AFRIQUE, Sahel

Le Sahel

D’une surface d’environ trois millions de km², le Sahel (« rivage » ou « bordure » en arabe) s’étend sur 5 500 kilomètres de long, depuis l’embouchure du fleuve Sénégal à l’ouest jusqu’au Darfour soudanais à l’est.

D’altitude faible – entre 100 et 400 mètres – le Sahel constitue un espace de transition d’environ 300 à 400 kilomètres de large entre le désert saharien au nord et la zone dite soudanienne[1] au sud. Il comprend tout ou partie de sept pays : la Mauritanie, le Sénégal, le Mali, le nord du Burkina-Faso, le Niger, le nord du Nigeria et le Tchad.

D’ouest en est, la population sahélienne – majoritairement musulmane – présente une grande diversité, mêlant peuples nomades pratiquant la transhumance et tribus sédentaires se livrant à l’agriculture : Maures du désert mauritanien, nomades touareg et pasteurs peul au Mali, au Niger et au Nigeria, wolof au Sénégal, paysans bambara et mandingue et commerçants dioula au Mali, agriculteurs et pasteurs songhaï dans la vallée du Niger, paysans mossi au nord du Burkina Faso, nomades toubou et tribus noires et arabisées au Tchad… Sous l’effet de la raréfaction des points d’eau – du fait de la sécheresse – et des déboisements intempestifs pour la production de bois de chauffe, les éleveurs transhumants sont conduits à migrer de plus en plus vers les zones méridionales plus humides, voisines des grands fleuves (Sénégal, Niger…), où ils entrent en concurrence, parfois violente, avec les agriculteurs sédentaires. Ces rivalités sont exploitées par les groupes djihadistes qui se répandent dans la région à partir des années 2010 (cf. Encadré).

Après avoir été le siège d’empires et de royaumes ayant prospéré sur les échanges entre l’Afrique du Nord et le littoral ouest-africain (Songhaï, Kanem-Bornou, Mossi, Bambara…) , le Sahel est aujourd’hui une des régions les plus pauvres et les plus fragiles au monde, en dépit de la richesse d’un sous-sol (pétrole, uranium, phosphates, étain..) qui attire les grands groupes internationaux et accroît la corruption des élites locales. La longueur traditionnelle de la saison sèche – entre huit et neuf mois – est accentuée par le dérèglement climatique mondial : en témoigne l’assèchement du lac Tchad, dont la superficie a diminué de 90 % depuis les années 1970 quand, dans le même temps, sa population riveraine triplait. Seule la partie méridionale du Sahel, parcourue par quelques grands cours d’eau, présente des zones humides. La plus grande de toutes ces zones en Afrique de l’ouest est le delta intérieur que forme le fleuve Niger dans sa partie intermédiaire. A cet endroit, il se subdivise en nombreux bras, avant de reprendre un cours normal. Située entre les villes de Djenné et de Tombouctou, cette région de 64 000 km² est communément appelée le Macina.

A la fin du XXIe siècle, l’exode de ses populations (des dizaines de millions de personnes) pourrait être aggravé par le réchauffement climatique : la fonte des glaces du Groenland accroitrait la part d’eau douce dans l’Atlantique, affaiblissant suffisamment la circulation océanique pour que la mousson ouest-africaine s’interrompe ! Car, en parallèle d’une sécheresse de plus en plus marquée, la population régionale ne cesse de s’accroître, sous les effets conjugués d’une mortalité en baisse et de taux de fécondité encore très élevés (près de 7 enfants par femme au Niger, record mondial). Selon les démographes de l’ONU, la population totale des six états du Sahel est passée d’environ 21 millions d’habitants en 1960 à plus de 100 millions en 2020. Elle dépasse même 180 millions, s’y on y ajoute les États septentrionaux du Nigeria, et pourrait atteindre entre 370 millions et 415 millions d’habitants en 2045, avec des conséquences majeures en termes de flux migratoires.

L’immensité du Sahel, ajoutée à la faiblesse administrative et sécuritaire des régimes locaux, en ont fait une « zone grise » pour toutes sortes de trafics : immigrés des pays subsahariens essayant de gagner l’Europe via la Libye et le Maroc, voitures, armes, cigarettes[1] et drogue venue d’Amérique latine via le Golfe de Guinée. En novembre 2009, un Boeing a été retrouvé calciné au nord de Gao au Mali : surnommé « Air cocaïne », il aurait transporté de la cocaïne et ses occupants l’auraient détruit après s’être posé dans cette zone échappant à tout contrôle radar. La collusion entre trafiquants et rebelles (islamistes et touaregs) a fait naître la notion de « gangsterrorisme ». Pour combattre ces différents périls, cinq pays fondent en 2014 le G5 Sahel, une alliance militaire qui se montre incapable d’enrayer la montée en puissance des groupes islamistes (cf. Infra), en dépit du soutien apporté par la France et d’autres pays occidentaux.

En décembre 2023, la Mauritanie et le Tchad entérinent sa dissolution, après le retrait des trois autres fondateurs (Mali, Burkina et Niger) : passés aux mains de juntes militaires, ces pays ont coupé leurs liens avec Paris, se sont rapprochés de la Russie et de l’Iran et ont fondé une Alliance des États du Sahel (AES).

Plus au nord, al-Joufra et le sud de la Libye sont pris pour cible à plusieurs reprises par les Américains, qui suspectent Moscou d’utiliser cette zone comme base logistique de son dispositif au Sahel : en décembre 2023, des drones y détruisent un avion russe contenant des dispositifs de brouillage électronique.

En janvier 2024, le Mali, le Burkina et le Niger annoncent leur retrait immédiat de la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), dont ils étaient suspendus depuis que les militaires s’y étaient emparés du pouvoir. Un mois plus tôt, le Maroc avait proposé aux trois pays une alliance économique et géopolitique, profitant de la dégradation des relations des juntes malienne et nigérienne avec l’Algérie, accusée de s’ingérer dans leurs affaires intérieures. En mars, les trois membres de l’AES annoncent la création d’une force conjointe de lutte contre les djihadistes. Quelques jours plus tard, le Niger, qui vient de signer un protocole de Défense avec la Russie, dénonce l’accord de coopération militaire le liant aux États-Unis depuis 2012. En avril, les Américains doivent accepter de retirer leur dispositif du pays, soit environ un millier de soldats et l’importante base de drones d’Agadez. Celle-ci leur permettait de surveiller tout le Sahel, ainsi que la Libye, pays voisin de l’Europe du sud où la Russie ne cesse d’accroître son influence. Dans le sillage des Russes, les Iraniens marquent un intérêt certain pour la contribution que les mines nigériennes d’uranium pourraient apporter à leur programme nucléaire.

En plus d’être devenue le sanctuaire de groupes djihadistes, la bande sahélienne a vu s’accroître son rôle de plaque tournante du trafic de drogue entre l’Amérique latine et l’Europe. La production et la consommation de cannabis, de cocaïne et d’opiacés ont explosé, comme en témoignent les saisies de cocaïne, multipliées par cent entre 2015-2020 et 2022. Les fabrications locales sont même devenues fréquentes, notamment celle de crack, tandis que la consommation de tramadol (un opiacé) ne faiblit pas en Afrique de l’ouest. Autant de trafics qui alimentent les caisses des groupes armés de toutes obédiences.

[1] Soudanien, qui désigne un milieu climatique et végétal de l’Afrique intertropicale, est distinct de Soudanais qui est relatif au seul Soudan.

[2] Belmokhtar, l’un des principaux chefs djihadistes (présumé tué fin 2016) était surnommé « Mr Marlboro », en raison de son implication dans le trafic de cigarettes.

       L'essor des mouvements djihadistes

La montée d’un islamisme radical, d’inspiration hanbalite et wahhabite, dans un Sahel islamisé par des confréries modérées (d’inspiration malékite, voire soufie) n’est pas une nouveauté : déjà, au XIe siècle, les Almoravides (Confédération des Sanhadja) s’en étaient pris aux pouvoirs berbères en place, accusés de pratiquer un islam hérétique… motif religieux qui se confondait, déjà, avec des ambitions politico-économiques, en l'occurrence contrôler les routes de l’or venant du Royaume du Ghâna (à cheval sur les actuels Mali et Mauritanie).
L'islamisme radical a fait son retour dans la région au cours des années 1990, à la suite de la guerre civile ayant opposé les militaires aux islamistes en Algérie. Les insurgés ayant refusé l'amnistie proposée par le régime algérien se sont ralliés au principal mouvement djihadiste transnational, Al-Qaida, et ont fondé, début 2007, Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Pour diverses raisons (tactiques, opportunistes, nationales, ethniques), cette mouvance a donné naissance à plusieurs groupes qui lui ont permis d’élargir ses effectifs bien au-delà de sa base arabe algérienne et de recruter au sein de diverses ethnies des pays sahéliens : Touareg et Maures, Peuls et autres populations noires telles que les Dogons, les Bambaras, les Djermas, les Gourmantché... Les services secrets d'Alger et de Rabat sont suspectés d’animer en sous-main certains de ces mouvements, afin de gêner leur voisin : l’Ansar Dine touareg serait une émanation des services algériens et le Mujao (Mouvement pour l’unité du Jihad dans l’ouest africain) de leurs rivaux marocains.
En mars 2017, la mouvance liée à Al-Qaida s’est regroupée dans le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM ou JNIM Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin). Dirigé par le Touareg Iyad Ag Ghali, il associe Aqmi et son mouvement Ansar Dine, ainsi que al-Mourabitoune (issu du Mujao), le Front de libération du Macina et les Burkinabés d’Ansaroul Islam. Chacun de ces groupes conserve son autonomie et ses zones d’influence, mais coordonne ses actions avec les autres.
Le GISM est en concurrence – souvent meurtrière – avec l’Etat islamique du Grand Sahara (EIGS) : celui-ci a été fondé par un ancien dirigeant malien du Mujao ayant quitté al-Mourabitoune pour faire allégeance à l’Etat islamique, le grand rival d'Al-Qaida. Ce mouvement est l’une des deux branches de l’État islamique dans la Province d’Afrique de l’Ouest (Iswap), la deuxième (Boko Haram) opérant aux abords du lac Tchad et au nord-est du Nigeria. 
Deux autres groupes, opérant également au Nigeria, complètent le paysage du djihadisme sahélien : l’aile de Boko Haram dirigée par Abubakar Shekau (appelée Groupe sunnite pour la prédication et le jihad) et Ansaru, dissidence historique de Boko Haram.

Crédit photo : E. Diop / Unsplash

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