ASIE, Extrême-Orient et haute Asie

Corée du nord (RPDC)

Dirigée d’une main de fer par la dynastie des Kim, la République populaire démocratique de Corée est devenue un des rares États à détenir l’arme nucléaire.

120 538 km² (55 %)

République populaire

Capitale : Pyongyang

Monnaie : won nord-coréen

25 millions de nord-Coréens

Bordé à l’est par la mer du Japon, appelée « mer de l’Est » par les Coréens, et à l’ouest par la mer Jaune, voisine de la mer de Chine orientale, le pays partage 238 km de frontières avec la Corée du sud, 1 416 km au nord avec la Chine et 19 km au nord-est avec la Russie. L’essentiel de la frontière sino-coréenne est constitué par les fleuves Amnok (Yalu en chinois) et Tumen. Les trois quarts du pays sont montagneux ou constitués de plateaux, prolongeant ceux de Mandchourie orientale. C’est sur l’un d’eux, au nord-est, que se situe le point culminant, partagé avec la Chine : le mont Paektu (2 750 m), considéré comme sacré par les Coréens et les Mandchous. Le climat est de type continental, limitant la production agricole à une seule récolte annuelle.

La population est extrêmement homogène, composée quasi exclusivement de Coréens.

Bien que la liberté religieuse soit garantie par la Constitution, aucune religion n’est pratiquée officiellement et les persécutions sont monnaie courante (en particulier à l’encontre des chrétiens[1]). Le chendoïsme, culte syncrétique issu de la secte rebelle Donghak du XIXe siècle, bénéficie d’une représentation à travers le Parti Chondogyo-Chong-u : il est membre du très théorique Front démocratique pour la réunification de la patrie, coalition de trois partis « d’orientation socialiste » créée en 1946 pour réunifier la Corée.

[1] En dépit de la religion presbytérienne de la propre mère de Kim Il-sung.

SOMMAIRE

Crédit : Steve Barker / Unsplash

De Kim Il-sung à Kim Jong-il

Dès la fin de la guerre inter-coréenne (cf. Le monde coréo-mandchou avant les indépendances), qui a fait chuter le niveau de population[1], le régime commence ses premières purges. Tenu pour principal responsable de l’échec de la reconquête, le vice-Premier ministre Pak Hon-yong, leader communiste venu du sud, est arrêté et condamné à mort pour espionnage au profit des États-Unis. En 1958, le même sort est réservé aux dirigeants des factions prochinoise et pro-soviétique du Parti du travail qui tentent de s’emparer du pouvoir. Kim Il-sung devient le seul maître à bord, gardant ses distances tant avec la « révolution culturelle » chinoise qu’avec le soviétisme, considéré comme révisionniste et hégémonique. Dès la fin du conflit, le pays s’est engagé dans le développement de son industrie lourde, grâce aux subsides russes et chinois, mais aussi aux infrastructures (notamment électriques) laissées par l’occupant japonais. Organisée selon une planification centralisée de type soviétique, la production est assurée par des entreprises d’État, dans deux grandes régions : celle de Pyongyang et de son avant-port Namp’o à l’ouest et celle des grands pôles métropolitains du nord-est. Une agriculture de type industriel, utilisant forces engrais, est également mise en œuvre sur les terres cultivables (environ 20 % du territoire), dont la collectivisation s’achève en 1958. A l’été 1961, la Corée du nord signe avec la Chine un traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle, Mao Zedong affirmant alors que les deux alliés ont la même proximité que « les lèvres et les dents ».

La volonté d’indépendance du régime s’accentue après la rupture sino-soviétique de 1962. L’année suivante, il lance le mouvement du Chollima (cheval légendaire capable de parcourir mille lieues en une journée), destiné à inciter les masses au travail et à séduire certains exilés, notamment ceux du Japon. En 1967, l’idéologie du « juche » sacralise cette volonté de ne compter que sur ses propres forces pour atteindre l’autosuffisance économique et militaire : quasi-religion d’État, elle pose les bases de la « voie coréenne vers le socialisme », mélange d’autocratisme stalinien, d’autarcie (forgée durant les années de guérilla), de références au confucianisme (comme le respect des hiérarchies et la primauté de la société sur l’individu) et même de traditions chamanistes.

A la fin de l’année 1972, Kim Il-sung renforce formellement son pouvoir : la nouvelle Constitution en fait le Président de la République, et plus seulement le Premier ministre. Le régime prend également une tournure dynastique, avec l’arrivée au premier plan de Kim Jong-il, fils né de sa première union. Entré en 1980 au présidium du bureau politique du comité central du parti, le « cher dirigeant » accède au pouvoir à la mort de son père : d’abord comme commandant suprême des armées, fin 1994, puis comme secrétaire général du PTC, à l’automne 1997, après les trois années de deuil décrétées en hommage au Président défunt. Un an plus tard, malgré l’hostilité d’une partie de la « vieille garde » du parti, Kim Jong-il accède à la présidence de la commission de la Défense nationale, c’est-à-dire au rang de numéro un du pays puisque, en vertu d’un amendement constitutionnel, le poste de Président de la République a été supprimé, aucun dirigeant n’étant apte à succéder au « Président éternel » Kim Il-sung. Cette évolution traduit la prédominance de l’armée sur le parti : comptant plus d’un million d’hommes, elle contrôle l’industrie d’armement qui constitue une des seules ressources extérieures du pays ; chaque année, l’exportation de missiles, notamment vers le Pakistan et l’Iran, procurerait un milliard de dollars de devises à Pyongyang. Pour obtenir la confiance de l’État-major, le nouveau dirigeant promeut plus de neuf cents officiers au poste de général en cinq ans.

[1] Entre les morts et les départs vers le sud, la Corée du nord ne compte plus que 9 millions d’habitants en 1955, contre 9,7 millions d’habitants six ans plus tôt.

L’armée, un État dans l’État
Forte de son rôle dans la guerre de libération contre le Japon, l’armée est un acteur de premier plan dans le pays. Son développement a été favorisé par la politique du Songun (« l’armée d’abord ») menée par Kim Jong-il. Elle compte 1,2 million de soldats et quatre fois plus de réservistes : après leur service, qui dure entre huit et dix ans, les hommes sont intégrés à des milices. Elle exploite aussi plus d’une centaine d’usines (d’armements et civiles) ainsi que des banques et des sociétés commerciales. 
20 à 25% des ressources du pays sont consacrées à la défense, sans compter les recettes parallèles tirées de la vente d’armes (Pakistan, Iran, Libye…) et de divers trafics, y compris de piraterie. Le pays est en effet accusé par les États-Unis de financer son armement par diverses activités illicites telles que la fausse monnaie et surtout la drogue (opium et trafic de métamphétamines vers le Japon). Pyongyang fournit également plus de 150 000 travailleurs aux industries et services de la Chine du nord-est ainsi que de la Russie sibérienne, mais aussi de l’Angola, de Algérie, des pays du Golfe et même de la Pologne. Ce prêt de main d’œuvre, parfois proche du travail forcé, rapporterait au moins un demi milliard de dollars par an. L’argent est directement versé aux agences d’emploi ou aux entreprises nord-coréennes, telles que la chaîne de restaurants Pyongyang présente dans toute l’Asie, de la Mongolie jusqu’au Cambodge. 

Le rôle de l’armée est d’autant plus essentiel que Pyongyang a dû assister, impuissante, au rétablissement par Séoul de relations diplomatiques avec le bloc soviétique, puis à la disparition pure et simple de l’URSS. Compte-tenu de ses propres difficultés économiques, la Russie exige que la Corée du nord paye en devises et au prix du marché le prix du pétrole qu’elle lui fournit. Du coup, Pyongyang rompt avec sa stratégie d’équilibre et se rapproche de Pékin. Au début des années 1990, Kim Il-sung effectue deux visites en Chine, mais sans pouvoir convaincre Pékin d’utiliser son droit de veto pour empêcher l’entrée de la Corée du sud à l’ONU ; du coup, celle du nord y adhère aussi, en 1991. Au début des années 2000, c’est au tour de Kim Jong-il de visiter son voisin chinois, afin de développer des zones économiques mixtes et d’obtenir une aide alimentaire.


Les cahots du développement économique

Malgré le réseau d’irrigation et la mécanisation de l’agriculture développés grâce à l’URSS, les campagnes souffrent en effet d’une dégradation considérable de leurs infrastructures. Du fait de l’arrêt de l’aide soviétique, des errements du collectivisme et d’une corruption endémique, certaines ressources telles que les engrais et les carburants commencent à manquer, tandis que les dépenses militaires engloutissent 25 % du budget national. Pour ne rien arranger, l’érosion des sols s’est amplifiée sous l’effet de la déforestation, de sorte que le pays connait de graves inondations au milieu des années 1990. La production céréalière ayant été divisée par deux depuis la fin des années 1980, une partie de la population se retrouve confrontée à une famine sans précédent : alors que le régime évoque le chiffre de 50 000 morts à la suite « de problèmes alimentaires temporaires » – quand les stocks de l’armée et de la nomenklatura continuent à être normalement achalandés – entre 600 000 et 800 000 habitants vont mourir de faim entre 1995 et 1998[1]. Au milieu d’un déferlement de rumeurs non confirmées (cannibalisme, vente de la chair de prisonniers exécutés), la Croix-Rouge certifie que, dans les régions montagneuses du nord, « la population est réduite à manger des écorces d’arbres trempées dans l’eau » tandis que l’UNICEF documente la propagation de maladies dues à la malnutrition (pneumonies, diarrhées, poliomyélite…). La situation est telle que, en mars 1997, Pyongyang se résout à demander une aide alimentaire aux Américains et au sud-Coréens, en échange de sa participation à des négociations de paix, alors que la propagande nordiste voulait jusqu’alors que les sudistes soient dépourvus de ressources.

Le régime n’en poursuit pas moins ses dépenses pharaoniques : pour le troisième anniversaire de la mort de Kim Il-sung, il inaugure en juillet 1997 un mausolée fastueux où repose le corps embaumé du défunt : ce « Palais de la commémoration » comprend une « tour de la vie éternelle » (toute en granit) et il est couvert de murs en marbre. Toutefois, des réformes sont engagées pour juguler la crise économique. En 2002, le régime instaure la libéralisation des prix et des salaires et rend payants certains services jusqu’alors gratuits. Il renoue également avec la Corée du sud et le Japon, dont l’aide est indispensable au succès de projets tels que la zone économique spéciale de Kaesong[2] et le développement du tourisme : des dizaines de milliers de sudistes se rendent en pèlerinage au Mont Kŭm-gang, montagne coréenne sacrée, lors des croisières qu’organise le chaebol Hyundai. Cette évolution vers le libéralisme, bien-sûr non officielle, vise à redonner de l’oxygène à une économie en chute libre (les usines ne fonctionneraient qu’à 10 % de leur capacité), même si le secteur agricole donne des signes d’amélioration.

En 2006, l’agriculture est proclamée « premier front de la construction du socialisme » et les citadins sont envoyés aux champs pour désherber et repiquer le riz. La mécanisation étant très faible, beaucoup de tâches sont effectuées manuellement, du pompage de l’eau jusqu’au transport de semence à vélo voire à dos d’homme. Les récoltes, notamment de riz, s’améliorent et les conditions de vente sont assouplies : dans les grandes villes, des marchés libres se sont généralisés pour compenser la faillite des marchés d’État. La production de céréales reste néanmoins soumise aux conditions climatiques. A l’été 2006, puis l’été suivant, de violentes inondations entraînent la perte de nombreuses productions tout en dégradant encore davantage les conditions sanitaires. Aggravée par la déforestation sauvage (privée de fioul, la population coupe des arbres pour se chauffer), la catastrophe d’août 2006 fait 10 000 morts et des dizaines de milliers de déplacés, parfois victimes de la famine et du paludisme. Même sans ces aléas, la production agricole demeure insuffisante par rapport aux besoins, si bien que la Corée du nord continue à dépendre de l’aide alimentaire extérieure, essentiellement chinoise et ponctuellement sud-coréenne. De surcroît, la plupart des haut dignitaires militaires entravent systématiquement les réformes économiques, pourtant timides.

[1] Certaines sources avancent 2 à 3 millions de morts, mais, en 2010, les résultats du premier recensement effectué depuis 1993, avec l’aide de l’ONU, indiquent que la population est passée de 21 à 24 millions en quinze ans. Certains indicateurs sont néanmoins au rouge : ainsi, l’espérance de vie globale a diminué de près de quatre ans.

[2] Longtemps structuré autour de Pyongyang et des grands pôles d’industrie lourde de la côte est, l’espace industriel nord-coréen a été transformé par la création de zones économiques spéciales périphériques (Rajin-Sŏnbong en 1991, puis Sinŭiju, Kaesŏng et le mont Kŭmgang en 2002) et la croissance de la côte ouest.

Fresque à la gloire de Kim Il-sung. Crédit : Thomas Evans / Unsplash

Le retour du Parti et du « byungjin »

Les absences publiques de Kim Jong-il, en 2008, alimentent les spéculations sur son état de santé, spéculations qu’alimente la promotion de son troisième fils au statut de dauphin : né au début des années 1980[1] et formé en Suisse, Kim Jong-un entre au bureau politique du parti et à la commission militaire à l’automne 2010. Poursuivant la « lignée du Mont Paektu[2] », il succède à son père, après son décès en décembre 2011. Comme lors de la succession précédente, divers concurrents potentiels sont emprisonnés, voire exécutés ; son demi-frère et fils aîné du défunt, Kim Jong-nam, est quant à lui placé « sous protection chinoise » à Pékin[3]. Fidèle au fonctionnement instauré par ses prédécesseurs, le nouveau chef du régime engage au printemps 2012 une épuration au sein de l’administration du PTC et une remise au pas de certains dignitaires militaires, jugés trop autonomes vis-à-vis du nouveau pouvoir. Fin 2013, le numéro deux du régime, pourtant oncle par alliance du nouveau dirigeant et proche de Pékin, est arrêté pour conspiration et aussitôt exécuté. Des dizaines de personnes sont également éliminées, lors d’exécutions publiques, pour avoir regardé des émissions de la télévision sud-coréenne sur des supports informatiques ou violé la loi sur la pornographie : Kim Jong-un fait ainsi fusiller une ex-petite amie, ainsi que son mari et une dizaine de membres de son groupe de chansons populaires, pour diffusion de sex-tapes. La reprise en main de l’armée se traduit par la nomination de cinq ministres de la défense et trois chefs d’état-major en quatre ans et par la diminution de la représentation des militaires au sein du bureau politique du PTC.

Rompant avec la « primauté à l’armée » instaurée par son père, Kim Jong-un replace le Parti au premier plan et remet au goût du jour un slogan des années 1960, le byungjin (« parallélisme ou avancée simultanée » des capacités militaires et du développement économique). C’est dans ce cadre qu’il relance l‘initiative privée dans le commerce, l’artisanat et les services, ainsi qu’une timide ouverture aux investissements étrangers, alors que l’économie est toujours chancelante. La multiplication des découvertes de bateaux nord-coréens sur les côtes du Japon, avec les corps décomposés de leurs équipages à bord, illustre la précarité de la pêche, notamment aux crabes : source majeure de devises à l’export et de plus en plus contrôlée par l’armée, elle s’effectue de plus en plus loin en mer, sur des embarcations vétustes et dont les moteurs ne sont parfois pas assez puissants pour résister aux courants.

La voie choisie par Kim Jong-un est validée par le Congrès du PTC qui se réunit en mai 2016 – pour la première fois depuis 1980 – et l’élit Président. Le mois suivant, il prend la tête d’un nouvel organe de gouvernement coiffant tous les autres, la Commission des affaires de l’État, qui remplace la Commission de défense nationale. En mai 2018, en préparation d’un sommet avec les États-Unis sur le nucléaire, il remplace son ministre de la Défense et le chef des armées par leurs adjoints, jugés plus enclins à accepter la tutelle croissante du parti sur l’armée et plus ouverts au changement : le mois précédent, le régime a en effet annoncé l’aboutissement de la politique nucléaire nationale et donc abandonné la doctrine du développement parallèle de l’économie et de l’arme atomique.

Mais la ligne « byungjin » redevient d’actualité fin 2019, à la suite de l’échec des négociations avec les États-Unis (cf. Les relations inter-coréennes). Le pays est en effet confronté à de nouvelles difficultés économiques ; la récolte 2018-2019 a été la plus mauvaise en dix ans, la sécheresse sévit et le Parti rappelle à « la morale socialiste » les entrepreneurs privés (« maîtres en monnaie »), quitte à geler certains programmes prévus avec la Chine, à l’exception du tourisme : plus d’un million de Chinois visitent ainsi la Corée du nord en 2018. En janvier 2021, Kim Jong-un concède devant le Congrès du PTC que la nouvelle crise alimentaire[4], accentuée par la diminution des échanges avec la Chine pour cause de pandémie de coronavirus, est due à « des erreurs dans presque tous les domaines de la stratégie de développement du pays ». Comme ses père et grand-père, il est nommé Secrétaire général du Parti (poste plus important que celui, honorifique, de Président), dix-huit mois après avoir été officiellement proclamé chef de l’État, à la suite d’une révision constitutionnelle ; un poste de Secrétaire général adjoint est par ailleurs créé, tandis que disparaissent des statuts du PTC des formules très belliqueuses, héritées de la guerre froide, à l’encontre de la Corée du sud et du Japon.

Dans la pratique cependant, le régime multiplie les essais nucléaires et tests d’engins balistiques jusqu’au large des côtes nippones et sud-coréennes (cf. Les relations inter-coréennes) et annonce la construction d’un sous-marin nucléaire destiné à lutter contre « l’ennemi américain ». En septembre 2022, juste après une offre de dialogue du Sud jugée prématurée par la sœur et porte-parole de Kim Jong-un, Pyongyang affirme avoir lancé un prototype de missile hypersonique. Deux mois plus tard, le lancement d’un énorme missile balistique intercontinental marque la première apparition publique de la fille du dictateur, âgée d’une dizaine d’années.

[1] La propagande le fait naître en 1982 (ce qui coïncide avec les naissances de Kim Il-sung en 1912 et de Kim Jong-il en 1942), mais il est probablement né en 1984.

[2] La montagne sacrée des Coréens est censée être le lieu de naissance de la dynastie des Kim.

[3] Très critique du régime, il sera assassiné en février 2017, aspergé d’un produit très toxique, alors qu’il attendait un avion à l’aéroport de Kuala-Lumpur en Malaisie.

[4] Au moins 40 % de la population serait en situation de déficit alimentaire.

Le « goulag caché »

Selon divers rapports d’ONG, basés sur de rares témoignages de rescapés et de gardiens ainsi que sur des observations satellites, quelque 200 000 nord-Coréens sont détenus dans une dizaine de camps, situés dans des zones interdites et difficiles d’accès. Arrêtés le plus souvent pour « espionnage », le plus souvent sur la base de simples liens familiaux ou amicaux, les détenus sont soumis à des cours de rééducation et à des travaux proches de l’esclavage, souvent dans le domaine agricole (y compris de culture d’opium). 40 % d’entre eux y mourraient de malnutrition. En cas de « délit politique » de l’un de ses membres, une famille peut être punie collectivement sur trois générations. Les rapports évoquent également des avortements forcés sur les migrantes illégales renvoyées par la Chine, voire des infanticides commis sous les yeux des mères. En 2004, l’ancien chef d’un camp proche de la frontière avec la Russie ayant fait défection affirme même que des armes chimiques sont expérimentées sur des détenus.

Chine et Russie : je t’aime moi non plus

En dépit de soubresauts dans leurs relations, Pyongyang bénéficie d’un soutien indéfectible de la Chine. Les deux pays partagent 1 400 km de frontière, ainsi qu’une histoire commune de lutte contre les Occidentaux ; Pékin compte par ailleurs une forte minorité coréenne sur son sol et considère la Corée du nord comme un tampon vis-à-vis des intérêts américains dans la région. Les traité d’amitié et d’assistance mutuelle, signé par les deux États en 1961, comporte une clause d’assistance militaire en cas d’invasion par un tiers. Pour autant, les relations sino-nord coréennes sont également marquées par l’ambivalence : le régime nationaliste instauré par Kim Il-sung n’oublie pas que la Corée fut longtemps vassalisée par la Chine et que même les communistes chinois se livrèrent à des purges contre les « partisans » coréens combattant les Japonais en Mandchourie, au motif que certains d’entre eux pouvaient être des espions japonais. Même l’intervention des « volontaires chinois », en 1950, n’a pas apaisé cette méfiance, puisqu’elle fut menée sous le commandement de Pékin. Le régime de Pyongyang vit également difficilement sa dépendance économique persistante vis-à-vis de la Chine, dont l’aide alimentaire, le pétrole et les achats (90 % des exportations nord-coréennes) maintiennent tant bien que mal le pays à flot. Il ne pardonne pas davantage à Pékin d’avoir établi des relations diplomatiques avec la Corée du sud en 1992 et de renforcer ses relations économiques avec elle : les échanges chinois avec Séoul atteignent plusieurs dizaines de fois la valeur de son commerce avec le Nord. Le régime nord-coréen ne rate donc pas une occasion de marquer son indépendance, en passant outre les recommandations de modération de Pékin sur le développement de son programme nucléaire, voire en « narguant » son « allié ». Exemple en septembre 2017, quand le plus important essai atomique de Pyongyang est réalisé juste avant le discours d’ouverture, par le Président chinois, du sommet annuel des BRICs (puissances émergentes) organisé en Chine…

Dans ce contexte, la Chine joue la carte de l’équilibre : tout en signant, en 2015, un accord de libre-échange historique avec la Corée du sud (dont elle est devenue le premier partenaire commercial), elle continue à soutenir un régime dont elle n’a aucun intérêt à ce qu’il s’effondre, sauf à voir un afflux de réfugiés à sa frontière et à se retrouver face à une Corée réunifiée sous parapluie américain. Les Chinois apportent, en particulier, leur expertise au programme cybernétique nord-coréen, dont les hackers professionnels attaquent notamment les ordinateurs du ministère sud-coréen de la Défense. Ils pourchassent aussi les Nord-Coréens demandant l’asile dans les ambassades et consulats étrangers en Chine, quitte à violer le statut international d’extraterritorialité dont bénéficient les représentations diplomatiques[1]. En même temps, Pékin essaie de calmer les ambitions nucléaires de son allié, par crainte qu’elles ne déclenchent une course à l’armement dans toute la région, notamment à Taïwan et au Japon. Le régime chinois table ponctuellement du poing sur la table, par exemple en février 2017 : après un nouvel essai de missile, puis l’assassinat du demi-frère de Kim Jong-un, la Chine suspend ses importations de charbon nord-coréen, première source de devises étrangères du pays. Mais la suspension n’est que temporaire. A la même période, un rapport de l’ONU pointe d’ailleurs le double jeu de la Chine qui, en accueillant de nombreuses sociétés écrans d’origine nord-coréennes et des intermédiaires commerciaux, permet à Pyongyang de contourner les embargos de l’ONU et de commercer tous azimuts (livraison de matériels militaires à destination de l’Erythrée, du Mozambique ou encore de la République démocratique du Congo, exportation de minerai de fer…). En juillet 2021, à l’occasion du soixantième anniversaire du traité d’amitié sino-nord-coréen, les dirigeants des deux pays affirment leur volonté de faire entrer leurs relations dans une « nouvelle phase ».

Avec l’ancien parrain soviétique, les relations se sont détériorées lorsque, après la chute de l’URSS, Moscou a remis en cause le traité militaire signé à l’époque soviétique et exigé le remboursement de la dette de Pyongyang, ainsi que le paiement en devises des achats nord-coréens. La tension a été d’autant plus forte que le programme nucléaire nord-coréen a essayé de profiter de la fuite des cerveaux en Russie et de débaucher des experts du centre de Tcheliabinsk. Mais la Corée du nord est revenue en grâce auprès du régime de Poutine, au nom de la lutte contre « l’impérialisme américain », mais aussi parce que des milliers de nord-Coréens travaillent en Russie, notamment dans l’exploitation forestière en Sibérie, pour payer les dettes contractées par leur pays. De son côté, Pyongyang y voit un moyen d’atténuer sa dépendance vis-à-vis de la Chine. A l’automne 2013 est mis en service un tronçon ferroviaire entre la frontière russe et le port nord-coréen de Rason, afin de désengorger Vladivostok en hiver. L’année suivante, Moscou annule 90 % de la dette nord-coréenne vis-à-vis de l’ex-URSS et les deux pays décident de commercer en rouble, pour épargner leurs réserves en dollars. Dans le même temps, la Russie augmente ses livraisons de pétrole et d’armement à la Corée du nord, en échange d’un accès accru à ses ressources minières.

[1] En 2002, des policiers chinois récupèrent des réfugiés nord-coréens dans un consulat japonais.

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