De climat tropical, la Malaisie compte près de 4 700 km de côtes sur le détroit de Malacca à l’ouest et la Mer de Chine méridionale à l’est. Elle partage 1780 km de frontières terrestres avec l’Indonésie et 380 avec Brunei (à Bornéo) et un peu plus de 500 km avec la Thaïlande sur la péninsule.
Fédération de treize États (dont neuf sultanats et royaumes fournissant à tour de rôle le souverain national) et de trois districts fédéraux[1], le pays est composé de deux parties :
- une partie continentale à l’ouest, la Malaisie péninsulaire, longue de 900 km sur 100 à 300 km de large ; située au sud de la Thaïlande, elle est parcourue du nord au sud par une longue chaîne montagneuse, en partie boisée, culminant à près de 2 200 m. De part et d’autre s’étendent des plaines côtières, marécageuse à l’ouest, sablonneuse à l’est.
- une partie insulaire à l’est ; les États du Sarawak (enclavant le sultanat indépendant de Brunei) et du Sabah, ainsi que l’île de Labuan, sont situés sur la côte occidentale de l’île de Bornéo, majoritairement indonésienne[2]. Composée de forêts tropicales et traversée du nord au sud par un relief parfois élevé (un peu moins de 4 100 m au Mont Kinabalu), cette partie représente environ 60 % du territoire de la Fédération, mais seulement 15 % de sa population.
[1] Il s’agit des sept sultanats de Johor (le plus méridional), Kedah, Perak et Kelantan (frontaliers de la Thaïlande), Pahang, Selangor et Terengganu, de la monarchie élective de Negeri Sembilan et du royaume de Perlis (le plus au nord). Les autres États (dont Malacca et Penang sur la péninsule) sont dirigés par des gouverneurs nommés par le souverain de la Fédération. Les deux capitales et l’île de Labuan ont le statut de districts fédéraux.
[2] La Malaisie occupe un peu plus de 200 000 des 748 000 km² de Bornéo, l’Indonésie 542 000 et Brunei un peu moins de 5 800.
La population est composée à 56 % de Malais. Ils sont considérés comme Bumiputera (« fils du sol »), au même titre que les 14 % d’autochtones. Parmi ceux figurent, d’une part, les différents groupes regroupés sous l’appellation générique de « Orang Asli » (« gens des origines ») : de langue môn-khmère ou malayo-polynésienne, ils habitent les zones montagneuses de la péninsule ; les autres autochtones, les plus nombreux, sont les indigènes de Bornéo : les Ibans représentent 30 % de la population du Sarawak et une trentaine de groupes 65 % de celle du Sabah. Les autres habitants sont d’origine chinoise (23 %) et indienne (7 %, essentiellement Tamouls).
Religion des Malais, l’islam sunnite est nettement majoritaire (plus de 60 %). Suivent le bouddhisme de l’école theravada (19 %, cf. L’Inde creuset de religions), le christianisme (9 %), l’hindouisme (plus de 6 %), l’animisme et les autres cultes (5 %).
Deux ans après son indépendance, obtenue en 1957, la Fédération de Malaisie enregistre la demande de l’ex-colonie britannique de Singapour, où le Parti de l’action du peuple (PAP) du social-démocrate Lee Kuan Yew a remporté les élections consécutives à l’obtention d’un statut d’autonomie interne. Le prince Abdul Rahman est réticent : s’il a bien accédé aux demandes de ses partenaires chinois d’élargir la citoyenneté malaise aux sino-Malaisiens, il redoute en revanche que l’entrée de Singapour – dont la population est aux trois quarts chinoise[1] – ne modifie les fragiles équilibres ethniques de la Fédération. Pour vaincre ces réticences, la Grande-Bretagne propose de faire adhérer aussi ses colonies de Bornéo, qui sont largement peuplées d’autochtones (en partie proches des Malais) et qu’elle juge inaptes à une indépendance à part entière. Cette perspective déclenche l’hostilité des Philippines – qui revendiquent les droits de l’ancien sultanat de Sulu sur le nord de l’île – et surtout de l’Indonésie qui, possédant la majeure partie de Bornéo (Kalimantan), refuse de voir s’y installer un rival malaisien qu’elle considère comme inféodé aux Anglais.
L’idée indonésienne d’une confédération entre les trois pays ayant échoué, la Fédération malaisienne élargie à Singapour, au Sarawak et au Sabah voit le jour en septembre 1963, sans la consultation des populations locales qui avait pourtant été envisagée dans l’accord de Manille signé avec les Philippines et l’Indonésie deux mois plus tôt. Fort de ses ressources pétrolières naissantes, le sultan de Brunei préfère quant-à-lui rester à l’écart et conserver son statut de protectorat britannique[2], après avoir écrasé la rébellion des indépendantistes du BBP[3], soutenue par Jakarta. Mais le régime indonésien ne s’arrête pas là : plus que jamais hostile à l’expansion malaisienne, Jakarta engage une politique de « konfrontasi » qui se traduit par le déclenchement d’une guérilla à Sarawak et même des actions de sabotage dans la péninsule. Les insurrections sont finalement matées, avec l’appui de forces britanniques et australiennes. Un accord de paix est signé en août 1966, après la déposition du Président ultranationaliste Sukarno en Indonésie, ce qui n’empêche pas les relations entre les deux pays de rester tendues[4]. Dans la seconde partie des années 1960, ce sont les Philippines qui rappellent leur attachement au nord de Bornéo : le dictateur philippin Marcos tente d’annexer Sabah, en y envoyant des commandos secrets chargés d’infiltrer la population et de saboter des installations.
En 1965, la Fédération de Malaisie est agitée par un nouveau soubresaut, lié au profond différend existant entre Abdul Rahman et Lee Kuan Yew sur leur perception de la Fédération : tandis que le premier entend garantir la prédominance politique des autochtones, à commencer par celle des Malais, le second plaide pour un État réellement pluriethnique. Le risque d’une confrontation provoque l’expulsion de Singapour qui accède à l’indépendance en août 1965.
[1] Comptant un millier d’habitants en 1819, le comptoir britannique de Singapour connait un développement tel que, dès le début du XXème, il héberge 225 000 personnes dont déjà trois quarts de Chinois.
[2] Brunei accèdera à l’indépendance en 1984.
[3] Déclenchée en décembre 1962, l’insurrection de l’Armée nationale de Kalimantan nord (TNKU) fut définitivement matée en avril 1963, avec l’aide de troupes britanniques (notamment gurkha) stationnées à Singapour.
[4] En décembre 2002, la CIJ de La Haye a tranché un différend frontalier datant de 1969 et a attribué à la Malaisie la souveraineté sur les îlots de Sipadan et Ligitan, situés au large du Sabah. Des navires de guerre des deux pays se sont également confrontés en mars 2005 et mai 2009 dans la zone pétrolifère d’Ambalat, en mer des Célèbes au nord de Bornéo.
De la crispation anti-chinoise à la modernisation de l’économie
La Malaisie peut alors lancer un plan de développement, visant à combler le retard économique des Malais sur les Chinois et à mieux intégrer le Sarawak et le Sabah. En application de la Constitution de 1957, qui avait prévu que l’anglais pourrait rester langue co-officielle pendant dix ans, le malais devient la seule langue nationale en 1967. L’accès des Malais est par ailleurs systématiquement favorisé dans l’enseignement supérieur, ainsi que dans l’obtention d’aides publiques à caractère économique. Cette orientation contribue à une radicalisation des communautés, qu’illustre le résultat des élections générales de mai 1969 : le camp malais voit la progression du très nationaliste Pan Malayan Islamic Party (PMIP), très influent dans les États ruraux du nord-est, qui juge que la formation au pouvoir, l’Organisation nationale de l’unité des Malais (UMNO), est encore trop généreuse avec les Chinois ; chez ceux-ci, le vote se détourne de l’Association des Chinois de Malaisie (MCA), jugé trop conciliante avec le pouvoir, au profit du Democratic Action Party (DAP), proche du PAP singapourien. Mécontents de cette affirmation revendicative, des Malais s’en prennent à leurs compatriotes chinois, tuant deux cents d’entre eux. L’état d’urgence est proclamé et le Parlement suspendu, le soin de « rétablir l’ordre » étant confié à un Conseil national des opérations dirigé par le vice-Premier ministre Abdul Razak.
L’état constitutionnel est restauré en février 1971, après l’inscription, dans la Constitution, des interdictions de remettre en cause la primauté de l’islam et de la langue malaise, ainsi que les droits particuliers des autochtones (« Bumiputra ») et le pouvoir des sultans. Devenu Premier ministre, Razak lance également une nouvelle politique économique destinée à accroître le poids des Malais, et même des Chinois, dans une économie encore détenue à plus de 60 % par des intérêts étrangers. Politiquement, il s’efforce d’isoler le DAP et élargit l’Alliance gouvernementale à d’autres partis sino-malaisiens et même au PMIP. Diplomatiquement, il s’active pour faire face à la fermeture des bases militaires britanniques de Malaisie et de Singapour : dans sa « Déclaration de Kuala Lumpur » de novembre 1971, l’ASEAN[1] propose de faire de l’Asie du Sud-Est une « zone de paix, de liberté et de neutralité ». Quant au statut des Chinois de Malaisie, il fait l’objet d’un accord de principe avec la Chine communiste, officiellement reconnue en 1974.
Disparu brutalement en janvier 1976, Razak est remplacé par son beau-frère qui poursuit sa politique, en particulier en matière de lutte contre la pauvreté, sans considération d’ordre ethnique, religieux ou linguistique : il s’agit alors de lutter contre la montée d’un fort mécontentement social que relaient notamment le Malaysian People’s Party (ou PRM, Rakyat Malaysia) et les diverses factions du Parti communiste. Cette voie est couronnée de succès dans les urnes : successeur de l’Alliance, le Front national (Barisan nasional) remporte largement les élections générales de juillet 1978, en dépit de la sécession du Parti islamique pan-malaisien (PAS[2], successeur du PMIP). Quant au « péril » communiste, il est combattu avec force : le terrorisme urbain est éradiqué en 1976, via la mise en place de milices locales de surveillance, tandis que des opérations militaires sont menées contre les quelque milliers de guérilleros qui opèrent dans les jungles frontalières de la Thaïlande.
[1] Association des Nations du Sud-Est asiatique
[2] Parti Islam Se-Malaysia.
L’avènement du « docteur M »
Après cinq ans d’exercice du pouvoir, le Premier ministre cède sa place à son second, Mahathir bin Mohammad qui, à la différence de ses prédécesseurs, n’est pas d’origine aristocratique. Le « règne » de « Docteur M », qui va durer vingt-deux ans, marque le renforcement du pouvoir exécutif. Même les sultans ne sont pas épargnés : les frasques et abus de pouvoir de certains d’entre eux conduisent à la perte de certains de leurs privilèges. La justice se plie majoritairement aux décisions gouvernementales, de même que la presse dont les licences de publication sont sujettes à renouvellement annuel. En matière sécuritaire, le régime peut compter sur un arsenal solide, en partie hérité de l’occupation britannique : ainsi, l’Internal Security Act permet d’emprisonner toute personne menaçant la sécurité du pays, pendant une période renouvelable de deux ans, sans le moindre procès.
Électoralement, le Barisan nasional continue à remporter largement tous les scrutins, en dépit des dissensions pouvant agiter l’UMNO. En 1997, à l’occasion de la crise financière asiatique, Mahathir est contesté par son ministre des Finances et dauphin, Anwar Ibrahim, issu d’un mouvement de la jeunesse islamique inspiré des Frères musulmans. Après avoir dénoncé la corruption et avoir appelé à un vaste mouvement de « Reformasi », similaire à celui qui a provoqué la chute de Suharto en Indonésie, Anwar est renvoyé du gouvernement, puis condamné en 1998 à quinze ans de prison, pour corruption et « comportement sexuel déviant » (en l’occurrence des pratiques de sodomie). Ses partisans se regroupent alors dans une nouvelle formation, pluriethnique, le Keadilan Rakyat (PKR, Parti de la justice nationale), qui monte une nouvelle coalition aux élections de novembre 1999 avec le PAS, le DAP et le PRM : mais ce « Barisan alternatif » échoue à faire chuter le Barisan officiel.
Les succès de Mahathir s’appuient, notamment, sur sa modernisation de l’économie nationale. S’inspirant des modèles japonais et sud-coréen, elle passe par des investissements dans les nouvelles technologies, par la collaboration entre secteurs publics et privés, ainsi que par une vague intense de privatisations, au milieu des années 1980, qui génère un vaste système clientéliste, tant chez les Malais que chez les Chinois. Sans remettre en cause la politique de discrimination positive de ses prédécesseurs, le Premier ministre promeut l’avènement d’un « nouveau Malais » dépassant les clivages communautaires [1]. Il refuse, d’ailleurs, toute islamisation supplémentaire de la société et multiplie les initiatives pour contrer les discours du PAS (proche de l’idéologie des Frères musulmans) en faveur de l’instauration d’un État islamique : un département des Affaires islamiques est créé, de même qu’une université islamique internationale et qu’un secteur bancaire et assurantiel islamique. Au congrès annuel de l’OCI (Organisation de la conférence islamique) qui se tient en octobre 2003 dans son pays, Mahathir appelle l’islam et ses 1 300 millions de membres à s’unir contre les juifs qui, depuis la Shoah, dominent le monde « par procuration ».
[1] Clivages qui restent profonds : en mars 2001, des incidents mineurs provoquent quatre jours d’affrontements meurtriers entre Malais et Indiens (les plus graves en trente ans) dans une banlieue pauvre de la capitale.
Le vrai-faux départ de Mahathir
Le discours devant l’OCI est censé être la dernière sortie de Mahathir qui, en juin 2002, a annoncé son retrait de la vie politique, à l’âge de 76 ans. Au passage, il s’en est pris aux Malais, une bande « de faibles, de pauvres et d’arriérés » qui feraient mieux de « s’inspirer des Chinois » plutôt que de « réclamer sans cesse au gouvernement de nouvelles béquilles pour tenir debout », allusion aux faibles effets de la politique de discrimination positive poursuivie depuis trente ans… et au vote majoritaire de ses compatriotes ethniques en faveur de l’opposition islamiste : en 1999, l’UMNO n’a conservé la majorité parlementaire que grâce à ses alliés représentant les minorités. En 2003, Mahathir cède sa place au vice-Président de l’UMNO, dont la politique de lutte contre la corruption et d’annulation de certains projets dispendieux de son prédécesseur n’est pas couronnée de succès. Aux élections générales de mars 2008, le Barisan perd la majorité des deux tiers qu’il détenait depuis quarante ans et n’arrive en tête que grâce aux sièges des partis régionalistes de Sarawak et du Sabah ; dans la péninsule, il est devancé par l’Alliance du peuple (Pakatan Rakyat), la nouvelle coalition d’opposition qui associe le PKR, le PAS et le DAP ; celle-ci remporte cinq États fédérés, la plupart situés sur la côte ouest comme l’île de Penang, considérée comme la vitrine technologique du pays.
Ce revers entraîne un nouveau changement à la tête du gouvernement, avec l’avènement de Najib Razak, fils de l’ancien Premier ministre homonyme. Sans remettre en cause les privilèges malais, il mène une politique d’aide aux plus pauvres, quelles que soient leurs origines, tout en intensifiant les programmes économiques en faveur de l’innovation. Cette évolution s’accompagne d’un assouplissement du corset sécuritaire mis en place par Mahathir, de sorte que la seconde moitié des années 2000 voit monter un certain nombre de revendications, émanant des syndicats, de la communauté indienne et de la société civile dans son ensemble, au-delà des questions communautaires : à partir de 2007, un mouvement appelé Bersih (« propre » en malais) réclame régulièrement l’organisation d’élections générales libres et transparentes. A partir de 2011, le pouvoir répond à ces aspirations en atténuant un certain nombre de lois répressives, sans pour autant les supprimer.
Les élections anticipées de mai 2013 confirment le recul du Barisan : pour la première fois, la coalition obtient moins de 50 % des suffrages et ne parvient à garder la majorité des sièges que grâce à de probables fraudes et à un découpage électoral assurant la sur-représentation des campagnes malaises, bastions de l’UMNO. Le Front national a en revanche perdu une large partie des Malais des villes, ainsi que des minorités ethniques, passés dans les rangs d’une opposition de nouveau conduite par Anwar[1] mais divisée, notamment sur la place de la religion musulmane dans la société malaisienne.
L’islam prend une place croissante sur la scène locale[2]. Dans la péninsule, un mouvement armé lié aux diverses factions musulmanes agissant en Indonésie – le Kumpulan Mujahedin Malaysia (KMM[3]) – revendique la création d’un État islamique englobant la Malaisie, l’Indonésie et le sud des Philippines. En février 2013, c’est de cette dernière zone que plus de deux cents combattants musulmans débarquent dans le nord de Bornéo, pour réclamer la restitution de l’État malais de Sabah, au nom de son appartenance passée au sultanat de Sulu, aux Philippines : les insurgés affirment que leur ancêtre sultan n’avait pas cédé sa souveraineté aux Britanniques sur cette région, mais leur avait seulement concédé un bail, en vertu d’un traité (datant de 1878) dont les versions en anglais et en malais ancien ne disent pas exactement la même chose[4]. Les combats avec l’armée malaisienne font une soixantaine de morts.
A l’été 2015, la question religieuse revient au premier plan : la presse révèle que des fonds importants, d’origine saoudienne, ont été versés au Premier ministre sortant, afin de freiner la percée électorale d’un parti inspiré des Frères musulmans, notamment à Sarawak. Quant à l’UMNO, elle est suspectée, en 2017, de fermer les yeux sur les agissements violents d’islamistes contre des chrétiens et des chiites, afin de s’attirer le soutien électoral du PAS.
La stratégie s’avère un échec, puisque le Barisan est battu aux élections de mai 2018 (avec moins de 34 % des voix), sa première défaite depuis l’indépendance. Le responsable en est Mahathir qui, après avoir quitté l’UMNO, a fondé son propre parti Bersatu et bâti une nouvelle coalition : formée notamment avec le PKR, cette « Alliance de l’espoir » (Pakatan Harapan) a obtenu 46 % des suffrages. Évincé de ces regroupements, le PAS a rallié d’autres partis islamistes et obtenu 17 % des voix. Accusant Najib Razak d’avoir détourné de l’argent au sein d’un fonds souverain [5], l’insubmersible « Docteur M » s’est également engagé à mettre fin à la politique de discrimination positive favorisant les « fils du sol », ce qui a séduit les minorités. Il a par ailleurs promis de faire gracier Anwar [6] et de lui transmettre ultérieurement le pouvoir. En attendant, Mahathir débute son sixième mandat de Premier ministre à l’âge de 92 ans. A peine en fonctions, il adopte une politique de distanciation vis-à-vis de la Chine, suspectée de vouloir instaurer un « nouveau colonialisme » : il suspend ainsi trois projets majeurs signés par son prédécesseur et libère des réfugiés ouïghours qui avaient été arrêtés en Malaisie, après s’être échappés d’un centre de rétention administrative en Thaïlande.
[1] Blanchi en 2004, Anwar avait de nouveau été accusé en 2008, puis acquitté en 2012.
[2] En janvier 2010, des lieux de culte chrétiens sont incendiés en Malaisie, après que la Haute Cour a autorisé un journal des catholiques à utiliser le nom d’Allah pour qualifier leur Dieu (situation courante dans certains pays arabophones où le mot désigne « dieu » en général). Du coup, le gouvernement annule le jugement.
[3] Organisation des Moudjahidines de Malaisie, liée à certains dirigeants du PAS.
[4] A la suite de cet épisode, la Malaisie a décidé de ne plus verser de dédommagement aux héritiers du sultan de Sulu, qui ont porté le contentieux devant la justice internationale.
[5] Accusation qui vaut à Razak d’être condamné, en 2020, à douze ans de prison.
[6] Anwar a de nouveau été condamné, en 2015, à cinq ans de prison pour « acte de chair contre nature », mais libéré trois ans plus tard à la demande de Mahathir.
La fin de la stabilité politique
La coalition de 2018 vole en éclats dès février 2020. Excluant totalement qu’Anwar puisse un jour diriger le pays, ses adversaires – y compris au sein de son propre parti – essaient de former un nouveau gouvernement, en s’alliant avec l’UMNO. Refusant de gouverner avec des membres de son ancien parti, qu’il juge corrompu, Mahathir démissionne, avec l’espoir de se voir rappelé. Ce pari est un échec puisque, dans l’incapacité de former une nouvelle équipe gouvernementale, il est remplacé par un ancien ministre de l’Intérieur, Muhyiddin Yassin, soutenu principalement par l’UMNO et le PAS. Mais, n’étant pas issu de la coalition victorieuse aux élections, le nouveau Premier ministre est rapidement contesté pour son absence de légitimité, ainsi que pour sa gestion de la pandémie de coronavirus. Menés par la jeunesse, les contestataires demandent sa démission, en brandissant des drapeaux noirs à travers tout le pays. En août, le chef du gouvernement est finalement remplacé par un ancien ministre de la Défense, membre de l’UMNO : malgré son échec au dernier scrutin organisé, le parti dominant de la scène politique malaise retrouve donc le pouvoir. Mais sa marge de manœuvre est si étroite que, pour essayer de l’accroître, le Premier ministre décide de dissoudre le Parlement avant les élections prévues à l’automne 2023.
Caractérisées par une forte augmentation du corps électoral – du fait de l’abaissement du droit de vote à dix-huit ans – et suivies par plus de 70 % des électeurs, les législatives voient le succès de l’Alliance de l’espoir. Elle devance de quelques sièges l’Alliance nationale (Perikatan Nasional), la coalition islamo-conservatrice formée par Yassin autour du PAS. Militant pour une application plus stricte de la charia – qui ne s’applique jusque là qu’aux musulmans – le PAS devient le premier parti du pays : dirigeant déjà trois États du nord, ainsi qu’un vaste réseau d’écoles pour les plus jeunes, la formation islamique a su séduire la majorité des Malais, au détriment de Mahathir, qui est battu dans son fief de l’île de Langkawi, mais aussi de la Barisan Nasional qui n’arrive qu’en troisième position, son pire résultat depuis l’indépendance. Aucune des deux grandes coalitions ne disposant de la majorité absolue, le roi les pousse à former un gouvernement d’unité nationale ou à s’allier au Barisan, mais en vain. Après avoir consulté les autres sultans, le roi confie la formation du nouveau gouvernement à Anwar, qui accède à la fonction suprême à 75 ans, après quasiment un quart de siècle dans l’opposition. Mais sa position est fragile : bien qu’autochtone et fervent musulman, il doit sa place à des non-Malais – les partis de Bornéo, ainsi que le PAD chinois arrivé devant le PKR au sein de l’alliance victorieuse – mais aussi au ralliement de l’UMNO, parti honni de la majorité des Malais et dans lequel il compte de nombreux ennemis.
En janvier 2024, la Malaisie se rapproche de son voisin singapourien : les deux pays s’accordent pour créer une zone économique spéciale associant la cité-Etat à la province de Johor et pour relancer un projet de train à grande vitesse. Le même mois, le très riche et très moderne sultan de Johor – qui, depuis l’indépendance, est autorisé à posséder sa propre armée – devient le nouveau souverain de la Fédération malaisienne, pour une durée de cinq ans.