Fondée par un petit-fils de Gengis Khan (cf. Le monde sino-mongol avant les indépendances modernes), la dynastie Yuan des Mongols orientaux domine la Chine pendant près d’un siècle. Mais lorsqu’elle en est chassée par les Ming chinois, en 1368, le monde mongol revient au féodalisme et aux rivalités traditionnelles entre clans. Ceux qui vont s’illustrer alors appartiennent à l’alliance des quatre peuples Oïrats (« fédérés »), fondée au XVe siècle par des tribus restées à l’écart des conquêtes de Gengis et de ses descendants : les Tchoros, les Torgut (descendants des Kereit du XIIIe), les Dörbets et les Khosuts. Après avoir continué à nomadiser le long de l’Ienisseï (à l’ouest du lac Baïkal), ces Mongols occidentaux sont descendus dans les steppes de l’Altaï et du Tarbagataï, au nord des Tian Shan et des oasis de l’Ili, dès la fin du XIIIe siècle. Bloqués par les Mongols orientaux dans leurs échanges avec la Chine – échanges d’ailleurs en forte baisse depuis la chute des Yuan – les khans Oïrats entreprennent de dominer la Mongolie centrale, à défaut de pouvoir prétendre au titre de grand Khan puisque, à la différence de leurs rivaux orientaux, ils ne descendent pas de Gengis. Après avoir étendu leur khanat à toute la Mongolie dans les années 1430, les Oïrats s’attaquent aux résidus Djaghataïdes du Mogholistan[1]. A l’extrême fin du XVe siècle, ils défont les Chinois dans le Shanxi (capturant même l’empereur) et pillent la Chine du nord, mais sans pousser leur avantage plus loin.
La poussée mongole sur la Chine reprend au XVIe siècle mais, cette fois, elle émane de Mongols orientaux en pleine renaissance, sous la direction de Dayan Khan, un nouveau chef descendant de Kubilaï. Après avoir chassé les Oïrats vers l’ouest, il effectue la répartition des Mongols orientaux qui prévaut encore aujourd’hui : l’aile orientale est formée des Khalkhas (en Mongolie centrale, autour de Karakorum) et des Tchakar (à l’est de l’actuelle Mongolie-Intérieure) ; l’aile occidentale comprend les Ordos (implantés au centre de la Mongolie intérieure, dans la boucle du fleuve Jaune) et les Tümet (installés plus au nord). A la mort de Dayan Khan, le féodalisme fait de nouveau son retour, jusqu’à l’intronisation de son petit-fils comme Empereur Dayanide. Le dénommé Altan Khan s’efforce de rétablir l’unité de la Mongolie : il vainc les Oïrats, prend pied au Qinghai et arrive devant Pékin en 1550. Pour obtenir la paix, les Ming chinois doivent se résoudre à signer, une vingtaine d’années plus tard, un traité de commerce très avantageux pour les Mongols orientaux ; ceux-ci fondent alors, près de la frontière chinoise, la cité de Hohhot (Kökeqota, la « Ville bleue » en mongol), actuelle capitale de la Mongolie-Intérieure.
Comme le prince des Ordos avant lui, et le roi des Khalkhas ensuite, Altan Khan se convertit, à la fin des années 1570, au bouddhisme tibétain réformé (celui des Bonnets jaunes[2]). À sa mort, l’empire des Mongols orientaux se désintègre en domaines rivaux, désintégration d’autant plus rapide que les Ming font tout pour diviser les différents féodaux. À partir de 1604, le khan des Tchakhar essaie bien de réunifier les Mongols – en tant que représentant de la branche majeure des Gengiskhanides – mais les tribus de Mongolie méridionale (l’actuelle Mongolie intérieure) préfèrent se rallier aux Mandchous. Les seuls qui s’opposent encore – mais séparément – à la progression des futurs maîtres de la Chine sont alors le khan Tchakhar et un prince Khalkha. Finalement, tous deux sont vaincus dans les années 1630. S’étant approprié le sceau impérial, le khan mandchou se revendique alors souverain de tous les Mongols, même si les Khalkhas du nord restent à l’écart de sa domination. Au milieu du XVIIe siècle, leur khan Zanabazar – auquel le dalaï-lama tibétain a donné le titre de « Bouddha vivant » – fonde le monastère lamaïste qui donnera naissance à la ville d’Ourga.
Du côté des Mongols occidentaux, l’alliance Oïrat s’est désintégrée. Mécontents de la suprématie qu’exercent les Tchoros, la plupart des Torguts et une partie des Dörbets ont en effet décidé de migrer en direction de l’ouest. En dépit de difficultés, notamment vis-à-vis des Kazakhs, ils finissent par s’installer, au cours des années 1630, dans la région de la basse Volga. Une partie d’entre eux n’y resteront pas et reviendront en Chine à partir de 1771 : ce sont les ancêtres des Oirats modernes. D’autres en revanche vont demeurer sur place : ceux qui ne seront pas assimilés par les peuples turcs locaux (Tatars et Bachkirs), prendront le nom de Kalmouks (littéralement « ceux qui sont restés« ). En 1637, les Khosuts migrent à leur tour et établissent leur propre khanat autour du lac Qinghai. Trois ans plus tard, ils interviennent au Tibet central, pour défendre le cinquième dalaï-lama contre ses adversaires religieux. Victorieux, les Koshuts deviennent suzerains des Tibétains.
Restés seuls dans les steppes du Tarbagataï, les Tchoros y fondent en 1634 un second Empire Oïrat. Désormais connus sous le nom de Dzoungares[3], ils bâtissent un khanat qui, dans les années 1670-1680, annexe toute la région allant de Kachgar à Tourfan, en soumettant les Ouïghours du khanat de Yarkand, dernier avatar du khanat djaghataïde (issu d’un fils de Gengis khan) et les autres peuples turcs du Turkestan oriental. Les Dzoungares se tournent ensuite vers la Mongolie et mettent en fuite les princes Khalkha, qui n’ont d’autre possibilité que de demander l’aide des Qing et de leur faire allégeance en 1691, comme le font tous les chefs de clans orientaux. Cinq ans plus tard, les forces dzoungares sont écrasées par l’artillerie mandchoue. Mais elle ne sont pas totalement anéanties et, en 1717, elles interviennent au Tibet, soumis à la pression de plus en plus forte de ses suzerains Koshuts. Les Dzoungares en profitent pour investir et piller Lhassa, mais leur occupation est de courte durée. en 1720, ils sont chassés par les Qing qui, quelques années plus tard, profitent d’une crise de succession dans l’Empire Oïrat pour en finir avec lui : aidée des Ouïghours, l’armée sino-mandchoue extermine quasi-totalement les Dzoungars[4] en 1756-1757, tout en écrasant par ailleurs une rébellion Khalkha. Les derniers roitelets turcs et ouïghours de Kachgarie sont soumis deux ans plus tard.
Entièrement annexés, le Tarim et la « Dzoungarie » – situés respectivement au sud et au nord des monts Tian Shan – prennent le nom de Xinjiang (« nouveaux confins ») en 1768. La région n’est pas encore totalement pacifiée car les anciennes dynasties régnantes, réfugiées dans le khanat ouzbek de Khokand, se permettent de mener des incursions dans ce qui était leurs fiefs. En 1826, un de leurs représentants s’empare de Kachgar. Après avoir repris la ville quelques années plus tard, les Sino-Mandchous négocient avec leur voisin ouzbek et, en échange de sa neutralité, lui accordent des facilités commerciales en Kachgarie. En 1866, c’est un chef originaire du Ferghana, vassal du Kokand et plus ou moins soutenu par l’Empire ottoman, qui récidive et fonde un émirat autour de Kachgar ; la rébellion, qui a gagné tout le Tarim, est finalement réprimée en 1877. La Russie – qui s’est implantée dans l’espace kazakh voisin lors du second quart du XIXe (cf. Asie centrale) – en a profité pour occuper brièvement le haut bassin de l’Ili ; elle ne le restitue à la Chine qu’en échange d’avantages diplomatiques et commerciaux. Le régime tsariste comme son successeur soviétique conserveront une influence sur le Xinjiang, jusqu’à son invasion par les communistes chinois en 1949.
En Mongolie, la consolidation du pouvoir des Qing se traduit par l’installation de colons chinois dans le sud (la Mongolie « intérieure »), ce qui pousse de nombreux Mongols à migrer plus au nord. Théoriquement, cette région est placée sous l’autorité d’un gouverneur mandchou mais, en réalité, l’essentiel de l’économie est aux mains de khans héréditaires et du clergé lamaïste (les moines représentent, à l’époque, 40 % de la population masculine). Bien que largement fermée aux Chinois et aux étrangers, cette Mongolie « extérieure » s’ouvre à l’influence de la Russie : en 1860, le régime des tsars ouvre un consulat à Ourga. Cette situation prévaut jusqu’à l’instauration de la République en Chine. Si les seigneurs féodaux du sud affirment leur fidélité au nouveau régime, ce n’est pas le cas des khans Mongols du nord : refusant de reconnaître l’autorité des républicains chinois, ils proclament alors leur indépendance, sous la souveraineté du Bodgo Gegen (« pontife éclairé »), chef du lamaïsme tibétain en Mongolie[5]. L’année suivante, le nouveau khanat signe un traité avec la Russie tsariste.
Malgré leur tentation d’en découdre, les républicains chinois doivent accepter l’autonomie de la Mongolie extérieure, devenue de facto un protectorat russe, bien que restant théoriquement sous tutelle de la Chine. La révolution bolchévique survenue en Russie rebat provisoirement les cartes : elle permet aux Chinois de rétablir leur souveraineté sur l’ensemble des Mongols, en 1919, ce qui engendre la naissance de mouvements indépendantistes, proches des Soviétiques. D’autres acteurs, les Japonais, ont des vues sur la région : début 1921, ils s’emparent d’Ourga, avec le soutien de Cosaques anti-bolchéviques et d’impérialistes mandchous. Mais ils en sont rapidement chassés par les indépendantistes, dirigés par Damdinguine Sükhe-Bator (ou Sükhbaatar), soutenu par l’Armée rouge. Leur Parti du peuple mongol instaure un gouvernement provisoire, sous l’autorité nominale du « Bodgo khan ». A la disparition de ce dernier, la théocratie du khanat mongol se transforme, en novembre 1924, en République populaire de Mongolie, satellite de l’URSS. Le parti unique devient PRPM, par ajout de l’adjectif « révolutionnaire » à sa dénomination initiale. Quant à Ourga, elle est rebaptisée Oulan-Bator, « la ville du héros rouge », en hommage à Sükhbaatar décédé l’année précédente. Au passage, la Mongolie extérieure a perdu la partie nord-ouest de son territoire, le Tannu Uriankhai. Habité par des turcophones (les Touvains ou Touviniens), il est passé dans l’orbite russe, à la suite de la révolution chinoise de 1911, et n’en sortira plus.
En Mongolie chinoise, un prince rallié aux Japonais s’est fait proclamer chef du Mengjiang, État fantoche que les Nippons, déjà présents en Mandchourie, ont créé dans l’est en 1933. Il en sera chassé après la défaite de ses protecteurs. Le 1er mai 1947, un gouvernement autonome de Mongolie-Intérieure est fondé par les communistes chinois, alliés au Parti révolutionnaire du peuple de Mongolie-Intérieure, créé en 1925.
[1] Depuis le milieu du XVIe, le bassin du Tarim est livré au chaos entre principautés rivales.
[2] Le lamaïsme tibétain avait déjà pris le pas sur le bouddhisme indien à la cour de Kubilaï mais, à la chute des Yuan, les Mongols étaient largement revenus au chamanisme.
[3] Dzoungar : main (ou aile) gauche.
[4] 600 000 Dzoungars meurent dans les combats ou de maladies. Les quelques survivants se réfugient dans l’actuel Kazakhstan.
[5] Le titre a été donné par le cinquième dalaï-lama à un prince Mongol au XVIIe siècle. Les Qing ont imposé qu’il soit Tibétain au siècle suivant.
Aujourd’hui, les deux tiers des Mongols vivent dans les régions périphériques de la Chine, un petit tiers en Mongolie indépendante et un peu plus de 5 % en Russie. Les plus nombreux (plus de 80 %) sont ceux du groupe oriental, qui comprend les locuteurs de langue khalkha (majoritaires en république « extérieure ») et ceux de langue tchakhar qui vivent en Mongolie intérieure, région « autonome » chinoise de 1 183 000 km² (cf. Encadré spécifique dans Chine populaire).
Le groupe méridional (8 %), rassemble des ethnies disséminées dans les régions périphériques chinoises du Xinjiang, du Gansu et du Qinghai. Leur langue la plus parlée est celle des Dongxiang qui, à la différence des autres Mongols, ne sont pas bouddhistes lamaïstes, mais musulmans sunnites.
Le groupe occidental des Oïrats (6 %) s’étend de l’ouest de la Mongolie et du Xinjiang jusqu’au nord-ouest de la mer Caspienne, où vivent les Kalmouks. Ceux-ci constituent un peu plus de la moitié de la population de la Kalmoukie, république « autonome » russe de 74 731 km² (capitale Elista). Considérés par Staline comme des collaborateurs des nazis, beaucoup de Kalmouks ont été déportés en Sibérie, mais ceux qui avaient survécu ont été autorisés à revenir sur leurs terres à partir de 1947.
Enfin, le groupe septentrional (4 %) est dominé par les Bouriates, qui vivent au nord-est de la Mongolie, au nord de la Mongolie-Intérieure et surtout sur les bords de leur lac sacré, le Baïkal, dans le sud de la Sibérie orientale. Ils y forment environ un quart de la population de Bouriatie, république « autonome » russe de 351 334 km2 (capitale Oulan-Oude).
Carte des ethnies : cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Mongols
Photo : Guerriers mongols. Crédit : enkthamir / Pixabay