La péninsule arabique jusqu’aux indépendances modernes

La péninsule arabique jusqu’aux indépendances modernes

Berceau de l’islam, ce désert de près de deux millions et demi de kilomètres carrés est inséré entre la mer Rouge à l’ouest, le golfe Persique et l’océan Indien à l’est.

Au-dessus de la mer Rouge, qui sépare l’Arabie du continent africain, se dresse un massif de granite et de laves culminant à plus de 3 000 mètres : une altitude qui a permis à cette zone d’être suffisamment arrosée pour mériter, dès l’Antiquité, le nom « d’Arabie heureuse » (au sens de prospère). A l’exception de montagnes longeant le golfe d’Oman, au sud-est, le reste de la péninsule (traversée en son milieu par le tropique du Cancer), est constitué de déserts de sable et de rocailles dans lesquels règnent une sécheresse extrême, une chaleur torride durant dix mois et un froid hivernal très vif.

Bien qu’elle soit le berceau d’une religion, l’islam, ayant donné naissance à de nombreux Etats et Empires à travers l’Asie, l’Afrique et même l’Europe, l’Arabie ne s’est organisée politiquement que très tardivement. L’avènement d’Etats pérennes a longtemps été freiné par l’organisation des populations en tribus, jalouses de leur indépendance et souvent rivales : s’il arrive qu’une confédération tribale impose sa suprématie à d’autres, c’est en général pour peu de temps, sauf influence extérieure.

SOMMAIRE

Les premiers « Arabes »

La plus ancienne civilisation révélée, sur la côte du golfe Persique, est celle du pays de Dilmun, le littoral proche de Bahreïn et de l’oasis d’Al-Ahsa (dans l’actuelle province saoudienne de Hasa). Dès la seconde moitié du troisième millénaire AEC, des textes sumériens et akkadiens indiquent que cette entité fournit les divers royaumes mésopotamiens en bois, en pierres précieuses et en cuivre venant de la vallée de l’Indus, ainsi que de Magan. Sous ce nom, également connu dès la fin du troisième millénaire AEC, se cache le nord de l’actuel sultanat d’Oman (cf. ce pays) : payant tribut aux Akkadiens, le pays est réputé pour les navigations que ses marins effectuent jusqu’en Mésopotamie et à l’embouchure de l’Indus, notamment pour y commercialiser son encens.

Au nord-ouest, les Egyptiens signalent, depuis la plus haute antiquité, la présence de tribus nomades dans plusieurs zones : Sinaï, Midian (au nord-ouest de la péninsule, sur la rive orientale du golfe d’Aqaba), Palestine, Syrie. Ils leur donnent plusieurs noms, notamment celui d‘Amou. Le terme « Arabe » n’apparaît que plus tard, à partir du IXème siècle AEC : des textes assyriens, puis hébraïques, situent dans le désert syro-mésopotamien et le nord-ouest de l’Arabie une population dénommée Aribi, Arabu, Arubu (‘rb en araméen et ‘Arab en hébreu)[1]. En -853, le roi d’Assyrie Salmanasar III affirme avoir vaincu en Syrie mille chameliers « de Gindibu du pays d’Arbāi » alliés aux troupes des rois de Damas, de Hamath[2], d’Israël, d’Ammon et de Cilicie.

Les annales des siècles suivants mentionnent les luttes régulières que mènent les monarques assyriens afin de mater les révoltes des Arabes, très souvent gouvernés par des reines. Ils font également état d’un royaume de Qedar installé dès le VIIème siècle AEC autour de l’oasis de Duma, au nord-ouest de l’Arabie, et dont les souverains portent le titre de « roi ou reine des Arabes ». Implantés au sud de Gaza et de la Jordanie actuelle, ces Qedarites apportent leur soutien au Perse Cambyse quand il part à la conquête de l’Egypte à la fin du VIème siècle AEC. Un peu plus au sud, les oasis d’Arabie occidentale jusqu’à Yathrib (l’actuelle Médine), telles que Tayma, sont occupées par les Babyloniens dans la seconde moitié du même siècle.

Des Yémen et Oman actuels jusqu’aux oasis proches du Golfe persique ou de la Mer Rouge, la péninsule est majoritairement peuplée d’habitants sédentaires pratiquant l’agriculture ou vivant des activités générées par le commerce caravanier que les bédouins (« habitants du désert » en arabe[3]) – pratiquent entre l’Arabie méridionale, le Golfe et la Méditerranée. Élevant essentiellement des dromadaires (domestiqués au cours de la seconde moitié du deuxième millénaire AEC), ainsi que des caprins, voire des ovins et des chevaux, ces nomades s’adonnent largement au brigandage et aux razzias, afin d’améliorer leurs maigres subsistances. Leur nomadisme varie selon les saisons : au « printemps », quand la pluie tombe et que l’herbe verdoie, ils se dispersent avec leur bétail ; inversement, ils se regroupent, à la saison sèche, autour des points d’eau pérennes où ils imposent leur domination aux agriculteurs cultivant le palmier-dattier dans les oasis. Fragmentés en clans, eux-mêmes regroupés en tribus voire en confédérations, les Arabes du désert parlent une demi-douzaine de langues « nord arabiques », apparentées à l’arabe mais distinctes : elles sont d’ailleurs écrites dans des caractères proches de l’alphabet sud-arabique et non de ceux du « vieil arabe » déjà en usage[4]. La plupart des Arabes sont polythéistes et animistes, à l’exception de quelques oasis chrétiennes ou juives.


Saba et Nabatène, puissances de la côte ouest

Mais l’Arabie de loin la plus connue à l’époque est « l’Arabie heureuse », celle qui longe la Mer rouge, au sud-ouest. Arrosé et cultivable, le futur Yémen a été peuplé à une date inconnue par des populations parlant des dialectes sémitiques du groupe « sudarabique » (parent de l’arabe, mais néanmoins distinct), sans doute originaires du Croissant fertile. Après avoir assimilé les indigènes, les migrants ont aménagé le sol en terrasses et entrepris des travaux d’irrigation, afin de développer l’agriculture, jusqu’en bordure du désert. Les vallées abritées de l’intérieur, surtout à l’est, se sont consacrées à la culture des plantes aromatiques (encens, myrrhe, etc.), très prisées du monde méditerranéen antique, en particulier de l’Égypte : celle-ci commerce avec une région qu’elle appelle le Pount et qui comprend les côtes d’Afrique orientale et peut-être aussi l’Arabie méridionale. Au commerce des aromates s’ajoute le transit de produits précieux entre l’Inde, l’Afrique orientale et le bassin méditerranéen, ce qui accroît la richesse de la région.

Bien que sédentaire, sa population conserve des bases tribales, de sorte que des cités-Etats plus ou moins importantes s’y constituent et se succèdent, au gré de la domination d’une tribu sur les autres. L’existence de cités est attestée, dès la fin du deuxième millénaire, dans la région du centre-ouest qui devient, entre les Xème et VIIIème siècle AEC, le siège du royaume de Saba (dont la capitale est située à Marib). Un texte hébraïque relate la visite – très probablement légendaire – que Makeda, reine de Saba, aurait rendue au roi Salomon à la fin du Xème. Au début du VIIème AEC, Saba devient même un Empire, par absorption du royaume côtier d’Awsân (à l’est de l’actuelle Aden) et s’allie aux principautés d’Hadramaout (capitale Shabwa) à l’est, du Qataban au sud et aux cités du Haram au nord. Dès le Vème AEC, des colonies sabéennes sont même établies en Éthiopie : des colons sudarabiques y forment des micro-États, dont émergera celui d’Aksoum, de langue guèze[5]. S’y ajoutent, à partir du IIème AEC, la cité de Ma’In (fondée par la tribu arabe des Minéens au nord, dans l’actuelle province du Jawf) et le royaume de Himyar (qui se sépare du Qataban à la fin du IIème siècle). Durant des siècles, ces différents États yéménites vont se livrer des guerres hégémoniques .

Les Minéens se montrent particulièrement actifs, en établissant des colonies jusqu’au Hedjaz, emplacement si stratégique – sur la route des caravanes circulant du Yémen au Levant – qu’il a même été occupé par le roi néo-babylonien Nabonide, dans la seconde moitié du VIème. L’une des plus importantes colonies minéennes se trouve à Dedan (l’actuelle oasis d’Al-‘Ula, dans la province de Médine) qui, au Vème siècle AEC, devient la capitale de la tribu arabe des Lihyanites. Comme celui de Qedar, qui disparait au début du IVème AEC, le royaume de Lihyan subit la concurrence d’une nouvelle puissance arabe, apparue au VIème au sud de la Mer morte : le royaume de Nabatène (cf. Proche-Orient). Enrichis par le commerce de l’encens et de la myrrhe de Shabwa et des perles du Golfe persique, les Nabatéens étendent progressivement leur influence de la Syrie méridionale jusqu’aux abords de Yathrib, par annexion du Lihyan au 1er siècle AEC[6].

Leurs activités commerciales sont néanmoins concurrencées par celles des Minéens et des Gerrhéens : prétendant descendre d’une ancienne colonie de Chaldéens bannis de Babylone, ces derniers dominent toute la côte arabique du Golfe persique. Vers -650, l’ancien pays de Dilmun est en effet le siège d’un royaume florissant, émancipé des dominations assyrienne et néo-babylonienne. Son indépendance est reconnue, contre rançon, par les souverains Séleucides du Moyen-Orient, à la fin du IIIème siècle AEC.

L’heure des rivalités religieuses

Au tournant des Ier et IIème siècle de l’ère commune, le royaume minéen s’écroule, suivi de celui de Qataban vers 200, le tout au bénéfice des Sabéens dont plusieurs dynasties se disputent par ailleurs les territoires situés à l’ouest de l’Hadramaout. C’est également vers 200 EC qu’un nouvel acteur entre dans ce jeu de pouvoir : le royaume éthiopien, et chrétien, d’Aksoum qui prend pied sur le littoral yéménite de la mer Rouge. Sur le reste du territoire, le royaume de Himyar tire son épingle du jeu, en conquérant le Saba à la fin du IIIème siècle et l’Hadramaout vers 300. L’Arabie méridionale ayant été unifiée au début du IVème, la capitale est transférée de Marib à Ẓafar (au sud-est de Sanaa), en territoire himyarite.

En 360, l’équilibre de la région est fragilisé par la rupture de la digue de Marib qui provoque la migration, dans toute la péninsule, de tribus Qahtanites, des Arabes « aborigènes » du sud qui auraient été à l’origine du royaume de Saba. Au nombre de ces tribus figure celle des Azd qui fonde un royaume entre le nord-ouest de la péninsule arabique et le sud de la Syrie (confédération des Ghassan) ; elle en forme aussi au sud de l’Euphrate autour d’al-Hira (confédération des Lakhm), au voisinage du royaume de Bahreïn qui, vers 300 EC, est passé sous la tutelle des Perses Sassanides. Les deux nouveaux Etats arabes sont de confession chrétienne, mais de doctrines différentes, ce qui va leur valoir d’être utilisés comme supplétifs par les deux puissances se disputant alors le Moyen-Orient : la dynastie Nasride des Lakhmides se met au service des Sassanides iraniens, qui protègent sa foi nestorienne, tandis que la dynastie Jafnide des Ghassanides, adepte du monophysisme, devient vassale des Romains de Constantinople[7] : vers 500, l’Empire « byzantin » lui confie la protection de sa frontière du sud-est contre les incursions bédouines et perses. L’Empire Himyarite choisit également un vassal pour administrer l’Arabie centrale : au milieu du Vème EC, il la confie à la tribu arabe des Kindites (dynastie Hujride).

Ces différents royaumes vont exploser sous le poids des dissensions religieuses. Convertis au judaïsme à la fin du IVème EC, sans doute pour échapper à l’influence des Byzantins, les souverains Himyarites, comme leurs vassaux de Kinda, rencontrent très vite des problèmes de cohabitation avec leurs sujets de religion chrétienne, influencés par Aksoum. A la suite de massacres de chrétiens dans la ville septentrionale de Najran, le royaume éthiopien – auquel Constantinople a fourni une flotte – envahit le Himyar en 525 : il y installe un roi de confession chrétienne et transfère la capitale de Zafar à Sanaa. Face à cette nouvelle situation, les Kindites se révoltent et font appel aux Perses Sassanides qui conquièrent le Yémen Aksoumite en 571 puis, au début du VIIème, annexent le territoire de leur vassal Lakhmide, très affaibli depuis une sévère défaite enregistrée en 578 face aux Ghassanides. Ces derniers ne lui survivront pas longtemps : abandonnés par Constantinople, qui est devenu l’adversaire acharné du monophysisme, ils doivent abandonner leurs possessions de Syrie et de Palestine aux Sassanides en 614, avant de disparaitre une vingtaine d’années plus tard.

Toutes ces luttes sont également fatales à la puissance des Sudarabiques, auxquels les Bédouins se sont progressivement substitués comme trafiquants et acteurs majeurs du commerce caravanier. Ce changement favorise le développement de nouveaux centres commerciaux au cœur de l’Arabie déserte, tels que La Mecque. L’argent qui coule à flots, conjugué à l’influence des cultes monothéistes, entraîne un relâchement des liens tribaux et un recul des valeurs traditionnelles. C’est dans ce contexte que va émerger une nouvelle religion plus en phase avec la culture locale et qui va se propager dans toute la péninsule et bien au-delà : l’islam.

[1] L’usage du terme « arabe » par les Arabes eux-mêmes est plus tardif : il apparait sur des inscriptions du début du IIIème siècle EC, trouvées au Yémen.

[2] L’actuelle Hama, sur l’Oronte, était le siège d’un petit royaume fondé en Syrie par un peuple apparenté aux Hittites, peut-être avant le XVIème siècle AEC.

[3] Les Grecs les appellent Scénites (« gens qui vivent sous la tente ») et les Romains « Saracènes», dont découle le mot « Sarrasin ». Ces mêmes nomades sont qualifiés de « Maures » en Afrique du nord.

[4] La plus ancienne inscription connue en langue arabe proprement dite date du IVème siècle EC : découverte au sud de la Syrie, elle est écrite en caractères nabatéens (dont dérivera l’écriture arabe proprement dite).

[5] Resté langue liturgique, le guèze résulte du mélange de langues sud-arabiques et couchitiques.

[6] Le Royaume de Lihyan retrouve son indépendance après la conquête de la Nabatène par les Romains (IIème EC).

[7] Voir l’article sur les querelles doctrinales entre chrétiens.


L’islam, premiers pas et premiers schismes

L’Arabie entre pleinement dans l’histoire au début du VIIème siècle, avec les prédications d’un quadragénaire dénommé Muhammad (Mahomet en français[1]), sur la toute-puissance d’un Dieu unique, Allah. Elles lui valent d’être exclu de sa tribu polythéiste des Quraychites, qui domine alors le riche carrefour caravanier de La Mecque et gère notamment la Kaaba, une pierre sacrée noire consacrée à plus de trois cents divinités. Contraint à la fuite (hégire) en 622, Mahomet se réfugie dans l’oasis judéo-arabe de Yathrib (future Médine, « la ville du prophète »). Après avoir vaincu les Juifs des oasis, puis les Mecquois, il entre victorieux à La Mecque (630). A sa mort, deux ans plus tard, son beau-père Abou Bakr lui succède, au détriment de son cousin et gendre Ali. Les musulmans (« croyants, fidèles ») soumettent ou rallient alors les tribus de la péninsule arabique. Sous le calife (successeur) suivant, Omar, la nouvelle religion connue sous le nom d’islam (soumission à la volonté de Dieu), se répand au Moyen-Orient, en Perse, et même jusqu’en Arménie et au Maghreb. Les « gens du Livre » (chrétiens et juifs) sont soumis à la loi du Coran[2], mais peuvent garder leur religion en échange d’un tribut. Les autres ont le choix entre la conversion, l’esclavage ou la mort.

Rapidement, des divergences éclatent entre Médinois et colons sur le siège du califat. Omar et son successeur Othman ayant été assassinés, Ali est choisi comme quatrième calife, mais ce choix est contesté par la veuve du prophète, Aïcha, ainsi que par le gouverneur de Syrie, Mu’awiya : celui-ci réclame vengeance pour Othman qui, comme lui, était membre du clan mecquois des Omeyyades, le plus puissant de la tribu des Quraychites. Fin 656, Ali sort vainqueur de cette première « Fitna » (Grande discorde), mais il doit négocier avec Mu’awiya, ce qui entraîne la première scission de l’islam, celle des Kharidjites (« ceux qui sont sortis » car hostiles à toute négociation et partisans d’un Califat non héréditaire). C’est d’ailleurs un kharidjite qui, en 661, assassine Ali, lequel ne régnait déjà plus que sur la région de Koufa (bas-Irak), où il avait installé sa capitale. Avec sa mort disparait ce qui sera plus tard appelé le califat Rashidun, celui des « califes bien nommés » (632-661) : refusant en effet que le fils d’Ali succède à son père, Mu’awiya se proclame calife et installe sa capitale à Damas. Les partisans du défunt choisissent alors de faire sécession pour donner naissance à l’islam chiite. A compter de cette date, le cœur politique du monde arabo-musulman ne bat plus dans la péninsule arabique. Seul le Hedjaz, la partie longeant la Mer Rouge jusqu’au Sinaï, conserve de l’importance, puisque c’est là que se situent les lieux saints de l’islam, La Mecque et Médine.

Arabisé au fil des années[3], le Yémen rallie l’islam dès 628, lorsque le satrape perse local se convertit à la nouvelle religion. Mais la dissidence chiite s’y propage avec une telle intensité que, pour éviter que la région ne sorte de leur orbite, les Abbassides de Bagdad confient la mission de rétablir l’ordre à un émir. Une fois sa mission accomplie, celui-ci fonde sa propre dynastie, avec pour capitale la ville de Zebid, dans la Tihamah. Depuis cette plaine côtière longeant la mer Rouge, les Ziyadides étendent leur influence jusqu’à Aden et à l’Hadramaout, ainsi que dans les hautes terres, tout en prospérant dans le commerce entre l’Inde et l’Afrique de l’est. Mais leur domination est fragile. Dès 847, les Yufirides établissent leur propre État autour de Sanaa. Cinquante ans plus tard, la partie la plus septentrionale du Yémen voit s’implanter une variante minoritaire du chiisme : le zaydisme. Ne reconnaissent que cinq imams, les zaydites se sont rebellés contre les califes Omeyyades au milieu du VIIIème, mais sans succès : certains se sont donc enfuis au nord Yémen pour y implanter leur imamat, tandis que d’autres sont allés se réfugier au Tabaristan, au sud de la mer Caspienne. A la fin du IXème siècle, d’autres chiites s’implantent à Bahreïn, au nord-est de la péninsule : originaires d’Irak, les Qarmates ismaéliens y forment un royaume s’étendant de Bassora jusqu’à Bahreïn, en passant par les actuels Koweït et Qatar. Leur mouvement, basé dans l’oasis d’al-Hasa, est suffisamment puissant pour mener un raid sur La Mecque en 930 et y ravir temporairement la Kaaba.

Dans la cité mecquoise, la fonction héréditaire de chérif[4] échoit, au milieu du Xème siècle, à un Hachémite, un des clans de la tribu des Quraychites tenant son nom de Hachem, l’arrière-grand-père du Prophète. Quelques années plus tard, il se place sous la suzeraineté du calife fatimide d’Égypte. Au Yémen, la dynastie ziyadide subit de violents assauts de la part des Yufirides, à la fin du Xème, et ne doit son salut qu’à des esclaves éthiopiens. Salut très provisoire, puisque l’un d’eux s’empare du pouvoir, après l’assassinat du dernier souverain en 1018, et fonde sa propre dynastie : les Najahides. A Bahreïn, l’Etat qarmate est renversé à la fin du XIème par la dynastie des Uyunides, alliée aux Seldjoukides d’Iran. C’est le début d’une période ininterrompue de soumission, au moins nominale, de la péninsule à des dynasties étrangères : turque (les Seldjoukides d’Iran, de 1070 au milieu du XIIème siècle), kurde (les Ayyoubides jusqu’en 1250), égyptienne (les Mamelouks) et de nouveau turque (les Ottomans à partir de 1517).

Au Yémen, les Najahides parviennent tant bien que mal à résister aux Sulayhides, une nouvelle famille ismaélienne établie dans les hautes terres. Mais leur domaine s’est réduit et, dans le dernier quart du XIème siècle, plusieurs dynasties se partagent le reste du pays. Les Sulaymanides, chassés de La Mecque, règnent sur l’Asir et le nord de la plaine côtière. Ailleurs dominent des ismaéliens, liés aux Sulayhides et alliés aux Fatimides d’Égypte : les Zurayides dans la région d’Aden et les Hamdanides (de la tribu Hamdan) dans le nord. Dans la Tihama, la dynastie noire des Najahides disparaît en 1158, victime des Mahdides. Considérés comme des hérétiques, ces descendants des anciens rois de Himyar, s’attirent rapidement les foudres de Saladin, qui vient de s’emparer de l’Égypte : en 1173-1174, les troupes de sa dynastie Ayyoubide s’emparent de tout le Yémen, contraignant les imams zaydites à se replier dans les montagnes de l’extrême-nord, autour de Saada. Après le retrait des Ayyoubides, le sud passe aux mains de dynasties sunnites successives : les Rassoulides, d’origine turque Oghouz, à partir de 1229 (avec Zabid puis Taez pour capitale), puis les Tahirides au milieu du XVe et les Mamelouks égyptiens au début du XVIème. Le clivage entre le nord zaydite et le sud sunnite est durablement installé.

Au Bahreïn, les Uyunides ont été renversés au milieu du XIIIe par les Usfurides, des Arabes de la confédération tribale des Beni Amir qui sont eux-mêmes détrônés au début du XVe par une branche rivale : ces Jabrides vont étendre leur domaine à toute la côte et à tout l’hinterland du golfe arabo-persique, jusqu’à Oman. Au large, le commerce avec l’Inde fait la fortune du royaume d’Ormuz établi dans l’île éponyme, à quelques encâblures des côtes iraniennes.

[1] Le nom est également traduit en Mohammed (arabe), Mehmed ou Mehmet (turc), Mamad, Mouhammadou ou Mamadou (Afrique de l’Ouest), Mohand (berbère), Mahoma (espagnol)…

[2] Constitué des révélations reçues par Mahomet et des dires de ses compagnons, le Coran (mot qui viendrait du syriaque qiriyâna, « livre de prières ») est divisé en 114 sourates (chapitres) comprenant plus de six mille versets. La version écrite au milieu (sous le calife Othman) ou à la fin (sous Abd Al-Malik) du VIIème siècle est devenue sa version officielle au Xème.

[3] Les dernières langues sud-arabiques occidentales s’éteignent au VIIème siècle. Quelques dizaines de milliers de personnes parlent encore des langues sud-arabiques orientales à la frontière de l’Hadramaout et du Dhofar omanais (mehri) et dans l’île de Socotra (soqotri)

[4] Titre donné aux princes descendant de Mahomet par sa fille Fatima.

Dominations ottomane et britannique

Au début du XVIe siècle, le royaume de Bahreïn est occupé par les Portugais établis depuis la seconde moitié de la décennie 1500 dans les îles de Socotra (à l’entrée de la mer Rouge) et d’Ormuz puis par les Ottomans qui disputent aux Perses le contrôle des côtes du golfe-arabo-persique. Vivant d’activités telles que la recherche de perles et le commerce maritime, la plupart des États qui le bordent sont aux mains de cheikhs, plus ou moins rivaux, qui préservent leur autonomie en monnayant leur allégeance à l’un ou l’autre des deux Empires rivaux.

Dans les années 1530, les Ottomans s’implantent au sud du Yémen, mais il en sont chassés un siècle plus tard par les zaydites, rebellés depuis une quarantaine d’années . En 1622, ce sont les Portugais qui sont évincés d’Ormuz par les Perses, alliés aux Britanniques. Les Ottomans connaissent le même sort sur les côtes orientales du Golfe, à la fin des années 1660 : ils doivent notamment abandonner la région d’al-Hasa, où la confédération arabe des Banu Khalid établit une principauté indépendante. Une trentaine d’années plus tard, des tribus venues d’Arabie centrale investissent le territoire quasiment inhabité situé un peu plus au nord et y fondent Koweït (« la forteresse construite près de la mer »). Les eaux profondes et l’accès facile de son port vont favoriser l’essor de la ville, notamment via le commerce avec les Indes orientales. Au XVIIIe siècle, le pouvoir y est exercé par les Sabah, une famille qui règne toujours sur l’émirat.

A la fin du même siècle, le Hasa et sa région sont conquis par la nouvelle puissance montante de la péninsule, les wahhabites du Nedjd (cf. Arabie saoudite) qui contestent la présence des Ottomans et menacent les pouvoirs locaux. Pour se protéger de ces prétentions, la dynastie al-Khalifa, qui règne sur Bahreïn et le Qatar, se place sous protectorat britannique dès les années 1820. Les cheikhs de la « Côte des pirates » en font de même une trentaine d’années plus tard, en signant une trêve perpétuelle avec la Grande-Bretagne. En échange d’un abandon de la piraterie et de l’esclavage, les souverains de ce qui devient la « Côte de la trêve » bénéficient de la protection des Anglais. L’intérêt pour ces derniers est que les princes locaux mettent fin à leurs querelles incessantes, ce qui permet de pacifier des territoires situés sur la route de leur Empire des Indes. A la fin du XIXe, le Koweït décide de passer lui aussi sous la protection de Londres, tout en restant théoriquement dépendant des Ottomans. C’est également avec l’aval de la Grande-Bretagne que la petite péninsule du Qatar s’émancipe des Bahreïnis, sous l’égide d’une riche famille de négociants de Doha, les al-Thani.

Au Yémen, les affrontements entre zaydites et Ottomans ont repris au XIXe siècle, jusqu’à ce que les seconds finissent par s’emparer de Sanaa en 1872 et par faire du littoral occidental yéménite une province de leur Empire. En revanche, la ville d’Aden est devenue possession des Britanniques, auxquels le sultan de Lehj l’a cédée à la fin des années 1830. Dans les années 1870-1890, Londres étend son influence sur toute la côte méridionale, en direction de l’Hadramaout (frontalier du Dhofar omanais) et jusqu’à l’île méridionale de Socotra. Le Royaume-Uni place sous son protectorat la myriade d’émirats, de sultanats et d’autres cheikhats situés à l’est d’Aden, tandis qu’au nord les zaydites profitent de la défaite des Ottomans lors de la première Guerre mondiale pour rétablir l’imamat (cf. Yémen).

A Bahreïn, une partie du territoire reste en proie aux troubles : durant cent-vingt ans, Ottomans et wahhabites se disputent en effet la région de Hasa, jusqu’à son passage définitif dans les mains de l’émirat du Nejd, en 1913. A la même date, un accord entre les Britanniques et les Ottomans délimite les frontières du Koweït, mais le nouveau tracé est contesté par le nouveau roi de l’Arabie saoudite naissante. Une nouvelle démarcation est donc effectuée en 1922 : la superficie du Koweït s’en trouve réduite, notamment par la création d’une zone neutre avec l’Etat des Saoud. 

Dix ans plus tard, la découverte de pétrole, à Bahreïn, va bouleverser les économies de la région. Des trouvailles similaires sont effectuées les années suivantes dans les Etats voisins. Les réserves du Koweït, trouvées en 1946, s’avèrent les plus importantes de la péninsule, après celles du voisin saoudien. Au Qatar, d’importants gisements de gaz sont découverts dans les eaux du golfe arabo-persique. A partir des années 1960, tous ces protectorats britanniques vont accéder à l’indépendance (cf. Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït et Qatar).