouvent encore. Mais, contrairement aux allégations d’Israël, le nord de l’enclave est loin d’être pacifié et de très violents combats y opposent Tsahal et le Hamas au mois de mai. Le corridor de Netzarim est par ailleurs prolongé par des jetées, destinées à acheminer de l’aide humanitaire par voie maritime… quand les conditions météorologiques le permettent, ce qui est rare. Par voie terrestre, l’acheminement est contingenté et difficile : en Cisjordanie, des colons radicaux s’en prennent physiquement aux convois venant de Jordanie, sans que les forces de l’ordre ne s’interposent.

Contestés jusqu’au sein du cabinet de guerre, l’enlisement israélien et son absence de toute vision sur « l’après-guerre » conduisent quatre pays d’Europe occidentale a reconnaître un Etat de Palestine, seule solution à leurs yeux pour trouver une issue politique au conflit. Preuve de l’impasse, Nétanyahou dissout le cabinet de guerre, après la démission de Gantz au mois de juin. Le même mois, la Cour suprême d’Israël ordonne la fin des exemptions du service militaire dont bénéficiaient les élèves d’écoles talmudiques.

Au sud de la bande de Gaza, le long de la frontière égyptienne, Tsahal occupe le couloir de Philadelphie (de Saladin pour les Arabes), zone tampon de quatorze kilomètres pourtant démilitarisée depuis les accords de paix israélo-égyptiens. L’armée israélienne doit également lancer de nouvelles opérations à Gaza-ville (censée avoir été sécurisée), infirmant les affirmations selon lesquelles les deux tiers des capacités militaires du mouvement islamiste auraient été détruites. Elle frappe même la « zone humanitaire » d’Al-Mawasi, sur la côte entre Rafah et Khan Younès, pour y éliminer Mohamed Deif : le chef militaire du Hamas est tué, de même que plusieurs dizaines de personnes, dans un secteur qu’Israël avait pourtant présenté comme sûr pour les déplacés de Gaza.

En juillet, la Cour internationale de justice déclare « illicite » l’occupation des territoires palestiniens par Israël et appelle les membres de l’ONU à ne pas s’en rendre complices, combien même cet avis n’est-il pas contraignant. Quelques jours plus tard, Tel-Aviv est frappée par un grand drone, envoyé par les Houthis du Yémen, sans que la défense aérienne ne soit parvenue à l’intercepter. Jusqu’alors, les rebelles yéménites n’avaient visé que le port d’Eilat, déjà distant de 2 000 km de leurs côtes. Tsahal réplique en bombardant le port d’Hodeida, sur la mer Rouge.

En juillet, sous l’égide de la Chine (déjà médiatrice entre l’Iran et l’Arabie saoudite), le Hamas et le Fatah signent un accord pour la mise en place, après la guerre, d’un gouvernement intérimaire de « réconciliation nationale », gérant la Cisjordanie et Gaza. Le texte est paraphé à Pékin par douze autres organisations, y compris le Djihad islamique. Moins d’une semaine plus tard, une roquette du Hezbollah tue une douzaine d’enfants qui jouaient au football, dans un village druze du Golan. En réaction, l’armée israélienne élimine un chef militaire présenté comme le bras droit de Nasrallah, dans un immeuble de Beyrouth sud, tuant également cinq civils.

En Israël, les ultranationalistes apportent de nouvelles preuves de leur détermination et de la fracture se creusant, au sein de l’armée, entre loyalistes et extrémistes. Non seulement ils s’opposent à la conscription, mais ils interviennent dans deux bases militaires du Neguev, en soutien de soldats détenus pour avoir torturé un prisonnier palestinien. Parmi les assaillants, dont aucun n’est arrêté, figurent des élus du Likoud, ainsi que des membres de la Force 100, une unité militaire connue pour ses exactions.

A la fin du mois de juillet, le numéro un du Hamas est tué dans sa résidence de Teheran, où il s’était rendu pour assister à l’intronisation du nouveau Président iranien. Il est remplacé par le radical Yahia Sinwar, chef du Hamas à Gaza. L’ancien « boucher de Khan Younès » (surnom datant de l’époque où son unité traquait les collaborateurs d’Israël) est élu par l’ensemble des dirigeants, Mechaal compris, mettant ainsi fin à la dichotomie qui pouvait exister entre les branches intérieure et extérieure du mouvement. En août, après un nouveau bombardement mortel sur une école servant d’accueil aux réfugiés (près de cent morts, dont un nombre incertain de combattants islamistes), le ministre israélien de la Sécurité nationale, Ben Gvir, jette de l’huile sur le feu : il prie avec plusieurs centaines de colons suprémacistes sur l’Esplanade des Mosquées réservée à la prière des seuls musulmans (les juifs devant le faire au Mur des lamentations).

En septembre, Tsahal redéploie des troupes depuis Gaza vers la frontière avec le Liban et multiplie les opérations militaires et technologiques contre le Hezbollah. La plus spectaculaire aboutit à l’élimination du chef suprême du parti chiite (cf. Liban). Des bombardements touchent également des installations électriques et portuaires près d’Hodeida, au Yémen, après des tirs des Houthis sur le territoire israélien. Quelques jours après un attentat commis, à Jaffa, par deux Palestiniens venus d’Hébron (une demi-douzaine de morts), une frappe israëlienne élimine le chef du Hamas du camp de Tulkarem ; le bombardement fait une quinzaine de morts, amenant à plus de sept cents en un an le nombre de victimes palestiniennes en Cisjordanie. Celle-ci est par ailleurs asphyxiée par le non-versement de la plupart des taxes douanières qu’Israël perçoit pour son compte et par l’effondrement du marché de l’emploi : les Palestiniens ne sont plus que 2 % à travailler encore dans l’Etat hébreu, contre 22 % un an plus tôt.

Dans la bande de Gaza, le bilan d’un an de bombardements israéliens dépasse quarante-trois mille morts selon le Hamas, dont 70 % seraient des femmes et des enfants (selon l’ONU) et au moins dix-sept mille des combattants islamistes (sur un effectif de trente mille) d’après Tsahal. Ce nombre de morts est plus de deux fois supérieur au total cumulé des victimes palestiniennes lors des guerres de 1948-1949 (13 000 morts), de la première Intifada (3 000 et 1 000 côté israélien) et des quatre guerres de Gaza (2008-2009, 2012, 2014 et 2021 : 4 000 morts). Sinwar est à son tour éliminé, mi-octobre, lors d’une opération israélienne menée à Rafah. Quelques jours plus tard, une centaine d’appareils de Tsahal bombardent des sites de fabrication et de tirs de missiles en Iran, en réaction aux deux cents engins que le régime des mollahs avait envoyés sur Israël en début de mois. L’Etat hébreu semble avoir renoncé à bombarder des sites pétroliers, afin d’éviter une flambée des cours de l’or noir, ainsi que des sites nucléaires, pour ne pas déclencher de ripostes incontrôlables.

En novembre, Netanyahou finit par limoger son ministre de la Défense, qui s’apprêtait à mobiliser 7 000 étudiants ultraorthodoxes contre leur gré. Honni de l’extrême-droite, Gallant est remplacé par le ministre des Affaires étrangères, lequel abandonne la diplomatie à Gideon Sarr, venu conforter la majorité gouvernementale avec son parti Nouvel Espoir, après avoir un temps quitté le Likoud et rallié le camp de Gantz. Le même mois, alors que les relations d’Israël avec Paris sont tendues, un incident oppose des gendarmes français à des policiers israéliens, lors de la visite du chef de la diplomatie française dans une des quatre possessions de la France dans la ville sainte : la grotte de l’Eleona sur le mont des Oliviers, l’ancienne commanderie d’Abou Gosh, le tombeau de la princesse Hélène d’Adiabene et le domaine de Sainte-Anne (mère de la Vierge). Donnés au XIXe siècle à la France par le sultan ottoman ou par des personnalités privées, ces lieux saints sont gérés par la France, sans avoir le statut d’emprise diplomatique. Dans la bande de Gaza, le Hamas démontre à Israël, comme à la population palestinienne, qu’il contrôle encore l’enclave : ses services de sécurité tuent une vingtaine de pilleurs qui attaquaient des convois humanitaires dans le sud du territoire.

En novembre, la Cour pénale internationale lance un mandat d’arrêt pour d’éventuels « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » à l’encontre de Netanyahou, Gallant et Mohamed Deif, chef de la branche armée du Hamas. Du côté israélien, le nouveau ministre de la Défense fait un geste en direction des colons les plus radicaux : il annonce qu’ils ne seront plus soumis à la détention administrative, régime d’emprisonnement prolongé sans procès largement appliqué aux Palestiniens. Du côté de ces derniers, le Hamas et le Fatah négocient, en Egypte, la future gestion de la bande de Gaza, qui s’effectuerait sous l’autorité de l’AP.

[1] Depuis 1967, un million de Palestiniens seraient passés dans les geôles hébreues.

Colonies, murs et clôtures

Israël a mené une stratégie déterminée d’aménagement du territoire, avec l’édification de murs de séparation entre communautés, y compris dans les frontières d’avant 1967 (par exemple dans la ville mixte de Lod), l’implantation de kibboutz et de villes nouvelles encerclant les terres arabes (en Galilée et autour des villages bédouins du nord-Néguev) et la construction d’infrastructures diverses. Selon une ONG fondée par des vétérans de l’armée israélienne, l’Etat hébreu a intensifié, depuis 2015, l’agrandissement et la rénovation du réseau routier spécifiquement destiné aux Juifs de Cisjordanie, aux côtés des routes plus vétustes dévolues aux Palestiniens. Les zones sous contrôle de l’AP, plutôt orientées nord-sud, se trouvent ainsi de plus en plus coupées d’ouest en est. L’objectif poursuivi est d’éviter aux colons la traversée de localités ou de quartiers arabes, en particulier pour se rendre en Israël (où travaillent 60 % d’entre eux, faute d’emploi suffisant dans les colonies) ; au besoin, un système de ponts et de tunnels permet de desservir les implantations les plus éloignées de la « ligne verte » tenant lieu de frontière avec la Cisjordanie, depuis les cessez-le-feu de 1949 et 1967. L’ambition est d’y attirer les juifs ultra-orthodoxes, dont les colonies sont essentiellement situées à proximité de la ligne de cessez-le-feu : si leur nombre est relativement faible (environ 20 % des colons), ils possèdent en revanche un taux de natalité à même d’éviter toute décroissance démographique des colonies plus excentrées.

Les colonies officielles – plus de 130 – sont le plus souvent protégées par un mur. S’y ajoutent une centaine d’implantations construites sans permis ou en violation de ceux qui avaient été accordés. Sur les plus de 3 000 ordres de démolition de colonies sauvages prononcés entre 1998 et 2007, seule une centaine a été exécutée. Selon une étude publiée en 2013, Israël a confisqué 9300 hectares de terres palestiniennes à des fins agricoles entre 1997 et 2012, soit davantage que les 6000 pris pour bâtir des colonies ou des avant-postes ; plusieurs méthodes ont été employées à cette fin : confiscation pour raisons de sécurité, départ des propriétaires depuis 1967, réquisition de terres du Waqf (Office des biens musulmans)… Le plus souvent, ces terres ont été cédées gratuitement à des colons israéliens… qui les louent à des fermiers palestiniens ! Inversement, les permis de construire alloués aux Palestiniens dans les zones B et C sont rarissimes et les entraves à la construction multiples (classement en zones vertes, coûts prohibitifs, non reconnaissance des titres de propriété datant de l’administration jordanienne etc.) : cette situation conduit les Palestiniens à construire illégalement… et les autorités israéliennes à détruire régulièrement des dizaines de constructions chaque année.

En 2002, face à la deuxième Intifada, Israël a débuté la construction d’un mur de séparation / clôture de sécurité de 720 km, deux fois plus long que la « ligne verte » (320 km) : en effet, l’Etat hébreu y inclut quatre-vingt colonies juives représentant environ 85 % des colons, mais aussi des terres fertiles et des puits, de sorte que le mur ne suivra le tracé de la « ligne verte » que sur moins de 20 % ; près de 85 % pénétreront à l’intérieur de la Cisjordanie (parfois jusqu’à 23 km de profondeur), serpentant entre les territoires palestiniens, lesquels seront reliés les uns aux autres par des portails et des tunnels ouverts à heures fixes. Constituée d’une double barrière grillagée munie de détecteurs (et de 45 km de murs dans les zones urbaines, jusqu’à 8 m de haut à Jérusalem-est), la clôture (d’un coût estimé à plus de deux milliards de dollars) sera entrecoupée d’une soixantaine de « portes », équipées de scanners de reconnaissance manuelle. Le mur coupant tout Jérusalem de la Cisjordanie fera 82 km. A l’achèvement de la clôture, près de 12 % de la Cisjordanie (Jérusalem-est compris) devraient avoir été annexés par Israël soit 380 000 colons et 500 000 Palestiniens de quelque quatre-vingt dix villes et villages.  Certains villageois palestiniens se retrouveraient avec leurs habitations à l’est du mur et leurs terres à l’ouest (avec des passages pour aller d’un côté à l’autre) ! Outre cette clôture, les autorités israéliennes ont décidé de créer une « zone tampon », prise en territoire palestinien. De 100 mètres à l’origine, cette zone s’est progressivement élargie à 500 mètres, au détriment des terres agricoles qui s’y trouvaient. En raison de l’absence de signalisation permettant de la délimiter, les soldats procèdent à des tirs de sommations à l’encontre des Palestiniens qui s’en approchent de trop près. A la demande des Américains, les cinq colonies les plus enclavées (comme Ariel et Ramallah) ont été exclues du tracé : elles seront ceinturées d’une clôture spécifique… qui, le moment venu, pourra être raccordée à la clôture générale. Une clôture sous haute surveillance entoure par ailleurs la bande de Gaza.

En décembre 2022, l’Assemblée générale de l’ONU vote en faveur de la soumission à la CIJ du sujet de l’occupation de la Palestine par Israël, même si l’avis des juges n’est pas contraignant. En juillet 2004, la Cour Internationale de Justice de La Haye avait déclaré « illégal » le mur construit par les Israéliens, conformément à la résolution 242 de l’ONU condamnant les conquêtes d’Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-est. Mais ce jugement n’avait reçu aucune application concrète.

Le poids croissant des ultra-orthodoxes juifs

Représentant un peu plus de 10 % de la population israélienne, les haredim (« craignant Dieu ») ont un niveau de vie moyen inférieur à la moyenne nationale : plus de la moitié vivent sous le seuil de pauvreté, ce qui est même un peu plus que les familles arabes. Cette situation est aggravée par un contexte de crise économique : en dépit de sa croissance, Israël a un des plus forts taux de pauvreté de l’OCDE. Les ultra-orthodoxes ont également un taux de natalité plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale, à telle enseigne que leur part dans la population pourrait atteindre 25 % en 2040. En 2015, leurs enfants représentent 25 % des enfants scolarisés, soit autant que les enfants d’Arabes israéliens, les 50 % restant étant des enfants de Juifs « traditionnels ».
Les "haredim" font l’objet d’un ressentiment croissant dans une population qui les considère de plus en plus comme des parasites (pas de service militaire, discrimination des femmes, quartiers homogènes, aides diverses… d’autant plus importantes que 65 % des hommes ne travaillent pas, alors qu'ils n'étaient que 20 % trente ans plus tôt). A Jérusalem, les Sikrikim (inspirés des Sicaires qui tuaient les Romains et leurs alliés en Judée) insultent et crachent sur les femmes vêtues « de façon immodeste ». Dans la ville sainte, les femmes ont parfois des trottoirs et des files d’attente spécifiques, ainsi que des places particulières dans les bus desservant les quartiers haredim ; elles peuvent ausssi être exclues de cérémonies, y compris de funérailles.
A l’été 2009, après avoir perdu la mairie de Jérusalem au profit d’un laïc (alors qu’ils représentaient 40 % de la population mais se sont présentés divisés au scrutin), les haredim se livrent à des violences urbaines, y compris contre la police : elles sont consécutives à l’ouverture d’un parking le samedi, puis à l’arrestation d’une de leurs militantes qui laissait dépérir son enfant. Inversement, des milliers d’étudiants manifestent en novembre 2010 devant la résidence du Premier ministre pour protester contre les avantages dont continuent à bénéficier les « yeshivas », les écoles fréquentées par les ultra-orthodoxes, dont la Cour suprême a pourtant interdit leur financement par de l'argent public. En 2014, sous la poussée des ultraorthodoxes, le chef du gouvernement renonce à aménager un espace de prière mixte (ouvert aux hommes comme aux femmes) au sud du mur des Lamentations.
Le point d’abcès majeur est devenu celui de la conscription. En février 2012, la Cour Suprême déclare anticonstitutionnelle la loi Tal, votée en 1947 dans le cadre d’un accord entre Ben Gourion et le parti des ultra-orthodoxes de l’époque. Le texte donnait à ces derniers l’autorité religieuse sur les questions matrimoniales, de cacherout et de respect du shabbat… et les dispensait du service militaire : en 2010, sur 62 000 élèves des écoles talmudiques (yeshiva), 600 seulement ont effectué leur service militaire et à peine plus de 1 100 un service civil. Une nouvelle loi est votée en 2014 mais, bien que peu contraignante (puisque fixant des quotas annuels et des possibilités d’exemptions), elle est gelée dès l'année suivante par le gouvernement, soucieux de ne pas fâcher ses alliés religieux. En septembre 2017, la justice donne un an au gouvernement israélien pour mettre en place une législation assurant l’égalité de tous les jeunes Israéliens face au service militaire. Un nouveau texte est soumis à la Knesset en juillet 2018 mais, bien qu'édulcoré (le refus de servir y erest simplement puni d’amende), il ne peut être voté et entraîne la chute de deux gouvernements consécutifs. La Cour suprême intervient de nouveau en juin 2024 et ordonne que les étudiants ultraorthodoxes ne soient plus exemptés et fassent le service militaire.
En mars 2021, la Cour suprême avait tranché une autre question, pendante depuis une quinzaine d’années : au grand dam des ultraorthodoxes, elle reconnaissait la judéité des personnes s’étant converties, en Israël, en dehors du monopole détenu par le grand rabbinat sur les affaires de vie civile. Jusqu’alors, cette reconnaissance ne valait que pour les juifs réformés et conservateurs convertis à l’étranger.

La question de l’eau

Depuis 1967, les Palestiniens n’ont plus accès aux eaux du Jourdain et leur principale nappe phréatique est exploitée par Israël (qui ne leur en ristourne que 15 %). Pour creuser un puits, ils doivent demander l’autorisation de l’Etat hébreu, lequel conditionne l’octroi de permis (par exemple de construction d’usines de retraitement) à l’approbation palestinienne sur ses projets dans les colonies. Résultat, en 2010, un Palestinien de Cisjordanie consommait 22 m3 contre 120 à un Israélien. Cette situation s’aggrave du fait de la croissance démographique palestinienne, mais aussi d’une gestion mal maîtrisée de leurs maigres ressources. En mai 2011, l’association pacifiste Betselem constatait que les 9 400 colons juifs de la vallée du Jourdain (qui occupent près de 77 % des terres) pompent à eux seuls le tiers de l’eau disponible pour toute la Cisjordanie.

En décembre 2013, Israël, la Jordanie et l’AP ont signé un accord d’exploitation des eaux de la Mer rouge : un pipeline (et non plus un canal, trop coûteux) sera construit pour acheminer de l’eau jusqu’en Mer morte, afin d’en enrayer l’assèchement, et une station de désalinisation sera construite pour alimenter la Jordanie, Eilat, le Neguev et la Cisjordanie palestinienne.

        Avec l’Iran, des guerres à distance

L’arrivée des ayatollahs chiites au pouvoir à Téhéran, en 1979, donne rapidement un caractère conflictuel aux relations israélo-iraniennes. Se faisant le héraut de la lutte de libération des Palestiniens, le pouvoir iranien soutient le Hamas et d’autres factions dans les territoires occupés, ainsi que tous les mouvements susceptibles d’affaiblir le « petit Satan » de Tel-Aviv, principal allié régional du « grand Satan » américain. Téhéran porte à bout de bras la montée en puissance du Hezbollah au Liban, ainsi que le régime alaouite de Damas dans son combat pour récupérer la partie du Golan annexée par Israël.
Inversement, les Israéliens cherchent à affaiblir, par tous les moyens, le développement du programme nucléaire iranien, a fortiori après que le Président Ahmadinejad a appelé, en 2008, à « rayer » Israël de la carte. De fait, les travaux de Téhéran sur l’enrichissement de l’uranium sont freinés par des virus informatiques (1), des « sabotages », voire des assassinats de scientifiques impliqués. Le site de Natanz est ainsi victime d’une explosion en juillet 2020, puis d’une panne de courant en avril 2021. En décembre 2020, un physicien considéré comme le « père » du programme nucléaire national est victime d’un attentat.
L’affrontement à distance entre les deux pays s’exerce aussi dans le domaine maritime. Face à l’intensification des relations commerciales entre Israël et certaines pétromonarchies du Golfe, les services de Téhéran endommagent légèrement, en février 2021, un navire effectuant une livraison entre le port israélien d’Eilat et l’Arabie saoudite. La réplique israélienne touche des bateaux iraniens les mois suivants, notamment un supposé navire espion en Mer Rouge, en avril 2021, alors que la communauté internationale essaie de relancer les négociations internationales sur le programme nucléaire iranien.

(1) Les virus Stuxnet en 2010, puis Flame, vingt fois plus puissant, en 2012.