Plus grand État enclavé du monde, depuis la sécession de l’Érythrée, l’Éthiopie compte plus de 5 900 km de frontières avec six pays : un peu plus de 1 000 km avec l’Érythrée et 342 km avec Djibouti à l’est ; un peu plus de 1600 km avec la Somalie (et le Somaliland) à l’est et au sud-est ; près de 870 km avec le Kenya au sud ; près de 1 300 km avec le Sud-Soudan à l’ouest. Et plus de 740 km avec le Soudan au nord-ouest ; les deux pays s’y disputent le triangle d’al-Fashaga (cf. Soudan).
Addis-Abeba revendique aussi le triangle kényan d’Ilemi (cf. Sud-Soudan), en plus de frontières contestées avec l’Érythrée (cf. Guerre Éthiopie / Érythrée) et la Somalie (en Ogaden).
Située sur la grande faille est-africaine du Rift, l’Éthiopie présente un relief d’une grande diversité : il combine des hauts plateaux d’une altitude comprise entre 1 800 et 3 000 m (dont le plateau central du Choa) – qui se prolongent en Érythrée – des massifs et des canyons escarpés, des régions volcaniques, des savanes, des hautes plaines verdoyantes et des zones désertiques. Le point culminant (à plus de 4 500 mètres) est situé au nord, dans les monts Simien, au de même que le lac Tana dans lequel le Nil bleu prend sa source. Le point le plus bas (-125 m) se situe dans la dépression Danakil, qui se prolonge du côté érythréen : c’est dans cette zone désertique, située au nord de la région Afar, qu’ont été découverts de nombreux fossiles d’anciens hominidés, dont celui d’Australopithecus afarensis Lucy , daté de 3,2 millions d’années. Le climat varie selon la topographie : tropical avec des moussons, tempéré, alpin, semi-aride, voire désertique.
Éthiopie provient du grec Aithiops (« visage brûlé »). Ce nom a été préféré, en 1945, à celui d’Abyssinie, qui était utilisé par les Européens et avait pris une connotation péjorative.
Près de 36 % des Éthiopiens sont Oromo, une ethnie de langue couchitique, au même titre que les Somalis (7 %, membres des clans Darod, Issak et Dir), les Afar (4 %) les Sidamo (4 %) et leurs voisins Hadeya, les Gedeo… Ils devancent les Amhara (un peu moins de 25 %), un peuple sémitique comme les Tigréens (6 %) et les Gouragué. A l’ouest, vivent des populations nilo-sahariennes, telles que les Anuak et les Nuer (dans l’Etat de Gambela), ainsi que les Beni Shangil (ou Berta) et les Gumuz. Enfin, le sud-ouest[1] est peuplé d’une trentaine d’ethnies du groupe omotique, tels que les Wolayta. Le pays n’a pas de langue nationale, même si l’amhara est la langue de travail officielle.
Les deux tiers des habitants sont chrétiens, dont 44 % de rite orthodoxe. Dotés d’un patriarcat propre, depuis que l’Église éthiopienne copte s’est affranchie de la tutelle d’Alexandrie (en 1959), les orthodoxes sont surtout présents sur les hauts plateaux. Les musulmans (31 %) vivent sur les côtes et en Oromia (où ils représentent plus de 40 % de la population) et les animistes au sud-ouest. L’appartenance religieuse transcende le fait ethnique : ainsi, les Oromo peuvent être chrétiens, musulmans ou animistes selon leur lieu d’habitation.
[1] Nations, nationalités et peuples du sud : cette région du sud-ouest abrite une grande variété de populations, sémitiques, couchitiques, omotiques et nilo-sahariennes.
SOMMAIRE
- L’apogée d’Aksoum
- Les Éthiopiens face aux musulmans
- De l’anarchie à l’unification
- Les Italiens en Érythrée
- Le règne d’Haïlé Sélassié
- La parenthèse du « Negus rouge »
- Les Tigréens au pouvoir
- Un Oromo à la tête d’un État fragilisé
- L’accentuation des tensions ethniques
- La sanglante sécession avortée du Tigré
Dès le XXVème siècle AEC, les Egyptiens font mention – sous le nom de Punt (ou Ta Netjeru, « pays des Dieux ») – des côtes africaines de la mer Rouge et du golfe d’Aden, allant du Soudan jusqu’à la Somalie en passant par l’Érythrée (du grec ancien Eruthraía signifiant « rouge »). Vers la fin du deuxième millénaire, celles qui constituent l’actuel littoral érythréen voient débarquer des populations venues du Yémen, de l’autre côté de la mer Rouge. Se mélangeant aux autochtones couchitiques, ces Sémites de langues sud-arabiques vont donner naissance, en Érythrée et dans le nord de l’Éthiopie actuels, à de petits royaumes rivaux, inspirés de celui de Saba. A partir du Xème siècle AEC, leur centralisation conduit à la formation du royaume de D’mt (Damat), autour de la ville de Yeha.
Sa fragmentation, entre le Vème et le IIIème siècle AEC, va déboucher sur la création de nombreux petits États. Celui qui va s’avérer comme le plus puissant est le royaume d’Aksoum (ou Axoum), situé autour de la ville éponyme, dans l’actuelle province du Tigré. Sa population s’exprime dans une langue chamito-sémitique, le ge’ez (en français « guèze »), proche du tigré et du tigrinya actuels. D’abord contrainte d’accepter un léger protectorat de Rome, dans la seconde moitié du premier siècle EC, Aksoum commence son expansion au milieu du IIIème siècle, en débutant par les côtes yéménites de la mer Rouge. La prospérité du royaume est assurée par le commerce qu’il pratique avec les navigateurs de la mer Rouge, via le port d’Adulis, fondé vers 230 AEC par les Ptolémée d’Égypte. C’est à l’époque qu’apparaît le terme Abyssinie, du sud-arabique « Habasha ».
L’apogée d’Aksoum
Dans le premier tiers du IVème siècle, le roi d’Aksoum – jusqu’alors polythéiste – se convertit au christianisme monophysite, de même que ses sujets les décennies suivantes. Mais tout le plateau n’est pas chrétien : au nord-ouest, un État juif se forme au IVème siècle, le royaume de Simien[1]. Au milieu du Vème, l’influence d’Aksoum s’étend sur plus d’un million de km², jusqu’au sud-ouest de la péninsule arabique, au sud-est de l’Égypte et au nord-est du Soudan (où les Aksoumites ont mis fin au royaume nubien de Méroé, vers 350). Le royaume adopte le nom d’Éthiopie, terme qui désignait alors les populations noires au sud de l’Égypte, tandis que le vocable « Africa » était réservé à ce que les Arabes appelleront le Maghreb.
La réputation d’Aksoum est telle que, dans les années 610, des compagnons de Mahomet s’y réfugient pour échapper aux persécutions des clans de La Mecque. Accueillis à Nejashi, dans le Tigré, ils y érigent une mosquée qui serait la plus ancienne du monde, après celle initiée par Mahomet lui-même à Médine et celle construite par d’autres de ses fidèles à Massaoua, port commerçant situé au nord d’Adulis. Les habitants du littoral figurent parmi les premiers Africains de l’est convertis à l’islam. L’archipel des Dahlak – une centaine d’îles et d’îlots au large de Massoua – est conquis dès 702 par les Omeyyades, qui en font un lieu de détention et d’exil.
Plutôt préservé des incursions musulmanes, en raison du soutien apporté aux premiers mahométans, Aksoum voit néanmoins sa puissance décliner, jusqu’à perdre le contrôle du Yémen. A la suite de massacres de chrétiens dans la ville septentrionale de Najran, le royaume éthiopien – auquel Constantinople a fourni une flotte – envahit le royaume yéménite de Himyar, dont le souverain s’est converti au judaïsme, et y installe un roi de confession chrétienne. La dynastie des Kindites, vassale des Himyarites, fait alors appel aux Perses Sassanides, qui conquièrent le Yémen Aksoumite en 571 (cf. Péninsule arabique). A la fin du VIIème, c’est avec ses possessions égyptiennes qu’Aksoum perd le contact, à la suite des raids que les tribus Beja mènent entre le Nil et la mer Rouge (cf. De la Nubie au Soudan). Une demi-douzaine de royaumes Beja commence à apparaître au IXème siècle, depuis le sud de l’Égypte jusqu’au centre-nord de l’Érythrée, entre la rivière Mareb et les rivages de la mer Rouge. Les plus puissants de ces États faisant commerce d’or, d’émeraudes et de minerais divers, sont ceux du nord-ouest de l’Érythrée actuelle, Baqlin et Basin (le dernier en pays Nara et Kunama, peuples de langue nilo-saharienne), ainsi que celui de Jarin, le long du littoral compris entre Massaoua et Zeila (dans l’actuel Somaliland, près de Djibouti). D’autres ethnies couchitiques implantées à l’est du plateau, les Afars et les Somalis, prennent en charge le commerce entre les hautes terres et le littoral, où ils fondent de petits sultanats.
Exclu du littoral de la Mer rouge, Aksoum compense ses pertes par une expansion territoriale au sud du lac de Tana, dans les régions du Lasta et du Begameder où prédomine un autre peuple couchitique, les Agaou (ou Agew). Mais l’intérieur des terres voient aussi arriver l’islam : à la fin du IXème, un État musulman se forme au coeur même du plateau abyssin, le sultanat de Choa (ou de Makhzumi, du nom de la dynastie régnante), fondé par des Arabes ayant fui la péninsule arabique. La dynastie aksoumite doit également compter avec la révolte de Yudit, reine de Simien : ayant rallié à sa cause les tribus Agaou, elle ravage Aksoum vers 960 et impose des gouverneurs juifs dans les régions qu’elle a conquises. Ébranlé par ce revers, qui vient s’ajouter à la poussée musulmane, le royaume aksoumite se replie sur les hauts plateaux intérieurs. Au milieu du Xème siècle, il perd aussi la tutelle des îles Dahlak, gagnée au siècle précédent : elles deviennent tributaires du sultan ziyadide du Yémen, avant de former un sultanat dans la seconde partie du XIème. Contrôlant Massaoua, ainsi que d’autres établissements côtiers au XIIème, le sultanat de Dahlak s’enrichit grâce à son monopole sur le commerce extérieur de l’arrière-pays éthiopien.
[1] Le royaume de Simien est également connu comme celui des Beta Israël, des Falachas ou des Gédéon (le nom de sa dynastie régnante).
Les Ethiopiens face aux musulmans
En 1150, Aksoum perd sa prédominance, victime de la prise du pouvoir par un chef militaire Agaou. Son Royaume des Zagwé est centré autour de Roha, dans la province montagneuse de Lasta, au sud du Tigré. Le roi Lalibela (dont le nom sera donné à la ville) y fait construire une dizaine d’églises troglodytes, afin de vaincre les réticences de l’abouna, le chef de l’église orthodoxe éthiopienne qui dépend du patriarche d’Alexandrie et considère les Zagwé comme des usurpateurs. Ayant renforcé son armée, la nouvelle dynastie accroît la taille de son royaume par la conquête de nouveaux territoires au sud du lac Tana et du plateau du Choa. Au milieu du XIIIème siècle, elle ouvre aussi une nouvelle route commerciale en direction de Zeila. Le coup est rude pour le petit sultanat de Dahlak qui perd son monopole et qui, à la même époque, peine à maintenir son indépendance face aux Rassoulides du Yémen.
Le royaume des Zagoué s’effondre en 1270, victime de la révolte de Yekouno Amlak, un Amhara du sud du Lasta qui se présente comme l’héritier légitime des souverains aksoumites et comme un descendant du roi Salomon et de la reine de Saba. Soutenue par les grands monastères, sa dynastie Salomonide instaure un royaume, sans capitale fixe, dans lequel la langue amharique remplace le guèze. Celui disparaît comme langue parlée, mais va subsister comme langue liturgique des Églises orthodoxes et catholiques d’Éthiopie et d’Érythrée. Portant le titre de négus, les souverains Salomonides guerroient sans relâche contre le royaume juif de Simien, mais aussi contre les États musulmans qui les entourent, comme le royaume Hadya, au sud du Nil bleu, et surtout le sultanat d’Ifat, établi au XIIIème siècle à Harar : ayant pris le dessus sur celui de Choa, ce sultanat dirigé par une dynastie Afar contrôle le port de Zeila, où s’échangent les produits d’Éthiopie (or, esclaves…) et ceux d’Arabie, d’Égypte et de l’océan Indien (épices, perles…). Dans les années 1330, les Négus parviennent à imposer le paiement d’un tribut à Ifat et étendent leur territoire jusqu’au sud du haut plateau central, au détriment des populations païennes du Nil bleu. En 1332, l’Empereur fait aussi campagne contre les musulmans du littoral, dont le prosélytisme l’inquiète. C’est ainsi que les régions aujourd’hui érythréennes de Hamasien et d’Akele Guzai tombent dans le giron éthiopien, tandis qu’un nouvel État Beja – le royaume Belew – succède aux précédents dans les basses terres de l’ouest érythréen et de l’est soudanais. En 1415, les Solomonides parviennent même à chasser la dynastie régnante d’Ifat qui se réfugie au Yémen, avant de réoccuper ses terres vingt ans plus tard : l’État prend alors le nom de sultanat d’Adal (ou de Barr Sa’d ad-Din) du nom d’une de plus importantes tribus Afar, les Ad’ali.
A la même période, l’empereur Zara Yaqob réorganise l’Etat éthiopien. Ayant restauré une Église qui était divisée – en particulier dans ses rapports au pouvoir – il dote le pays d’une capitale unique, Debré Birhan, au cœur du pays amhara. Au nord, il place les hautes terres sous l’autorité d’un seul chef : ce Bahr Negash (« Roi de la mer ») devient le souverain du Medri Bahri (« Terre de la mer » en tigrinya), territoire largement autonome qui couvre l’actuel Tigré et les hautes terres de l’actuelle Érythrée, quasiment jusqu’au port soudanais de Suakin. Sa capitale est située à Debarwa, au sud d’Asmara. Après avoir tué le sultan d’Adal et imposé au sultanat le versement d’un lourd tribut, l’Empereur s’attaque au littoral érythréen : vers la fin de son règne, en 1464/1465, il envoie ses troupes piller Massaoua et l’archipel de Dahlak, lequel se voit contraint de rendre hommage à l’empire éthiopien.
Mais les successeurs de Zara Yaqob n’ont pas son envergure. Alors que des féodaux affirment leur autonomie, ils rompent avec la centralisation adoptée par leur prédécesseur et reviennent à la pratique des capitales itinérantes. Le sultanat d’Adal en profite pour retrouver de la vigueur et lancer des raids contre l’Éthiopie, qui réplique par une expansion dans les régions musulmanes du sud et des bords de la Mer rouge. Mais, au début du XVIème, les raids du Sultanat d’Adal – armé par les Ottomans et allié aux Juifs de Simien – sont de plus en plus appuyés : refusant de verser le moindre tribut au Négus, le sultan de fait – l’imam Ahmad « Gran » (« le gaucher ») – déclenche une guerre sainte, avec le soutien des Darod somali de l’Ogaden et du sultanat de Dahlak, devenu vassal des Tahirides du Yémen. Sans cesse battus à partir de 1527, les Éthiopiens perdent leurs possessions méridionales de Bale et d’Hadya, puis une partie de l’Amhara, du Lasta, du Tigré et du Medri Bahri. En 1535, le Négus n’a pas d’autre choix que de faire appel aux Portugais, qu’il avait pourtant « snobé » quinze ans plus tôt. L’aide apportée par les troupes de Lisbonne – commandées par le fils du navigateur Vasco de Gama – permet aux Ethiopiens de l’emporter et de reconquérir les territoires perdus, après la mort d’Ahmad Gran en 1543. Cette aide leur permet de reprendre les terres perdues et de sortir victorieux du conflit, bien que très affaiblis. Après l’effondrement d’Adal, ses élites fondent un nouvel État plus au nord, le sultanat d’Awsa (ou Assaoua) dans la région Afar, tandis que Harar devient une cité-Emirat[1] et que des petits États afars (comme le royaume de Dankali autour de Beylul et les «sultanats» de Tadjoura et Rehayto) parsèment les bords de la mer Rouge.
De leur côté, les Ottomans s’installent en 1557 à Massaoua et Sakuin, puis à Zeila, et y créent la province d’Habesh, à laquelle ils rattachent les îles Dahlak. Leur incursion dans le Tigré, en 1578, est en revanche repoussée par les Éthiopiens qui signent avec eux un traité de paix, onze ans plus tard.
Entretemps, la configuration du pouvoir éthiopien a évolué. En 1580, l’Empereur a annexé le Medri Bahri et aboli la fonction de Bahr Negash, celui-ci ayant fait allégeance aux Ottomans, faute d’avoir pu placer son neveu sur le trône solomonide. Surtout, les Oromos (des nomades polythéistes appelés Gallas par les Ahmara) ont profité de la guerre adalo-éthiopienne pour s’implanter dans les zones délaissées par les différents belligérants, au sud du plateau, et assimiler leurs habitants. Leur progression vers le nord du pays est telle que, à partir de 1590, ils entrent dans les sphères dirigeantes éthiopiennes.
Dans la seconde moitié du XVIème siècle, l’ouest de l’Érythrée – de la vallée de la Barka jusqu’à la plaine soudanaise – change aussi de mains : le royaume Belew succombe sous les coups des Beni Amer, une confédération tribale à dominante Beja qui s’est alliée aux Funj et aux Arabes Jaaliyyin de Nubie.
[1] La ville de Harar est considérée comme la quatrième cité sainte de l’islam. Elle abrite plus de 80 mosquées, dont certaines datent du Xe siècle, ainsi qu’une centaine de mausolées.
De l’anarchie à l’unification
En 1622, une guerre civile éclate, après la décision du Négus d’imposer le catholicisme comme religion officielle, en guise de reconnaissance – tardive – de l’aide apportée par les Portugais. Après dix ans de troubles, ayant notamment abouti à la conquête de ce qui subsistait du royaume de Simien, le pays fait son retour à la religion copte et expulse les Jésuites. Il se dote également d’une capitale impériale : Gondar, au nord du lac Tana. Malgré ce sursaut, le pouvoir des Empereurs Amhara décline à la fin du XVIIème, au profit des grands féodaux ou « ras » : les Tigréens, la nouvelle aristocratie Oromo, la dynastie Amharique du Choa… En 1769, lorsqu’une guerre éclate entre clans Oromo pour le contrôle du pouvoir, le « ras » du Tigré intervient, met fin au conflit et exécute le Négus.
Pendant près d’un siècle, de 1769 à 1865, l’Éthiopie va vivre à « l’âge des princes » ; le pouvoir impérial n’est plus que théorique, face aux quatre principaux États souverains : le Tigré (avec Aksoum, siège de l’abouna), le Begameder (avec Gondar) et le Godjam, tous deux de langue amharique mais dirigés par des Oromo, et le Choa de langue amharique. Les Oromo dominent également des régions comme le Wollo, à l’est du plateau, ainsi que le royaume de Djimma, au sud-ouest, qui fournit l’essentiel des exportations éthiopiennes en direction des ports de la mer Rouge (café, musc, ivoire…). Plus au sud, le XVIIIème siècle voit l’expansion du Royaume de Kaffa, fondé à la fin du XIVème par des peuples de langue omotique : il absorbe notamment l’État voisin des Welayta et atteint son apogée au début des années 1820. A l’inverse, quasiment tout le nord du plateau est en plein chaos : l’autorité des clans Oromo est contestée par le ras du Tigré, quand ils ne se déchirent pas entre eux. Au sud, les Oromo sont vaincus, en 1865, par le groupe somali des Darod qui domine l’Ogaden.
C’est un chef de bande, de petite noblesse amhara, qui va mettre tout le monde d’accord. Depuis les bords du lac Tana, le dénommé Kassa Hailou lance des expéditions victorieuses qui lui valent de soumettre les Oromo et le ras du Tigré, et d’obtenir le ralliement de l’abouna, en vue de réunifier l’Éthiopie et d’y rétablir la religion orthodoxe. En 1855, il se fait sacrer Négus, sous le nom de Tewodoros II, et annexe le Choa, après en avoir fait de même avec le Wollo. Sa capitale est établie à Debré Tabor, à l’est du lac Tana. Soucieux de réformer le pays, il se heurte rapidement à l’opposition des paysans (face à la pression fiscale), de l’Église (dont il confisque des biens) et de l’aristocratie. S’y ajoutent des révoltes dues à des famines dans le Tigré et le Begameder. Pour rétablir l’ordre et obtenir des armes, l’Empereur sollicite les Britanniques qui font la sourde oreille, afin de ne pas mécontenter les Ottomans. Londres intervient cependant en 1868, après que Tewodoros a emprisonné des sujets anglais : le corps expéditionnaire britannique défait les troupes impériales , avec le soutien du nouveau ras du Tigré. Sorti victorieux des troubles ayant suivi la mort du Négus vaincu, le Tigréen Kassa Mercha se fait proclamer Empereur sous le nom de Yohannes IV. Les années suivantes, il conforte son pouvoir en soumettant le Begameder et Gondar, puis le Godjam et le Wollo. Le Choa – qui avait profité des circonstances pour retrouver son indépendance – se soumet à son tour, contre la garantie d’une large autonomie.
Le nouveau Négus doit en revanche faire face à la menace extérieure que représentent les Turco-Égyptiens gouvernant au Caire. S’avançant sur le plateau érythréen, ils s’emparent de Harar en 1875, avant d’être freinés par le sultanat d’Assoua et par les troupes éthiopiennes. Neuf ans plus tard, l’Éthiopie récupère le port de Massaoua et son arrière-pays, en échange du soutien qu’elle a apporté aux Égyptiens pour qu’ils puissent évacuer leurs soldats du Soudan, malmenés par la révolte mahdiste. Ces dispositions font l’objet d’un traité signé à Adoua avec l’Égypte et la Grande-Bretagne, co-administratrices du territoire soudanais. Sur le plan intérieur, Yohannes doit compter avec l’autonomie croissante du roi du Choa qui accroît ses possessions au sud et à l’ouest, en pays oromo. En 1884, il vassalise le royaume de Djimma puis s’empare de Harar, évacuée par les Égyptiens. Pour se procurer des armes, le roi Ménélik multiplie les contacts internationaux : avec les Britanniques qui ont pris le contrôle des ports de Zeila et Berbera (dans l’actuel Somalilan) ; avec les Français qui, en 1862, ont pris possession d’Obock, en territoire afar, puis ont fondé Djibouti ; et avec les Italiens, nouvelle puissance coloniale dans la région.
Les Italiens en Erythrée
Rome a commencé son implantation en 1869, par l’achat, au sultan local, de la baie d’Assab, au sud de la côte érythréenne. Seize ans plus tard, les Italiens débarquent à Massaoua, à l’instigation des Britanniques qui redoutent une implantation locale des Français. Considérant que le traité d’Adoua a été violé, l’Empereur envoie ses troupes combattre les forces italiennes, tout en allant lui-même affronter les Mahdistes qui s’en prennent au Godjam et au Begameder. Mais Yohannes est tué au combat, en 1889, ce qui donne l’occasion au roi du Choa, Ménélik II, de se proclamer Empereur, avec pour capitale une ville située au centre du pays : Addis-Abeba. Ayant soumis les pays Amhara et Oromo, le nouveau Négus signe avec Rome le traité de Wuchale, afin d’isoler le Tigré, dernier bastion à lui résister. L’année suivante, en 1890, les Italiens unissent leurs possessions au sein d’une colonie d’Érythrée.
D’abord cordiales, les relations entre Éthiopiens et Italiens se tendent quand les premiers réalisent que le traité de Wuchale revient à faire de leur pays un protectorat de Rome. A la fin de l’année 1894, le différend dégénère en conflit armé : d’abord victorieux au Tigré, les Italiens y sont finalement battus en mars 1896, à Adoua, défaite qui donne lieu à la signature d’un nouveau traité reconnaissant la souveraineté éthiopienne, puis à la délimitation de la frontière entre la Somalie italienne et l’Ogaden éthiopien (majoritairement peuplé de Somalis). Au terme d’un conflit ayant fait entre 27 000 et 100 000 morts, l’Éthiopie devient ainsi la seule puissance africaine à avoir contenu durablement l’expansion d’un pays européen à la fin du XIXème siècle. L’Italie conserve toutefois les côtes et plateaux qu’elle avait conquis en Érythrée, le Négus s’étant abstenu d’y poursuivre la guerre.
Le souverain éthiopien poursuit en revanche sa politique d’expansion : au sud-ouest, en annexant les royaumes de Kaffa et de Janjero ainsi que les principautés Gamo, dans l’Ogaden – dont les populations somalies avaient soutenu le djihad d’Ahmad Gran – et à l’ouest dans le pays des Benishangul (ou Berta, une population nilo-saharienne arrivée du sultanat soudanais de Funj, entre le XVIème et le XVIIème siècle) . Au tournant du XXème siècle, l’Éthiopie a quasiment atteint ses dimensions actuelles. L’Empereur confie à son principal conseiller, un ingénieur suisse, le soin de moderniser le pays ce qui se traduit, notamment, par la construction d’un chemin de fer entre Djibouti et Addis-Abeba.
Le règne d’Haïlé Sélassié
Décédé en 1913, Ménélik II est remplacé par son petit-fils, dont la proximité avec les musulmans et les Ottomans lui aliène la noblesse et l’Église. Destitué sous la pression des Alliés, il est remplacé par une fille du souverain défunt. Mais, en pratique, le pouvoir est exercé par le ras Tafari Makonnen, fils d’un cousin et conseiller de Ménélik. Ce régent mène une politique diplomatique active qui se matérialise par l’entrée de l’Éthiopie à la Société des nations (SDN) et par la signature d’un traité d’amitié avec l’Italie mussolinienne.
A la mort de la reine, en 1930, Tafari accède au trône sous le nom de Hailé Sélassié[1]. Soucieux de moderniser le pays, il fait construire des routes et des écoles, promulgue une Constitution, parachève l’unité territoriale par l’annexion pure du royaume de Djimma et forme son armée. Mais ce dernier effort va s’avérer vain face aux prétentions de l’Italie, soucieuse d’agrandir son domaine colonial et de venger la défaite d’Adoua. Après un premier accrochage en Ogaden – dont Rome ne reconnait plus la frontière arrêtée en 1897 – Mussolini lance ses troupes à l’assaut de l’Éthiopie en octobre 1935, à partir de ses colonies érythréennes et somaliennes. Le « Négus negest » (roi des rois) s’enfuit en Angleterre en mai 1936, juste avant l’entrée des forces italiennes à Addis-Abeba. L’année suivante, après sa conquête de l’Éthiopie – y compris du sultanat d’Awsa, qui avait jusqu’alors réussi à conserver son autonomie – Mussolini fusionne ses différentes possessions de la Corne de l’Afrique en Afrique orientale italienne, reconnue par la France et la Grande-Bretagne.
Celle-ci change d’orientation, lorsque l’Italie rejoint le camp allemand lors de la seconde Guerre mondiale. Londres aide Hailé Sélassié à monter une armée dans le Soudan, armée qui pénètre en Érythrée et en Somalie en juin 1941, tandis que le Négus lui-même entre au Godjam. Prises en étau entre ces forces de libération et la résistance intérieure, les troupes italiennes sont vaincues et les colonies de Rome, dont l’Érythrée, placées sous administration britannique. Contestant cette décision, l’Empereur se tourne vers les États-Unis qui reconnaissent l’indépendance de l’Éthiopie et facilitent son admission à l’ONU. En revanche, les Anglais maintiennent des troupes en Ogaden, avec l’objectif de fusionner cette province avec les Somalie britannique et ex-italienne au sein d’une Grande Somalie. Mais Hailé Sélassié trouve une astuce qui va s’avérer payante : en attribuant une concession pétrolière de la région à une société américaine, il contraint Londres à retirer ses troupes d’Ogaden en 1948, à l’exception de la partie longeant le Somaliland (le Haud) qui restera britannique six années de plus. En 1952, le Négus obtient un nouveau succès international avec la décision de l’ONU de rattacher l’Érythrée à la couronne éthiopienne. L’association se ferait toutefois sous une forme fédérale, Addis-Abeba n’exerçant que quelques fonctions (défense, finances, affaires étrangères…) pour le compte d’Asmara.
[1] « Puissance de la Trinité » en amharique. Il est considéré comme le « Messie » par les Rastafaris, un mouvement jamaïcain basé sur une lecture africaniste des Saintes Écritures.
La parenthèse du « Negus rouge »
Revenu au pouvoir, Hailé Sélassié restaure un régime à la fois autocratique et oligarchique, s’appuyant sur les grands propriétaires terriens. Ce dispositif va s’effondrer à la suite du déclenchement de rébellions par les Somalis en Ogaden. Le pouvoir de Mogadiscio n’acceptant pas que la province ait été attribuée à l’Éthiopie, un conflit entre les deux pays éclate ouvertement en 1964. Après quelques mois de combats, les deux parties conviennent d’un cessez-le-feu. La même année, l’Éthiopie et le Kenya – tous deux proches des États-Unis – concluent un traité de défense mutuel pour se protéger de futures agressions somaliennes. La situation se détériore encore plus gravement en Érythrée, devenue une simple province en 1962, après la dissolution de la fédération votée par l’ONU : le nord-ouest voit ainsi apparaître la guérilla du Front de libération de l’Erythrée (FLE), majoritairement composé de Beja musulmans, avec le soutien de pays arabes. Mais le pouvoir va surtout être victime de son incapacité à juguler la grave famine qui sévit en 1973 dans le nord. La contestation du régime monte chez les étudiants et surtout chez les militaires, son principal soutien. En juin 1974, des officiers forment un Comité de coordination des forces armées, le Derg (« comité » en amharique) qui dépose l’Empereur trois mois plus tard. Hailé Sélassié mourra l’année suivante, sans doute assassiné en prison.
Dès la fin de l’année 1974, l’aile modérée du Derg est éliminée par sa faction la plus radicale qui, en 1976, adopte un programme d’inspiration socialiste (nationalisations, parti unique, réforme agraire…). L’année suivante, le chef des radicaux, Hailé Mariam Mengistu, se fait proclamer chef de l’État et engage une politique de répression, la « terreur rouge », qui vise les intellectuels et toute opposition à la domination des marxistes et des Amhara. Sur le plan international, le Derg se rapproche avec succès de l’URSS. Jusqu’alors soutiens de la Somalie, les Soviétiques vont s’en détourner et aider l’armée éthiopienne à reconquérir l’Ogaden en mars 1978, neuf mois après son invasion par les troupes somaliennes. Moscou apporte également son aide en Érythrée, où un second mouvement rebelle, d’inspiration marxiste-léniniste, est apparu en 1975 : le Front populaire de libération de l’Erythrée (FPLE). La même année est formé un Front de libération des peuples du Tigré (FLPT), qui prend la suite d’une organisation révolutionnaire tigréenne née quelques années plus tôt (en reprenant elle-même le flambeau de la rébellion des Woyane, écrasée en 1943 dans la province). En 1978-1979, l’armée éthiopienne lance de grandes offensives qui s’avèrent fructueuses : le FLE est décimé et le FPLE confiné à la région septentrionale de Nakfa.
La guérilla érythréenne n’est pas pour autant anéantie, comme en témoigne l’échec d’une nouvelle offensive éthiopienne en 1982. Dans le même temps, la situation économique du pays s’aggrave : la collectivisation de l’agriculture ne donne pas les résultats attendus et, à la suite d’un nouvel épisode de sécheresse, une nouvelle famine survient en 1983-1984. A cette occasion, un pont aérien est organisé par Israël pour évacuer des milliers de juifs Falachas vers l’État hébreu. Sur le plan international, Addis-Abeba signe un accord de paix avec la Somalie, mais perd le soutien de l’URSS, engagée dans une politique de réforme, la perestroïka. De son côté, le FPLE abandonne la rhétorique marxiste pour se rapprocher des Occidentaux ; en 1988, il remporte une victoire militaire qui va changer le cours de la guerre.
Ce succès est d’autant plus important que, l’année suivante, le FPLT – qui a, lui aussi, renoncé au marxisme – parvient à former une coalition avec d’autres mouvements ethniques : outre les Tigréens, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) rassemble l’Organisation démocratique des peuples Oromo (ODPO), le Mouvement national démocratique Amhara (MNDA) et le Mouvement démocratique des peuples du sud de l’Éthiopie (MDPSE). Confrontée à l’ouverture de ces différents fronts, l’armée éthiopienne accumule les revers : en mai 1990, le FPLE entre à Asmara, après avoir pris Massaoua. Un an plus tard, le « négus rouge » Mengistu s’enfuit et le FRDPE entre en vainqueur à Addis-Abeba.
En mai 1993, un référendum entérine l’indépendance de jure de l’Érythrée, indépendante de facto depuis trois ans. Le nouvel État est dirigé par le chef du FPLE, Issayas Afeworki, qui expulse des dizaines de milliers d’Éthiopiens (Addis-Abeba faisant de même avec les Érythréens en sens inverse). Souvent marginalisés, les Tigréens retrouvent le pouvoir, perdu depuis Tewodoros.
Les Tigréens au pouvoir
A Addis-Abeba, le nouveau régime promulgue une nouvelle Constitution qui instaure une république fédérale, dans laquelle chacun des États dispose d’un droit – théorique – à l’autodétermination. Ils sont au nombre de dix (Afar, Amhara, Benishangul-Gumuz, Gambela, Ogaden, Oromia, NNPS[1], Tigré et villes-Etats de Dire-Dawa et de Harar), de taille et de population très disparates (plus de vingt trois millions en région Ahmara, moins de 300 000 dans le Gambela).
La plupart des Régions sont basées sur la domination d’une ethnie, exception faite de la NPPS dont la population – représentant 20 % des Éthiopiens – est divisée en quatre-vingt communautés, dont une cinquantaine autochtones. L’autre exception concerne Harar – 300 km² enclavés dans l’Oromia – où les sémites Harari ne représentent qu’un tiers des habitants. Le statut de ville-Etat est également donné à Dire Dawa, en 1998, sur la base de considérations politiques : éviter que les disputes entre Oromo, Afar et Somali pour le
contrôle de la deuxième cité du pays ne dégénèrent en affrontements.
Enfin, la capitale nationale Addis-Abeba est aussi la capitale régionale de l’Oromia, bien que dominée par des Ahmara.
Mais, à l’échelle nationale, l’ancien peuple dominant de l’Éthiopie se retrouve marginalisé par les Tigréens qui, malgré leur faible part dans la population, trustent les postes les plus importants, soit directement, soit par le biais d’alliés régionaux. Ainsi, à l’issue des élections générales de 1995 boycottées par l’opposition, le FRDPE remporte la quasi-totalité des sièges à l’Assemblée fédérale. Le poste, honorifique, de Président de la République échoit à un Oromo, tandis que la fonction de Premier ministre – détenteur réel du pouvoir – est attribuée au chef du FPLT, Méles Zenawi. Un exemple flagrant du malaise ethnique régnant dans le pays survient en janvier 1997, quand toute l’équipe nationale de football fait défection lors d’un séjour à Rome et demande l’asile politique.
En 1996, le gouvernement éthiopien voit également resurgir le spectre somali, via une série d’attentats imputés à Al Ittihad, un mouvement fondamentaliste musulman dominé par les Ogadenis de Somalie qui aurait fait alliance, côté éthiopien, avec le Front national pour la libération de l’Ogaden (ONLF), afin d’obtenir l’indépendance de cette province. En août 96, puis trois ans plus tard, des milliers de soldats éthiopiens investissent donc le sud-ouest de la Somalie, considéré comme le sanctuaire des djihadistes.
En outre, les relations se tendent avec l’ancienne province vassale d’Érythrée, dont l’indépendance a fait perdre toute façade maritime à l’Éthiopie, l’obligeant à chercher des débouchés à Djibouti, au Somaliland et même au Kenya pour ne plus passer par le port érythréen d’Assab. Suspecté de soutenir certaines rébellions éthiopiennes, le régime d’Asmara fait également preuve d’une indépendance affirmée dont la principale manifestation est le choix de sa propre monnaie, en novembre 1997, ce qui paralyse le commerce transfrontalier et les échanges bilatéraux. Addis-Abeba réagit en décidant que les échanges entre les deux pays seront désormais libellés en dollars, ce qui pénalise les exportations agricoles érythréennes. A ces contentieux s’ajoute la question d’une frontière mal délimitée. Les deux anciens chefs de guerre vont faire de ce sujet sensible une arme politique, afin de faire taire leur contestation intérieure : déclenchant l’arme de l’ultranationalisme, ils vont déclencher une guerre qui va faire cent mille morts et déplacer des centaines de milliers de personnes, de mai 1998 jusqu’à sa conclusion en décembre 2000. Seule la survenue d’une grave famine en Ogaden contraindra Addis-Abeba à accepter un plan de paix (cf. La guerre Ethiopie / Erythrée).
Sur le plan intérieur, le FRDPE est traversé par d’importantes luttes de factions. Sorti vainqueur des marxistes orthodoxes au printemps 2001, le pouvoir doit affronter des manifestations étudiantes, dont la répression fait une trentaine de morts. Au FPLT, la politique de Zenawi vis-à-vis de l’Érythrée est jugée trop conciliante, tandis que l’ODPO (Organisation démocratique du peuple oromo) procède à des exclusions, dont celle du Président de la République.
En mai 2005, les opposants de la Coalition pour l’Unité et la Démocratie (CUD) participent aux élections législatives, mais dénoncent des fraudes. Leurs manifestations dans la capitale sont dispersées sans ménagement (sans doute deux cents morts)[2]. Les ressentiments de la population augmentent d’autant plus que la situation économique ne s’améliore pas. En dépit de l’augmentation des surfaces cultivées (propriétés de l’État), la production par paysan reste inférieure à ce qu’elle était sous le dernier Négus, du fait de la pression démographique, ainsi que de l’incurie et de la corruption étatiques.
La situation se dégrade particulièrement dans certains des Etats fédérés. Fin 2003 / début 2004, l’armée éthiopienne doit combattre des rebelles de l’ethnie Anuak dans la région de Gambella. Fin 2006 / début 2007, elle intervient en Somalie, pour soutenir le gouvernement contre la rébellion islamiste des shebab et profite de cette opération pour infliger de lourdes pertes à deux alliés des islamistes somalis, l’ONLF et le Front de libération Oromo (OLF), tous deux soutenus par l’Érythrée. Les rebelles ogadenis n’en restent pas moins dangereux : en avril 2007, ils abattent neuf employés chinois d’une société de protection pétrolière, ainsi qu’une soixantaine de soldats et employés éthiopiens, à l’extrême-nord de l’Ogaden, en représailles aux campagnes de forage que la compagnie chinoise mène dans cette province. En 2012, un rapport de l’organisation humanitaire HRW dénonce le programme de « villagisation » engagé en 2010 par le gouvernement éthiopien : officiellement destinée à offrir aux populations essaimées de meilleures infrastructures dans de nouveaux villages, elle sert aussi à vendre les terres ainsi vidées à des investisseurs chinois ou saoudiens. Le programme concernerait plus d’un million d’habitants des régions Gambella, Afar, Ogaden et Benishangul-Gumuz.
Le meurtre de cinq touristes européens, en mars 2012, vient rappeler la persistance d’une guérilla dans la région de l’Afar, après une douzaine d’années de pause. Mettant en cause l’Arduf (Front uni révolutionnaire démocratique afar), qu’elle affirme soutenu par l’Érythrée, l’Éthiopie attaque trois camps situés au sud-est du territoire érythréen, où des groupes séparatistes seraient formés aux attaques éclairs, ce qu’Asmara dément.
[1] Nations, nationalités et peuples du Sud.
[2] En 2010, les fraudes sont telles que l’opposition gagne un seul siège.
Un Oromo à la tête d’un Etat fragilisé
Malade, Zenawi décède en août 2012, à 57 ans seulement. Le vice-Premier ministre lui succède, pour assurer une transition qui va voir s’exacerber les revendications des peuples jusqu’alors marginalisés par les Tigréens. En 2015 et 2016, la répression des manifestations d’opposition va faire près de mille morts. Fin 2015 / début 2016, plus de 140 personnes sont tuées en Oromia : les Oromo manifestaient contre un projet d’extension d’Addis-Abeba qui les aurait expropriés de leurs terres agricoles. En août, la répression fait des dizaines de morts dans les régions Oromo, mais aussi Amhara, après l’arrestation de dirigeants locaux qui s’opposaient au rattachement d’un district local à la province voisine du Tigré. Le mois suivant, des dizaines de personnes sont encore tuées au sud-est de la capitale, lors du festival Irreecha marquant, chez les Oromo, la fin de saison des pluies. En mai 2016, de violents combats entre soldats éthiopiens et érythréens, au centre de leur frontière commune, viennent rappeler que ce sujet n’a toujours pas été réglé de façon pérenne.
Pour essayer d’apaiser les tensions, le gouvernement est remanié fin 2016, afin de donner un peu plus de place aux Oromo dans la direction du pays. Mais les tensions ethniques ne faiblissent pas. En septembre 2017, des affrontements entre Oromo et Somali font des centaines de morts, pour le contrôle de terres arables situées le long de leur frontière provinciale. La plupart des violences sont imputées à la « Liyu », l’unité spéciale de la police de la région ogadenie, créée pour combattre les rebelles de l’ONLF et les islamistes.
La situation dans le pays menaçant de devenir incontrôlable, les durs du régime prennent les choses en mains : l’état d’urgence est instauré, après la démission du Premier ministre en février 2018. C’est pourtant un homme réputé modéré, de surcroît non-Tigréen, qui prend la tête du gouvernement en avril : Abiy Ahmed est un Oromo membre de l’ODPO, fils d’une mère orthodoxe et d’un père musulman, mais qui s’est lui-même converti au protestantisme. Dès les premiers mois de son mandat, il lance un appel à discuter, aussi bien à l’opposition qu’à l’Érythrée. Reconnaissant le jugement rendu, en 2002, par la justice internationale sur la frontière, il promet que l’armée éthiopienne se retirera des zones qu’elle continuait à occuper. Sa proposition de discussion ayant été acceptée par Asmara, les relations diplomatiques entre les deux pays sont rétablies début juillet, lors d’une visite d’Abiy Ahmed dans la capitale érythréenne. Facilité par les Émirats arabes unis (EAU), qui ont des intérêts économiques et stratégiques dans la région, le rapprochement est favorisé par deux facteurs : la situation économique difficile des deux pays, particulièrement de l’Érythrée, et la perte du pouvoir éthiopien par le FPLT, vieil ennemi du régime d’Asmara. Ce rapprochement vaudra à Abiy Ahmed d’obtenir le Nobel de la paix l’année suivante.
A son arrivée au pouvoir, le nouveau Premier ministre éthiopien annonce aussi l’ouverture de certains secteurs économiques aux investisseurs étrangers et lève l’état d’urgence, contre l’avis des caciques du TPLF. Son avènement ne fait en effet l’affaire ni des extrémistes Tigréens, qui risquent de perdre leurs avantages, ni des radicaux Oromo du FLO et du mouvement de jeunesse Qeerroo, qui n’ont aucun intérêt à voir Addis-Abeba se réconcilier avec Asmara. Un sous-groupe Oromo, les Guji, est d’ailleurs au coeur d’un conflit meurtrier qui renaît, à la frontière de l’Oromia et de la Région des NNPS. Il l’oppose aux Gedeo qu’ils accusent d’exploiter leurs riches terres de caféiers et de bananiers en Oromia, l’instauration du fédéralisme ayant accentué les antagonismes en divisant certains districts entre les deux peuples.
L’accentuation des tensions ethniques
En septembre 2018, le chef d’Etat éthiopien enregistre un timide succès international : il signe, avec ses homologues honnis d’Érythrée et de Somalie, un court accord de coopération et de reconnaissance mutuelle de leur intégrité territoriale. Le mois précédent, le nouveau pouvoir fédéral a essayé de montrer sa volonté réformatrice en arrêtant le gouverneur de l’Ogaden, à la suite de nouveaux heurts meurtriers entre la population Somali locale et des Oromo. Plusieurs églises chrétiennes orthodoxes sont incendiées et des prêtres tués dans la capitale régionale, ce qui conduit certains Oromo à attaquer des Somali à Dire Dawa, avant que l’armée et la police fédérales ne rétablissent le calme. Démis de ses fonctions, le gouverneur avait fait fortune dans la contrebande entre la Somalie et Addis-Abeba, avec l’appui de militaires et d’hommes politiques tigréens.
Mais la spirale des violences communautaires se poursuit dans le reste du pays. En septembre, des pillages de jeunes Oromo font une soixantaine de morts, à la périphérie d’Addis-Abeba. Les émeutiers s’en prennent à des membres de groupes méridionaux, venus s’installer autour de la capitale. Les violences surviennent à l’issue d’une fête célébrant le retour d’exil de dirigeants du FLO, autorisés à rentrer au pays par le nouveau gouvernement. Le même mois, des heurts entre jeunes des communautés Oromo et Gumuz font une quarantaine de morts dans une zone disputée à la frontière des régions Oromia et Benishangul-Gumuz. Les affrontements éclatent après l’assassinat de quatre dirigeants de la deuxième région, venus discuter de la situation sécuritaire avec l’Oromia. En janvier 2019, l’armée fédérale est déployée dans cette province, pour combattre une faction du FLO qui, ayant rejeté l’accord de réconciliation d’août 2018, se livre à des exactions et des pillages de banques. Les routes vers Djibouti sont également fermées temporairement, du fait des heurts opposant Afar et Somali à la frontière avec Djibouti.
Le radicalisme n’épargne pas la communauté des Ahmara. En juin 2019, le Président de cet Etat est assassiné lors d’une réunion tenue dans sa capitale régionale, tandis que le chef d’Etat-major de l’armée éthiopienne – un Tigréen considéré comme un renégat par ses congénères – est tué par son garde du corps à Addis-Abeba. Commis le même jour, les deux actes sont l’œuvre de nationalistes amharas, dirigés par le chef de la sécurité de la région : arrêté en 2009 pour sa participation à un complot fomenté par les activistes amharas de Ginbot 7, il avait été amnistié par le nouveau régime éthiopien et nommé à ce poste, afin de donner des gages à la frange la plus radicale des nationalistes amharas, après l’abandon de la lutte armée par Ginbot 7 et sa reconversion en parti politique d’opposition.
En juillet, des affrontements meurtriers opposent aussi les forces de l’ordre à des radicaux Sidama, une communauté qui demande, de longue date, à quitter la région des NNPS pour former une province autonome[1]… ce que réclament aussi une dizaine d’autres ethnies (dont les Wolayta), avec le risque de multiplier les conflits frontaliers intérieurs au sein d’un État hétéroclite, divisé en treize zones administratives. En novembre, les Sidama votent à la quasi-unanimité, et dans le calme, en faveur de la création de leur propre région autonome, sous réserve d’une révision constitutionnelle.
La violence Oromo, elle, ne faiblit pas. En octobre, l’annonce – erronée – selon laquelle un leader Oromo allait perdre la protection dont il bénéficiait depuis son retour d’exil, provoque des heurts en Oromia, mais aussi à Harar et à Dire Dawa. Près de quatre-vingt dix personnes sont tuées, la plupart lors de violences à caractère ethnique, voire religieux, entre Oromo (majoritairement musulmans) d’une part, Amhara (majoritairement chrétiens) et Gamo de l’autre, même si aucune de ces ethnies ne peut être totalement identifiée à une religion. De nouvelles émeutes font près de deux-cents cinquante morts, dont des policiers, en Oromia et à Addis-Abeba en juin 2020, après l’assassinat d’un chanteur, qui était l’idole de la jeunesse Oromo. En novembre suivant, plusieurs dizaines de villageois Amhara d’Oromia sont exécutés par des membres de l’Armée de libération de l’Oromo (OLA), une dissidence du FLO ayant refusé d’abandonner la lutte armée.
[1] Intégrés à l’Ethiopie à la fin du XVIIIème siècle seulement, les Sidama sont les plus nombreux en NNPS (19 %), devant les Wolayta (11 %), les Hadiya, Gouragué, Gamo, Kaffa, Silt’e, Gedeo…
La sanglante sécession avortée du Tigré
Mais le pire est encore à venir et va survenir dans le Tigré, dont les dirigeants n’ont pas accepté d’être évincés du pouvoir fédéral. Ainsi, en décembre 2019, le FPLT avait refusé de rejoindre le Parti de la prospérité, dans lequel le Président avait fusionné les différents mouvements du FDRPE. En septembre 2020, les autorités de la province organisent leur propre scrutin régional, mécontentes que le pouvoir fédéral ait reporté les élections prévues en août, pour cause de pandémie virale. Le vote tigréen ayant été déclaré illégal, des forces du gouvernement provincial attaquent des bases locales de l’armée nationale, ce qui conduit Addis-Abeba à décréter l’état d’urgence en novembre. Les combats entre les gouvernementaux et les TDF (Tigray Defense forces, le bras armé du FPLT) s’engagent au sud, le long de la frontière entre le Tigré et l’Etat Amhara, ainsi qu’à l’ouest, près de la frontière soudanaise. Les défenseurs de Mekele ayant pris le maquis, la capitale provinciale est conquise par l’armée fédérale, avec le soutien de son homologue érythréenne : trop heureuse de pouvoir affaiblir ses ennemis jurés du FPLT, l’Erythrée déploie en effet ses propres troupes à l’est du Tigré et offre ses pistes aux avions éthiopiens. Selon plusieurs enquêtes internationales réalisées auprès de réfugiés, la conquête s’accompagne de massacres de civils commis principalement par les troupes érythréennes (qui mèneraient leur propre agenda sur au moins 20 % du territoire tigréen), par les milices tigréennes (les Samri) et par des miliciens amharas, les Fanos, qui exhument le nom de Neftenya, celui des milices ahmara de l’ancien Empire abyssin au XIXème. Au plus fort du conflit, 500 000 combattants de toutes natures se seraient affrontés dans une région de quatre millions d’habitants, faisant la taille de l’Autriche.
Les massacres sont particulièrement sanglants dans le Wolkait ou Tigré occidental : ces 12 000 km² de terres fertiles, que se disputaient les régions Amhara et Tigré à la fin du Derg, avaient été placées sous l’autorité du Tigré, alors tout-puissant, en 1991 ; le TPLF y avait installé de très nombreux Tigréens, au détriment des Amharas qui s’y trouvaient et veulent retrouver leurs terres. Le conflit fait également tâche d’huile. En novembre, l’armée soudanaise profite de la guerre au Tigré pour réoccuper plus de 90 % du triangle d’El-Fashaga, que Khartoum avait dû « abandonner » un quart de siècle plus tôt à l’Ethiopie (cf. Soudan). En outre, des responsables Amharas exhortent leurs milices à récupérer également des terres dans l’Etat de Benishangul-Gumuz aux dépens des ethnies Berta et Gumuz qui s’en prennent aux populations amharas locales. Fin décembre, plus de deux cents villageois Oromo, Amhara et Shinasha sont tués par balles dans leur sommeil, sans doute par des Gumuz.
Au Tigré, les combats reprennent en juin 2021, à l’approche d’élections générales dans le pays. Ayant reconstitué leurs forces dans les montagnes et les campagnes, les TDF lancent une contre-offensive et s’emparent de plusieurs villes, dont la capitale. Soucieuse de ne pas subir trop de pertes, l’Erythrée retire ses troupes et les regroupe sur sa frontière avec l’Ethiopie et le Soudan. Les forces tigréennes portent alors le conflit vers l’est dans la région Afar – avec l’appui de mouvements locaux – l’objectif étant de couper la route entre Addis-Abeba et le port de Djibouti, par où transitent 90 % du commerce éthiopien. Les insurgés se déploient aussi vers la région Amhara, en faisant alliance avec les Oromo de l’OLA, reproduisant le schéma qui avait provoqué la chute du Derg. Pour reprendre l’avantage, le Président éthiopien lance une mobilisation générale, instaure l’état d’urgence et confie les pleines pouvoirs à l’armée, qui se voit dotée de nouvelles armes, notamment de drones livrés par la Turquie, les Emirats arabes unis, l’Iran et la Chine. De son côté, le FPLT forme une alliance anti-gouvernementale avec sept autres organisations, d’inégale importance, issues de diverses régions (Gambella, Afar, Somali et Benishangul-Gumuz) ou ethnies (Agaou, Kimant, Sidama). En décembre, les rebelles qui s’étaient avancés à moins de 200 km d’Addis-Abeba, doivent abandonner ces positions, ainsi que le sud de la région Afar, afin de ne pas être encerclés par la contre-offensive que mène le pouvoir, son Président en tête, sur leurs flancs est et ouest.
En janvier 2022, le régime profite du Nouvel an éthiopien – et d’une accalmie relative – pour faire un geste de « réconciliation nationale » : il libère des dizaines de nationalistes tigréens, oromos et d’autres obédiences, ce qui irrite profondément les milieux amharas les plus radicaux. Certains sont même soupçonnés de se rapprocher trop étroitement de l’Erythrée, en vue d’en finir une fois pour toutes avec la question tigréenne, ce qui conduit le pouvoir d’Addis-Abeba à arrêter plusieurs centaines de responsables et miliciens amharas fin mai. En juillet, l’armée fédérale doit repousser, dans l’Ogaden, la première incursion sur son sol des shebabs, les islamistes somaliens. Le mois suivant, après cinq mois de trêve n’ayant rien donné, les combats reprennent sur deux fronts au Tigré, au sud et à l’est.
Des négociations s’ouvrent finalement en octobre, en Afrique du Sud, sous l’égide de l’Union africaine (UA). Affaiblis, les Tigréens acceptent de signer un accord de cessation des hostilités, qui conduit à la réintégration de la province dans le giron fédéral. L’aide humanitaire et les services publics reprennent. En janvier 2023, les Tigréens commencent à rendre leurs armes lourdes. Selon l’UA et d’autres sources, au moins 600 000 personnes seraient mortes de violences en deux ans (autant que durant la guerre civile espagnole) et davantage si on y ajoute les victimes indirectes, de faim et de maladie. La guerre aurait également détruit 80 % des infrastructures de la province. En avril, c’est avec l’OLA que le pouvoir éthiopien engage des négociations. Le conflit a cependant laissé des traces au sein de l’Eglise orthodoxe éthiopienne : début 2023, ses branches Oromo, puis Tigréenne, ordonnent leurs propres évêques.
La guerre ayant pris fin, l’Ethiopie a pu trouver les ressources financières pour mettre en service, en février 2022, la première turbine du barrage de la « Renaissance », le plus grand ouvrage hydroélectrique d’Afrique sur le Nil bleu, à une quinzaine de kilomètres de la frontière avec le Soudan. Il pourrait fournir de l’électricité à deux tiers des Éthiopiens, au risque de provoquer de graves déficits hydriques au Soudan et en Égypte, ce qui crée des tensions entre Addis-Abeba et ces pays (cf. Querelles sur le Nil). Engagé depuis 2018 dans une politique de grands travaux (musée, parcs, bibliothèques), Abiy Ahmed doit par ailleurs rendre des comptes au Parlement sur la construction d’un palais somptuaire sur les hauteurs de la capitale. Le Premier ministre assure que ce « Chaka Project », entrainant déforestation et expropriations – et représentant l’équivalent du budget annuel éthiopien (et près des trois quarts des coûts estimés de reconstruction du nord du pays) – serait intégralement financé par les EAU, ainsi que par des retombées immobilières.
En août, le gouvernement fédéral instaure l’état d’urgence en Amhara, le deuxième Etat le plus peuplé du pays, en proie à des combats entre l’armée gouvernementale d’une part et les milices Fano de l’autre. Alliés de circonstance lors de la guerre du Tigré, ces deux camps ont vu leurs relations se dégrader très fortement, lorsque le pouvoir central a annoncé, en avril, vouloir démanteler les unités paramilitaires créées par de nombreux Etats régionaux depuis une quinzaine d’années. Après plusieurs jours de combat, l’armée fédérale reprend la capitale régionale Bahir Dar, ainsi que plusieurs grandes villes dont Lalibela et Gondar. Mais les Fano ne désarment pas : renforcés par au moins la moitié des « Forces spéciales » (composante régionale de l’armée fédérale), les miliciens Amhara continuent à se battre dans leur Etat et à occuper une partie de l’ouest du Tigré, avec le soutien de l’Erythrée. Estimant que son ennemi juré, le TPLF, n’a pas été totalement vaincu, l’armée érythréenne ne s’est en effet pas retirée de la province rebelle et reste stationnée dans certaines zones du nord et de l’est du Tigré.
En octobre, Abiy Ahmed prononce un discours aux accents bellicistes devant son Parlement. Qualifiant son pays de « prison géographique« , du fait de son enclavement (c’est le plus grand pays du monde sans accès à la mer), il réclame le droit de posséder un débouché maritime, si possible par des moyens pacifiques (en cédant des actifs éthiopiens contre un port), mais sans exclure un recours à la force pour y parvenir. Le ton est d’autant plus martial que la situation économique est critique : en décembre, l’Ethiopie est officiellement en défaut de paiement de sa dette. Dès le mois suivant, Addis-Abeba signe un accord avec le Somaliland qui, en échange de parts dans des sociétés éthiopiennes, lui accorderait une bande de terre de 20 km pour cinquante ans, afin d’y construire des infrastructures portuaires, commerciales et militaires. L’accord-cadre est toutefois soumis à une condition diplomatiquement difficile à remplir : la reconnaissance de jure de l’indépendance du Somaliland, ce qui dégrade de nouveau les relations entre Addis-Abeba et Mogadiscio. Toutefois, en décembre, Ethiopiens et Somaliens conviennent, sous l’égide de la Turquie, de travailler à la résolution de leurs différends, notamment pour garantir à l’Éthiopie « un accès fiable, sûr et durable » à la mer « sous l’autorité souveraine de la République fédérale de Somalie ».