Religions

Judaïsmes et sionisme

Les juifs se divisent en plusieurs tendances, qui ne sont pas toutes sionistes (nationalistes israéliens).

Le texte écrit fondamental de la tradition juive est la Bible hébraïque[1], TaNaKh en hébreu, un acronyme formé à partir des titres de ses trois parties constitutives (représentant vingt-quatre livres) : la Torah (la Loi), les Nevi’im (les Prophètes) et les Ketouvim (les Écrits). Selon la tradition, les cinq premiers livres constituant la Torah retranscrivent les lois dictées par Dieu à Moïse[2]. Dans l’impossibilité de toucher quoique ce soit à ces textes, les sages et érudits juifs n’ont que le droit de les commenter et les interpréter. D’abord transmis oralement d’une génération à l’autre, ces commentaires – de plus en plus nombreux et riches – ont fini par faire l’objet d’une transcription écrite à partir de la fin du IIe siècle. Appelée la Mishna (« apprendre par répétition »), elle porte sur l’application de la Torah à tous les domaines de la vie : lois agricoles, fêtes, famille, droit civil et pénal, choses saintes, lois de pureté et d’impureté. Entre les IVe et VIe siècles, la Mishna a, à son tour, fait l’objet de commentaires – qualifiés de Gemara – sous deux formes principales : le Talmud de Jérusalem (vers 400) et le Talmud de Babylone (au VIe, plus long et plus approfondi).

Lorsque Jésus de Nazareth commence ses prédications, au 1er siècle EC, il est d’abord perçu comme un prophète incarnant un nouveau courant, dit « nazaréen », du judaïsme, aux côtés de ceux existant déjà : les sadducéens, élite sociale réunissant les prêtres du Temple de Jérusalem, qui rejette notamment la résurrection des morts et collabore avec l’occupant romain (auquel elle livrera Jésus) ; les esséniens, qui vivent dans une forme d’isolement monastique ; les zélotes, partisans de la libération de la terre d’Israël par la lutte armée ; les pharisiens, qui s’appuient sur les rabbins dans les synagogues et qui considèrent que l’essentiel de la vie religieuse tient dans la méditation et l’observance scrupuleuse de la Loi ; ils s’opposent en cela à Jésus, qui juge qu’on peut parfois s’écarter de ces principes et qui n’hésite pas à se rapprocher des « gentils », les non juifs.

Après la disparition des sadducéens (à la suite de la destruction du Temple en 70) et des zélotes (dont la révolte de 66-73 se conclut par une lourde défaite), les pharisiens deviennent le courant prépondérant en Judée. Considérant les nazaréens comme des déviants, ils les excluent des synagogues. En 135, la répression d’une nouvelle insurrection juive, celle de Bar-Kokhba, conduit les Romains à expulser, vers l’actuelle Transjordanie, les Juifs et les « judéo-chrétiens » (vouant une fidélité à Jésus en tant que prophète). De nombreux Juifs prennent la voie de l’exode, dans tout le Moyen-Orient et jusqu’en Méditerranée occidentale. C’est également à cette époque que Rome remplace Jérusalem comme centre de gravité du christianisme, que les disciples de Jésus ont propagé au-delà de la « Terre promise ».

Une fois exclues quelques dissidences (comme celles des samaritains[3] et des karaïtes[4]), la religion juive n’est alors plus connue que sous le nom de judaïsme. Émanation du pharisianisme, ce judaïsme rabbinique (ou talmudique) a été structuré par les rabbins et talmudistes entre le IIe et le VIIe siècle et constitue la norme, en matière de respect des lois écrites et orales, en particulier de la Halakha : ce corpus de règles a été établi par la tradition orale juive, depuis l’époque du Talmud jusqu’à aujourd’hui. Sa langue liturgique est l’hébreu. A partir de la fin du XVIIIe, le judaïsme rabbinique prend le nom de judaïsme orthodoxe (ou normatif), lorsque de nouveaux mouvements apparaissent, principalement chez les Juifs d’Europe centrale et orientale (ashkénazes) qui se trouvent confrontés à un choix délicat : le maintien d’une vie communautaire autarcique ou une intégration dans les sociétés modernes.

Le premier mouvement collectif et populaire « dissident » par rapport au judaïsme rabbinique est le judaïsme hassidique[5], apparu au sein des communautés juives de la République des Deux-Nations (Pologne et grande Lituanie) au XVIIIe siècle. L’objectif est alors de rénover le judaïsme – considéré comme trop austère – avec des choses telles que la spontanéité religieuse, la joie et l’émotion, en dépassant la seule étude des textes. Axé sur la relation directe entretenue par l’individu avec Dieu, l’hassidisme s’oppose à la tradition érudite et figée du judaïsme rabbinique (ou talmudique). S’il n’en diffère guère en matière de doctrine, l’hassidisme en est en revanche fort différent en termes de pratiques : dévotion extrême, usage de la langue yiddish (ou judéo-allemand, mélange de haut-allemand et de mots hébreux et slaves), mode de vie autocentré… Piétistes et mystiques continuant de vivre en autarcie, les hassidim se démarquent ainsi des mitnagdi(m) ou litai(m), noms donnés aux partisans du judaïsme orthodoxe officiel[6]. Les seconds reprochent notamment aux premiers d’accorder trop de place au mysticisme, en particulier à la Kabbale : développée au Moyen-Age, cette interprétation ésotérique de la Bible est présentée comme étant la « Loi orale et secrète » donnée par Dieu à Moïse, en même temps que la « Loi écrite et publique » (la Torah).

Dans la première moitié du XIXe, un autre courant apparaît en Allemagne : le judaïsme réformé. D’essence moderniste, il souhaite concilier le maintien de l’identité juive avec l’émancipation des communautés au sein des sociétés européennes modernes. Ce judaïsme réformé prend alors deux formes, rejetées par les orthodoxes : le socialisme du Bund (Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie créée en 1897) et le sionisme, mouvement nationaliste visant à la formation d’un foyer national juif en Terre d’Israël, en référence à la colline de Sion, sur laquelle le roi David érigea sa citadelle de Jérusalem (cf. Le Proche-Orient jusqu’aux indépendances). Cette démarche est vertement critiquée par la majorité des religieux orthodoxes, pour lesquels seul Dieu peut recréer l’État d’Israël en y faisant revenir le Messie. Le judaïsme réformé entraîne de nombreux changements dans les pratiques cultuelles (telles que l’usage des langues vernaculaires), mais aussi dans l’organisation des communautés de pratiquants (autonomie des rabbins par rapport à une hiérarchie nationale, présence de femmes dans le rabbinat). Il a engendré le judaïsme libéral et le judaïsme progressiste, courants très ouverts aux changements idéologiques et sociétaux.

A partir du milieu du XIXe siècle, les hassidim et les mitnagddim ont été qualifiés de juifs ultra-orthodoxes ou haredim (« craignant Dieu »), du fait de l’apparition, en Allemagne, d’un judaïsme néo-orthodoxe (ou orthodoxe moderne). Entendant lutter contre les « égarements » du judaïsme réformé, il mêle une observance rigoureuse des lois et des traditions du judaïsme avec les exigences de la société contemporaine : promotion de la culture locale et du patriotisme, adoption des vêtements occidentaux, amélioration de la condition féminine.

C’est également en Allemagne que s’est formé, toujours au XIXe siècle, le judaïsme conservateur (également appelé traditionaliste ou massorti), qui occupe une position intermédiaire entre le judaïsme réformé, jugé trop radical, et le judaïsme orthodoxe, considéré comme obsolète. A ses yeux, la loi doit être absolument observée et les préceptes de la Halakha conservés, mais leur interprétation doit être assez souple pour permettre aux Juifs de vivre avec leur temps et la société globale.

Enfin, le judaïsme laïc et/ou humaniste, apparu en Europe à la fin du XIXe siècle, plaide pour une forme de solidarité juive non religieuse. Il conçoit le judaïsme davantage comme une civilisation (historique et culturelle) que comme une religion.


Sans contact avec une vie juive organisée, les juifs laïcs représentent environ la moitié de la judaïcité mondiale, laquelle compte un peu plus de 14,5 millions de personnes à travers le monde : 45 % en Israël, 42 % aux États-Unis et 10 % en Europe. L’autre moitié de ce total est constituée de juifs pratiquants, organisés en trois grandes familles :

  1. Le judaïsme réformé et libéral (environ un tiers) ; peu sioniste, il est majoritaire aux États-Unis et au Royaume-Uni.
  2. Le judaïsme traditionaliste / massorti
  3. Le « judaïsme orthodoxe » qui regroupe lui-même plusieurs tendances, selon l’importance qu’elles accordent à l’étude, à la vie communautaire ou à l’importance de la terre d’Israël :
  • Les ultra-orthodoxes (hassidim ou mitnagdim) qui, se considérant comme les dépositaires de la Tradition juive, estiment que leurs conceptions religieuses et leur mode de vie sont les seuls qui soient authentiques et que les décisions prises par les autres courants ne sont pas valables, en particulier les conversions au judaïsme réalisées par leurs rabbins. Les ultra-orthodoxes sont majoritairement hostiles au sionisme. Le groupe hassidique le plus connu est celui des loubavitch (ou Habad), nombreux dans des métropoles telles que New York, Londres, Anvers, Paris, ainsi qu’en Israël.
  • Les néo-orthodoxes ou orthodoxe modernes, prédominants dans toute l’Europe et dans les communautés séfarades (originaires d’Afrique du Nord)
  • Les sionistes religieux, qui prônent l’application d’un mode de vie orthodoxe dans l’État juif fondé sur la Terre d’Israël. Ceci les distingue du sionisme séculier, lequel considère le pays comme essentiellement laïc, mais aussi des ultra-orthodoxes, qui refusent toute intégration aux sociétés laïques, y compris à la société juive en Israël. Rétifs à toute sorte de modernisme, les hassidim évitent les contacts avec la société et les études profanes, adoptent un mode vestimentaire distinctif et maintiennent la femme dans un rôle de soumission à l’homme et de reproduction (cf. Encadré dans l’article sur Israël).

[1] La Bible chrétienne se compose de deux parties : l’Ancien Testament, qui reprend le Tanakh tel quel ou augmenté, et le Nouveau Testament, regroupant les écrits relatifs à Jésus-Christ et à ses disciples.

[2] Ces livres portent le nom hébreu de Bereshit (« Au commencement »), Shemot (« Noms »), Vayiqra (« Il appela »), Bemidbar (« Dans le désert ») et Devarim (« Paroles ») ; leur appellation française, dérivée du grec, est la suivante : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome. Les premiers fragments de la Torah ont été découverts au IIIe siècle AEC à Qumrân, sur les rives de la mer Morte.

[3] Séparés du judaïsme entre le VIe et le IVe siècle AEC, les Samaritains refusent les livres de la Bible hébraïque postérieurs au Pentateuque (les cinq livres de la Torah), ainsi que la tradition orale (Talmud).

[4] Né au VIIIe siècle à Babylone, le karaïsme ne reconnaît que la Bible hébraïque et refuse la Loi orale.

[5] De « hassid », qui signifie pieux.

[6] Le mot hébreu mitnagdim signifie « opposants », sous-entendu aux hassidim ; tandis que le terme litaim, dérive de « lituaniens », en mémoire du rabbin Gaon de Vilna (Lituanie).

Crédit photo : Jayden Becker

Pour en savoir plus :

https://books.openedition.org/pupvd/1396?lang=fr#ftn5 / https://www.rcf.fr/articles/vie-spirituelle/juifs-hebreux-peuple-disrael-de-quoi-de-qui-parleton?fbclid=IwAR0stmdX-_oPGYa_vGO7z-q7SiPYLAPnEIkfUbvP97J_woXPFThYeMI7QLM / https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2024/01/07/jean-miguel-garrigues-theologien-dans-l-eglise-primitive-est-nee-une-doctrine-qui-a-genere-des-siecles-de-souffrances-pour-les-juifs-dans-le-monde-chretien_6209496_6038514.html

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