Jérusalem, ville trois fois sainte

Jérusalem, ville trois fois sainte

La « Yeroushalaïm » des juifs et Jérusalem des chrétiens est dénommée « Al Qods » (la Sainte) par les musulmans, qui la considèrent comme leur troisième ville sainte, avec La Mecque et Médine.

Devenue une bourgade endormie, Jérusalem est ranimée par l’Empire ottoman en 1850 : il s’agit alors de faire contrepoids aux bédouins et aux grands féodaux arabes en favorisant l’élite musulmane hiérosolymitaine, tandis que les puissances européennes se posent en protectrices des minorités religieuses. La ville qui ne compte que 15 000 habitants en 1850 (dont un tiers de juifs) passe à plus de 70 000 en 1914 (45 000 juifs, 17 000 chrétiens et 11 000 musulmans), voyant du même coup s’accroître les tensions communautaires.

En 1947, le plan de partage de la Palestine voté par l’ONU prévoit de placer la ville (et sa banlieue de Bethléem) sous juridiction internationale, afin qu’elle ne soit gérée politiquement ni par les Juifs ni par les Arabes, compte-tenu de ses spécificités religieuses. Le vieux-Jérusalem, situé dans la partie orientale, abrite en effet plusieurs lieux sacrés : le Saint-Sépulcre chrétien, le Mont des oliviers juif et « l’Esplanade des mosquées » (ou Al-Haram al-Charif, « noble sanctuaire ») ; cet espace de 14 hectares comprend deux lieux musulmans majeurs du VIIème siècle : la mosquée Al-Aqsa (« mosquée lointaine ») et le Dôme (ou Coupole) du Rocher, bâti à l’endroit à partir duquel Mahomet se serait élevé au ciel[1]. Mais, pour les juifs, ces sanctuaires ont été érigés sur des emplacements appartenant à l’histoire et à la culture hébraïques. Assimilé au Mont Moriah, sur lequel Abraham aurait projeté de sacrifier son fils à Dieu, le Rocher a accueilli le Temple de Salomon, rasé par les Babyloniens, puis son successeur, détruit par les Romains (cf. Proche-Orient). Les Hébreux réclament donc la souveraineté sur le sous-sol de l’Esplanade des mosquées (qu’ils appellent Mont du Temple), puisqu’il recèle les vestiges du second temple, ainsi que sur le Mur des Lamentations, mur de soutènement qui en est le seul vestige extérieur. Inversement, les Arabes revendiquent al-Qods, a minima sa partie orientale, comme capitale d’un État palestinien indépendant.

L’internationalisation prévue par l’ONU n’aura jamais lieu. A l’issue de la guerre de 1948 entre les Israéliens et leurs voisins arabes, les premiers s’emparent de Jérusalem-ouest (36 km²), tandis que les 6 km² de Jérusalem-est deviennent jordaniens et le demeurent jusqu’en 1967. Cette année-là, l’État hébreu prend le contrôle de toute la ville, après être sorti victorieux de la guerre des Six-Jours. Pour permettre aux Juifs de prier au plus près de l’Esplanade des mosquées, le gouvernement aménage un vaste parvis en contrebas du Mur occidental des lamentations, en rasant un quartier de la vieille ville qui avait été construit au XIIème siècle en faveur des pèlerins du Maghreb. Au-dessus du Mur, la possibilité de prier sur l’Esplanade elle-même demeure le privilège des musulmans.

En 1980, une Loi fondamentale fait de Jérusalem la capitale « indivisible » d’Israël. La ville est devenue le cœur d’une métropole de 950 km², comprenant trois cercles concentriques : une extension de 73 km² consécutive à l’annexion de la partie orientale (la partie située à l’est de la « ligne verte », arrêtée lors du cessez-le-feu de 1949), suivie de la création de 230 km² de colonies juives, auxquels s’ajoutent 650 km² de communes périphériques. Inversement, la construction d’un mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie gérée par l’Autorité palestinienne (cf. Israël et Palestine) a de facto rejeté 100 000 Palestiniens en dehors de l’agglomération.

En 2021, l’ensemble de la ville compte 560 000 Juifs (soit trois fois plus qu’en 1967) et 350 000 Arabes (soit cinq fois plus), dont la majeure partie vit à Jérusalem-est, aux côtés d’environ 200 000 Hébreux. Si la proportion de ces derniers dans la population hiérosolymitaine est en baisse constante (moins de 10 % des habitants de la Vieille ville historique), la place qu’ils occupent ne cesse en revanche de progresser, du fait des expropriations de Palestiniens au profit de nouvelles constructions destinées aux Juifs.

Depuis 1967, les accès aux sites religieux du centre sont contrôlés par Israël, mais leur gestion est assurée par une fondation jordanienne : le Waqf. Ce « rôle particulier » de la Jordanie au sujet des lieux saints musulmans de Jérusalem a été reconnu dans le traité de paix qu’Amman a signé avec l’État hébreu en 1994. Six ans plus tard, l’OLP palestinienne et le Vatican ont de leur côté paraphé un accord prônant un « statut spécial internationalement garanti » pour la ville. En pratique, les musulmans peuvent se rendre à toute heure sur l’Esplanade des Mosquées, avec toutefois des restrictions d’âge pour les hommes ; en revanche, les juifs ne peuvent y accéder que comme touristes, c’est-à-dire dans certains créneaux horaires seulement et sans le droit de prier. Mais les extrémistes sont de plus en plus nombreux à y aller, surtout lors des fêtes juives, sous la protection de la police. Un « mouvement du troisième temple » milite même en faveur de la reconstruction du Temple, avec le soutien de certains milieux évangélistes chrétiens pour lesquels une telle édification annoncerait un retour du Christ sur Terre. En parallèle, le rôle d’arbitre de la Jordanie est de plus en plus contesté par la droite israélienne : en janvier 2023, l’ambassadeur jordanien à Tel-Aviv se voit refuser l’accès à l’Esplanade par la police de l’État hébreu.

[1] Vue sur la vieille ville et le Dôme du Rocher. Crédit : walterssk / Pixabay