Taïwan (République de Chine)

Taïwan (République de Chine)

Soutenue par les Etats-Unis, l’île est fermement revendiquée par Pékin qui la considère comme une province chinoise.

36 188 km²

République

Capitale : Taipei

Monnaie : nouveau $ taïwanais

24 millions de Taïwanais

Taïwan est séparée de la Chine continentale par le détroit de Formose[1], un des lieux de passage les plus fréquentés au monde : large de 130 à 180 km, il voit passer près de la moitié des porte-conteneurs de la flotte mondiale (dont beaucoup provenant de Chine populaire).

La République de Chine compte quelque quatre-vingt-dix îles, dont les deux tiers forment l’archipel de Penghu (ou des Pescadores, 127 km²) : Taïwan (35 873 km²) est de loin la plus grande. S’y ajoutent l’île de Quemoy (ou Kinmen) et ses dépendances, ainsi que les îlots de Matsu et Wuqiu, respectivement situés à moins de deux et vingt kilomètres des côtes de la Chine

populaire, face à la province de Fujian, alors qu’ils sont distants de 150 km des côtes taïwanaises.

Le tiers de Taïwan est situé plus de 1 000 mètres d’altitude, son point culminant s’élevant à près de 4 000 mètres. Les montagnes couvrent la majeure partie orientale de l’île, cependant qu’à l’ouest une grande plaine alluviale succède aux collines du nord. Le climat est à dominante tropicale. La grande majorité des habitants vit au nord (où se trouve la capitale) et le long de la côte ouest : les densités y dépassent 1000 habitants au km².

[1] Formosa (« la Belle ») est le nom donné à l’île par les navigateurs portugais au XVIe siècle.


La population est composée à plus de 95 % de Han, venus de Chine continentale en plusieurs vagues (cf. Encadré sur l’histoire taïwanaise dans le Monde sino-mongol) : un peu moins de 70 %, de dialecte hokkien (ou minnan), descendent de Chinois implantés à partir du XVIIe siècle et 15 %, de dialecte hakka[1], sont issus de migrants installés à partir du XIXe ; les derniers arrivants (14 %) sont les héritiers des nationalistes ayant suivi Tchiang Kaï-chek dans sa fuite en 1949 ; leur langue, voisine du mandarin continental, a été promue au rang de langue nationale, dans une population qui se mélange de plus en plus au fil des mariages mixtes. La sinisation n’épargne pas les 2 % de Taïwanais aborigènes : appartenant à une douzaine de peuples, dont les ancêtres sont arrivés du sud-est de la Chine au quatrième millénaire AEC, ils parlent des langues « formosanes », relevant de la vaste famille austronésienne. Enfin, 2 % des habitants sont des migrants récents, venus de Chine et d’Asie du sud-est.

En plus d’adhérer aux valeurs sociales du confucianisme, la population pratique pour moitié une religion : le bouddhisme Mahāyāna (22 %, cf. L’Inde creuset de religions), le taoïsme (21 %) et le christianisme (essentiellement protestant, 3 %).

[1] Han mélangés à des populations méridionales, les locuteurs Hokkiens et Hakka ont fui le continent (Fujian et Guangdong) pour des raisons économiques, vers Taïwan, mais aussi les Philippines, la Malaisie et Singapour.

Battus en 1949 par les communistes en Chine continentale, Tchang Kaï-check et ses partisans nationalistes se réfugient à Taïwan, tout en parvenant à conserver une poignée d’îles proches de la côte chinoise. Le pouvoir du Kuomintang (KMT) dans son refuge est toutefois loin d’être assuré. Deux ans plus tôt, le 28 février 1947, la confiscation de cigarettes de contrebande à une vendeuse de Taipei (« l’incident 228 ») a déclenché la révolte d’une partie de la population taïwanaise contre les spoliations qu’elle estimait subir de la part des nationalistes de Nankin, qui gouvernent toute la Chine, depuis la défaite des colonisateurs japonais en 1945. Connue sous le nom de « terreur blanche », la répression du mouvement a été impitoyable : elle a fait entre 20 000 et 30 000 morts et s’est accompagnée de l’instauration de la loi martiale qui provoquera la disparition et l »emprisonnement de milliers de Taïwanais.

Malgré cet exercice autoritaire du pouvoir, Tchang Kaï-check et le KMT peuvent compter sur le soutien des États-Unis, lorsqu’ils se réfugient dans l’île en 1949. Le soutien américain est d’autant plus ferme que la guerre de Corée éclate en juin 1950 et qu’une offensive communiste contre l’île, considérée par Pékin comme la vingt-troisième province chinoise, semble imminente. Pour protéger leur allié, les Américains déploient leur VIIe flotte dans le détroit de Formose, puis une mission militaire à Taïwan même en 1951. Trois ans plus tard, après la fin des guerres de Corée et d’Indochine, Washington signe des traités militaires qui font de Taïwan un de ses relais régionaux ; entretemps, la Maison blanche a imposé que le régime nationaliste soit le seul et unique représentant de la Chine à l’ONU, titulaire d’un siège permanent au Conseil de sécurité.

Sur le terrain, Tchang ne renonce pas à ses espoirs de reconquête de la Chine. Juridiquement d’ailleurs, l’île n’a pas déclaré son indépendance et la Constitution taïwanaise la mentionne sous le nom de « République de Chine ». Avec l’appui des services américains, le KMT organise des opérations régulières dans la province du Fujian, allant du largage de tracts à des parachutages de commandos. Pékin réagit en 1955, en essayant une première fois de réoccuper les îles de Quemoy et Matsu, décrits par Mao Zedong comme les « testicules » de Tchang Kaï-Chek, une sorte de concession accordée par le régime continental, afin de prévenir une sécession totale de Taïwan par rapport à la Chine « historique ». Apaisée par la conférence de Bandung, la situation s’envenime de nouveau en 1958 : considérant que les îles servent de base aux opérations commandos des nationalistes, Pékin les bombarde allègrement, larguant sur eux plus de 470 000 obus explosifs ! Après l’envoi de renforts américains, les hostilités prennent fin en novembre : les archipels restent sous contrôle taïwanais, mais l’épisode est lourd de conséquences pour le régime de Taipei. Non seulement il met fin aux prétentions nationalistes de reconquête de la Chine populaire, mais il affaiblit surtout la position diplomatique de Taïwan : en 1971, après des tentatives avortées de reconnaissance de deux Chine, une majorité se dessine pour que le siège chinois à l’ONU revienne à Pékin, tandis que les pays occidentaux reconnaissent le régime communiste les uns après les autres, au nom de l’unicité de la Chine.

Fin 1978, le parrain américain annonce à son tour la reprise de ses relations diplomatiques avec la Chine continentale et reconnait que « les Chinois de part et d’autre du détroit considèrent qu’il n’y a qu’une seule Chine et que Taïwan (en) fait partie ». Mais Washington n’abandonne pas pour autant son soutien à Taipei : en vertu du Taiwan Relations Act, voté par leur Congrès en 1979, les Américains poursuivent leurs investissements dans une économie extrêmement dynamique, ainsi que leurs livraisons d’armes afin que l’île puisse assurer son autodéfense. D’un point de vue formel, cet accord de relations « non officielles » n’oblige pas les États-Unis à intervenir militairement pour défendre Taïwan en cas d’invasion.


De l’apaisement aux tensions avec Pékin

Tchang Kaï-chek étant décédé en 1975, son fils Chiang Ching-kuo lui a succédé. Sous la pression américaine, il s’efforce de rééquilibrer le pouvoir entre la vieille garde du KMT et les Taïwanais de souche : c’est dans cette optique qu’il écarte ses fils de sa succession. Contraint à l’ouverture, il abroge en 1987 la loi martiale (qui était en vigueur depuis près de quarante ans) et sanctionne des responsables de ses services spéciaux impliqués dans l’élimination d’un opposant. Après sa disparition, le pouvoir reste aux mains du parti dominant mais, pour la première fois, il est exercé par un Hakka. Lee Teng-hui poursuit la politique de libéralisation entreprise par son prédécesseur et assouplit les relations avec la Chine populaire : c’est dans ce cadre que des relations maritimes directes reprennent entre les deux pays, en 1997, et que des entreprises taïwanaises commencent à investir sur le continent, en particulier dans le Fujian. L’année suivante, un ministre continental se rend même, pour la première fois, sur « la précieuse île de la mère-patrie » afin de participer à un séminaire scientifique, tandis que le Président d’un organisme para-gouvernemental taïwanais (la Fédération des échanges dans le détroit) rencontre le Président chinois à Pékin. Jamais un contact à un tel niveau n’avait eu lieu depuis 1949.

Les divergences de fond subsistent néanmoins : ainsi, les dirigeants insulaires refusent la proposition pékinoise de réintégrer la Chine avec un statut particulier, faisant de la démocratisation du régime continental le préalable à toute réunification. Inversement, la réintégration de Taïwan est une priorité absolue pour les dirigeants communistes : frein à l’unification de toute la Chine, l’indépendance de l’île est d’autant plus mal vécue par Pékin qu’elle résulte d’une sécession interne, à la différence de Hong-Kong et Macao, qui viennent d’être récupérées après des occupations de type colonial. Le régime communiste accentue donc son installation de missiles en direction de Taïwan, tandis que le pouvoir insulaire déploie un nouveau système de défense anti-missile conçu par les États-Unis, officiellement pour protéger ses alliés régionaux des engins militaires nord-coréens.

La tension est alimentée par le nouveau positionnement du KMT qui ne définit plus les relations de part et d’autre du détroit de Formose comme émanant « d’entités politiques » discutant sur « un pied d’égalité », mais comme « des relations spéciales d’État à État ». Après avoir échoué à favoriser la percée d’une formation insulaire à sa solde, le Nouveau parti, Pékin publie son « Livre blanc sur Taïwan ». Paru en février 2000, juste avant les présidentielles taïwanaises, il précise très clairement la doctrine continentale : tout en accédant à la vieille revendication nationaliste d’ouvrir des négociations sur « un pied d’égalité », le document évoque explicitement un risque de guerre « si les autorités taïwanaises refusent sine die le règlement pacifique de la réunification à travers des négociations » ; jusqu’alors, le recours à la force n’était évoqué qu’en cas de proclamation unilatérale de l’indépendance ou d’intervention de « forces étrangères » dans l’île.


Les « indépendantistes » au pouvoir

En dépit des menaces continentales – ou bien à cause d’elles – les électeurs choisissent comme nouveau Président le candidat du Parti démocratique progressiste (PDP) : élu de justesse, avec un peu plus de 39 % des voix contre un peu moins de 37 % à un dissident du KMT, Chen Shui-bian défend une indépendance réelle vis-à-vis de Pékin, ne s’estimant en aucun cas lié par les tentatives de rapprochement effectuées par son prédécesseur. Balayé – son candidat officiel n’ayant obtenu que 23 % des suffrages – le KMT abandonne le pouvoir pour la première fois depuis 1949. Signe majeur de cette évolution : la nouvelle vice-Présidente est une femme qui avait été condamnée à douze ans de prison pour sa participation active à la première grande manifestation d’opposition à Kaohsiung en 1979. Entré en fonctions, Chen Shui-bian adopte toutefois une ligne modérée, promettant de ne pas déclarer l’indépendance de l’île et de ne pas organiser de référendum à ce sujet, si Pékin s’abstient de toute attaque à son encontre. De ce point de vue, la position continentale ne change pas : le Livre blanc sur la défense, qui parait à l’automne 2000, continue à prévoir l’usage éventuel de la force, notamment si Taïwan rejette indéfiniment l’offre chinoise de réunification « pacifique ».

A l’approche du nouveau scrutin présidentiel, le Président Chen durcit le ton et joue de la corde nationaliste : non seulement il fait ajouter la mention Taïwan sur les passeports (qui ne comprenaient alors que République de Chine), mais il annonce aussi son projet d’organiser un référendum « antimissiles, antiguerre », afin d’obtenir le retrait des missiles chinois braqués sur l’île. Blâmée par les Etats-Unis, qui y voient une menace de rupture du statuquo en vigueur, l’initiative ne réunit finalement pas assez de suffrages en mars 2004, lors des scrutins qui marquent la réélection de justesse du Président sortant : Chen obtint certes plus de 50 % des voix, mais seulement 30 000 de plus que son concurrent d’un KMT réunifié. L’ancien parti au pouvoir remporte d’ailleurs la majorité aux législatives de décembre suivant, devant un DPP lui aussi en progression, alors que les radicaux des deux bords sont marginalisés par les électeurs : le Parti du peuple en premier (PFP, partisan d’un rattachement immédiat à la Chine) d’un côté et le Parti de la solidarité taïwanaise (TSU, clairement indépendantiste) de l’autre. La tension monte encore d’un cran début 2005 : après le vote par Pékin d’une loi « anti-sécession », qui fait descendre des centaines de milliers de Taïwanais dans les rues de leur pays, le numéro un chinois Hu Jintao, en vareuse kaki, appelle les militaires chinois à « se préparer à un conflit armé ». En parallèle, le pouvoir insulaire poursuit sa politique de « détchangkaïsation » : début 2008, l’ancien mémorial à la gloire de Tchang Kaï-chek est transformé en Mémorial national de la démocratie.

« Chaïwan » ou l’économie d’abord

Le KMT revient au pouvoir en mars 2008 : son candidat, le continental Ma Ying-jeou est élu avec plus de 58 % des voix. Favorable à un accroissement des relations économiques avec le Continent, il est partisan d’une position médiane (« ni déclaration d’indépendance, ni réunification ») qui ne heurte pas Pékin. Pour la première fois depuis 1949, une rencontre de haut niveau a lieu, dans la foulée, entre le chef de l’Etat chinois et le nouveau vice-Président taïwanais sur l’île de Hainan et des accords sont signés pour accroître les échanges directs (aériens, maritimes et postaux), sans passer par Hong-Kong. Fin 2008, l’ancien Président Shui-ban est incarcéré pour corruption, blanchiment et détournement de fonds, et il est condamné à vingt ans de prison l’année suivante. En 2012, Ma Ying-jeou est réélu pour un second mandat, malgré la concurrence d’un dissident de son camp, et son parti conserve la majorité absolue des sièges au Yuan.

L’heure est alors à une effervescence économique que résume l’apparition du terme « Chaïwan ». La République populaire est en effet devenue le premier client de Taïwan (absorbant 30 à 40 % de ses exportations), devant les Etats-Unis, et son deuxième fournisseur. L’île est également le premier investisseur étranger en Chine continentale (Hong-Kong compris) : plus de deux millions de chefs d’entreprises et de cadres taïwanais travaillent sur le continent, avec le statut de « compatriotes de Taïwan », au sein d’entreprises employant vingt-trois millions de salariés chinois (soit autant que l’île compte d’habitants). En sens inverse, près de trois millions de continentaux font chaque année du tourisme sur l’ancienne Formose. En 2010, un accord-cadre de coopération économique (signé à Chongqing, une ancienne capitale nationaliste sur le continent) a institutionnalisé ces relations et, en novembre 2015, les Présidents des deux Chine échangent une poignée de mains, à l’occasion d’un sommet bilatéral organisé à Singapour.

Ce « dégel » est pourtant lourdement sanctionné par les électeurs en janvier 2016, une partie de la population jugeant que le rapprochement avec Pékin a favorisé un enrichissement abusif de certaines classes dirigeantes. Battue au scrutin de 2012, la candidate du PDP est élue avec 56 % des voix, tandis que sa formation remporte la majorité absolue au Yuan. Fille d’un Hakka et d’une Minnan, et même petite-fille d’une aborigène, Tsai Ing-wen est critique du régime de Tchang : en mai 2018, une Commission de justice transitionnelle est chargée d’enquêter sur les crimes de la « terreur blanche », commis durant l’application de la loi martiale. Une loi de restitution des biens mal acquis avait déjà obligé le KMT à rendre certaines de ses possessions. Comme son parti, la Présidente est également opposée au compromis que deux associations, reconnues par leurs gouvernements respectifs, avaient signé en novembre 1992 à Hong-Kong : le texte affirmait que la République populaire et Taïwan appartenaient à une seule Chine.


Le retour des tensions

La position « indépendantiste » de la nouvelle présidence est favorisée par le raidissement des relations entre les États-Unis et la Chine populaire. Dominé par les Républicains, le Congrès américain adopte en mars 2018 le Taïwan Travel Act qui autorise les contacts à haut niveau entre officiels de Washington et de Taipei. Pékin réagit à cette situation en lançant plusieurs initiatives. Aides économiques à l’appui, la diplomatie chinoise provoque les défections d’États soutenant encore l’île de sorte que, à l’été 2018, ses soutiens se limitent à une quinzaine de pays, souvent petits. Mais le régime communiste joue aussi la carte de la séduction : il lance un programme d’incitations destiné à convaincre le maximum d’entreprises, de travailleurs et d’étudiants taïwanais de venir travailler sur le continent. De façon plus souterraine, le « Front uni » (département propagande du PC chinois) mène des actions ciblées auprès de diverses catégories sociales, telles que les épouses continentales de Taïwanais, les populations des archipels voisins du continent ou les aborigènes.

La Présidente sortante n’en est pas moins largement réélue, en janvier 2020, avec plus de 57 % des voix, un score sans précédent pour un candidat à une présidentielle dans le pays. Son camp, qui remporte aussi les législatives, a été « boosté » par le comportement de Pékin qui, quelques mois après avoir proposé à Taïwan une réintégration sur le modèle « un pays, deux systèmes » mis en œuvre à Hong-Kong, réprime violemment des manifestations démocratiques dans l’ancienne colonie britannique. A l’été 2020, l’annonce de la vente de nouveaux systèmes d’armement américains à Taïwan provoque une vive réaction du gouvernement continental : les avions de Pékin s’aventurent à plusieurs reprises au-delà de la « ligne médiane » du détroit de Formose ; bien que n’ayant jamais reconnu ce tracé, instauré par les États-Unis, la Chine le respectait depuis 1999. L’année 2020 est marquée par un nombre record d’incursions d’avions militaires chinois, à caractère offensif, dans la « zone d’identification de défense aérienne » de l’île, qui se voit obligée d’activer son système antimissile. Les eaux territoriales deviennent aussi un point de tensions : ainsi, la marine taïwanaise expulse près de 4 000 navires chinois qui draguaient illégalement du sable au large de ses côtes. Mais le rapport de forces n’est pas en faveur de l’île : alors qu’elle consacrait encore plus de 5 % de son PIB aux dépenses militaires dans les années 1990, elle n’en consacre même plus 2 %, soit environ onze milliards de dollars, quand celles de son rival continental sont au moins vingt fois supérieures. L’économie taïwanaise est également tributaire de Pékin, qui absorbe plus d’un tiers de ses exportations.

En juin 2021, des bombardiers et chasseurs chinois s’aventurent jusqu’aux côtes est de l’île, après qu’un sommet du G7 a rappelé son attachement à la « stabilité dans le détroit », déclaration que Pékin considère comme une ingérence extérieure. Tout en rappelant son attachement à une « réunification pacifique », à l’occasion du cent-dixième anniversaire de la révolution chinoise, Pékin multiplie ses incursions aériennes, en profitant pour récupérer du renseignement et pour tester opérationnellement de nouveaux matériels (avion de surveillance, hélicoptère de lutte anti-sous-marine…). Cette politique ne fait que renforcer le sentiment exclusivement taïwanais au sein de la population (63 % en 2021 contre 17 % en 1992, moins de 3 % se considérant comme uniquement chinois et un peu plus de 30 % « chinois et taïwanais »). En août 2022, au lendemain d’une visite officielle effectuée à Taïwan par la Présidente de la Chambre des représentants – troisième personnage protocolaire des États-Unis – Pékin organise des exercices militaires d’une ampleur sans précédent aux abords de l’île : ainsi, certaines des zones choisies pour ces manœuvres, qui simulent une attaque, empiètent sur les eaux territoriales de Taïwan. L’opération se double de cyberattaques et de l’interdiction d’importer certains produits alimentaires taïwanais.

Mises en avant par le PDP, ces menaces ne l’empêchent pas de subir une lourde défaite aux élections locales de novembre. Le KMT s’impose dans la grande majorité des villes et comtés du pays, à l’image de l’arrière-petit-fils présumé de Tchang Kaï-Chek, élu à Taipei. En avril 2023, Pékin se livre à de nouvelles manœuvres aériennes, navales et électroniques autour de l’île, après une rencontre, en Californie, entre la Présidente taïwanaise et le Président de la Chambre des représentants américains. Malgré les tentatives d’intimidation de la Chine populaire, le PDP choisit un souverainiste affirmé comme candidat aux présidentielles de 2024 : le vice-président William Lai Ching-te, honni de Pékin depuis qu’il s’est proclamé « travailleur pragmatique pour l’indépendance« . Face à lui, le KMT prône le dialogue avec la Chine communiste, tout en investissant un Taïwanais de souche, et non un descendant de migrants : un ancien policier devenu maire de New Taipei city, l’agglomération enserrant la capitale. En août, les États-Unis procèdent à une première : l’annonce d’une aide financière directe à Taïwan pour l’achat d’armes, alors que cette aide prenait jusqu’alors la forme de livraisons de matériels américains. Le mois suivant, Taipeh présente son premier sous-marin de fabrication nationale. Comme les Sud-Coréens, les Taïwanais accélèrent dans la fabrication de drones navals et sous-marins destinés à empêcher une invasion ou un blocus par les Chinois. Les Américains vont encore plus loin en développant des vaisseaux de grande taille sans équipage.

En janvier 2024, malgré les menaces de Pékin (ou à cause d’elles), Lai Ching-te est élu à la présidence, flanqué d’une ancienne ambassadrice taïwanaise aux États-Unis comme vice-présidente : il obtient un peu plus de 40 % des voix (près de 72 % de participation), devant le candidat du KMT (33 %) et du Parti du Peuple de Taïwan, un ancien maire pro-chinois de Taipei (26 %). C’est la première fois qu’une formation remporte trois présidentielles consécutives. Son score est cependant en net recul par rapport à celui de sa prédécesseure en 2020 et s’accompagne d’une défaite parlementaire : légèrement devancé par le KMT, le PDP perd non seulement sa majorité absolue, mais aussi la présidence du Yuan législatif (la Chambre basse du Parlement). La majorité parlementaire est exercée par le KMT allié au TPP, alliance qui essaie de renforcer le pouvoir législatif et son contrôle sur l’exécutif, au grand dam du parti présidentiel.

En février, Pékin remet en cause les zones « restreinte » et « interdite » arrêtées au début des années 1990 autour de l’archipel des Kinmen, très proche des côtes continentales, après la noyade de deux pêcheurs chinois qui, s’étant aventurés dans ces eaux, essayaient d’échapper aux garde-côtes taïwanais.

En juillet, puis en septembre, deux opposants au Président (un rival au sein du PDP, puis le chef du TPP) sont arrêtés par la justice, qui les accuse de malversations immobilières alors qu’ils étaient maires.