ASIE, Extrême-Orient et haute Asie

Hong-Kong, un statut de moins en moins spécial

Censé durer jusqu’en 2047, le statut particulier de l’ancien territoire anglais est fortement remis en cause par Pékin.

Lorsque la Chine récupère les 1104 km² de Hong-Kong en 1997, c’est dans un cadre institutionnel fixé par l’accord de restitution signé treize ans plus tôt avec Londres : la colonie britannique étant devenue une place financière et portuaire majeure dans le monde, elle bénéficiera durant cinquante ans d’un statut de région administrative spéciale (RAS). Ce dispositif lui garantit les attributs d’un « presqu’Etat », seules la défense et la diplomatie étant de la responsabilité de Pékin. Sinon, le territoire est doté de ses propres Constitution (Basic law), institutions (Conseil législatif), système juridique et monnaie. Il est également membre à part entière d’organisations internationales telles que l’OMC et le CIO. Ses habitants, de langue majoritairement cantonaise, voyagent quasiment sans restriction dans le monde et on continue à y conduire à gauche. En vertu du slogan « un pays, deux systèmes », Hong-Kong continue de posséder une presse libre, un système multipartite, une justice indépendante, une monnaie (le dollar hongkongais)… ainsi qu’une frontière avec la Chine : pour y entrer, les Continentaux doivent présenter leur passeport et une autorisation de leur préfecture d’origine… ce qui ne les empêche pas d’être de plus en plus nombreux à s’y rendre, pour y faire du tourisme, y acheter des produits de luxe et l’immobilier ou encore y accoucher… ce qui provoque une irritation croissante des résidents hongkongais à leur égard .

La Chine exerce sa domination économique via le financement massif de programmes sociaux et d’affaires entre les entrepreneurs locaux et les entreprises d’État continentales, tout en s’efforçant de diminuer le poids du territoire, en créant par exemple l’énorme agglomération voisine de Shenzen : de 18 % à la rétrocession, la part de Hong-Kong dans le PIB chinois est passée à 3 % en 2017. Le territoire reste néanmoins la troisième place financière au monde (un millier d’entreprises chinoises y sont cotées), à telle enseigne que près de deux tiers des investissements étrangers en Chine y sont réalisés, de même que deux tiers des investissements chinois à l’étranger.

Le contrôle de Pékin s’exerce aussi sur le plan politique. Ainsi, le chef de l’exécutif est élu par un collège de 1 200 membres, dont un millier appartiennent à des « sous-secteurs » de groupes et de sociétés largement liés à Pékin, le reste étant composé des députés locaux, élus à la représentation proportionnelle, et des délégués d’organisations religieuses. In fine, le dernier article de la Basic law attribue à Pékin le droit d’interprétation de tous les autres articles. Dès l’entrée en vigueur de la rétrocession, les nouvelles autorités suspendent l’essentiel de la législation sociale introduite par le dernier gouverneur britannique, notamment en matière de négociations collectives des salaires ou de protection des délégués syndicaux. Le Conseil législatif (Legco) vote également des exemptions vis-à-vis d’une douzaine de lois locales.

Pékin essaie également de faire voter, en 2003, un projet de loi « anti-subversion » extrêmement restrictif (perquisitions sans mandat, punition des relations avec des groupes étrangers…), mais doit y renoncer, face à la mobilisation de la population : près de 500 000 personnes (sur sept millions) descendent dans la rue pour s’y opposer. L’année suivante, l’Assemblée nationale populaire chinoise (ANP) livre son « interprétation » de la Loi fondamentale hongkongaise : en vertu du caractère « unitaire » de l’Etat chinois, celui-ci se réserve le droit d’intervenir dans toute phase de révision du mode de scrutin pour l’élection du Conseil législatif et du chef de l’exécutif ; en pratique, Pékin repousse l’introduction du suffrage universel direct, envisagé dans l’acte de rétrocession mais sous une forme vague (« un jour »). Dans ce contexte, les Hongkongais votent largement pour des partis démocrates aux élections locales de septembre 2004 – devant l’Alliance démocratique pour l’amélioration de Hong-Kong (DAB, prochinoise) – mais leur place est diluée par rapport aux nombreux représentants dont dispose Pékin. En 2012, le pouvoir chinois reprend d’ailleurs la main sur les « tycoons » et oligarques locaux en faisant élire à la tête de l’exécutif un technocrate hongkongais, membre supposé du Parti communiste chinois.


De la « révolution des parapluies » à la reprise en mains

Bien que divisée en de nombreux partis, l’opposition démocrate n’abandonne pas son combat en faveur de l’adoption du suffrage universel direct : un nouveau record de mobilisation populaire (510 000 personnes) est ainsi battu en juillet 2014. Le mois précédent, 800 000 personnes avaient participé à un référendum en ligne organisé par le mouvement OCLP[1] et s’étaient prononcés en faveur de l’élection, au suffrage universel, de candidats choisis par le peuple et non par des appareils. En août, l’ANP chinoise lâche un peu de lest, en annonçant que deux à trois candidats pourront briguer le poste de chef de l’exécutif hongkongais au suffrage universel direct… sous réserve d’avoir été choisis par un comité de nomination dépendant majoritairement de Pékin. En réaction à cette concession jugée trop faible, le camp démocrate bloque pacifiquement les sites du gouvernement local, pour réclamer sa démission et la tenue de véritables élections démocratiques. Tout en exigeant la fin de cette « Révolution des parapluies », la Chine n’intervient pas directement : elle laisse faire ses partisans locaux dont certains, liés aux triades, s’en prennent violemment aux campements des opposants, sans que la police ne s’interpose vraiment. Contre toute attente, le projet électoral de Pékin est largement rejeté par le Legco en juin 2015 : non seulement par l’opposition, qui juge que le projet ne va pas assez loin, mais aussi par le DAB prochinois, devenu majoritaire, qui est hostile à tout changement du système en vigueur.

De fait, les opinions se radicalisent. En février 2016, une centaine de personnes sont blessées – dont les trois-quarts de policiers – lors de la répression d’une manifestation de militants « localistes » qui protestaient contre les contrôles imposés à des vendeurs ambulants, considérés comme faisant partie du patrimoine hongkongais. Les élections parlementaires de septembre suivant, suivies par un nombre record de votants (58 %), voient l’entrée au Legco de jeunes élus « indépendantistes », souvent issus de « la révolution des parapluies », mais dont l’élection est invalidée un peu plus tard, du fait de l’incompatibilité de leur programme avec la « basic law ». Pour contrer la montée du mécontentement anti-continental, la nouvelle cheffe de l’exécutif pro-Pékin annonce à l’automne 2017 un vaste programme de développement économique. Un an plus tard est inauguré le plus long pont du monde, reliant Hong-Kong et Macao au continent en enjambant l’estuaire de la rivière des Perles sur 55 km.

Une nouvelle étape dans la contestation est franchie en juin 2019, quand un – puis deux millions – de personnes défilent contre un projet de loi permettant au gouvernement local de procéder à des extraditions vers la Chine continentale. Conçu, au départ, comme un outil de lutte contre la délinquance économique (Hong-Kong n’étant lié par aucun accord d’extradition avec l’étranger, du fait de son statut), le texte a été étendu à une quarantaine de délits ; il est alors perçu par de nombreux Hongkongais[2], y compris dans les milieux d’affaires plutôt prochinois, comme la preuve que Pékin entend faire rentrer la RAS dans le rang, bien avant 2047. Quelques jours après le saccage d’une partie du Parlement par deux cents activistes, la cheffe de l’exécutif local annonce que le projet est « mort ». Mais la tension continue de monter : tandis que les plus radicaux des manifestants jettent de la peinture noire sur la façade du bureau de liaison de Pékin à Hong-Kong, des nervis à la solde des triades tabassent des opposants, réels ou supposés, dans une station de métro, bien avant que la police n’intervienne (certains agresseurs écoperont de 7 ans de prison en 2021). A cette occasion, Pékin rappelle que, pour maintenir l’ordre, le gouvernement local peut faire appel aux 6 000 soldats chinois présents sur le territoire et qu’il peut aussi appliquer l’article 23 de la Loi fondamentale, condamnant les actes de sédition et de sécession vis-à-vis du gouvernement de la République populaire.

Les manifestations, et leur répression, gagnent en intensité et en violence. Le premier mort, début novembre, est un étudiant décédé dans des circonstances mal connues, tandis qu’un manifestant pro-Pékin est transformé en torche vivante quelques jours plus tard. La contestation s’exprime aussi dans les urnes : fin novembre, les démocrates remportent près de 90 % des sièges des conseils de district, d’habitude remportés par les candidats pro-Pékin, à l’issue d’un scrutin qui a déplacé plus de 70 % des électeurs (soit 25 % de plus qu’en 2015). En janvier 2020, Pékin remplace le chef de son bureau de liaison auprès du gouvernement local par un fonctionnaire réputé pour avoir réprimé des mouvements sociaux dans les provinces minières de Chine intérieure. En juillet suivant, une loi de sécurité nationale entre en application : votée par l’ANP et non pas par le Legco , au mépris de la « basic law », elle punit de prison, potentiellement à vie, toute « subversion, sécession, terrorisme et collusion avec l’étranger[3] ».

Les législatives de septembre ayant été reportées, officiellement pour cause de pandémie de coronavirus, une nouvelle loi électorale est votée à Pékin en mars 2021 : elle réserve la représentation aux seuls « patriotes », qualité fondée sur les informations de la police. La composition du Legco est également modifiée : le nombre de députés élus au suffrage direct passe de 35 à 20, tandis que le comité électoral pourra y envoyer 40 représentants. Les voix venues du secteur de l’entreprise et des milieux d’affaires généralement proches de l’establishment, seront renforcées, tandis que les sièges issus des élections de districts seront supprimés. Les résultats de ces réformes se manifestent aux élections législatives de décembre 2021, boycottées par près de 70 % des électeurs. En mars 2024, le Legco adopte une nouvelle loi sur la sécurité, dite de l’article 23, qui rajoute cinq infractions à celle de 2020 : elle prévoit des peines allant jusqu’à la prison à vie pour le sabotage mettant en danger la sécurité nationale, la trahison et l’insurrection, vingt ans pour espionnage et sabotage, et quatorze ans pour « interférence extérieure ».

[1] Occupy Central (le quartier d’affaires de Hong-Kong) with Love and Peace.

[2] Dans un sondage de juin 2019, seuls 11 % des habitants du territoire s’identifient comme Chinois (le chiffre le plus faible depuis 1997), 53 % se définissant d’abord comme Hongkongais.

[3] Le premier condamné, en juillet 2021, écope de neuf ans de prison.

Crédit photo : MarciMarc 105 sur Pixabay

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