AFRIQUE, Vallée du Nil & Corne de l'Afrique

Érythrée

L’un des pays les plus pauvres du monde est aux mains du même dictateur depuis l’indépendance.

117 600 km2

République totalitaire

Capitale : Asmara

Monnaie : le nakfa

6,3 Millions d’Érythréens[1]

[1] La diaspora compte entre 700 000 et 1 million de personnes.

Longeant la mer Rouge sur un peu plus de 1 150 km (auxquels s’ajoutent près de 1 100 km de côtes insulaires, dont celles de l’archipel des Dahlak), le pays partage 1 840 km de frontières avec trois voisins : le Soudan (plus de 680 km) à l’ouest, l’Éthiopie (plus de 1 000 km) et Djibouti (125 km) au sud.

L’Érythrée a des contentieux territoriaux avec l’Éthiopie, Djibouti et le Yémen (Encadré).

Prolongeant les plateaux éthiopiens, le relief de l’Érythrée est constitué de hauts plateaux culminant à plus de 3 000 mètres (la capitale étant elle-même à plus de 2 300 m) qui descendent vers la côte sous la forme de collines au nord-ouest, de plaines au sud-ouest et d’un désert sur le littoral. Jusqu’à la baie d’Assab, au sud-est, la chaîne des Danakil (2 500 m), domine la côte rocheuse et aride et l’isole du triangle Afar, en Éthiopie. Au nord, les massifs arides et impénétrables qui ont constitué le sanctuaire des maquis érythréens, se relèvent jusqu’aux confins soudanais. Le point le plus bas (-75 m) est situé dans la dépression Danakil. Désertique sur la côte et semi-désertique dans les plaines, le climat est plus frais et plus humide dans les hauts plateaux du centre.

Le nom du pays provient du grec ancien Eruthraía signifiant « rouge ».

Le pays reconnait neuf ethnies, dont les deux principales parlent des langues sémitiques (proches de l’ancien guèze d’Abyssinie) : les Tigréens de langue tigrinya (50 %), et les Tigré (30 %), de langue tigré[1]. Les 20 % restants se répartissent entre peuples de langues couchitiques, majoritairement éleveurs (Afar ou Danakil 4 % et leurs voisins Saho 4 %, nomades Beja et leur sous-groupe Hedareb 2 %, Bilen/Agaou 3 %), des nilo-sahariens (Kunama 4 %, Nara 2 %) et des nomades arabophones (Rashaida 1 %). Le tigrinya a le statut de langue de travail, aux côtés de l’arabe et de l’anglais.

Les musulmans sunnites (50 %) sont un peu plus nombreux que les chrétiens (à 40 % coptes, très majoritairement des Tigréens des villes, ceux des campagnes étant plutôt musulmans). Les Kunama sont animistes.

[1] Les Tigré de l’ouest de l’Érythrée sont sans rapport avec la province éthiopienne du Tigré, dont les habitants sont Tigréens, comme la majorité des Érythréens.

Marché aux animaux dans la région de Keren. Crédit : Pkral / Pixabay

Devenu chef de l’État, le leader des rebelles indépendantistes du FPLE (cf. Abyssinie) Issayas Afewerki instaure les préceptes maoïstes qui lui ont été inculqués lors de sa formation à l’Académie militaire de Nankin, en 1966-1967, en pleine révolution culturelle chinoise : parti unique (le FPDJ, Front populaire pour la démocratie et la justice), absence d’élections et mise sous le boisseau de la Constitution sur le plan politique, auto-développement sur le plan économique. Les frontières sont fermées et le pays vit replié sur lui-même, exception faite de quelques aides extérieures comme celle du Qatar. L’éducation et les soins sont gratuits et la corruption comme la délinquance ardemment combattues. Toute forme d’opposition est réprimée, y compris quand il s’agit d’invalides de guerre manifestant pour obtenir leur indemnisation. Les conditions pénitentiaires du pays sont considérées parmi les pires du monde. Des milliers de prisonniers politiques sont détenus sans inculpation, enfermés dans des cellules souterraines ou des conteneurs métalliques.

En 1994, Asmara rompt ses relations diplomatiques avec le Soudan, accusé de soutenir les organisations islamistes érythréennes. Non seulement l’Érythrée devient le quartier général de l’opposition soudanaise, mais elle reçoit une aide économique des États-Unis, alors engagés dans une politique d’affaiblissement du régime islamiste de Khartoum.

En novembre 1997, Asmara donne un signe d’indépendance fort vis-à-vis de son ancien suzerain éthiopien en frappant sa propre monnaie, ce qui paralyse le commerce transfrontalier et les échanges bilatéraux. Addis-Abeba réagit en décidant que les échanges entre les deux pays seront désormais libellés en dollars, ce qui pénalise les exportations agricoles érythréennes. La question monétaire vient s’ajouter aux nombreux ressentiments de l’Éthiopie vis-à-vis de son ancienne province : après leur conquête d’Asmara, les rebelles du FPLE ont expulsé des dizaines de milliers d’Éthiopiens (Addis-Abeba procédant de même en sens inverse) ; ils ont surtout privé l’ex-Abyssinie de toute façade maritime, ce qui l’a contraint à chercher des débouchés à Djibouti, au Somaliland et même au Kenya, afin de ne plus recourir au port érythréen d’Assab.

A ces contentieux s’ajoute des questions de délimitations frontalières, certains secteurs n’ayant pas été attribués avec précision. Mettant en avant trois traités signés, entre 1900 et 1908, par l’Éthiopie et l’Italie – alors administratrice de la colonie d’Érythrée – Asmara revendique et occupe les 390 km2 de pierrailles de Badmé et du « triangle de Yirga », au nord-ouest de l’Éthiopie. De sensible, le sujet va devenir explosif, tant les visions des anciens rebelles – alliés de raison pour faire tomber la dictature éthiopienne de Mengistu – divergent : à l’indépendantisme jaloux des Tigréens d’Érythrée s’oppose la volonté expansionniste des Tigréens du Tigré, au pouvoir à Addis-Abeba. Les deux régimes se rejoignent en revanche sur un point : la tentation de recourir à l’ultranationalisme pour faire taire leur contestation interne. La matérialisation de cette tentation va déclencher une guerre qui fera cent mille morts entre mai 1998 et décembre 2000 (cf. La guerre Éthiopie / Érythrée).

Bien que vaincue, Asmara poursuit une politique active de déstabilisation régionale. Au Soudan – qui s’est rapproché de l’Éthiopie – le régime érythréen soutient des guérillas dans l’est, puis dans le Darfour. Il arme aussi des mouvements rebelles (y compris islamistes) en Somalie, en Éthiopie (dans les provinces Oromo et Ogaden) et à Djibouti, en particulier dans les régions de peuplement Afar. En avril 2008, les troupes d’Asmara entrent sur le territoire djiboutien et prennent position dans la région de Ras Doumeira (cf. Encadré). Le conflit frontalier ne prend fin qu’en juin 2010, par la signature d’un accord de paix, après l’imposition de sanctions internationales et une médiation du Qatar. Celui-ci déploie une force d’interposition qu’il retire en 2017, ce qui permet aux forces d’Asmara de réoccuper le terrain.

Cet activisme guerrier est financé par les quelques pépites minérales (argent, cuivre et surtout or) dont dispose le pays, leur exploitation étant assurée par la garde rapprochée du Président. A la fin de l’année 2011, l’ONU élargit la liste, établie deux ans plus tôt, des personnes et entités érythréennes soumises à la restriction de leurs voyages et au gel de leurs avoirs, du fait de leur implication dans la déstabilisation de l’est africain ; Asmara est même suspectée d’avoir cherché à organiser des attentats, en janvier 2011 à Addis-Abeba, pour perturber le sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) qui s’était opposée à son indépendance. Mais, sous la pression des Sud-Africains, ainsi que des Américains et des Européens, le Conseil de sécurité n’interdit ni les investissements miniers (première source de revenus du pays, venant en priorité des Canadiens et des Australiens), ni la taxation, par le régime érythréen, de l’argent que la diaspora renvoie au pays. Ces sanctions – de toutes façons peu appliquées – sont levées en novembre 2018, du fait de la pacification des relations avec le Soudan et l’Éthiopie.

Les relations diplomatiques entre Asmara et Addis-Abeba sont en effet rétablies, sous l’égide des Émirats arabes unis (EAU) qui – comme toutes les puissances internationales ou régionales – cherchent à s’établir sur les bords de la mer Rouge, voie de passage maritime privilégié vers l’Europe, via le canal de Suez. Supplantés par les Chinois à Djibouti, les EAU ont obtenu de louer, en 2015, une partie du port d’Assab (par ailleurs ouvert aux soldats égyptiens), en plus de la concession du port de Berbera (au Somaliland) et de leurs implantations au sud-Yémen. En septembre 2018, le chef d’État érythréen signe, avec ses homologues honnis d’Éthiopie et de Somalie, un court accord de coopération et de reconnaissance mutuelle de leur intégrité territoriale.

En 2020-2021, le régime d’Asmara – trop heureux de pouvoir affaiblir ses ennemis jurés du FPLT – apporte un soutien militaire massif à son homologue d’Addis-Abeba, confronté à la rébellion de sa province du Tigré. A cette occasion, l’Érythrée intensifie les « giffa », des rafles à des fins de conscription. Le service national, militaire et civil, est en effet à durée indéterminée, ce qui accélère l’exode des hommes les plus jeunes et les mieux éduqués. Toutes raisons confondues, jusqu’à cinq mille personnes fuiraient leur pays certains mois, essentiellement en direction du Soudan et de l’Éthiopie, puis de l’Europe pour ceux qui le peuvent. Malgré la signature d’un accord de cessez-le-feu entre les séparatistes et le gouvernement éthiopien, l’armée érythréenne se maintient dans le nord du Tigré, estimant que le FPLT n’a pas été suffisamment détruit. Asmara soutient également la rébellion des milices Amhara contre le pouvoir fédéral d’Addis-Abeba, appui d’autant plus grand que, en octobre 2023, le Premier ministre éthiopien revendique un port sur la mer Rouge pour son pays (cf. Éthiopie / Abyssinie).

Des relations de voisinage tendues

Outre son contentieux avec l’Éthiopie, l’Érythrée est entrée à plusieurs reprises en conflit avec Djibouti, au sujet du Ras Doumeïra. Asmara affirme que ce cap, et les îles Doumeïra avoisinantes, lui appartiennent, alors que Djibouti argue que cette zone a été donnée à la France (son ancienne puissance coloniale) par un sultan local, donation concrétisée par un accord passé entre les Français et roi abyssin Ménélik. 
En 1995, de violents affrontements ont par ailleurs opposé l'armée érythréenne à son homologue yéménite au sujet des îles Hanish. Trois ans plus tard, la justice internationale a reconnu la souveraineté de Sanaa sur la quasi-totalité de la vingtaine d'îles et îlots composant l'archipel (la plus grande faisant 120 km²). Mais Asmara a rejeté l'arbitrage de la CIJ. En sens inverse, le Yémen revendique la centaine d'îles et îlots de l'archipel érythréen  des Dahlak, au motif que le sultanat qui les dirigeait dans le passé fut longtemps sous la dépendance de différentes dynasties yéménites (cf. Abyssinie).

Pour en savoir plus : historical dictionary of Eritrea, de Dan Connel

https://books-google-fr.translate.goog/books?id=WRWbDwAAQBAJ&pg=PA112&lpg=PA112&dq=belew+kingdom&source=bl&ots=puwrmkgYkV&sig=ACfU3U3dTLLKXW-w61UxytahI69632KjBg&_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc#v=onepage&q=belew%20kingdom&f=false

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *