ASIE, Extrême-Orient et haute Asie

Les relations inter-coréennes

Aucune paix n’ayant été signée entre les deux pays, l’après-guerre de Corée est marqué par des épisodes d’extrême tension, le régime nordiste n’ayant pas renoncé à réunifier la péninsule à son profit.

Une réunification impossible ?

La partition a laissé face à face deux pays surarmés : plus d’un million de soldats et des missiles capables de porter des charges nucléaires et chimiques au Nord, plus de 650 000 hommes en armes bénéficiant d’équipements modernes et du soutien américain (37 000 soldats, sans compter ceux basés au Japon) au Sud. Aucun pays n’a intérêt à une réunification rapide, d’abord pour des raisons géopolitiques : Pékin souhaite garder un pays tampon avec le Japon et son allié américain, tandis que Tokyo n’est pas pressé d’avoir face à lui une Corée réunifiée qui pourrait lui demander davantage de comptes sur son occupation de la péninsule. Pour la Corée du sud, une paix permettrait certes de démobiliser les centaines de milliers d’hommes stationnés à la frontière et de bénéficier du potentiel du Nord en minerais et main d’œuvre dont seule la Chine tire profit… mais la réunification aurait un coût exorbitant (entre 2000 et 5000 milliards de dollars selon les études), tant les niveaux de développement des deux pays sont différents : le PIB du Sud est trente-cinq fois supérieur à celui du Nord et le revenu par habitant vingt fois plus important.

SOMMAIRE


L’art de souffler le chaud et le froid

La tension alimentée par le Nord en arrive, parfois, à prendre la forme d’un terrorisme d’État. Ainsi, des avions civils sud-coréens sont détournés vers Pyongyang en 1958 et en 1969, ainsi qu’un avion civil japonais l’année suivante ; en janvier 1968, une trentaine de commandos du Nord essaient d’assassiner le président Park ; l’année d’après, un avion de renseignements américain est abattu…. En pratique, le gouvernement Pyongyang exclut tout accord avec celui du Sud, considéré comme une marionnette des États-Unis, et exige des Américains davantage qu’un armistice, en l’occurrence la signature d’un accord reconnaissant formellement le régime nord-coréen. Inversement, Washington le renvoie imperturbablement à la conclusion d’un traité de paix entre Coréens. En 1972, des contacts au plus haut niveau aboutissent à création d’un comité de coordination Nord-Sud[1], mais il disparaît en 1977 et la violence d’État nord-coréenne redouble d’intensité. En 1983, une vingtaine de personnes, dont sept membres du gouvernement sud-coréen sont mortellement victimes d’un attentat qui visait le Président sudiste, à l’occasion d’une cérémonie officielle à Rangoon. La Birmanie sert de théâtre à un nouvel attentat quatre ans plus tard : une bombe posée par des terroristes nord-coréens y détruit, en vol, un avion de la Korean Airlines (115 morts).

Des discussions reprennent néanmoins en 1989 et aboutissent, en décembre 1991, à un « accord sur la réconciliation, la non-agression, la collaboration et les échanges entre le Nord et le Sud ». Qualifié d’« historique », il reste pourtant lettre morte. C’est la grave crise alimentaire traversée par le Nord, au milieu des années 1990, qui renoue les fils. Après des livraisons de céréales et d’engrais par le Sud, des négociations quadripartites (avec la Chine et les États-Uni) s’ouvrent en août 1997 à New-York,. En prélude à ces pourparlers, Pyongyang annonce son intention de respecter l’armistice de 1953, pourtant déclaré « mort » deux ans plus tôt, tout en posant la question du stationnement de troupes américaines au Sud et au Japon, sujet dont Séoul refuse de débattre. La Corée du Nord rétablit néanmoins avec le Sud un service de courrier et des lignes téléphoniques qui était interrompus depuis quarante-huit ans. En sens inverse, le régime sudiste autorise la réception des émissions de radio et de télévision du nord, jusqu’alors brouillées mais devenues accessibles via Internet.

Mais les rounds de négociation, qui se poursuivent à Genève, ne donnent rien de concret, d’autant plus qu’un grave incident se produit en 1996 : l’échouage d’un sous-marin nord-coréen sur la côte sud orientale ; une vingtaine d’agents du Nord trouvent la mort dans la traque qui en résulte ou bien préfèrent se suicider. Les choses s’enveniment encore dès les premiers mois de 1997, avec la plus importante défection d’un dignitaire nord-coréen, membre de la « vieille garde » du régime qui se réfugie à l’ambassade sud-coréenne de Pékin. Sa fuite est suivie de l’internement, voire de l’exécution publique, de certains de ses proches restés au Nord. A la même période, un autre transfuge est mortellement abattu dans la banlieue même de Séoul : il était le neveu de l’ancienne compagne de Kim Jong-il, une actrice qui venait de passer à l’Ouest[2].

Fin 1997, l’élection d’un opposant de gauche au Sud apaise la situation : dès son arrivée au pouvoir, Kim Dae-jung pratique une politique d’ouverture, dite « du rayon de soleil » (sunshine policy), inspirée du rapprochement entre les deux Allemagne. En 1998, une rencontre entre des secrétaires d’État des deux pays se tient à Pékin et un premier accord autorise leurs Croix-Rouge respectives à ouvrir des discussions, afin de réunir les familles séparées de part et d’autre de la frontière (soit dix millions de personnes). Signe de détente supplémentaires, Pyongyang met en place un système d’information pour ses ressortissants ayant des parents au Sud, tandis que Séoul autorise ses citoyens les plus âgés à se rendre au Nord et autorise ses entreprises à y investir. En mai, le fondateur du groupe Hyundai, originaire d’un village situé juste au nord de la ligne de démarcation, la franchit et offre aux nordistes cinq cents vaches chargées sur une cinquantaine de camions. Le mois suivant, un incident manque troubler cette embellie : la découverte d’un sous-marin du Nord dans les filets d’un bateau de pêche du Sud. Cette fois, Séoul décide de ne pas dramatiser l’incident et remet les corps des sous-mariniers à Pyongyang. A partir de novembre 1999, Hyundai organise, par mer puis par terre, les visites de touristes Sud-Coréens dans les monts Kûmgang à une cinquantaine de kilomètres au nord de la ligne de démarcation (DMZ), sur la côte est.

Le clou de ce rapprochement a lieu en juin 2000, quand les deux chefs d’État se rencontrent à Pyongyang, premier séjour au nord d’un chef d’Etat sud-coréen qui s’accompagne de visites entre quelques centaines de familles séparées. Ce « sommet historique » vaudra le Prix Nobel de la paix à Kim Dae-jung, même s’il apparaîtra quelques années plus tard que Séoul a dû verser deux cents millions de dollars à Pyongyang pour qu’il puisse se dérouler. Un deuxième « sommet historique », tenu en octobre 2007 à Pyongyang, débouche sur la signature d’une « déclaration de paix et de prospérité » et sur un appel aux « nations concernées à signer une déclaration mettant fin à l’état de guerre ». Sur le plan économique, la déclaration prévoit de rénover ou de mettre en service des liaisons ferroviaires et autoroutières entre les deux pays. En mai 2007, deux trains ont déjà pu effectuer un premier aller-retour entre les deux pays en traversant la ligne de démarcation.

Mais l’élection d’un Président conservateur au Sud, fin 2007, provoque un nouveau raidissement, le nouvel élu exigeant que l’aide de son pays se traduise par des gestes concrets de la part du Nord en matière de dénucléarisation et de droits de l’homme. Séoul argue notamment que les activités sur la zone économique mixte de Kaesong servent à financer une partie du programme nucléaire nord-coréen. Pyongyang répond les mois suivants en effectuant des essais de missiles à courte portée en Mer Jaune, en interrompant les voyages au mont Kûmgang et en réduisant les échanges depuis Kaesong. Début 2009, le régime nord-coréen annule les divers accords inter-coréens signés en 2000 et 2007, ainsi que le pacte de 1991. Un nouvel accès de fièvre survient en 2013, quand Pyongyang se déclare « en état de guerre » avec Séoul et coupe le téléphone rouge entre les deux pays et leurs armées.

Il est finalement rétabli un peu plus tard, de même qu’est rouvert (y compris aux investisseurs étrangers) le site de Kaejong et que sont de nouveau autorisées les réunions de familles séparées par la frontière. Un événement inédit a même lieu en septembre 2013, à l’occasion d’une compétition asiatique d’haltérophilie disputée dans la capitale nord-coréenne : le drapeau de Corée du sud est hissé et son hymne joué pour saluer les médailles de deux athlètes sudistes. Aux Jeux olympiques d’hiver, organisés au Sud en février 2018, les délégations des deux pays défilent même sous un drapeau unique. Pour la première fois depuis 2007, une rencontre entre les deux chefs d’État coréens a lieu en avril 2019, dans la DMZ : ils y affichent leur volonté de dénucléariser la péninsule et d’aboutir à un traité de paix. En gage de bonne volonté, Pyongyang adopte de nouveau la même heure que Séoul (un écart d’une demi-heure avait été institué en 2015) et libère trois prisonniers américains. Mais, en juin 2020, le Nord démolit le bureau de liaison inter-coréen de Kaesong, au prétexte que Séoul ne fait rien pour empêcher les dissidents nord-coréens d’envoyer des messages par ballons au-dessus de la frontière. Les canaux de communication entre les deux pays sont rétablis treize mois plus tard, alors que le Nord doit faire face à une nouvelle menace de pénurie alimentaire.

[1] En charge notamment de traiter le cas des trois-cents soldats sud-Coréens encore prisonniers au Nord.

[2] De 1953 à 2017, 30 000 nord-Coréens ont fui leur pays, principalement via la Chine puis des pays tiers. Le passage par la DMZ est beaucoup plus rare : à raison d’une vingtaine par an en moyenne, les incidents de franchissement ont fait un millier de morts depuis sa création.


L’atome comme arme de survie politique

Plutôt que de moderniser un matériel militaire conventionnel obsolète, comme illustré lors de la guerre de Corée, le régime nord-coréen a préféré investir massivement dans des technologies de « destruction massive », aptes à dissuader des puissances hostiles de vouloir en finir avec lui. Dès 1985, il est soupçonné de chercher à fabriquer une bombe au plutonium, à 90 kilomètres au nord de la capitale, dans le réacteur de recherche de Yongbyon, fourni par l’URSS en 1965 et alimenté par de l’uranium nord-coréen. Pyongyang n’en adhère pas moins au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) à la fin de la même année. En décembre 1991, il signe un accord de dénucléarisation de la péninsule avec le Sud, les Américains ayant accepté de retirer leurs propres armes nucléaires[1]. Dans la foulée, il signe un accord sur l’inspection de ses installations par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Mais en mars 1993, la Corée du nord change de ton et annonce son intention de quitter le TNP. La menace porte ses fruits puisque, en octobre 1994, Washington et Pyongyang parviennent à un accord qui prévoit que le Nord gèlera son programme nucléaire, en échange de la fourniture de pétrole et deux centrales à eau légère, jugées moins proliférantes que les réacteurs au graphite du Nord. Financé à 70 % par Séoul, à 25 % par le Japon et à 5 % par les États-Unis, ce programme est confié à un organisme ad’ hoc, la KEDO (Korean Peninsular Energy Development Organisation). Les premiers travaux de construction des réacteurs débutent en août 1997, mais Pyongyang n’a pas renoncé pour autant à perfectionner ses systèmes d’armement. En 1996, ses équipes ont commencé le retrait du combustible irradié de la centrale de Yongbyon et en ont extrait du plutonium dans des quantités que l’AIEA ne sait pas préciser. Deux ans plus tard, à la surprise générale, la Corée du Nord lance un missile balistique de 1 500 kilomètres de portée, qui survole l’île japonaise d’Hokkaido avant de s’abîmer dans l’océan. Pyongyang affirme qu’il ne s’agissait que d’un satellite, mais le Pentagone estime qu’il s’agissait d’un lanceur intercontinental, incursion dans le domaine spatial qui laisse présager la mise au point de missiles à longue portée, capables d’atteindre les bases américaines d’Okinawa et du Pacifique. Pourtant, le Président démocrate américain reste dans l’esprit de l’accord de 1994 – qui ne porte pas sur les engins de lancement – et décide d’assouplir les sanctions économiques contre Pyongyang.

Mais la nouvelle administration républicaine ne voit pas les choses de la même façon. Début 2002, le nouveau Président américain classe la Corée du nord au rang « d’État voyou » appartenant à un « axe du mal », au même titre que l’Irak et l’Iran. La KEDO ayant annoncé l’arrêt des livraisons de pétrole, puis suspendu la construction des deux centrales promises[2], Pyongyang expulse les inspecteurs de l’AIEA en décembre 2002, se retire effectivement du TNP le mois suivant et annule l’accord de dénucléarisation signé avec Séoul en 1991. Selon un rapport de la CIA, rendu fin 2002, Pyongyang avait de toutes façons poursuivi sa mise au point de bombes rudimentaires au plutonium (dès l’été 1998, des images satellites avaient détecté des chantiers souterrains près de Yongbyon) et entendrait mettre au point des bombes plus sophistiquées à l’uranium enrichi. Malgré les démentis d’Islamabad, les données sur l’enrichissement de l’uranium auraient été fournies par le Pakistan, en échange d’informations et de pièces pour fabriquer des missiles de longue portée.

En février 2005, Pyongyang annonce officiellement s’être dotée de la bombe atomique, « par mesure d’autodéfense », devenant ainsi la neuvième puissance nucléaire de la planète. Le mois suivant, le régime annonce également la fin du moratoire qu’il respectait, depuis 1999, sur les essais de missiles à longue portée. Un an plus tard, il lance deux engins témoignant, selon Séoul, d’un « bond en avant prodigieux » du fait de leur propulsion par un carburant solide, plus fiable que le carburant liquide utilisé jusqu’alors. En octobre 2006, en dépit d’une résolution de l’ONU, Pyongyang effectue un essai nucléaire souterrain, d’une puissance quinze fois inférieure à celle de la bombe d’Hiroshima. Le Conseil de sécurité de l’ONU adopte aussitôt des sanctions économiques et commerciales à l’égard de Pyongyang, en particulier un embargo sur les armes et les matériels susceptibles de servir à la fabrication de bombes et de missiles, en Corée du nord même ou pour le compte de pays tiers (Libye, Syrie, Iran[3], Birmanie…). En parallèle, Washington finit par accepter, à l’automne 2008, de retirer la Corée du nord de sa liste des États terroristes, afin de permettre la reprise du démantèlement du site de Yongbyon.

Mais après une nouvelle condamnation de l’ONU – pour un tir de fusée que les Occidentaux considèrent plutôt comme l’essai d’un missile de 6 700 km de portée – le régime nord-coréen annonce son retrait des pourparlers à six (instaurés en 2003 avec les États-Unis, la Chine, la Russie et le Japon) et la reprise de sa production de plutonium ; en mai 2009, il procède à un nouvel essai nucléaire. Séoul ayant adhéré au PSI (Initiative de sécurité contre la prolifération, consistant à surveiller les bateaux susceptibles de transporter des composants d’armes de destruction massive), Pyongyang affirme ne plus se sentir lié par l’armistice de 1953. En septembre 2009, le pays affirme avoir atteint « la phase finale » de son programme d’enrichissement de l’uranium, disposant ainsi d’une deuxième filière en plus de la production de plutonium. En février 2012, Pyongyang et Washington signent un moratoire sur la suspension de ces activités, en échange de la livraison d’aide alimentaire par les États-Unis. Dans ses vœux radio-télévisés de janvier 2013, le numéro un nord-coréen Kim Jong-un se dit ouvert « à des relations de coopération et d’amitié » avec les pays qui « respectent » le sien et fait même une priorité de la « grande cause nationale de la réunification » … sans renoncer pour autant à sa puissance militaire. Pyongyang annonce d’ailleurs son intention de réaliser un nouvel essai nucléaire « de haut niveau » … ce qui provoque une mise en garde inédite de la Chine, qui menace de diminuer son aide à la Corée du Nord en cas de tir. Mais la menace est sans effet : non seulement l’essai a lieu dès le mois suivant, mais il témoigne de nouveaux progrès ; d’une puissance se rapprochant de celle d’Hiroshima, il aurait été réalisé avec un engin miniaturisé, plus facile à embarquer sur des missiles. En réaction, le Conseil de sécurité de l’ONU vote des sanctions financières d’une ampleur inégalée.

En guise de réponse, Pyongyang menace les Américains d’une frappe nucléaire « préventive » (qui pourrait toucher Guam ou l’extrême-nord de l’Alaska), rompt le pacte de non-agression signé en 1991 avec Séoul et poursuit le développement de son arsenal : début 2016, le régime teste un missile mer-sol de 4 000 km de portée, témoignant de sa volonté de se doter de sous-marins lanceurs d’engins. Malgré de nouvelles pressions de Pékin, il envoie un nouveau satellite dans l’espace – probablement pour tester un missile balistique – ce qui pousse Séoul à annoncer le déploiement sur son sol d’un bouclier antimissiles américain, un système de radars et de missiles capable d’intercepter un engin balistique nord-coréen… mais aussi potentiellement chinois[4]. Le régime de Pyongyang multiplie de son côté les provocations : en août, des missiles pénètrent dans la zone économique exclusive du Japon, puis dans sa zone d’identification de défense aérienne.

En juillet 2017, le jour de la fête nationale américaine, Pyongyang tire un missile intercontinental d’une portée théorique de 10 000 km (donc capable de toucher New-York) mais plus probablement de 6 000 km avec une ogive nucléaire (pouvant donc tomber sur l’Alaska). Le Hwasong-14 (étoile de feu, le nom de la planète Mars en coréen) est inspiré d’un missile soviétique, sans doute issu d’un site de production situé dans les zones de combat entre gouvernement conflit ukrainien et séparatistes russes[5]. De nombreux observateurs jugent toutefois que, en dépit de ses progrès réels sur la miniaturisation des engins, la Corée du nord n’a pas encore totalement résolu la précision du guidage des ogives sur leurs cibles, ni la question des chaleurs intenses que les engins rencontrent en rentrant dans l’atmosphère. En septembre, elle réalise un sixième essai nucléaire, cinq à dix fois plus puissant que les précédents, ce qui accrédite sa version d’un test de bombe H, susceptible d’être embarquée sur un missile intercontinental. Le Conseil de sécurité vote à l’unanimité son huitième train de sanctions, dont les résultats sont aussi improductifs que les précédents. En août 2018, un rapport de l’ONU détaille les multiples violations dont ils font l’objet : transbordements de produits pétroliers interdits dans les eaux internationales, complicités de ports chinois et d’entreprises russes, embauche de travailleurs nord-coréens par la Russie, exportation de charbon, de fer et d’armes (y compris de missiles balistiques, au Yémen et en Libye, via un intermédiaire syrien)… Pyongyang passe donc facilement outre : en novembre 2017 est tiré un missile d’une portée inédite de 13 000 km, donc capable de toucher l’intégralité du sol américain puisqu’il serait monté à près de 4 500 km ! En réalité, sa portée reste inconnue, en l’absence d’indication sur l’éventuelle charge embarquée.

L’évolution est néanmoins jugée suffisamment sérieuse pour qu’une rencontre entre Kim Jong-un et le nouveau Président républicain américain, Donald Trump, se déroule en juin 2018 à Singapour. Les deux hommes signent un accord en vue d’une « dénucléarisation de toute la péninsule coréenne », sans autre décision que l’arrêt des manœuvres communes américano-sud-coréennes. Le mois suivant, Pyongyang annonce le démontage d’installations de son site de lancement de missiles de Sohae (au nord-ouest), ainsi que le démantèlement de son site d’essais qui, en réalité, s’était déjà partiellement effondré du fait de la puissance du dernier essai réalisé et est devenu moins utile depuis que le pays s’est doté de capacités de simulation numérique, comme les grandes puissances. Il commence aussi à restituer les dépouilles de soldats américains morts sur son sol durant la guerre de Corée. En réalité, l’AIEA comme les services de renseignement de Washington ne notent aucun signe de dénucléarisation, Pyongyang continuant à exploiter son réacteur plutonigène de Yongbyon et y modernisant son centre de recherche, tout en continuant l’extraction et la concentration d’uranium sur son site de Pyongsan (sud-ouest).

Un nouveau sommet avec le chef d’État américain se tient bien à Hanoï, en février 2019, mais il s’achève sans accord, ni déclaration commune. Les négociations ont achoppé sur le périmètre de la levée des sanctions internationales, en échange du démantèlement de Yongbyon. Du coup, le Nord relance la reconstruction de son pas de tirs de Sohae. En juin suivant, à l’issue d’un sommet du G20 tenu au Japon, le Président américain se rend dans la DMZ et traverse même la ligne de démarcation pour saluer Kim Jong-un sur le sol nord-coréen, ce dernier traversant en sens inverse pour saluer son homologue sudiste sur le sol sud-coréen. Mais l’épisode n’a pas de suite : en décembre 2019, le numéro un de Pyongyang annonce la fin de son moratoire sur les essais nucléaires et balistiques et laisse même entrevoir le lancement d’une nouvelle arme stratégique, puis le développement d’un sous-marin lanceur d’engins nucléaires, alors que ses équipements dans la guerre sous-marine sont considérés comme vétustes. Un premier missile balistique est lancé depuis un submersible en octobre 2021. Le Sud, lui, s’est déjà équipé : en août précédent, il a mis à l’eau son premier sous-marin capable de tirer des missiles balistiques mer-sol dotés de charges nucléaires. En janvier 2022, le Nord affirme avoir testé, avec succès, un missile hypersonique.

Entretemps, la Corée du nord a développé ses capacités dans la guerre cybernétique. En décembre 2014, le producteur Sony renonce à distribuer une comédie d’espionnage qui mettait en scène l’assassinat de Kim, après avoir été victime d’une cyberattaque massive. Les hackeurs payés par Pyongyang sont également soupçonnés d’avoir mené, en 2017, une attaque qui frappe 200 000 sites informatiques dans cent cinquante pays, Chine et Russie comprises.

Bien qu’en proie à de nouveaux problèmes alimentaires, le régime n’en poursuit pas moins sa politique militaire. En octobre 2022, un missile balistique survole même le Japon, avant d’aller s’écraser dans le Pacifique. Le mois suivant est tiré le Hwasong 7, un « missile monstre » susceptible de porter plusieurs ogives nucléaires jusqu’à la côte est des États-Unis. En novembre 2023, Pyongyang annonce le lancement de son premier satellite d’observation militaire, ce qui conduit Séoul à suspendre l’accord de 2018 sur la limitation des risques d’affrontements (suppression des exercices à proximité de la DMZ, secteurs d’exclusion aérienne, zone tampon maritime). Le Nord annonce aussitôt la rupture de cet accord et le déploiement de nouvelles troupes et de nouvelles armes près de la ligne de démarcation. En janvier 2024, Pyongyang annonce développer un « système d’armement nucléaire sous-marin« .

[1] Dans les années 1970, le régime sud-coréen avait eu des velléités de mener un programme nucléaire militaire mais y avait renoncé devant la très forte hostilité des Américains. En 2004, Séoul reconnaîtra toutefois qu’un de ses laboratoires a produit, sans autorisation, du plutonium en 1982 et un peu d’uranium enrichi début 2000.

[2] La construction des réacteurs est définitivement arrêtée, malgré 1,5 milliards de dollars de travaux effectués (l’équivalent d’à peu près deux ans de financement du programme nucléaire nord-coréen).

[3] Certains essais seraient réalisés conjointement avec l’Iran, ce qui lui permettrait d’obtenir des informations sans devoir procéder lui-même à une expérimentation réelle.

[4] Testé en 2017 le bouclier Thaad est limité aux missiles balistiques de portée courte à intermédiaire, mais doit être complété, en Alaska et Californie, par un système (GMD) destiné à contrer les missiles intercontinentaux.

[5] Deux diplomates nord-coréens de Biélorussie y avaient été arrêtés en flagrant délit d’espionnage en 2012.


Tensions en mer Jaune

L’accord d’armistice de 1953 n’ayant rien statué à leur sujet, la délimitation des eaux territoriales inter-coréennes n’a jamais été arrêtée. Les textes relatifs aux droits de la mer ne peuvent pas davantage s’appliquer, compte tenu de l’absence de relations diplomatiques et de traité de paix entre les deux pays. Au nom de l’ONU, les États-Unis ont certes tracé une « ligne de démarcation nord », mais elle n’est pas reconnue par la Corée du nord qui, de son côté, a décrété, en 1977, une « zone maritime militaire » de 70 km depuis ses côtes.

Des affrontements armés meurtriers se déroulent plus particulièrement autour des îles sud-coréennes que revendique Pyongyang, Baengnyeong, Daecheong et Yeonpyeong ; situées juste au sud de la ligne frontalière décrétée par les Nations unies, elles ne sont qu’à une douzaine de kilomètres des côtes du Nord et à trois kilomètres de l’île nord-coréenne la plus proche. La zone est si sensible que les bateaux de pêche se font fréquemment escorter par des navires de guerre de leur pays, au risque que cela n’engendre de véritables batailles navales (une trentaine de marins tués en juin 1999 et autant trois ans plus tard). En novembre 2010, la Corée du Nord tire des dizaines d’obus sur l’île même de Yeonpyeong (quatre morts), alors que l’armée du Sud se livrait à des manœuvres dans la zone. Mais l’accrochage le plus sérieux en Mer jaune (ou Mer de l’ouest) a eu lieu, en mars 2010, avec le naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan (une quarantaine de morts). Selon une commission d’enquêteurs internationaux, elle aurait été victime d’une torpille tirée par un sous-marin nord-coréen, mais Pyongyang dément et met en avant une enquête d’experts russes, selon lequel le bâtiment aurait touché l’antenne d’une mine sous-marine sud-coréenne.

Une nouvelle tension survient en janvier 2024 lorsque, au lendemain d’exercices américano-sud-coréens près de la DMZ, Pyongyang tire plusieurs centaines d’obus sur le nord des îles Baengnyeong et Yeonpyeong, obligeant Séoul à évacuer la population locale.

Crédit photo : Wreindl / Pixabay

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