Caucase, EUROPE

Arménie

Le pays a retrouvé une indépendance des plus fragiles, entre ses rivalités avec la Turquie et l’Azerbaïdjan et sa soumission à la Russie.

29 743 km2

République parlementaire

Capitale : Erevan

Monnaie : le dram

3 millions d’Arméniens (sur 11 millions dans le monde)[1]

[1] La diaspora compte plus de 2 millions de personnes en Russie, plus de 900 000 au Moyen-Orient (plus de 200 000 au Liban), 700 000 dans l’Union européenne (essentiellement en France), plus de 500 000 en Amérique du Nord, plus de 200 000 en Géorgie… Les Arméniens étaient également 140 000 dans l’enclave du Haut-Karabakh avant la guerre de 2021.

Dépourvue de toute façade maritime, l’Arménie est un pays montagneux du sud-Caucase, caractérisé par un volcanisme ancien et une forte instabilité tectonique : 90 % de son territoire se situent à plus de 1 000 mètres. L’enclavement du pays est d’autant plus grand qu’il entretient des relations difficiles avec la quasi-totalité de ses voisins : la Turquie (près de 270 km de frontière à l’ouest), l’Azerbaïdjan (près de 570 km à l’est auxquels s’ajoutent 220 km de frontière avec l’exclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan au sud-ouest), voire la Géorgie (plus de 160 km au nord, sachant qu’une partie de la population géorgienne de l’autre côté de la frontière est arménienne) et l’Iran au sud (35 km). Le climat y est continental, voire montagnard.

Crédit : Gabriel Richard

Près de 98 % de la population est d’ethnie arménienne. Le reste est kurde (plus de 1 %), russe…

Près de 95 % des habitants sont membres de l’Église apostolique arménienne (Église orthodoxe autocéphale). Les autres pratiquent d’autres cultes chrétiens ou, comme les Kurdes, sont adeptes du yézidisme.

SOMMAIRE

Erevan, au pied du Mont Ararat. Crédit : levon vardanyan / Unsplash

Une indépendance chaotique

L’Arménie retrouve l’indépendance dans un contexte extrêmement dégradé : sans accès à la mer, elle subit le blocus énergétique que lui impose l’Azerbaïdjan, du fait de l’indépendance autoproclamée par l’enclave du Haut-Karabakh, majoritairement peuplée d’Arméniens mais située sur le sol azerbaïdjanais (cf. article dédié). L’Arménie pâtit également de la guerre civile qui sévit en Géorgie, de l’impraticabilité des passages vers l’Iran durant l’hiver et du bon vouloir de la Turquie qui, au nom de la solidarité avec les « frères » azéris ne tient toujours pas ses promesses d’alimenter les Arméniens en électricité. Tout manque. Les arbres sont coupés pour se chauffer, les chiens affamés errent dans les rues, les boulangeries sont privées de farine et combustible. Le pays ne survit que grâce à l’aide humanitaire, à la privatisation de l’agriculture et à l’argent de la diaspora, dont les versements sont supérieurs au budget de l’Etat : sur les 3,5 millions d’habitants présents à l’indépendance, environ un quart vont quitter le pays pour trouver du travail, notamment en Russie.

Par ricochet, la situation politique est extrêmement volatile. En février 1993, cent mille personnes défilent dans les rues pour protester contre la politique d’austérité instaurée par le Président Levon Ter-Petrossian. La pression du régime s’exerce notamment sur le plus vieux parti arménien, le Dachnaktsounioun, très populaire dans la diaspora. Opposé à la politique économique du pouvoir, il l’est aussi aux tentatives de rapprochement opérées avec la Turquie, de crainte qu’elles ne portent atteinte à la jeune indépendance du Haut-Karabakh : en 1992, ses partisans dans l’enclave se sont emparés de la ville de Chouchi, alors que Petrossian venait de signer un accord de cessez-le-feu avec son homologue azerbaïdjanais. Comme d’autres formations d’opposition, le Dachnak est interdit de participation aux législatives de juillet 1995 qui voient le succès du parti présidentiel, le Mouvement national arménien (MNA), devant les communistes et l’Union nationale démocratique de l’ancien Premier ministre Vazguen Manoukian. Un peu plus d’un an plus tard, Ter-Petrossian est réélu dans la confusion, avec 52 % des voix : si les observateurs de l’OSCE[1] reconnaissent des irrégularités dans le scrutin, ils estiment toutefois qu’elles sont insuffisantes pour remettre en cause les résultats. Les opposants ne l’entendent pas ainsi et manifestent violemment à Erevan, où Manoukian serait arrivé en tête. Les rassemblements sont dispersés par l’armée, les sièges des partis d’opposition mis sous scellés et des dizaines de leurs partisans arrêtés, y compris des députés privés de leur immunité parlementaire. En mars 1997, l’Arménie renforce sa connexion avec le Haut-Karabakh en choisissant comme Premier ministre Robert Kotcharian, élu l’année précédente Président de l’enclave. Les liens avec le parrain russe sont par ailleurs renforcés : l’accord « d’amitié, de coopération et d’entraide » signé en août prévoit notamment une aide mutuelle en cas d’agression extérieure.

[1] Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.


L’ombre portée de la Russie

Malgré ces tentatives de renforcer son pouvoir, Ter-Petrossian est contraint à la démission, en février 1998, accusé de « défaitisme » pour avoir approuvé le règlement par étapes du conflit du Karabakh proposé par l’OSCE. Lâché par ses ministres de l’intérieur et de la défense, qui avaient réprimé les manifestations de 1996, il doit abandonner ses pouvoirs à Kotcharian, jusqu’à l’organisation de nouvelles élections, auxquelles le Dachnak est autorisé à participer. Plusieurs observateurs voient dans cette déposition la main de certains milieux russes, soucieux de se débarrasser – comme en Géorgie – d’un pouvoir trop conciliant avec les Occidentaux, notamment pour acheminer le pétrole de la Caspienne par la voie transcaucasienne, au lieu de lui faire traverser la Russie. Sans surprise, Kotcharian, soutenu par le Dachnak, est élu à la Présidence de la République au printemps 1998, à l’issue de deux tours de scrutin durant lesquels l’OSCE a relevé de « larges irrégularités ». Les législatives qui suivent voient le succès d’une alliance, clairement pro-russe, passée entre le ministre de la Défense Vazgen Sarkissian et l’ancien chef du PC arménien, que Gorbatchev avait démis lors du déclenchement des évènements du Karabakh.

Devenus respectivement Premier ministre et Président du Parlement, les deux alliés sont assassinés en octobre 1999, en pleine session parlementaire, par un commando de cinq hommes aux motivations extrêmement vagues. Quelques mois plus tôt, trois personnalités majeures avaient déjà été éliminées, sans que leurs meurtres ne soient élucidés : le procureur général, le vice-ministre de la défense et celui de l’intérieur. Plusieurs pistes, politico-mafieuses, sont évoquées pour expliquer l’assassinat des deux « hommes de Moscou » : la plupart mènent aux craintes des ultranationalistes arméniens de voir le Haut-Karabakh sacrifié sur l’autel d’un rapprochement économique entre l’Arménie et ses ennemis héréditaires turcs et azéris. Suspecté d’avoir « trempé » dans l’assassinat de son Premier ministre, sans qu’aucune preuve ne l’établisse, Kotcharian nomme le frère du défunt Premier ministre, avant de s’en défaire en mai 2000, non sans avoir renforcé son contrôle sur l’armée en y favorisant la promotion de membres influents de l’association des vétérans de la guerre du Haut-Karabakh.

Victime du blocus imposé par Bakou et Ankara, et gangrenée par une corruption qui décourage les investisseurs, l’Arménie opère un rapprochement spectaculaire avec Moscou, au point de devenir son meilleur allié dans la région : ayant adhéré à l’Organisation du traité de sécurité collective parrainée par la Russie, elle lui vend plusieurs entreprises nationales, à l’automne 2002, pour éponger sa dette colossale vis-à-vis du « grand frère » russe. En mars suivant, Kotcharian est réélu avec plus de 67 % des voix, là encore à l’issue de deux tours que l’OSCE considère comme « loin des exigences internationales » sur le plan de la régularité, bien qu’en progrès par rapport aux précédents scrutins. Près de cinq ans plus tard, c’est son dauphin qui est élu : Serge Sarkissian, ancien ministre de la Sécurité sans lien avec son homonyme assassiné, est élu avec 53 % des voix contre 21 % à Ter-Petrossian qui dénonce la manipulation de l’élection. Les affrontements entre ses partisans, ceux de la majorité et la police ayant fait une demi-douzaine de morts par balles, l’état d’urgence est instauré.

En août 2010, l’Arménie – encore plus affaiblie par la guerre russo-géorgienne qui perturbe l’acheminement de livraisons via la Géorgie – renforce sa dépendance vis-à-vis de Moscou : l’accord signé avec la Russie lui donne le rôle d’assurer sa sécurité militaire et prolonge jusqu’en 2044 – au lieu de 2020 – la présence de la base militaire russe de Gumri, à proximité de la frontière avec la Turquie, que surveillent d’ailleurs des garde-frontières russes. Cet accord n’empêche pas Moscou de livrer des missiles anti-aériens à l’Azerbaïdjan, missiles officiellement destinés à assurer sa défense en cas de conflit armé en Iran.

Toujours entachées d’irrégularités, les législatives de mai 2012 voient le large succès du Parti républicain présidentiel, devant son allié gouvernemental, l’Arménie prospère, dirigée par un millionnaire et ancien champion de bras de fer. Le Congrès national arménien (CNA) de Ter-Petrossian, dépasse de justesse les 7 % nécessaires pour entrer au Parlement. En février suivant, Sarkissian est réélu avec près de 59 % des voix, sans opposant véritable : ni le CNA, ni le Dachnak n’ont présenté de candidats, échaudés par les violences de 2008. En septembre 2013, Erevan poursuit son rapprochement avec Moscou, en annonçant son adhésion à l’Union économique eurasienne parrainée par la Russie. Les relations restent en revanche tendues avec la Turquie, dont la frontière est fermée depuis 1993. En 2015, l’Arménie met fin au dégel amorcé en 2009 à Zürich : Erevan continue à réclamer la reconnaissance par les Turcs du génocide arménien (cf. article dédié), quand Ankara lie toute normalisation de ses relations avec Erevan à un règlement de la question du Haut-Karabakh.

Paysage de Siounie, entre Azerbaïdjan et Nakhichevan. Crédit : ani-adigyozalyan / Unsplash

La question sans fin du Karabakh

En avril 2018, Sarkissian met en œuvre un artifice déjà utilisé par son mentor russe Poutine : ne pouvant se présenter à un troisième mandat présidentiel, il se fait élire Premier ministre par le Parlement, poste qui détient l’essentiel du pouvoir depuis une opportune révision constitutionnelle. Mais la ficelle est trop grosse et, sous la pression des manifestants, rejoints par des dizaines de militaires en tenue, Sarkissian renonce à son poste. La contestation ne faiblit pas pour autant, l’opposition réclamant la tenue d’élections législatives anticipées. Cette nouvelle crise marque la fin de la génération du « Comité Karabakh », qui avait été le fer de lance de l’indépendance arménienne de 1991 : la génération qui manifeste n’a jamais connu le communisme et veut rompre avec les pratiques claniques et népotiques du pouvoir, aux mains de quelques familles d’oligarques. Elle est menée par un ancien journaliste, Nikol Pachinian, qui se fait élire Premier ministre en mai 2018, mais sans majorité solide : élu avec les voix du Dachnak et d’autres partis d’opposition, il a aussi bénéficié du ralliement opportuniste de quelques députés du Parti Républicain. Pour la première fois en vingt ans, le plus haut dirigeant de l’État n’est pas issu du Haut-Karabakh et entend se rapprocher de l’Europe occidentale pour se défaire en partie de l’emprise russe. Comme il l’avait promis, le nouvel élu s’engage dans la lutte contre la corruption, aussi bien dans l’entourage proche de son prédécesseur que parmi des vétérans de la guerre séparatiste[1]. En décembre, c’est l’ancien Pdt Kotcharian qui est arrêté pour son rôle dans la répression des manifestations de 2008. Le même mois, des législatives anticipées consacrent le large succès de la liste « Mon pays » de Pachinian (plus de 70 % des suffrages), les Républicains de Sarkissian ne passant même la barre des 5% nécessaires à l’obtention d’élus. Mais moins d’un électeur sur deux a participé au scrutin, même si le taux de participation atteint 60 % dans la capitale.

L’état de grâce est de courte durée car, dès l’automne 2020, le pays voit resurgir le spectre du Karabakh. En novembre, des locaux du gouvernement sont saccagés à Erevan, après la signature d’un cessez-le-feu qui prévoit la restitution à l’Azerbaïdjan de territoires conquis par les forces arméniennes entre 1988 et 1994. Pour justifier la défaite face aux forces azerbaïdjanaises, Pachinian incrimine l’incurie des chefs militaires nommés par ses prédécesseurs, ainsi que la piètre qualité du matériel qu’ils avaient acheté. Le chef d’Etat-major de l’armée et son adjoint répliquent en mettant en cause la responsabilité politique du Premier ministre, qui les démet en février 2021. Dans ce contexte de crise, le gouvernement en est réduit à accepter une mainmise croissante de la Russie, bien que celle-ci soit restée muette lors de la guerre du Haut-Karabakh, au motif que l’enclave ne fait partie du territoire arménien proprement dit et n’est donc pas concernée par les accords de défense signés par le passé ; en échange de l’extension de sa base de Gumri, Moscou s’engage à fournir aux forces arméniennes une formation accrue en renseignement, en guerre électronique ou encore à l’usage d’avions sans pilote.

Sur le plan politique, Pachinian retourne chercher le soutien des électeurs en convoquant de nouvelles élections anticipées en juin : son parti, rebaptisé Contrat civil, les remporte largement, avec près de 54 %, loin devant les listes de Kotcharian, de Ter-Petrossian et de Sarkissian. Mais, une nouvelle fois, la participation nationale n’a pas dépassé 49 %. En décembre, Erevan et Ankara nomment chacun un émissaire pour normaliser leurs relations, tandis qu’un accord est trouvé avec Bakou pour que l’Azerbaïdjan puisse être reliée à son enclave du Nakhitchevan, en passant par le territoire arménien. En février 2022, la ligne aérienne entre Erevan et Istanbul est rouverte, après un peu plus de deux ans de fermeture. Quelques jours plus tôt, Sarkissian avait démissionné de son poste, essentiellement honorifique, de Président de la République, au motif que ses avis n’étaient jamais pris en compte par le gouvernement.

En septembre, Bakou invoque des provocations arméniennes à la frontière pour bombarder des villes situées en Arménie même et y occuper environ 150 km². Les combats, qui font plus de deux-cents morts dans les deux camps, interviennent sans que l’OTSC, l’alliance défensive à laquelle appartient Erevan ne s’interpose (alors qu’elle était intervenue dans un conflit interne au Kazakhstan) : la Russie est alors trop embourbée dans le conflit ukrainien pour risquer d’ouvrir un nouveau front. Du coup, c’est l’Union européenne qui est choisie pour effectuer une mission de délimitation des frontières entre les deux belligérants. En septembre 2023, Erevan opère un rapprochement remarqué avec les États-Unis, afin de montrer à Moscou son mécontentement vis-à-vis de l’incapacité des soldats russes à mettre fin au blocus du corridor de Latchine imposé par Bakou (cf. Haut-Karabakh) : des manœuvres arméno-américaines, modestes mais symboliques, se déroulent ainsi à proximité de la capitale arménienne.

L’armée azerbaïdjanaise ayant lancé une nouvelle offensive d’ampleur contre le Karabakh, Erevan n’intervient pas et prend note de la capitulation des autorités séparatistes en septembre. Elle doit accueillir des dizaines de milliers de réfugiés de l’enclave, fuyant d’éventuelles représailles azéries. En décembre, Erevan et Bakou promettent conjointement « des mesures concrètes » pour normaliser leurs relations et réaffirment leur intention de « signer un accord de paix ». Mais les tensions et les différends territoriaux entre les deux pays restent nombreux (cf. Haut-Karabakh). Ils concernent, au premier chef, la concession par Erevan d’une voie de passage dans le Zanguezour, au sud de l’Arménie, pour relier l’Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan . En avril 2024, par crainte d’une nouvelle offensive ennemie après le retrait anticipé de la force d’interposition déployée par la Russie au Haut-Karabakh, Erevan accepte de céder à l’Azerbaïdjan quatre villages que ses forces occupaient depuis une trentaine d’années, au nord-est de leur territoire : bien que désertés par leurs habitants, ils revêtent un caractère stratégique car situés le long de l’autoroute reliant l’Arménie à la Géorgie, mais Bakou avait fait de cette rétrocession le préalable à toute signature d’un accord de paix.

[1] Des poursuites sont engagées contre un général à la retraite qui détournait les rations alimentaires destinées aux soldats du front… pour nourrir les animaux de son zoo privé !

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