Les tourments de la Nouvelle-Calédonie

Les tourments de la Nouvelle-Calédonie

L’archipel français est secoué par les revendications indépendantistes des autochtones Kanak.

Située à l’est de l’Australie, la Nouvelle-Calédonie est un archipel de 18 576 km², dont la plus grande île (Grande-Terre) représente à elle seule 88 % du territoire : s’étirant sur près de 400 km en longueur et 50 à 70 km en largeur, celle qui est surnommée « le Caillou » est parcourue du nord-ouest au sud-est par une chaîne montagneuse culminant à près de 1 630 mètres. Les autres îles sont de dimensions plus modestes : l’île des Pins au sud (152 km²), les Belep au nord-ouest et les îles Loyauté, en mer de Corail à l’est (Lifou 1 196 km², Maré, Ouvéa…).

S’y ajoutent des îlots et récifs inhabités et lointains : à environ 500 km de la pointe sud de la Grande-Terre, les îles Matthew et Hunter sont revendiquées par le Vanuatu.


Abordée en 1774 par le navigateur britannique James Cook, qui lui attribue son nom[1], la Nouvelle-Calédonie n’est colonisée par les Français qu’à partir des années 1850, d’abord comme bagne, puis comme site d’exploitation du nickel. Aujourd’hui, l’ONU considère que ce territoire de moins de 300 000 habitants doit être décolonisé, bien que la France lui ait accordé une autonomie relative.

La formation d’une Kanaky indépendante est d’ailleurs réclamée par les autochtones Kanak, des Mélanésiens qui constituent la première communauté ethnique de l’archipel, mais qui n’y sont plus majoritaires depuis 1963 : les Kanaks sont environ 44 %, les Européens 24 % et les Métis 11 %. S’y ajoutent 8 % de Wallisiens et Futuniens – des Polynésiens arrivés en plusieurs vagues d’immigration depuis les années 1940 – d’autres Océaniens (de Tahiti et du Vanuatu voisin) et des Asiatiques.

Les revendications indépendantistes des Kanaks génèrent des tensions avec les « loyalistes«  caldoches, descendants de colons et bagnards français et avec les représentants de la métropole (les « zoreill »). Entre les deux, les Wallisiens et Futuniens essaient de trouver leur place sur un territoire où ils sont devenus plus nombreux que dans leurs lointaines îles de Wallis et Futuna[2].

Administrativement, la Nouvelle-Calédonie est découpée en trois provinces : du Sud (la plus peuplée, avec le chef-lieu Nouméa, 7 303 km²), du Nord (la plus étendue, 9 583 km²) et des îles Loyauté (1 980 km²). Les Kanak sont majoritaires dans les deux dernières et de plus en plus présents dans la première, en particulier dans les banlieues populaires du Grand Nouméa. Politiquement, ils sont représentés principalement par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) qui rassemble la plupart des organisations indépendantistes[3] : l’Union calédonienne (UC, ouverte aux « petits Blancs » à sa création en 1953), le Rassemblement démocratique océanien (Wallisiens), le Palika (Parti de libération kanak) et l’Union progressiste en Mélanésie (UPM).


En 1988, à la suite de quatre années de troubles indépendantistes ayant fait quelque quatre-vingt morts (dont une vingtaine dans l’île d’Ouvéa), la France accorde un statut particulier à l’archipel. Elle promet également la tenue de référendums d’autodétermination aux chefs indépendantistes, dont deux paieront de leur vie la signature de ces accords de Matignon : Jean-Marie Tjibaou et son bras droit Yeiwéné Yeiwéné sont assassinés l’année suivant par un Kanak radical. En 1998, de nouveaux accords – dits de Nouméa – autorisent le Congrès néo-calédonien à voter des lois de pays pour régir un certain nombre d’activités culturelles et socio-économiques sur le territoire.

Tenues en 2018 et 2020, les consultations promises en 1988 ont abouti au rejet de l’indépendance (à 57 % puis 53 %), qu’elle soit intégrale ou en association avec la France. Le troisième référendum organisé en 2021, lors d’une crise sanitaire, a été boycotté par les séparatistes.

En mai 2024, le projet de révision du corps électoral (figé depuis 1998) provoque des émeutes mortelles dans l’agglomération de Nouméa : des jeunes Kanak radicaux s’opposent à une réforme qui, en favorisant l’enregistrement de plusieurs milliers de nouveaux votants (nés sur le Caillou ou y résidant depuis dix ans), diminuerait mécaniquement la représentation des autochtones. Le projet est déposé alors que le nickel (première ressource du pays) connait une forte crise, aggravant les difficultés d’une économie dans laquelle les inégalités sociales sont criantes entre les grands propriétaires et les métropolitains d’une part et les travailleurs océaniens, très peu diplômés, d’autre part.

Dans ce contexte inflammable, les deux camps se radicalisent. Tandis que des mouvements d’auto-défense apparaissent du côté « caldoche », le FLNKS élit à sa présidence le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain, emprisonné en métropole après les événements du printemps ; l’élection s’est tenue en l’absence des membres modérés du FLNKS, le Palika et l’UPM (qui sont associés au sein d’une Union nationale pour l’indépendance). En août, les indépendantistes perdent la présidence du Congrès, après avoir été lâchés par l’Éveil océanien qui leur reproche d’avoir négligé le développement social de l’archipel : la candidate du petit parti des Wallisiens et Futuniens est élue au second tour, avec les voix loyalistes. Après son élection, elle dénonce l’accord que les indépendantistes du Congrès avaient signé avec le Parlement d’Azerbaïdjan, suspecté d’entretenir l’agitation dans l’outre-mer français, pour « punir » la France de soutenir l’Arménie.

En septembre, le nouveau gouvernement métropolitain annonce le report sine die de la réforme du corps électoral.


[1] Calédonie était le nom donné par les Romains à l’Écosse, terre natale du père de Cook.

[2] Collectivité française d’outre-mer de 142 km², les îles Wallis et Futuna (distantes entre elles de plus de 200 km et de plus de 1 900 km de la Nouvelle-Calédonie) sont formée de trois royaumes coutumiers polynésiens.

[3] Fondé en 1984, le FLNKS est le prolongement du Front indépendantiste né en 1979. Il ne comprend ni le Parti travailliste et son bras syndical (USTKE), ni l’Éveil océanien (parti des Wallisiens favorables à une indépendance-association avec la France).

Photo : le port de Nouméa