D’une superficie de 374 km² (soit 14 % de l’archipel des Comores), Mayotte est constituée de plusieurs îles et îlots, dont 363 km² pour la seule Grande-Terre, où se situe la plus grande ville et chef-lieu Mamoudzou. 95 % des habitants, les Mahorais, sont musulmans sunnites, héritage logique du passé des Comores, placées sur les routes commerciales qui reliaient la côte orientale du continent africain au Moyen-Orient, ainsi qu’aux Indes et à Madagascar (située à environ 300 km plus au sud). Culturellement, la culture mahoraise est proche de celle des autres Comoriens, avec toutefois une part nettement plus grande des influences malgaches. En plus du français, langue officielle, les Mahorais parlent d’ailleurs deux langues principales : le shimaoré (dialecte du swahili) et le kibushi (dialecte du sakalave de Madagascar).
Le plus souvent dépendante du sultanat voisin d’Anjouan, Mayotte s’en émancipe à la fin du XVIe, en même temps que des Sakalaves prennent progressivement le contrôle du sud et d’une partie ponctuelle de l’est de Grande Terre. Entre le milieu du XVIIIe et le début du XIXe, le sultanat mahorais subit les raids réguliers d’Anjouanais, qui essaient de le reconquérir, ainsi que de pirates malgaches. A la mort de son dernier sultan d’origine chirazienne (persane), assassiné en 1829, Mayotte devient l’objet de rivalités entre les sultans d’Anjouan, de Mohéli et les rois sakalaves. Finalement, l’un de ces derniers l’emporte. Mais, demeurant vulnérable face aux autres souverains comoriens et aux rois de Madagascar, alliés des Anglais, Andriantsoly fait appel à la France, qui vient de s’emparer de l’île malgache de Nosy Bé, dans le canal de Mozambique.
En 1841, le sultan mahorais cède donc son territoire à Paris, en échange d’une protection contre ses voisins, ainsi que d’une rente annuelle et de l’éducation de deux de ses enfants. La cession est ratifiée deux ans plus tard. Les trois autres îles comoriennes (Grande Comore, Mohéli et Anjouan, 2236 km²) ne passent sous tutelle française qu‘en 1886, sous la forme de protectorats. L’ensemble de l’archipel des Comores prend alors le nom de « Mayotte et dépendances », le siège du gouvernorat étant établi à Dzaoudzi, sur l’île mahoraise de Petite-Terre. En 1919, la Société des Nations entérine les différences de statut entre les îles, en reconnaissant la souveraineté directe de Paris sur Mayotte (ainsi que la légalité de son acquisition) et en considérant que la France n’exerce sur les autres îles qu’un protectorat sous mandat international.
Un moment rattachées à Madagascar, les Comores deviennent Territoire d’outre-mer en 1946 puis obtiennent, en 1961, un statut d’autonomie interne. Celui-ci s’accompagne, cinq ans plus tard, du transfert de la capitale territoriale de Dzaoudzi à Moroni, sur la Grande Comore. Voyant la prédominance de leur île prendre fin, les Mahorais se plaignent de voir les autres Comoriens monopoliser les postes administratifs et s’approprier leurs terres. Ceci les pousse à revendiquer, dès les années 1960, le statut de département français d’outre-mer, jugé plus favorable. Les Comores restant inscrites dans la liste (de l’ONU) des territoires devant accéder à l’autodétermination, la France y organise un référendum sur l’indépendance, en 1974 : le « oui » l’emporte à plus de 90 % dans l’archipel… mais pas à Mayotte qui vote « non » à près de 64 %. Ayant choisi de tenir compte des résultats île par île, et non au niveau de l’archipel comme le préconisait la Charte de décolonisation de l’ONU, Paris entérine le résultat. Malgré les protestations du régime comorien et la réprobation onusienne, une deuxième consultation est organisée à Mayotte, en février 1976, et donne un résultat dénué de toute ambiguïté : plus de 99 % des votants confirment leur volonté de rester français. En 2009, plus de 95 % des votants Mahorais se prononcent pour la départementalisation de Mayotte.
L’instauration d’un visa pour les étrangers, en 1995, a supprimé la liberté de circulation entre les îles de l’archipel, ce qui n’empêche pas un afflux massif de Comoriens à Mayotte : bien qu’étant le plus pauvre des cent-un départements français, le territoire mahorais présente un PIB par habitant six à sept fois supérieur à celui de l’Union des Comores et des infrastructures sans commune mesure. De son côté, le régime de Moroni ne fait rien pour s’opposer à l’exode de ses ressortissants, puisqu’il considère Mayotte comme faisant partie de son territoire. Résultat, la population de Grande-Terre et de ses dépendances est passée de 23 000 habitants en 1958 à 310 000 en 2022, dont plus de la moitié sont des étrangers (à 95 % Comoriens), le plus souvent en situation irrégulière. Jusqu’à dix embarcations – les kwassa-kwassa – traversent chaque jour les moins de 70 km séparant Anjouan de Mayotte, non sans risques : de 1995 à 2017, entre 7 000 et 20 000 Comoriens auraient trouvé la mort en effectuant cette traversée. Circonstance aggravante pour la démographie locale : la fécondité y est de cinq enfants par femme.
Cette situation entraîne l’explosion de l’insécurité et la dégradation des conditions de vie des habitants : les structures d’éducation et de soin deviennent insuffisantes, les bidonvilles fleurissent, l’eau potable manque, le taux de pauvreté dépasse 80 % et celui du chômage avoisine les 50 % chez les jeunes et les femmes. En novembre 2022, Paris doit envoyer des forces spéciales de la police pour mettre fin à deux semaines d’affrontements à la machette entre bandes rivales. En avril 2023, le gouvernement lance une opération de « décasage » (destruction de bidonvilles) et d’expulsion de personnes en situation irrégulière. Mais elle ne satisfait pas les « forces vives » mahoraises qui, début 2024, érigent des barrages – comme elles l’avaient déjà fait en 2018 – pour exiger le retour de l’ordre et de l’efficacité des services publics.
Crédit photo : Vue sur Dzaouzi. JM. Lova / Unsplash