1 759 540 km2
République parlementaire
Capitale : Tripoli
Monnaie : dinar libyen
6,4 millions de Libyens et 800 000 immigrés (300 000 Palestiniens)
Représentant les trois régions libyennes, le drapeau a remplacé le fanion vert établi par Kadhafi en 1977.
Composé à 90 % de déserts et de zones arides, le territoire libyen possède un littoral de 1 770 km sur la mer Méditerranée au nord et plus de 4 300 km de frontières terrestres avec six pays : la Tunisie (plus de 460 km) et l’Algérie (près de 990 km) à l’ouest, l’Égypte (plus de 1100 km) et le Soudan (plus de 380 km) à l’est, le Tchad (1 050 km) et le Niger (plus de 340 km) au sud.
A l’exception de l’extension du massif du Tibesti à la frontière tchadienne (où culmine un sommet à près de 2300 mètres), le pays est majoritairement composé de plaines, de dépressions et de plateaux. Depuis l’Antiquité, il est divisé en trois grandes régions : la Tripolitaine plutôt agricole et tournée vers le Maghreb au nord-ouest (20 % du territoire), la Cyrénaïque plutôt pastorale et tournée vers l’Égypte au nord-est et au sud-est (49 %, désert Lybique compris) et le Fezzan dans un grand quart sud-ouest (31 %). Méditerranéen sur la côte, le climat est de type désertique et aride ailleurs.
90 % de la population vit sur les bords de la Méditerranée. Les Libyens sont en grande majorité arabes (92 %). Le reste du peuplement est composé de nationalités diverses et de Toubous (dans les grandes oasis du sud), ainsi que d’environ 5 % de Berbères (notamment Touareg) : descendant des premiers habitants du pays, ils vivent dans les oasis du Fezzan et de l’arrière-pays de Tripoli, ainsi que dans le djebel Nefoussa, proche de la Tunisie au nord-ouest. La langue officielle est l’arabe, parlé majoritairement sous sa forme dialectale libyenne. Il cohabite avec plusieurs parlers berbères et le tedaga des Toubou.
97 % des habitants sont musulmans, très majoritairement sunnites (à l’exception des Berbères ibadites du djebel Nefoussa) et moins de 3 % chrétiens.
La souveraineté italienne sur le pays ayant officiellement pris fin en 1947, à l’occasion du traité de paix signé entre Rome et Londres, la question du devenir de l’ancienne colonie arrive devant l’ONU. Les Britanniques – qui ont pris le contrôle de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine (quand les Français occupent le Fezzan) – remettent en selle Muhammad Idriss, représentant de la confrérie islamique rigoriste des Senoussi, que les Italiens avait chassé de Cyrénaïque dans les années 1920. Soutenu par le Royaume-Uni, il est proclamé roi de Libye en 1950, le pays accédant formellement à l’indépendance l’année suivante, sous la forme d’un État fédéral. En 1955, les Français lui restituent le Fezzan ; en échange, ils récupèrent la bande d’Aouzou, frontalière du Tchad, que Paris avait cédée à Rome en 1935.
Bénéficiant de l’appui des Anglais et des Américains, qui disposent de bases militaires en Libye et lui fournissent une aide économique, le régime s’appuie sur les chefs des tribus et des confréries du pays. En revanche, il contraint à l’exil les partisans du panarabisme, tels que les dirigeants du Parti national du congrès. En 1956, la découverte d’importants réserves de pétrole dans le sous-sol libyen entraîne une modification de la société locale : exploité par les Anglo-Américains, l’or noir enrichit le pays, surtout les citadins dont l’influence croît, au détriment de celle des chefs traditionnels. Servies par l’arrivée au pouvoir de Nasser dans l’Égypte voisine, les idées panarabes gagnent du terrain parmi la nouvelle génération, plus instruite que les précédentes.
En 1969, le rejet croissant de la monarchie conduit à son renversement par un « mouvement des officiers unionistes libres », conduit par un lieutenant issu d’une famille arabo-berbère pauvre des environs de Syrte. Dirigeant un Conseil du commandement de la révolution (CCR), Mouammar Kadhafi contraint les Anglo-Américains à fermer leurs bases, puis nationalise l’exploitation pétrolière. En 1973, le nouveau leader du pays lance une « révolution culturelle libyenne » dont les principes sont décrits dans un Livre vert et dont la traduction institutionnelle est la proclamation, en 1977, de la Jamahiriya arabe, libyenne, populaire et socialiste. Ce « gouvernement des masses » n’est en réalité que de l’affichage, l’essentiel du pouvoir sécuritaire, administratif et financier – et la rente pétrolière allant avec – étant aux mains de la tribu, très minoritaire des Kadhafa, et de deux alliées beaucoup plus importantes numériquement, les Warfalla et les Magharha. Cette confiscation du pouvoir s’exerce au détriment des autres tribus, en particulier celles de l’est. Berceau de la confrérie des Senoussi, la Cyrénaïque est volontairement laissée à l’abandon, alors qu’elle fournit les deux tiers du pétrole national. Ainsi, les travaux qui sont réalisés à Benghazi sont décidés à Tripoli et exécutés par des ouvriers de la capitale. Toute forme de contestation, politique ou religieuse, est sévèrement réprimée : des centaines d’opposants sont ainsi pendus à partir de 1984.
Sur la scène internationale, la rente pétrolière du régime lui permet de faire preuve d’une activité sans commune mesure avec son poids démographique. Mais ses initiatives sont rarement couronnées de succès, à l’image de ses projets d’unions panarabes (avec l’Égypte, la Syrie, le Soudan, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, le Tchad) qui se soldent par autant d’échecs. En 1973, le « Guide de la Révolution libyenne » a également profité des troubles agitant le Tchad pour reprendre la bande d’Aouzou, dont il sera finalement chassé quatorze ans plus tard[1]. Le pouvoir libyen finance également d’importants programmes militaires et soutient des mouvements révolutionnaires dans le monde entier, du Sahara occidental et de la Palestine jusqu’aux Philippines, en passant par les Touareg du Sahel[2] et les catholiques irlandais de l’IRA. Cet activisme, qui sert parfois à financer des actes terroristes, conduit les Américains à bombarder Tripoli et Benghazi en 1986. Trois ans plus tard, la Libye est soumise à des sanctions de l’ONU, du fait de l’implication de ses services secrets dans des attentats commis deux avions de ligne, un de la Pan-Am au-dessus de l’Écosse (Lockerbie) en décembre 1988 (270 morts) et un autre d’UTA au-dessus du désert nigérien du Ténéré en septembre suivant (170 morts)[3].
[1] En 1994, la Cour internationale de justice a reconnu la souveraineté du Tchad sur Aouzou.
[2] La « Légion islamique » est créée en 1972, cf. Les Touareg.
[3] Tripoli ayant indemnisé les familles des victimes, les sanctions seront levées en 2003.
Bien qu’en partie détournées, notamment par les pays africains, les sanctions internationales n’en ont pas moins un impact économique. Ainsi, la diminution des exportations de pétrole nourrit des tensions entre ceux qui se partageaient cette rente : en octobre 1993, le soulèvement militaire des anciens alliés Warfalla est réprimé dans un bain de sang (des centaines de morts). Plus généralement, la crise frappe une population dont la moitié a moins de vingt ans. Tripoli a beau expulser des dizaines de milliers de ses travailleurs étrangers, au mépris de ses discours sur le soutien aux opprimés du monde entier, la jeunesse libyenne peine à trouver du travail. Une partie d’entre elle se tourne vers des activités criminelles ou bien rejoint des groupes armés, à dominante islamiste à Benghazi et plutôt tribale dans la région montagneuse de Dirna.
A partir de 1995, les affrontements meurtriers entre les forces de l’ordre et le Groupe islamique combattant libyen (GICL) deviennent réguliers. En 1996, l’arrière-pays de Derna est bombardé, à coup de gaz innervant, par des avions libyens que pilotent des Serbes, des nord-Coréens et des Cubains. Formé dans les zones islamiques de la frontière pakistano-afghane, le GICL essaie même d’assassiner Kadhafi à la fin de l’année, mais sa tentative échoue. La réaction du régime ne se fait pas attendre : 1200 détenus islamistes sont exécutés après une mutinerie à la prison tripolitaine d’Abou Salim. La violence n’épargne pas les étrangers : à l’automne 2000, des violences xénophobes éclatent dans la ville de Zaouia, proche de la frontière tunisienne, puis dans plusieurs autres régions du pays, à l’occasion d’une campagne du régime contre les étrangers en situation irrégulière. Les heurts font des dizaines de victimes essentiellement tchadiennes, soudanaises et nigérianes.
Pour calmer les tensions, Kadhafi libère, en 2000, des dizaines de détenus islamistes, y compris des chefs du GICL qui acceptent de lui faire allégeance. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, commis par al-Qaida aux États-Unis, il essaie de lâche du lest vis-à-vis des Occidentaux en s’engageant à démanteler, sous contrôle international, ses programmes d’armes de destruction massive, essentiellement chimiques, balistiques et très marginalement nucléaires. Le régime n’en reste pas moins suspecté d’avoir envisagé une tentative d’assassinat du prince héritier saoudien, Abdallah.
Comme son homologue tunisien, le numéro un libyen va être emporté par la fièvre qui, au printemps 2011, touche une grande partie du monde arabo-musulman. La répression des manifestations, déclenchées contre la dictature et la pauvreté, fait plusieurs centaines de morts : à Tripoli, la foule est mitraillée par des avions. L’un des fils de Kadhafi promet « des rivières de sang » et le dictateur, lui-même, de « purger (le pays) maison par maison ». Les représailles s’exercent en particulier contre les Tunisiens qui fuient par dizaines de milliers vers leur pays où est née la première crise. Progressivement, les militaires se joignent aux insurgés et l’insurrection s’empare de tout l’est du pays, y compris des principaux gisements pétroliers. La rébellion est dirigée militairement par Khalifa Haftar, ancien compagnon d’armes de Kadhafi (lors du renversement de la monarchie) tombé en disgrâce à la suite de la calamiteuse défaite de l’armée libyenne (2000 soldats tués) face à l’armée tchadienne en 1986.
Pris en tenaille par le passage à l’opposition de quelques villes de l’ouest, le régime essaie de sanctuariser Tripoli, avec les troupes et milices qui lui sont restées fidèles et le renfort de mercenaires sahéliens, héritiers de la défunte « Légion islamique » : Tchadiens, Darfouris du Soudan, Nigériens, Maliens, Touareg, Sahraouis du Polisario… Tous passent, de même que les armes sorties des stocks du régime, par les frontières poreuses du Sud, y compris par l’Algérie qui redoute de voir des islamistes prendre le pouvoir en Libye. Ainsi renforcées, les troupes loyalistes lancent une violente contre-offensive qui leur permet de reprendre les villes de l’ouest, ainsi que les installations portuaires du golfe de Syrte, et d’assiéger Benghazi : c’est là que s’est installé le Conseil national de transition (CNT) qui regroupe des rebelles mal équipés, mal coordonnés (beaucoup étant issus de milices tribales) et mal encadrés.
Redoutant un bain de sang dans la grande ville de l’est, le Conseil de sécurité de l’ONU vote la création d’une zone d’exclusion aérienne, la Chine et la Russie s’abstenant. Kadhafi n’ayant pas respecté le cessez-le-feu promis, des avions français détruisent des véhicules militaires libyens. Ils sont suivis par d’autres avions de la coalition internationale, majoritairement occidentale, à laquelle se rallieront trois pays arabes (Qatar, Émirats arabes unis et Jordanie). Les rebelles en profitent pour reprendre leur marche en avant, mais les forces kadhafistes font mieux que résister. Profitant d’une diminution des frappes aériennes, elles stabilisent le front à Brega au sud de Benghazi, aux abords du golfe de Syrte et à Misrata, troisième ville du pays (située sur la côte ouest du golfe de Syrte, 200 km à l’est de Tripoli).
La prolongation de la présence de l’OTAN – qui engage notamment des hélicoptères de combat – permet à la rébellion de s’emparer de Brega et de ses installations pétrolières, tout en progressant au sud de Tripoli depuis le djebel Nefoussa, fief de rebelles en majorité berbères. En parallèle, les pays occidentaux et arabes de la coalition, ainsi que la Turquie, reconnaissent le CNT comme « l’autorité gouvernementale légitime » de la Libye, décision permettant de lui attribuer des avoirs gelés de l’État libyen, ainsi que des aides financières, ou encore d’exporter le pétrole exploité dans les zones sous son contrôle. Mais la rébellion est loin d’être unie, comme en témoigne l’assassinat de son chef militaire, en juillet 2011, alors qu’il rejoignait Benghazi. L’opposition réunit en effet des forces très disparates : islamistes du GICL ou des Frères musulmans, milices tribales, ralliés de l’ancien régime, hommes d’affaires exilés…
En août, les thuwar – combattants révolutionnaires – s’emparent du principal terminal d’approvisionnement pétrolier des forces loyalistes, avec l’aide de services spéciaux de la coalition, ce qui leur permet d’entrer dans Tripoli et de s’emparer du QG de Kadhafi, qui ne s’y trouve plus. S’étant installé dans la capitale, le CNT refuse toute intervention extérieure supplémentaire et décline notamment l’offre de l’ONU de déployer des policiers et des observateurs dans le pays. Sur le plan militaire, il somme les derniers bastions kadhafistes de se rendre : Syrte (ville natale de Kadhafi), Bani Walid (fief des Warfalla, au sud-est de Tripoli) et Sebha, la grande ville du Fezzan liée aux Kadhafa. Alors qu’approche l’ultimatum fixé aux loyalistes, de premiers affrontements entre rebelles surviennent au sud-ouest de Tripoli. Venues de Misrata et de Zenten (ou Zintan, dans le djebel Nefoussa), les milices qui combattent dans la capitale ne veulent obéir qu’à leurs chefs et refusent de se placer sous le commandement du gouverneur militaire de la capitale, un ancien du GICL.
Malgré ces tensions, les rebelles – en grande partie Toubou – s’emparent de Sebha en septembre 2011. Le mois suivant, la rébellion prend Bani Walid, puis Syrte où Kadhafi est tué, en essayant de fuir, sans doute exécuté dans l’ambulance qui le transportait à Misrata. Un de ses fils encore vivant, Saïf-al-Islam, considéré comme le n°2 du régime, est arrêté en novembre 2011 par des rebelles de Zenten, dans le sud libyen, tout comme le chef des renseignements et n°3 du régime. Les autres survivants de la famille se sont réfugiés en Algérie et au Niger.
L’insurrection prend fin sur un lourd bilan : 30 000 morts, répression comprise. Elle se traduit, aussi, par un pillage en règle des stocks d’armes kadhafistes, qui vont alimenter les milices libyennes, ainsi que les guérillas djihadistes ou touareg du Sahel, dont certaines vont utiliser le sud libyen comme sanctuaire.
L’OTAN a à peine annoncé la fin de ses opérations que, en décembre 2011, des affrontements meurtriers entre milices rivales éclatent à Tripoli. Les thuwar de Zenten (dont le chef a été nommé ministre de la Défense) s’en prennent aux hommes de Haftar, pressenti comme chef d’État-major de la future armée libyenne. Son autorité n’est pas davantage reconnue par le gouverneur militaire de Tripoli, un islamiste lui aussi honni des miliciens de Zenten. Suspecté d’être devenu un agent de la CIA, lors de son exil américain, le général est également peu apprécié car il ne cache pas son hostilité à l’intégration, dans l’armée, de miliciens indisciplinés. Le pays compterait deux cent mille thuwars au sein d’une à plusieurs centaines de milices tribales ou claniques, parfois lourdement équipées, dont la quasi-totalité refuse toute soumission à une quelconque autorité centrale. Cette situation va générer une suite ininterrompue de rébellions plus ou moins longues et violentes, à l’image de celle déclenchée en juin 2012 par la brigade de Tarhouna, une ville arabe du centre longtemps favorable au régime déchu.
La révolution fait également surgir de vieux contentieux ethniques entre les tribus arabes et celles qui ne le sont pas, en particulier dans le Sud où sont en jeu le partage du commerce transfrontalier et des ressources naturelles. En février 2012, des affrontements tribaux entre Toubou et Zouwaya (ou Zwaï) font plus d’une centaine de morts dans la région de Koufra, frontalière du Tchad, du Soudan et de l’Égypte. De nouvelles violences, entre Toubou et une autre tribu arabe (les Ouled Slimane) font cent-cinquante morts, le mois suivant à Sebah, la capitale du Fezzan. Le Bouclier de la Libye, une milice plus ou moins intégrée à l’armée, est envoyée pour s’interposer, mais elle se comporte plutôt comme une force d’occupation pro-arabe, ce qui conduit les Toubou à réactiver leur Front toubou pour le salut de la Libye (FTSL) : le mouvement, qui s’opposait à la marginalisation de la communauté par l’ancien régime, réclame une région administrative propre et la reconnaissance de la langue toubou[1]. Les Touareg, dont certains ont servi de supplétifs à Kadhafi, partagent des inquiétudes similaires dans leur département d’Oubari, près de la frontière algérienne, où des affrontements ont lieu avec les Arabes de Zenten. Ceux-ci et d’autres tribus arabes affrontent également des Berbères ibadites aux abords du djebel Nefoussa. Des représailles s’exercent aussi, dans la région de Misrata, contre les Tawarga, des Libyens descendant d’esclaves noirs ayant, eux aussi, combattu dans les rangs kadhafistes.
En Cyrénaïque, les dirigeants des tribus et milices ont proclamé l’autonomie de leur région (Barqa en arabe) en mars 2012, estimant qu’elle était sous-représentée dans les nouvelles équipes dirigeantes. Le CNT y voit la main des salafistes, a fortiori quand des combattants de l’organisation djihadiste Aqmi (émanation d’al-Qaida) se livrent à une véritable parade militaire à Syrte, sans rencontrer le moindre obstacle.
[1] Au nombre de quelques dizaines à quelques centaines de milliers, les Toubous de Libye vivent surtout dans les oasis de Koufra (Cyrénaïque) et Sebha. En partie considérés comme des étrangers venus du Tchad, ils appartiennent à la communauté des Teda, originaire du Tibesti. La seconde communauté toubou, les Daza (ou Goranes) vit plus au sud, entre Tchad et Niger. https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-ethnie-minoritaire-Toubou-en-Libye-1-3.html
En juillet 2012, les premières élections législatives tenues depuis un siècle sont suivies par plus de 60 % des électeurs. Mais elles ne donnent pas de résultat déterminant, plus de la moitié des sièges – pourvus au scrutin uninominal – revenant à des « indépendants » aux affiliations pas toujours claires (tribales, islamistes…). Au scrutin de liste, le vainqueur est l’Alliance des forces nationales (AFN) : regroupant une quarantaine de partis libéraux et « révolutionnaires », elle apparaît plus nationale et plus modérée que le Parti de la Justice et de la Construction (vitrine des Frères musulmans) ou que Al-Watan, fondé par l’ancien chef du GICL et proche du Qatar. En août, le CNT est dissous et remplacé par le Congrès général national (CGN), alors que la violence ne faiblit pas dans le pays.
En septembre, l’ambassadeur, trois fonctionnaires, ainsi que des gardes de sécurité libyens, sont tués dans l’attaque du consulat américain de Benghazi par des hommes puissamment armés. L’action est attribuée à Ansar al-Charia, une filiale locale d’al-Qaida. La violence émane aussi des anciens kadhafistes, dont ceux de l’importante confédération tribale des Warfalla : en octobre, leur oasis de Bani Walid est attaquée par des éléments du Bouclier de la Libye.
Des manifestations armées ont également lieu, en avril 2013, pour exiger que les anciens responsables du régime de Kadhafi soient exclus des postes de haut rang au sein du gouvernement et de la diplomatie. La loi ayant été votée, sous l’influence des islamistes, l’un des premiers à démissionner est le chef de l’AFN et Président du CGN : avant de devenir un des principaux opposants au dictateur, il avait été ambassadeur de Libye en Inde. En Cyrénaïque, la chasse aux anciens officiers, juges ou cadres, même subalternes, du régime kadhafiste est encore plus expéditive : des dizaines sont tués par balles ou par des bombes placées sous leurs voitures. Fin 2013, les forces spéciales libyennes affrontent ouvertement des combattants d’Ansar al-Charia, mouvement qui gère divers établissements caritatifs et camps d’entrainement à Benghazi et à Derna dans l’est, ainsi qu’à Syrte et à l’ouest de Tripoli. Dans la capitale, la mainmise des islamistes est toutefois contrariée, armes à la main, par les puissantes milices « révolutionnaires » de Misrata et de Zenten. L’influence des musulmans les plus radicaux grandit en revanche au sein du CGN, dont l’un des principaux dossiers porte sur la reprise des champs pétroliers et des ports contrôlés par les autonomistes de Cyrénaïque.
A l’est, l’Armée nationale libyenne (ANL) d’Haftar rallie des militaires loyalistes (y compris des forces aériennes) ainsi que des tribus de Cyrénaïque, préoccupées par le poids croissant des djihadistes. En mai, elle lance l’opération « Dignité » pour mettre fin aux assassinats ciblés de militaires par les islamistes. Le même week-end, mais sans concertation, des miliciens de Zenten envahissent le siège du CGN pour exiger la dissolution d’une instance si mal en point qu’elle a brièvement élu deux Premiers ministres rivaux. De nouvelles élections législatives ont lieu en juin 2014, mais moins d’un électeur sur trois se déplace pour élire des candidats qui ne pouvaient se présenter qu’à titre individuel, les partis étant totalement discrédités.
Le mois suivant, le pays connait ses plus violents affrontements depuis la disparition du régime kadhafiste. Alliés aux islamistes modérés de la Cellule des opérations révolutionnaires de Libye, les Misrati s’emparent de l’aéroport de Tripoli, après six semaines de combats contre les Zenteni, et de la plus grande partie de la capitale. A Benghazi, les djihadistes du Conseil de Choura des révolutionnaires (alliance dont fait partie Ansar al-Charia) s’emparent du QG des forces spéciales. La situation dans le pays est à ce point instable que la nouvelle Chambre des représentants tient sa première session officielle à Tobrouk, près de la frontière égyptienne, mais sans la participation des élus islamistes qui relancent le CGN et nomment leur propre gouvernement.
Le pays se retrouve de facto divisé en trois zones. L’est et le sud sont contrôlés par les autorités de Tobrouk soutenues par l’ANL d’Haftar, les tribus de la Force de Cyrénaïque et les Toubou (qui affrontent régulièrement les Arabes et leurs alliés Touareg) ; se présentant comme des remparts contre l’islamisme, ils sont aidés par les Émirats arabes unis, l’Arabie Saoudite et l’Égypte. Le nord-ouest – à l’exception de Zenten, alliée à Tobrouk – est aux mains des milices islamistes de Fajr Libya (Aube de la Libye) et de Misrata, soutenues par les Berbères du djebel Nefoussa et les Touareg du sud-ouest ; se disant garants de la révolution contre les contre-révolutionnaires kadhafistes, elles bénéficient de l’appui du Qatar, de la Turquie et du Soudan. Enfin, deux cents kilomètres de côtes autour de Syrte et de Derna sont aux mains de groupes djihadistes liés à al-Qaida ou bien à l’organisation rivale de l’État islamique, qui se livre notamment à la décapitation de coptes égyptiens travaillant en Libye.
L’EI s’est emparé de la totalité de Syrte à la fin du printemps 2015, avec l’aide d’une population bien décidée à se venger des Misratis, considérés comme les meurtriers de Kadhafi, « l’enfant du pays ». En revanche, les partisans de l’EI sont expulsés de leur fief de Derna par le Conseil de la Choura des moudjahidines, une coalition de mouvements liés à al-Qaida. Et lorsque essaie l’EI essaie de conquérir les terminaux du Croissant pétrolier (al-Sedra, Ras Lanouf et Brega), en janvier 2016, il est repoussé par la Garde des installations pétrolières (PFG, liée à la Force de Cyrénaïque), appuyée par des avions venus de Misrata. Le mois suivant c’est la mouvance qaédiste qui subit un revers : après plus de dix-huit mois de combats, les forces d’Haftar parviennent à chasser totalement de Benghazi les islamistes du Conseil de la Choura des révolutionnaires (lié à Tripoli).
La relative marginalisation des factions djihadistes n’empêche pas le pays de continuer à être profondément divisé. En décembre 2015, l’ONU parvient cependant à réunir, à Skhirat (Maroc), des représentants du CGN et du Parlement de Tobrouk. Ils signent un accord de paix qui instaure un Gouvernement d’union nationale (GUN ou GNA, Government of national accord), dirigé par l’homme d’affaires Fayez el-Sarraj. Regroupant une large partie des « révolutionnaires » de Fajr Libya, à l’exception des radicaux d’al-Watan, le GUN s’installe à Tripoli au printemps 2016, mais son autorité est rapidement rejetée : par le gouvernement de Tobrouk (hostile à tout remplacement d’Haftar à la tête de l’armée nationale), mais aussi par le Gouvernement de salut national (GSN) de l’islamo-conservateur Khalifa Ghweil, qui s’est replié sur Misrata, où les milices jouent leur propre partition.
D’une manière générale, les allégeances sont faibles et les renversements d’alliances fréquents, comme en témoigne le ralliement de Zenten à son ancien ennemi Haftar ou, inversement, le passage de la PFG de Cyrénaïque dans le camp du GUN. De même, les madkhalistes – branche la plus radicale du salafisme quiétiste – sont engagés sur plusieurs fronts : au nom de leur haine des Frères musulmans et des salafistes djihadistes, ils soutiennent Haftar, mais appuient aussi ses rivaux de Misrata dans leur lutte contre l’EI et constituent le cœur de la milice al-Rada, une des plus puissantes de Tripoli. Au Sud, les forces déployées par Misrata répriment les Toubou libyens, mais s’appuient inversement sur leurs frères tchadiens pour enrayer toute progression locale des djihadistes. Les dissensions n’épargnent pas les tribus arabes : en novembre 2016, une vingtaine de personnes sont tuées à Sebha, dans des combats à l’arme lourde entre les Ouled Slimane et les Qadhadhfa (la tribu de Khadafi).
Les belligérants reçoivent par ailleurs de nouveaux soutiens internationaux, au nom de leur lutte contre le terrorisme islamiste : des forces spéciales occidentales soutiennent les reconquêtes de Haftar, qui s’est également rapproché de la Russie, jugée moins regardante que l’Occident sur la question du respect des droits humains ; quant aux brigades de Misrata, elles bénéficient de l’aide des Américains, des Britanniques et de l’ancien colonisateur italien pour reprendre Syrte à l’EI, en décembre 2016, après six mois de combats et cinq cents frappes aériennes américaines.
En septembre 2016, une offensive-éclair permet aux forces d’Haftar de s’emparer de la totalité des terminaux du Croissant pétrolier, jusqu’alors contrôlés par la PFG. L’opération fragilise les espoirs du gouvernement issu des accords de Skhirat de relancer à son profit une production pétrolière quasi à l’arrêt (moins de 20 % du niveau avant-guerre). La Compagnie nationale libyenne (NOC), basée à Tripoli, annonce toutefois que l’exportation pétrolière pourra reprendre, sous la tutelle de l’ANL. De fait, elle redémarre. Haftar obtient également de ses alliés de Zenten qu’ils lèvent le blocage qui, depuis deux ans, empêchait l’acheminement du pétrole et du gaz du Fezzan vers les installations situées sur la côte ouest de Tripoli.
En décembre, l’ANL entreprend de « nettoyer » le sud de la Libye de tous les groupes armés qui y opèrent, djihadistes ou rebelles tchadiens et nigériens. Des frappes de l’ANL visent notamment des positions du FACT (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad), allié local du Conseil militaire de Misrata. En réaction, les Misrati envoient des renforts dans les régions de Joufra et de Sebha, où Haftar aurait « recyclé » plus de 4 000 des mercenaires tchadiens que Kadhafi avait recrutés pour tenter de se maintenir au pouvoir.
L’homme fort de la Cyrénaïque profite de la faiblesse du GUN. Les milices loyales au gouvernement officiel sont en effet de plus en plus souvent victimes d’assauts menés par des groupes liés au GSN, venus en particulier de Misrata : au début de l’année 2017, ils occupent même des bâtiments officiels de Tripoli. Pendant ce temps, Haftar conforte son régime militaro-salafiste : dans le cadre de son rapprochement avec certaines factions quiétistes pro-saoudiennes, un Comité des affaires religieuses a été instauré pour mener la chasse aux intellectuels laïcs et aux « déviants » de l’islam (Frères musulmans ou ibadites). Le général ne cache pas davantage ses liens avec les anciens réseaux kadhafistes : il obtient ainsi la libération de Salif Al-Islam Kadhafi, qui était détenu depuis novembre 2011 par un groupe armé allié des Zenteni. Ces positions lui aliènent le soutien de certaines tribus et de certains milieux laïcs, au risque de le fragiliser. Dans le Croissant pétrolier, il doit affronter des groupes islamistes liés au GSN ou au ministre de la Défense du GUN, telles que les Brigades de défense de Benghazi. Dans le Fezzan, une centaine de ses fidèles, civils et de militaires, sont assassinés en mai : le massacre, sans doute le plus meurtrier depuis 2012, a été commis par la Troisième Force, une milice de Misrata secondée par des éléments djihadistes. La province méridionale est en effet devenue un théâtre d’affrontements majeurs entre l’homme fort de Benghazi et ses opposants, notamment les groupes islamistes chassés de Syrte et de Benghazi.
Outre l’instabilité militaire qu’elle génère dans tout le Sahel, la situation libyenne a un impact fort sur l’immigration sauvage dans le sud de l’Europe : la très grande majorité des dizaines de milliers de réfugiés arrivant en Italie ont embarqué en Libye, ce qui Rome a équiper les garde-côtes libyens d’embarcations modernes et même à intervenir dans les eaux libyennes. Plusieurs sources affirment que le pays compterait au moins 800 000 clandestins et que de véritables « marchés aux esclaves » de migrants sub-sahariens existent, en particulier à Sebha, sous le contrôle de milices connues et parfois alliées du pouvoir officiel.
Au printemps 2018, les sœurs ennemies de Tripolitaine amorcent une réconciliation : Zenten parce-qu’elle refuse la dérive autoritaire d’Haftar et Misrata parce-qu’elle se considère mal récompensée de l’aide militaire qu’elle a apportée au GUN à Syrte ou dans le Fezzan. Pour marquer leur mécontentement, les Misrati s’opposent notamment à l’accord signé en faveur du retour dans leur ville des Tawarga. A Tripoli, la perte d’influence des Misrati a été compensée par la montée en puissance de quatre milices tripolitaines (Brigade des révolutionnaires de Tripoli, brigade Rada, Ghneiwa et brigade Nawasi) qui, en échange de leur soutien sécuritaire au gouvernement Sarraj, ont constitué un véritable « cartel » ayant fait main basse sur les ressources de l’État. Le projet de réouverture de l’aéroport de la capitale attise à cet égard toutes les convoitises, comme l’illustre la tentative de la « 7ème Brigade », originaire de Tarhouna, de s’en emparer en août. L’opération déclenche des combats à l’arme lourde, au sud de Tripoli, entre milices dépendant théoriquement du GUN (de la Défense ou de l’Intérieur), sur fond de rivalités tribales. En janvier 2019, trois des quatre grandes factions de la capitale (sauf al-Rada) se regroupent au sein d’une Force de protection de Tripoli qui ne reconnaît plus l’autorité de Sarraj.
Pendant ce temps, Haftar renforce ses positions dans le Fezzan, afin de prendre en tenailles ses rivaux de Tripoli. Il y joue la carte sécuritaire (contre les trafiquants et les rebelles), mais y tient aussi un discours nationaliste, afin de séduire les tribus arabes qui sont hostiles aux Touareg (dont un ancien général a été nommé gouverneur militaire de la région par le GUN) et aux velléités irrédentistes des Toubou (dont beaucoup ne sont pas considérés comme des Libyens à part entière). Après avoir chassé la Troisième Force et pris Sebha sans combats, l’ANL s’empare en février 2019 du plus important champ pétrolier du pays et d’un autre gisement tenu par des Touareg, avec l’objectif de tirer des bénéfices d’une relance de la production pétrolière.
Malgré le fractionnement du pays, le pétrole fourni par les différents camps reste exporté par un seul acteur, la NOC, dont les recettes alimentent la Banque centrale de Tripoli, laquelle rémunère les très nombreux fonctionnaires du pays, y compris ceux de Cyrénaïque.
La progression de l’ANL et de ses alliés (comme la milice Al Khaniyat de Tarhouna) est telle qu’ils dominent plus de la moitié du pays. Le GUN et les milices voisines du GSN (Garde nationale libyenne de Ghweil, Brigade de défense de Benghazi) ne contrôlent plus, de fait, que la zone côtière entre Tripoli et Syrte, ainsi que la bande frontalière avec la Tunisie. Enfin, quelques centaines de combattants djihadistes restent présents dans le désert entre Syrte et Sabha (EI), ainsi qu’à Derna, du moins jusqu’à sa reconquête par l’ANL, entre juin 2018 et février 2019.
Pour mener leurs combats, les différents camps bénéficient du soutien de milliers de mercenaires soudanais et tchadiens ; ainsi, les mouvements rebelles du Darfour possèdent une base militaire à Kufrah et c’est d’un territoire du sud libyen que les FACT lanceront l’attaque qui provoquera la mort du chef d’État tchadien en avril 2021.
En avril 2019, alors que le Secrétaire général de l’ONU arrive à Tripoli pour essayer de faire avancer un processus de paix enlisé, Haftar lance ses forces à l’assaut de la capitale. Mais elles se heurtent à un front quasi uni des milices Tripolitaines : la Force de protection reçoit ainsi le renfort des Berbères et des troupes aguerries de Zenten et de Misrata, ces dernières intégrant des combattants islamistes du GSN et des djihadistes de Derna … A cette occasion, les belligérants utilisent des équipements ayant visiblement échappé à l’embargo décrété par l’ONU sur les armes : des blindés et drones d’origine turque du côté du GUN, des drones chinois et des missiles américains (sans doute fournis par les Émirats) côté ANL. Celle-ci bénéficie aussi du soutien de centaines de mercenaires du groupe russe Wagner, ce qui conduit le gouvernement Sarraj à signer avec la Turquie un accord de coopération sécuritaire en décembre 2019. Ankara met alors à la disposition de son partenaire des mercenaires somaliens, ainsi que des rebelles syriens combattant le régime de Damas. Par ricochet, Haftar signe un accord avec le gouvernement syrien en mars 2020.
Deux mois plus tôt, l’ANL a réussi à s’emparer de Syrte, grâce au soutien de deux des principaux groupes tribaux de la région, restés fidèles à Kadhafi (les Qadhadhfa et les Warfalla), ainsi que d’une brigade madkhaliste recrutant largement dans les rangs de la tribu des Ferjani (celle d’Haftar). A l’ouest, en revanche, le GUN marque des points : son opération « Tempête de la paix » lui permet de reprendre des banlieues et l’aéroport de Tripoli. Le groupe Wagner décide alors de retirer ses miliciens russes et syriens de la ligne de front et de se replier sur Joufra, à la lisière des trois régions libyennes. En juin 2020, l’ANL se replie à son tour vers le sud, de même que son alliée de Tarhouna. Après son départ de la ville, des centaines de corps sont exhumés de fosses communes.
Le front étant stabilisé sur un axe Sebah-Syrte, un cessez-le-feu global et permanent est signé en octobre à Genève, sous l’égide de l’ONU. Il prévoit le départ des combattants et formateurs étrangers, le retrait des groupes armés de la ligne de front, la dissolution des milices et la constitution d’une armée nationale unifiée. Sa surveillance est confiée à des Comités militaires conjoints.
L’ONU parvient également à mettre en place un Forum de dialogue politique qui, contre toute attente, ne choisit pas le nouvel exécutif intérimaire au sein de l’alliance tactique formée par le Ministre de l’intérieur du GUN (rival de Sarraj) et par le Président de l’Assemblée de Tobrouk (rival de Haftar), mais dans la liste d’un outsider : Abdel Hamid Dbeibah, un sexagénaire Misrati enrichi dans le bâtiment sous Kadhafi et qui est jugé proche de la Turquie, mais aussi de la Russie et des Frères musulmans. Il est nommé Premier ministre du nouveau Gouvernement d’unité nationale pour dix mois, le temps d’organiser les élections ; son colistier, élu Président du Conseil présidentiel intérimaire, est un diplomate natif de Tobrouk, flanqué d’un Touareg originaire du Sud et d’un député de Zaouia (ouest). Envisagé au départ comme restreint et technique, le gouvernement est finalement pléthorique, afin de représenter toutes les sensibilités, y compris d’anciens kadhafistes qui héritent de l’Intérieur.
Après le report sine die des élections prévues en décembre 2021, notamment à cause de dissensions sur la liste des candidats (Haftar, le fils de Kadhafi, le Premier ministre…), la Chambre des représentants retire sa confiance à Dbeiba et investit en mars 2022 un Gouvernement de stabilité nationale (GSN) dirigé par Fathi Bachagha, un ancien ministre de l’Intérieur originaire de Misrata, mais rallié au camp de l’Est. Rival déclaré de Dbeibah, il est censé le remplacer, mais ce dernier n’accepte de se démettre qu’en faveur d’un gouvernement issu d’élections. La rivalité entre les deux camps conduit au retour des blocages traditionnels, en particulier sur l’exploitation et la distribution de pétrole. En mai, Bachaga et une partie de son gouvernement essaient de s’installer à Tripoli, mais doivent quitter la ville presque aussitôt, leur arrivée ayant déclenché des combats entre leurs troupes et leurs opposants. Basé à Syrte, le chef du GSN lance ses milices à plusieurs reprises à l’assaut de la capitale, mais sans succès. Finalement, le Parlement le suspend de son poste, pour gaspillage présumé de deniers publics.
Les seules avancées ont lieu dans le domaine pétrolier, avec la création d’une Commission commune de répartition des revenus issus du pétrole, alors que les autorités de l’Est avaient menacé de bloquer les exportations, estimant ne pas en tirer assez de bénéfices. Des accords internationaux sont par ailleurs signés : avec l’Italien ENI pour développer deux champs gaziers au large des côtes libyennes et avec la Turquie pour la prospection d’hydrocarbures. Les Turcs aménagent aussi le port d’al-Khoms, au nord-ouest, qui lui aurait été cédée pour quatre vingt-dix neuf ans, malgré les dénégations du GUN ; il vient s’ajouter aux deux installations que possédait déjà Ankara dans le pays : une base aérienne au sud-ouest de la capitale et un port près de Tripoli.
En septembre 2023, une violente tempête dans la région de Derna vient rappeler cruellement les carences de l’État : elle provoque en effet la rupture de deux barrages d’une cinquantaine d’années, dont l’un n’avait fait l’objet d’aucune maintenance en plus de vingt ans. La catastrophe fait des milliers de morts et de disparus. A Tripoli, la situation se tend entre le chef du GUN et le gouverneur de la Banque centrale, qui lui refuse des fonds. En août 2023, après des mois d’accalmie, de violents combats secouent les quartiers est et sud de Tripoli : ils opposent la Brigade 444, dépendant du ministère de la Défense, et la Force al-Rada, qui s’est arrogée des pouvoirs de police dans le centre et l’est de la capitale et qui défend la sécurité de la Banque centrale. En février 2024, le ministre de l’Intérieur annonce le retour des milices et groupes armés de Tripoli dans leurs QG et leur remplacement par la police dans les rues de la capitale. Les milices, dont certaines ont commencé à se replier, ont obtenu de ne pas être dissoutes et de garder leur armement.
En août 2024, un nouvel accès de fièvre saisit le Sud et le Sud-ouest. Les forces d’Haftar, commandées par son fils, progressent aux frontières avec le Tchad, le Niger et l’Algérie, inquiète de voir un allié du régime égyptien se rapprocher autant de son territoire. Officiellement, ce déploiement a pour objectif de sécuriser ces zones, notamment la passe de Salvador par laquelle passent djihadistes et trafiquants. En réalité, l’ANL espère tirer profit des différents trafics qui se déroulent dans la région et mettre la main sur les richesses qu’elle recèle (pétrole, gaz et or).
Photo de « une » : Église italienne reconvertie en mosquée à Tripoli