AFRIQUE, Sahel

Mali

Malgré quelques transitions démocratiques, le pays vit au rythme des putschs et des insurrections, touarègues et islamistes.

1 241 238 km2

Capitale : Bamako

République militaire

Monnaie : Franc CFA

21 millions de Maliens

Totalement enclavé, le pays possède plus de 7 900 km de frontières avec six pays : près de 1360 km avec l’Algérie au nord, près de 840 km avec le Niger à l’est, plus de 1300 km avec le Burkina-Faso au sud-est, près de 600 km avec la Côte d’Ivoire et plus de 1060 km avec la Guinée au sud, près de 490 km et près de 2240 km avec la Mauritanie à l’ouest.

A l’exception de quelques collines au nord-est (avec un point culminant à un peu plus de 1100 m), le pays est plat, depuis les plaines couvertes de sable au nord (de climat aride ou semi-aride) – domaine des Arabo-Berbères qui razziaient les esclaves noirs – jusqu’aux savanes de la moitié sud (de climat subtropical), territoire de l’ancien Empire médiéval du Mali où vivent plus de 90 % des Maliens.

Le Mali est traversé, d’ouest en est, par 1 700 km des 4 200 km du fleuve Niger, lequel se subdivise en de nombreux bras, entre Djenné et Tombouctou : communément appelé le Macina, ce delta intérieur forme une région naturelle de 64 000 km² qui constitue la plus grande zone humide de l’Afrique de l’Ouest.

Un peu plus de la moitié de la population appartient à des ethnies parlant des langues de la famille Mandée : un tiers de Bambara, 10 % de Soninké (Sarakolé ou Maraka, au nord-ouest) et 9 % de Malinké. Outre le soninké – issu des fondateurs du royaume médiéval du Ghana (VIIIème au XIIème siècle) – la famille des langues mandées comprennent des parlers mandingues tels que le malinké – parlé par le fondateur de l’Empire médiéval du Mali (XIIIème au XVème) – et le dioula des commerçants musulmans ayant essaimé vers le sud. Les populations de langue mandingue ayant refusé de se convertir à l’islam à ces différentes époques ont reçu le nom de Bambara. Le reste de la population malienne est composé de Peuls (Fulbe ou Fulani, 13 %, surtout dans le Macina), de Sénoufos (un peu moins de 10 %, au sud), de Dogons (un peu moins de 9 %, notamment dans la région de la falaise de Bandiagara), de Songhaï (ou Sonraï, 6 %, dans la vallée du Niger), de Bobo (2 %), de Touareg et Bella (un peu moins de 2%, surtout au nord)[1]Environ 6 % des habitants sont des ressortissants de pays limitrophes. Une douzaine de langues nationales sont reconnues, en plus du bambara qui joue le rôle de langue véhiculaire.

94 % de la population est de religion musulmane, le reste se répartissant essentiellement entre chrétiens et animistes.

[1] La plupart de ces langues sont parlées dans les pays voisins, comme le peul (du Sénégal au Nigeria), le songhaï au Niger, le sénoufo au Burkina, le soninké au Sénégal…

Voir aussi : LES TOUAREG

La grande mosquée de Djenné. Crédit : Piccaya / Pexels

L’histoire du Mali moderne est perturbée dès son indépendance. En 1959, Paris a pour projet de regrouper plusieurs de ses territoires d’Afrique occidentale, au sein d’une Fédération qui reprendrait le nom du prestigieux royaume ayant régné sur la région au Moyen-Age. Mais la Haute-Volta et le Dahomey n’ayant pas donné suite, la Fédération du Mali voit le jour, en juin 1960, dans un périmètre plus restreint : elle associe le Sénégal et ce qu’on appelle alors le Soudan français. Mais les divergences entre le libéral sénégalais Sédar Senghor et le marxisant Modibo Keita sont telles que l’attelage rompt dès le mois d’août et que chacun des deux membres proclame son indépendance.

Devenu République du Mali, l’ancien Soudan français est dirigé d’une main de fer par le Malinké Modibo Keita, l’homme qui domine la vie politique locale depuis 1945 et a fondé l’Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain (US-RDA). S’étant rapproché de l’URSS, il engage son pays dans la voie du socialisme, nationalisant ou collectivisant une large partie de l’économie et faisant sortir le Mali de la zone du franc CFA. L’expérience tournant à l’échec, le régime doit faire face à un mécontentement croissant, de la part des Touareg qui se révoltent en 1963-1964 comme d’une partie de la population. La dissolution de l’Assemblée nationale en 1968 n’y change rien : Keita est victime d’un coup d’État militaire la même année et mourra en détention neuf ans plus tard.

Le Comité militaire de libération nationale qui s’empare du pouvoir promet de libéraliser la vie politique, mais rien ne vient. Un nouveau parti unique – l’Union démocratique du peuple malien (UDPM) – succède au précédent et le chef de la junte, le Malinké Moussa Traoré, est élu à la Présidence de la République. Ayant entrepris une réelle libéralisation de l’économie, en supprimant nombre de sociétés d’État, il doit affronter le mécontentement de plusieurs catégories sociales telles que les fonctionnaires et les étudiants. S’y ajoutent les sécheresses qui, à partir de 1970, vont frapper le Sahel de manière récurrente. A la fin de 1985, un conflit opportunément déclenché contre l’ex-Haute Volta (cf. Encadré) va permettre au régime de faire passer au second plan les questions socio-économiques, mais ce n’est qu’un répit. En 1991, après la répression violente de manifestations en faveur de la démocratie, Traoré est à son tour victime d’un putsch.

Dirigeant du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), le général Peul Amadou Toumani Touré organise la période intérimaire. Après la tenue d’une Conférence nationale, il organise des élections multipartites qui voient le succès, en 1992, de l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema) et de son chef, le Mandingue Alpha Oumar Konaré. Le nouveau chef d’État doit notamment affronter la rébellion déclenchée, dans le Nord, par Ag Iyad Ghali, un Touareg ayant servi dans les rangs de l’armée du général libyen Kadhafi. Après plus de quatre ans d’affrontements plus ou moins intenses, un accord de paix est signé en avril 1995, à Ouagadougou, entre le gouvernement malien et les diverses organisations de résistance armée touarègues. Au passage, le régime a utilisé une arme que ses successeurs emploieront à plusieurs reprises pour combattre des insurrections : la création de milices communautaires, en l’occurrence les Ganda Koy de l’ethnie Songhaï. Bien que terni par l’annulation des élections législatives de 1997, la présidence de Konaré se caractérise par une restauration de la démocratie et des efforts de décentralisation. Après avoir effectué deux mandats, soit le maximum prévu par la Constitution, le Président n’en sollicite pas de troisième en 2002.

Le scrutin présidentiel est remporté par Amadou Toumani Touré, retiré de la vie militaire. Celui qu’on va surnommer « ATT » l’emporte avec plus de 64 % des voix au second tour de sorte que, pour la première fois au Mali, le pouvoir passe d’un Président élu à un autre Président élu, sans intervention musclée de l’armée. Ne disposant pas de son propre parti, Touré joue l’ouverture et forme un gouvernement qui associe toutes les formations du pays. La suite sera moins consensuelle. « ATT » est certes réélu cinq ans plus tard, concrétisant quinze années d’alternance pacifique au pouvoir, mais son succès, dès le premier tour avec plus de 71 % des suffrages, est entaché de suspicions de fraudes.


Surtout, la situation sécuritaire se dégrade dans les régions septentrionales du pays sont devenues un refuge pour Aqmi, la branche algéro-saharienne du mouvement djihadiste al-Qaida. Elle y détient les otages, souvent Occidentaux, qui sont enlevés dans le pays ou au nord du Niger, par les islamistes eux-mêmes ou bien par des sous-traitants touareg se livrant au banditisme. Ce sont d’ailleurs des groupes de cette ethnie qui vont accélérer la crise dans le nord-Malien.

A la suite de la chute du chef de l’État libyen Kadhafi, à l’été 2011, deux à quatre mille de ses anciens mercenaires Touareg reviennent dans leur pays et décident de reprendre les armes, officiellement pour prendre le contrôle du nord-malien, qu’ils appellent Azawad. Né fin 2011, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) lance ses premières attaques contre l’armée malienne dès janvier 2012. Il doit très vite compter sur un mouvement concurrent, de coloration islamiste mais dirigé par des Touareg : Ansar Dine (ou Ansar Eddin Salafiya « Défenseur de l’islam »). La faction d’Iyad Ghali s’inspire d’un mouvement arrivé du Niger, au début des années 2000 : la Djama’t al-tabligh (Association pour la prédication) ou Dini da’wat ; son discours orthodoxe s’est largement diffusé à Kidal, dans la chefferie des Touareg Ifoghas, au même titre que le wahhabisme s’est propagé à Gao. Bien que concurrents, les deux mouvements s’allient contre les soldats de Bamako et lancent des attaques meurtrières sur Ménaka, à une centaine de kilomètres du Niger, puis Aguelhok et Tessalit, à proximité de l’Algérie.

La déroute de l’armée malienne est telle que, en mars 2012, de jeunes officiers subalternes s’emparent du pouvoir à Bamako, deux mois avant la fin du mandat « d’ATT ». Dirigés par le capitaine Sanogo, les mutins du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État dénoncent la gestion du conflit en cours au nord Mali et s’estiment démunis de tout moyen de lutte contre les insurgés, alors qu’une partie de leur hiérarchie s’est enrichie en touchant des pourcentages sur le trafic de cocaïne et sur l’enlèvement d’otages. Sur le terrain, les séparatistes laïcs du MNLA sont raidement supplantés par leurs anciens « alliés » d’Ansar Dine et d’autres mouvements islamistes. Parmi eux figure le Mujao (Mouvement pour l’unité du Jihad dans l’ouest africain, ou Jamat Tawhid Wal Jihad Fi Garbi Afriqqiya) : dirigé par un Arabe malien de Gao, secondé par un Mauritanien et d’anciens trafiquants de drogue, il regroupe les « Noirs » d’Aqmi (Songhaï, Peuls, Nigériens, Tchadiens) et entend prolonger l’action d’al-Qaida au-delà du Sahel. C’est lui qui, en avril 2012, s’en prend à l’ennemi juré des islamistes en enlevant et en assassinant le consul d’Algérie à Gao. A la fin du printemps, le MNLA est chassé, par ses alliés de circonstance, de Gao et de Tombouctou, où s’applique la charia et où sont détruits les mausolées de « saints » soufis.

En mai, après avoir annihilé un contre coup d’État orchestré par les commandos parachutistes restés fidèles à « ATT » (une cinquantaine de morts), la junte cède aux injonctions de la Cedeao, l’organisation régionale ouest-africaine : elle accepte une période de transition de douze mois pilotée par le Président de l’Assemblée, Dioncounda Traoré, avec un partage des responsabilités entre civils et militaires. Des négociations avec différentes rébellions s’ouvrent par ailleurs, sous l’égide de l’Algérie et du Burkina. Mais, dès la fin de l’été, les violences gagnent le centre du pays. Tandis que le Mujao s’empare de Douentza, ville charnière entre Nord et Sud, grâce au ralliement du chef d’une milice peule, l’armée malienne abat une quinzaine de prédicateurs maliens et mauritaniens, au motif qu’ils auraient refusé de s’arrêter à un contrôle routier.

A l’automne, le régime malien doit accepter qu’une force ouest-africaine, la Misma (Mission internationale de soutien au Mali), aide sa propre armée, divisée et mal formée, à reconquérir le Nord. Anticipant le déploiement de ces effectifs, 1500 islamistes lancent une double offensive en direction du pays bambara, en janvier 2013. Les soldats maliens ayant été mis en déroute et ayant dû abandonner une ville aux portes de Mopti, dernier grand verrou en direction du Sud, la France est appelée au secours par le régime malien. Elle intervient avec des moyens aériens qui après avoir été exceptionnellement autorisés à survoler l’Algérie stoppent l’avancée rebelle. Dans la foulée, les soldats français de l’opération « Serval » et leurs homologues maliens – relayés par des militaires tchadiens et nigériens – reprennent les villes perdues du Nord, avec l’aide de miliciens touareg restés fidèles à Bamako ou bien membres du MNLA et de mouvements alliés. En juillet, une force de l’ONU – la Minusma – prend le relais de la Misma africaine. Battus, les islamistes s’enfuient vers le nord du Niger et du Burkina, le sud libyen, la forêt de Wagadou (à la frontière mauritanienne) et les villages de la région de Gao.

Bateaux sur le fleuve Niger. Crédit : 12019 / Pixabay

Un semblant d’ordre ayant été rétabli, la période de transition peut s’achever. En juillet 2013, Ibrahim Boubacar Keita (« IBK ») est largement élu Président de la République, avec une participation supérieure à 50 %. Candidat du Rassemblement pour le Mali, c’est un vieux « routier » de la politique malienne, puisqu’il a été Premier ministre de Konaré, puis Président de l’Assemblée. En novembre, Sanogo devenu général est arrêté à son domicile et inculpé d’assassinats, pour la répression de la rébellion des bérets rouges en mai 2012.

Dans le Nord, les islamistes poursuivent leur combat en harcelant les forces maliennes, françaises et ouest-africaines. Les violences ne faiblissent pas, en particulier dans la région de Kidal et dans l’Adrar des Ifoghas : elles émanent des djihadistes en particulier d’al-Mourabitoune1, le mouvement né de la fusion d’une partie du Mujao avec les Signataires par le sang de Belmoktar, un dissident d’Aqmi mais aussi de miliciens du MNLA qui se heurtent à l’armée malienne ou à diverses factions arabes ou touarègues pro-gouvernementales. En novembre, deux journalistes français sont enlevés en plein jour à Kidal et très rapidement exécutés. Tandis qu’Ansar Dine fait circuler une police islamique dans les zones qu’il contrôle, Aqmi mène une politique d’attentats ciblés contre des « collaborateurs » présumés des forces internationales, principalement des cadres ou sympathisants du MNLA. Du côté des forces internationales, les plus exposés sont les Tchadiens : en première ligne dans le Nord-Est, ils ont perdu autant d’hommes que l’ensemble de la Minusma en un an.

Sans leurs soutiens étrangers, les Forces armées maliennes (FAMa) continuent d’enregistrer les revers. En mai 2014, elles subissent une déroute à Kidal face au MNLA qui, avec ses alliés de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), s’empare aussi d’une demi-douzaine de localités voisines, dont Aguelhok et Tessalit. Acculé, le gouvernement malien se voit contraint de demander un cessez-le-feu, signé sous l’égide de la Mauritanie. Les premiers mois de 2015 sont marqués par une violence généralisée : de la part des djihadistes, qui multiplient les attentats aveugles à proximité des bases de la Minusma (tuant des civils au passage, comme des enfants jouant au football) et de la part des mouvements non-djihadistes, qui s’affrontent pour le contrôle de localités entre Gao et Kidal. Malgré tout, un accord « de paix et de réconciliation », rédigé par Alger, est signé en mars par la plupart des groupes non-djihadistes, à l’exception de la CMA qui finit par le parapher trois mois plus tard.

[1] Al-Mourabitoune, en référence à l’ancienne dynastie arabo-berbère des Almoravides.


La situation est à peine calmée au Nord qu’elle se dégrade dans le reste du pays. En juin 2015, une attaque djihadiste touche pour la première fois le sud du Mali, dans une localité proche des frontières ivoirienne et burkinabé. Les assaillants seraient venus du nord, en passant par un pays voisin, preuve de leur capacité à opérer loin de leurs bases. Dans le centre, les régions de Mopti et de Ségou sont visées par les raids meurtriers d’un groupe islamiste peul, la Force de libération du Macina (FLM), alliée à Ansar Dine. Entendant restaurer le califat de Macina, un empire peul du XIXème siècle, le mouvement a été créé par un prédicateur très proche de Iyad Ag Ghali, avec lequel il a contribué à implanter au Mali la secte Dawa, d’obédience pakistanaise. Tout en continuant à mener des actions armées au Nord, jusqu’à la frontière mauritanienne, Ansar Dine ouvre ainsi un Front Sud, qui va très vite concerner le nord du Burkina-Faso. Pour les groupes plus ou moins liés à al-Qaida, la nécessité de frapper des grands coups est dictée par le fait qu’un mouvement rival est apparu : l’Etat islamique du Grand Sahara (EIGS), filiale de Daech, qui a notamment recruté un ancien dirigeant malien du Mujao, Abou Walid Al-Sahraoui. C’est dans cet esprit concurrentiel qu’un commando d’al-Mourabitoune tue près de trente personnes, en novembre 2015, dans un hôtel international de Bamako où devait se tenir une réunion de suivi des accords d’Alger.

L’affirmation des Peuls est une nouvelle donne dans le conflit malien. En juin 2016, des combats pour le contrôle d’une localité font une dizaine de morts dans la région de Douentza (centre nord) : ils opposent des hommes de la milice Ganda Izo – créée pour protéger les Peuls du nord-Mali contre les djihadistes et les rebelles – à des combattants du Gatia touareg (pro-gouvernemental). Le mois précédent, des affrontements communautaires entre éleveurs peuls et agriculteurs bambaras avaient fait une trentaine de morts dans la région de Mopti. En juillet, une quinzaine de soldats maliens sont tués dans l’attaque de leur camp de Nampala, dans la région de Ségou, par plusieurs dizaines d’assaillants lourdement armés se revendiquant de la katiba Macina (nouveau nom du FLM) et de l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (ANSIPRJ, nouvellement créée). La revendication peule a également donné naissance à un groupe burkinabé – Ansarul Islam – qui revendique, en mars 2017, la mort d’une dizaine de soldats maliens dans l’attaque de leur camp, voisin du Burkina. A partir de cette date, la région historique du Liptako-Gourma, dites des trois frontières (Mali, Burkina, Niger) va devenir un lieu d’affrontement majeur entre groupes djihadistes et forces gouvernementales. La région la plus violente reste cependant celle du centre – la boucle du Gourma sous le fleuve Niger et le Macina plus au sud – hautement stratégique car elle fait la jonction entre Bamako, au sud, et les zones sahéliennes du nord.

La tension a atteint un tel sommet que, en avril, la Conférence d’entente nationale, convoquée par le régime malien et suivie par les composantes civiles et armées de son opposition, conclut à l’utilité d’un dialogue avec les groupes djihadistes maliens, en plus d’une reconnaissance culturelle (mais pas politique) de l’Azawad. Mais, côté islamistes, l’heure n’est pas à la négociation ; elle est au regroupement et aux recrutements dans les communautés noires jadis dominées par les Touareg. Pour faire face à la montée en puissance de l‘EIGS, Ag Ghali prend la tête d’une nouvelle alliance, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, en arabe Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin, JNIM) qui réunit Ansar Dine, al-Mourabitoune, des katibas d’Aqmi au nord Mali, la katiba Macina et Ansarul Islam.

Bénéficiant de renforts, venus de Libye et de Syrie, spécialisés dans la fabrication d’engins explosifs artisanaux et les stratégies de guérilla, les mouvements islamistes profitent de l’immensité du territoire saharo-sahélien (28 000 km de frontières sur 5 millions de km²), des dissensions entre mouvements touareg (dont certains leur sont proches) et de l’insuffisante coordination entre les multiples forces anti-terroristes déployées sur le terrain sahélien : l’armée malienne (formée par la mission européenne Takuba), les Français de l’opération Barkhane (qui a pris le relais de « Serval », mais en visant les terroristes de tout le Sahel), la Minusma et la force du G5 Sahel, dont les premiers effectifs se déploient, début novembre, aux frontières avec le Burkina et le Niger. Face à eux, les mouvements djihadistes perfectionnent leurs techniques : emploi d’engins explosifs improvisés contre les convois militaires ou attaques coordonnées ; en avril 2018, le camp de la Minusma et de Barkhane à Tombouctou est attaqué, en plein jour, selon un mode opératoire inédit : aux roquettes s’ajoute l’envoi de véhicules piégés, dont certains portant les couleurs de l’ONU et de l’armée malienne.


Les tensions communautaires prennent également une tournure de plus en plus violente. Suspectés d’apporter leur soutien aux djihadistes – parfois à raison, notamment contre les milices touareg pro-gouvernementales – les Peuls, traditionnellement éleveurs, sont de plus en plus pris à partie par les Bambara et les Dogons, majoritairement agriculteurs. Chaque camp a ses milices, l’Alliance pour le salut au Sahel (ASS) côté Peuls et Dan na Amassagou côté Dogons. En juin 2018, une vingtaine de corps de Peuls sont découverts dans trois fosses communes de la région de Mopti ; le gouvernement reconnait l’implication possible de « certains personnels » de son armée dans cette tuerie. Le même mois, une trentaine de civils peuls sont tués dans un village de la région de Mopti / Djenné par des Dogons habillés en chasseurs traditionnels dozos, utilisés comme éclaireurs par l’armée malienne, dans sa lutte contre les rebelles islamistes. Des massacres similaires ont lieu les mois suivants de sorte que, en novembre 2018, le chef de la katiba Macina appellera tous ses congénères Peuls – de la Mauritanie à la Centrafrique – à rejoindre le djihad.

C’est dans ce climat que se déroulent les élections présidentielles. Dans près de 20 % des bureaux, majoritairement situés dans la région de Mopti, le scrutin est perturbé, voire annulé, du fait d’incidents multiples : saccages, urnes volées, tirs d’intimidation… La plupart des candidats dénoncent par ailleurs des fraudes telles que la vente de cartes d’électeurs, l’excès de votes par procuration, des taux d’inscription et de participation irréalistes dans certaines zones désertées… IBK est réélu au second tour, en août, avec un peu plus de 67 % des voix, mais la participation – traditionnellement faible – n’a pas dépassé les 34 %. En novembre, un rapport élaboré par le Canada au nom des différents bailleurs internationaux du pays illustre la faillite institutionnelle du pays : plus de 40 % de l’aide au développement attribuée entre 2005 et 2017 auraient été « dilapidés », soit par mauvaise gestion, soit par corruption (dans un peu plus de 35 % des cas). Justice, forces de l’ordre et douanes sont considérés comme les services publics les plus corrompus.

Le cycle des violences communautaires, lui, n’en finit pas. En mars 2019, plus de 160 Peuls sont tués dans un village situé entre Mopti et la frontière avec le Burkina. Bien que non revendiquée, l’attaque est attribuée à « l’association » Dan na Amassagou, supposée en voie de démantèlement après un accord avec le gouvernement. La « réponse » peule intervient moins de trois mois plus tard : une trentaine de personnes sont tuées, par plusieurs dizaines d’hommes armés, dans un village, majoritairement catholique, de la plaine dogon voisin de Bandiagara. Un nouveau massacre intervient, quelques jours plus tard, dans deux villages dogons voisins du Burkina ; certaines des victimes sont éventrées. Comme souvent, les assaillants attaquent après le retrait des soldats maliens qui avaient été provisoirement déployés dans les localités, preuve des complicités dont ils bénéficient. Comme souvent aussi, les meurtres restent impunis et les renforts mettent des heures à arriver, du fait de routes minées, mais aussi par crainte des embuscades. La peur de mourir au combat reste fréquente dans l’armée malienne, comme en témoigne le nombre important de soldats tués dans le dos, en s’enfuyant lors de différentes attaques. Près de cinquante d’entre eux sont ainsi victimes d’un assaut de l’EIGS contre un camp militaire proche de Ménaka. En même temps qu’elle témoigne de la montée en puissance du mouvement djihadiste, la tuerie alimente la montée d’un sentiment anti-français : jugée incapable de rétablir la sécurité, la France est également accusée de complicité avec les rebelles touareg du MNLA dans la région de Kidal.

L’année 2019 se termine par un bilan si lourd (4 000 morts civiles et militaires dans la zone sahélienne) que le « dialogue national inclusif » convoqué en décembre par le gouvernement malien se conclut par la décision d’engager le dialogue avec Ag Ghali et Koufa, le chef de la katiba Macina. En janvier 2020, Paris et les pays du G5 Sahel conviennent de revoir leur dispositif : coordonnées par un commandement conjoint, les différentes forces nationales et internationales porteraient sur la zone des trois frontières et cibleraient l’EIGS, exclu du dialogue malien. La France laisserait le centre du Mali à la Minusma (jusqu’alors déployée uniquement au nord) et la région de Kidal à l’armée malienne, n’y intervenant plus qu’en renfort d’opérations lourdes. Dispositif qui ne convient pas Iyad Ghali hostile à toute discussion tant que les « forces d’occupation » ne se sont pas retirées.

En mars 2020, l’hostilité entre le GSIM et l’EIGS dégénère en bataille rangée. Des dizaines de combattants sont tués dans la région de Mopti, en particulier pour le contrôle des troupeaux de bétail et l’accès aux bourgoutières, les pâturages flottants dans les plaines inondées du delta du Niger qui sont soumis à des droits de passage. D’abord cantonné à la zone frontalière entre le Mali et le Burkina, l’EIGS vient chercher des recrues dans la région de Méma, triangle entre les villes de Tombouctou, Nampala et Mopti, jouant des frustrations des Peuls : le mouvement attire de nouveaux miliciens en leur garantissant qu’ils garderont intégralement le produit de leurs razzias alors que, dans la katiba Macina, les prises de guerre sont réparties en fonction des traditions et des baronnies locales.


La situation se dégrade aussi sur la scène politique. En juillet, des heurts font des morts à Bamako, où les opposants à « IBK » accusent le Conseil constitutionnel d’avoir manipulé le résultat des dernières élections. Regroupée dans le Mouvement du 5 juin-­Rassemblement des forces patriotiques (M5­RFP), l’opposition est particulièrement animée par l’imam salafiste Mahmoud Dicko, partisan de l’instauration d’une République islamique. Le mois suivant, « IBK » est renversé par un coup d’État militaire, parti du camp de Kati comme en 2012, mais conduit cette fois par des officiers supérieurs. Tout en promettant de préparer de nouvelles élections, leur Comité national de salut du peuple (CNSP) nomme un officier supérieur en retraite et ex-ministre de la Défense comme Président de transition, avec le chef de la junte comme vice-Président. La désignation a associé l’imam Dicko et la Coordination des mouvements de l’Azawad, mais pas le M5.

En avril 2021, une accalmie intervient dans le cercle de Niono (département de la région de Segou) : sous l’égide du Haut Conseil islamique, des accords oraux sont passés entre chasseurs dozos et djihadistes de la katiba Macina , sur des sujets tels que la circulation des troupeaux peuls, la délimitation des zones de découpe de bois, le port du voile ou l’application de la justice islamique. En revanche, des affrontements violents continuent de les opposer dans le cercle de Djenné, des dozos ayant essayé de récupérer des sacs de riz prélevés au titre de la « zakat » (aumône islamique).

En mai suivant, le principal acteur du putsch d’août 2020 – le colonel Goïta – en commet un second : après avoir démis le Président et le Premier ministre (civil) de transition, il se fait proclamer chef de l’État en charge de la transition et choisit comme chef du gouvernement un leader du M5-RFP, opposant notoire aux accords d’Alger. Ce deuxième coup d’État en moins d’un an conduit la France à annoncer l’arrêt progressif de l’opération Barkhane et les mouvements touareg à s’organiser dans un Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), afin de conserver les positions qu’ils détiennent dans le Nord. Les soldats français enregistrent un succès en éliminant le chef de l’EIGS, al-Sahraoui, près de Menaka, mais le régime malien ne s’en dit pas moins « abandonné » par la France, tandis que Tchad retire des forces de la zone des trois frontières pour les redéployer sur son propre sol. Bamako renforce donc ses liens avec la Russie, qui lui livre des hélicoptères et des armes, en vertu d’un accord de coopération signé en 2019 avec Moscou. Ce rapprochement se fait d’autant plus facilement que certains des putschistes ont effectué leur formation militaire en Russie.

A la fin de l’année, la junte malienne annonce une prolongation de la transition, dont l’échéance serait la tenue d’une élection présidentielle en décembre 2026 au plus tard. En janvier 2022, malgré les dénégations du pouvoir, les premiers effectifs russes, des instructeurs et mercenaires du groupe Wagner, se déploient au centre du Mali, dans un pays dogon jusqu’alors défendu par des groupes locaux d’autodéfense. Les critiques du gouvernement français contre cette interférence et contre les modalités de rétribution des Russes[1], valent à l’ambassadeur de France d’être expulsé du pays. Le mois suivant, la France annonce le départ de Barkhane du Mali (et de la force européenne Takuba par ricochet) et son redéploiement dans les pays voisins, essentiellement le Niger. En mai suivant, le Mali se retire du G5 Sahel.

Dans le même temps, des combats acharnés entre l’EIGS et le GSIM font des dizaines de morts dans le « Gourma malien », la partie malienne de la zone des trois frontières. Des villageois accusés par Daech de collaborer avec le camp rival sont égorgés devant leurs femmes et enfants. La filiale régionale de l’Etat islamique s’en prend aussi aux Daoussak, une communauté touarègue dans laquelle recrutent des milices combattant les islamistes. Durant plusieurs semaines, des centaines de personnes sont tuées, dans la région de Gao, lors des combats qui opposent les miliciens touareg et arabes du CSP-PSD et l’EIGS, dont les milliers de combattants sont réfugiés dans la forêt de Ansongo-Ménaka, à cheval sur le Mali et le Niger.

Les Forces armées maliennes (FAMa) et leurs auxiliaires russes ne sont pas en reste. En mars, une trentaine de civils, très majoritairement Mauritaniens, sont tués dans la région de Ségou, près de la frontière mauritanienne. A la fin du même mois quelque cinq cents personnes, majoritairement peules, sont tuées sur le marché de Moura, une localité de la région de Mopti qui était pasée sous l’influence de la katiba Macina. Suppléée par une centaine de mercenaires russes, l’armée malienne affirme n’avoir abattu que des djihadistes, mais de nombreux témoignages arguent d’un raid indifférencié entre combattants et civils. La réaction de la katiba Macina survient en juin, avec le massacre de plus de centre-trente civils, lors de raids contre des villages proches de la frontière avec le Burkina, dont les habitants sont accusés de collaborer avec le régime.

Les ripostes islamistes ne se font pas attendre. En juillet, le GSIM lance une demi-douzaine d’attaques coordonnées contre des bases de l’armée au centre du pays, puis contre le camp Soundiata-Keïta de Kati, principale base militaire du Mali et résidence du colonel Assimi Goïta et de son ministre de la défense. L’offensive est repoussée, mais témoigne de la progression des djihadistes sur le plan militaire. Les Français ayant été expulsés, les groupes islamistes peuvent déployer plusieurs centaines d’hommes sans crainte d’attaques aériennes. L’armée malienne et ses supplétifs russes ne s’occupant que de protéger le régime et les points vitaux du centre du pays, le GISM et l’EIGS en seraient arrivés à contrôler 30 % du territoire malien, dans lesquels ils se livrent des combats sans merci : ils auraient fait un millier de morts dans la région située entre Menaka et le Niger, où l’EIGS massacre les populations, vole le bétail et brûle les campements et les villages sur son passage. La filiale de Daech finit par chasser le GSIM, l’armée malienne et les groupes arabo-touareg de toute cette région, où elle impose la charia et le versement de la zakat et impose des taxes sur le commerce avec Gao et le centre du Mali. Cette position lui sert de base pour mener des actions vers le nord du Mali, le nord du Burkina et le centre du Niger, avec l’objectif d’opérer une jonction avec l’Iswap, la branche de l’EI opérant au nord-est du Nigeria.

[1] En décembre 2022, la publication accidentelle d’un rapport malien fait apparaître une augmentation vertigineuse des crédits accordés à la Sécurité d’Etat , laissant penser que c’est un moyen de rétribuer les 1 500 à 2 000 mercenaires de Wagner, en attendant que le groupe bénéficie d’autorisations d’exploitation minière.


La situation est telle que, en décembre 2022, la plupart des mouvements du CSP-PSD se retirent du processus d’application des accords d’Alger, estimant que Bamako a abandonné le Nord. De son côté, Iyad Ghali sort de son repaire de la frontière algéro-malienne, en vue de recruter des combattants dans les rangs des communautés touarègues victimes de l’EIGS et de convaincre leurs mouvements armés de cesser de combattre le GSIM pour concentrer toutes leurs forces contre Daech. Sur la défensive, la junte malienne parvient à trouver des alliés dans la sous-région : en février 2023, elle se rapproche du Burkina et de la Guinée – où ont également eu lieu des putschs – ainsi que du Niger en août, après la prise du pouvoir par les militaires dans ce pays. En juin, après avoir arrêté des soldats ivoiriens de la Minusma en les accusant d’être des mercenaires, le régime de Bamako demande le retrait « sans délai » des 15 000 militaires, policiers et civils de la Minusma, accusée de propager de fausses informations. Le mois précédent, un rapport de l’ONU avait accusé des soldats maliens et « étrangers » d’avoir commis le massacre de Moura et d’y avoir commis des violences sexuelles sur des femmes et des jeunes filles[1] .

En juillet, la junte renforce son pouvoir, via l’adoption d’une réforme constitutionnelle qui renforce les pouvoirs du Président et accroît le rôle de l’armée. Le projet est approuvé par 97 % des votants, mais seulement 39 % des électeurs se sont rendus aux urnes. Le scrutin n’a pas pu se dérouler dans de nombreuses zones rurales du centre et du nord, par crainte des violences djihadistes. Quant aux mouvements armés du Nord, ils avaient appelé au boycott – considérant que la réforme ne tenait pas compte des accords d’Alger sur la décentralisation – de même que l’imam Dicko et d’autres autorités religieuses, du fait du maintien du principe de laïcité dans la Constitution. En août, Goïta concrétise sa promesse de « faire briller l’or pour les Maliens » : il promeut un nouveau Code minier qui accroît la place des intérêts publics et privés du pays dans les nouveaux projets d’exploitation du minerai, dont le Mali est un des principaux producteurs africains.

Sur le terrain, la Minusma amorce son retrait et rend ses bases aux FAMa, au grand dam de la CMA qui menace de reprendre les armes. A l’exception du MSA, qui continue de prôner le dialogue, le CSP-PSD accuse l’armée malienne de multiples ruptures du cessez-le-feu en vigueur depuis les accords d’Alger et annonce prendre « toutes les mesures de légitime défense contre les forces de la junte sur l’ensemble du territoire de l’Azawad ». De son côté, le GSIM assiège Tombouctou, contrariant l’entrée de marchandises dans la ville. Début septembre, le mouvement mène trois actions meurtrières (plusieurs dizaines de victimes) contre des positions de l’armée malienne, dans les régions de Tombouctou et de Gao, alors que de premiers combats entre la CMA et les soldats maliens éclatent dans la région de Kidal. A défaut d’alliance, le GSIM et le CSP-PSD semblent avoir conclu un pacte de non-agression, pour concentrer leurs attaques sur les forces du régime.

A la mi-septembre, le chef de la junte malienne signe, avec ses homologues du Niger et du Burkina, la Charte du Liptako-Gourma. Le texte est censé créer une nouvelle entité, l’Alliance des États du Sahel, dotée de systèmes de défense collective et d’assistance mutuelle contre les agressions extérieures, les groupes armés et les bandes criminelles. Le même mois, le régime annonce le report sine die de l’élection présidentielle, qui était prévue en février 2024. En octobre, l’armée et les mercenaires de Wagner se dirigent en masse vers le Nord-Est, afin de s’installer dans les camps militaires que la Minusma doit quitter à Aguelhoc, Tessalit et Kidal. Considérant qu’il s’agit d’une violation des accords de paix, puisque ces zones étaient sous leur contrôle au moment de la signature desdits accords, les mouvements du CSP-PSD doivent abandonner Anefis. En novembre, les forces maliennes et leurs supplétifs reprennent Kidal, avec un léger soutien logistique des militaires nigériens et burkinabés. Les rebelles touareg se replient, quasiment sans combat, en direction de la frontière algérienne. Le fondateur du Gatia, le général Ag Gamou, est nommé gouverneur de la région de Kidal.

Les FAMa subissent en revanche de lourdes pertes dans la région de Tombouctou : des dizaines de soldats sont tués dans deux attaques du GSIM. Plusieurs dizaines de militaires et de chasseurs dozos sont également victimes, en décembre, d’une attaque meurtrière de la katiba Macina dans un village de la région de Ségou, où un accord avait été signé avec le GSIM en mars 2021 ; sa rupture avait entrainé un retour de l’armée.

Au plan diplomatique, les relations de la junte se tendent avec l’Algérie, qui a reçu le CSP et l’imam Dicko pour tenter de relancer le processus de paix d’Alger. En janvier 2024, le régime de Bamako annonce « la fin avec effet immédiat » de l’accord d’Alger, considérant que les groupes signataires ont basculé dans le terrorisme et que le Mali n’est pas « l’arrière-cour de l’Algérie« . Sur le terrain, les mouvements du CSP continuent de s’affaiblir, avec le départ de combattants vers le GSIM, à l’image du chef militaire du MAA en mars. Le mois suivant, la junte suspend l’activité des mouvements politiques maliens, dont la plupart réclament un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Le régime les accuse de mener des « débats stériles » alors que la sécurité n’est pas rétablie. En témoigne la multiplication des rapts de civils. En avril, une centaine de passagers de trois bus sont enlevés par des djihadistes, entre Bandiagara et Bankass, dans le centre.

[1] En août 2022, un rapport de l’ONU avait accusé l’armée malienne et des « soldats blancs » d’être impliqués dans la mort de Mauritaniens en mars précédent.

1985-1986 : la "guerre de Noël"

En décembre 1985, Bamako déclenche une guerre contre le Burkina-Faso, au motif que son voisin méridional a procédé à une opération de recensement dans une zone contestée : la bande d'Agacher. Courant sur environ 260 km de long et 40 km de large, le long de la frontière orientale entre les deux pays, la zone n'avait jamais délimitée avec précision par l'administration coloniale, d'autant que - entre 1932 et 1947 - la Haute-Volta avait été intégrée au Soudan français. Largement désertique et peu peuplée (sauf de quelques villages touareg), la zone présente d'intérêt, si ce n'est le cours d'eau (le Béli) qui la traverse et les hypothétiques richesses de son sous-sol. Mais à Bamako, la volonté d'en découdre avec Ouagadougou est particulièrement forte depuis que, en 1983, le pouvoir dans l'ancienne Haute-Volta a été pris par un officier révolutionnaire, Thomas Sankara, qui s'était illustré contre l'armée malienne, lors de précédents accrochages frontaliers en 1974. Le conflit prend fin après quelques jours de combats ayant fait moins de deux cents morts - essentiellement du côté burkinabé - et le contentieux est porté devant la Cour internationale de justice. En décembre 1986, celle-ci rend un jugement qui partage en deux les eaux du Béli et la bande elle-même : la zone occidentale au Mali et la zone orientale au Burkina.

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