OCEANIE

La Nouvelle-Guinée : deux destins opposés

La deuxième plus grande île du monde est divisée entre un pays indépendant en Océanie et des provinces sous férule indonésienne.

Deuxième plus grande île du monde (786 000 km²) après le Groenland[1], la Nouvelle-Guinée mesure 2 400 km de longueur du nord-ouest au sud-est et 650 km dans sa partie la plus large (du nord au sud). Peuplée majoritairement de Papous parlant plus de huit cent langues – un peu moins d’une douzaine de millions, dont un tiers à l’ouest – elle est constituée d’un ensemble de montagnes, la Chaine centrale, qui s’étend d’est en ouest sur plus de 1 600 km. Elle culmine à plus de 4 900 mètres dans la partie occidentale et plus de 4 500 m dans la partie orientale. S’y ajoutent des plaines côtières et des collines vallonnées, couvertes de forêts tropicales, caractéristiques du climat. La Nouvelle-Guinée regroupe à elle seule les principaux écosystèmes de la Terre : glaciers, toundra alpine, savane, montagne et forêts équatoriales, mangroves parmi les plus grandes du monde, marécages, lacs et rivières et certains des plus remarquables récifs coralliens de la planète. Comme toute la « ceinture de feu » du Pacifique, la zone est soumise à un volcanisme actif.

Dans la seconde moitié des années 1520, un navigateur lusitanien donne à l’île le nom de « terre des Papous », mot malais faisant référence aux cheveux crépus des habitants de l’île. Celui de Nouvelle-Guinée lui sera attribué en 1545 par un navigateur espagnol, par analogie avec les populations noires d’Afrique. Partagées entre pays européens aux XIXe et XXe siècle (cf. Insulinde), les deux moitiés de l’île ont connu des destins différents. Ancienne possession britannique, déléguée aux Australiens en 1906, la petite moitié orientale est devenue indépendante sous le nom de Papouasie-Nouvelle-Guinée, en 1975, en intégrant des archipels alentour.

L’indépendance était également envisagée par les Pays-Bas pour la partie occidentale (474 000 km²) : sous tutelle d’Amsterdam, elle avait été exclue du transfert de souveraineté des Indes néerlandaises à la jeune République d’Indonésie, en 1949. Les deux parties avaient convenu que le statut du territoire ferait l’objet de discussions ultérieure. Mais ne voyant rien venir, ni à l’ONU ni aux Pays-Bas, le Président indonésien décrète en 1961 une mobilisation pour la « libération de l’Irian Barat » (le nom indonésien donné à la province). Bénéficiant d’une aide militaire conséquente de l’URSS, l’armée de Jakarta débarque sur l’île en mars 1962. Les Néerlandais sont tentés de réagir, mais les Américains – déjà engagés sur le front vietnamien – les poussent à la négociation, afin d’éviter que l’Indonésie ne bascule dans le camp de l’Union soviétique. D’abord placée sous tutelle de l’ONU, la Nouvelle-Guinée occidentale est finalement attribuée à l’Indonésie en mai 1963, dans l’attente d’une consultation des populations locales qui n’aura jamais lieu. A la place, Jakarta consulte un millier de notables papous, soigneusement choisis, qui se prononcent en faveur de la transformation de l’Irian en province de la République indonésienne, ce qui est fait en 1969.

Pour accélérer le processus d’annexion, les régimes indonésiens favorisent la « transmigration » de populations extérieures dans une région qui constitue une véritable mosaïque religieuse, ethnique et linguistique (plus de 270 langues vivantes et une majorité de chrétiens dans un pays musulman). Ultra-majoritaires en 1961, les Papous sont en passe de devenir minoritaires dans leur territoire face aux Javanais et aux autres migrants. Laissés-pour-compte en matière d’éducation, de santé, d’accès à l’emploi ou à la terre, les autochtones voient aussi leurs richesses naturelles concentrées dans les mains des Indonésiens et des grandes multinationales : mines d’or et de cuivre (parmi les plus riches au monde) mais aussi de nickel et de cobalt, ainsi que bois, pétrole et gaz.

Cette situation alimente les revendications de l’Organisation pour une Papouasie libre (OPM en indonésien : Organisasi Papua Merdeka), née en 1965, qui mène une guérilla de basse intensité : ses effectifs ne dépassent pas le millier de combattants, équipés de façon très rudimentaire et agissant en petits groupes. Entre 1963 et 1998, 100 000 personnes n’en auraient pas moins été tuées et autant déplacées lors des opérations militaires menées contre les rebelles. L’armée et les forces spéciales (Kopassus) sont accusées de massacres, de viols et de destructions de villages entiers, y compris via l’utilisation de napalm et d’armes chimiques en 1981.

En 2001, le territoire se voit attribuer le nom de « Papua » (au lieu de Irian Jaya, « Irian victoire » qui prédominait depuis 1973) et obtient un statut d’autonomie spéciale, se voyant octroyer plus de 70 % des taxes sur les ressources minières et forestières (contre 10 % auparavant) et 70 % des revenus pétroliers et gaziers, en sus d’une substantielle aide annuelle. Mais la majorité des chefs papous refuse une loi qui ne met pas fin à la mainmise sur la province des forces de sécurité, notoirement hostiles à l’autonomie. La tension s’aggrave en décembre 2001, après la découverte au bord d’une route du corps du leader des indépendantistes, à l’issue d’un dîner au QG provincial des Kopassus. La tension monte encore d’un cran en 2003, avec la division du territoire en deux provinces de Papouasie et de Papouasie occidentale[2]. En mars 2006, une demi-douzaine de personnes sont tuées (dont deux soldats brûlés vifs) dans la plus grande ville, Jayapura, lors de manifestations demandant la fermeture d’une mine d’or, exploitée par les Américains et considérée comme la plus grande du monde. Des affrontements sporadiques continuent à se dérouler entre l’armée et les indépendantistes, membres du Mouvement uni pour la libération de la Papouasie occidentale (ULMWP) ; en 2005, celui-ci a été admis comme observateur dans l’organisation régionale du Groupe Fer de Lance Mélanésien (groupe dont l’Indonésie est membre associé depuis la même année).

En décembre 2018, l’Armée de libération nationale de l’ouest de la Papouasie (TPNPB, branche militaire de l’OPM) exécute une quinzaine d’ouvriers travaillant, pour une société indonésienne, à la construction de ponts et de routes destinés à désenclaver la région. En août 2019, une flambée de violence éclate dans plusieurs villes de Papouasie, après l’arrestation à Java d’une quarantaine de jeunes Papous, accusés d’avoir arraché le drapeau national hissé devant leur dortoir, le jour de la fête nationale indonésienne. Le mois suivant, de nouveaux heurts font une trentaine de morts, après qu’une enseignante a supposément traité de « singes » des étudiants papous. En avril 2021, la TPNPB est déclarée organisation terroriste après la mort d’un général indonésien dans des combats. Début 2022, les rebelles exécutent des agents des télécommunications qui réparaient un pylône dans une zone reculée. En février 2023, des combattants de la TPNPB attaquent et incendient un petit avion d’une compagnie indonésienne dans une zone montagneuse de la Papouasie indonésienne. Le pilote néo-zélandais est enlevé, mais pas ses passagers d’ethnie papoue.

[1] Le statut d’île du Groenland est parfois contesté (comme celui de l’île-continent Australie)

[2] En 2022, un nouveau découpage a abouti à la création de six provinces.

Crédit photo : Asso Myron / Unsplash

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