Les premiers Turcs sont mentionnés par les Chinois, dès le deuxième millénaire AEC, sous le nom de Tujue (ou Türüks), dans les steppes situées entre la Chine du Nord et le lac Baïkal. Ce sont des nomades, pasteurs, chasseurs et excellents cavaliers qui vivent sous la tente, organisés en tribus et en clans placés sous l’autorité d’un khan (chef). Durant des siècles, eux et les peuples apparentés (Xiongnu et Huns, Avars d’Europe) se livrent à une suite ininterrompue de migrations vers l’Asie centrale (qui sera surnommée « Turkestan »), la Perse, le Caucase, la Russie, l’Anatolie et les Balkans.
La langue des Türük est à la base du groupe que les linguistes qualifient de « turc commun » (ou turc shaz). Y figurent aussi celles des peuples qui leur succèdent en Chine et en Asie centrale, les Ouïghours et leurs « cousins » Karlouk (« neigeux » en turc) fondateurs de l’État karakhanide. Appartiennent également au « turc commun » les langues de deux vagues successives de peuplement.
La première vague est celle des Oghouz, qui s’installent en Perse, en Anatolie et dans le Caucase. Selon la légende, leur fondateur aurait eu six fils ayant donné naissance à vingt-quatre tribus dont seraient issus les Petchenègues et la galaxie des Turcomans ou Turkmènes (confédérations des Moutons noirs et des Moutons blancs, dynasties Seldjoukides, familles régnantes des Séfévides, des Afchars et des Qadjars en Perse, des Ottomans et des Karamanides en Anatolie). A partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, les Petchenègues essaiment vers les rivages nord de la mer Noire (où ils se heurtent à d’autres Turcs, les Kiptchak et les Khazars, cf. infra), tandis que les Turcomans demeurent au nord du Khorasan ou bien gagnent la Perse et l’Anatolie. Les tribus Oghouz ont donné naissance aux peuples turcs occidentaux contemporains : Turcs anatoliens (dont la langue inclut de nombreux termes arabes et persans), Azéris, Turkmènes du Moyen-Orient, Gagaouzes de Moldavie, Kachkaïs du sud iranien et Turcs du Khorasan.
La deuxième vague arrive à partir du XIIIe siècle, aux côtés des envahisseurs mongols dont la majeure partie des troupes est composée de Turcs. Ceux-ci grossissent les rangs des populations turcophones déjà implantées et imposent leurs langues dans les khanats mongols :
- le turc djaghataï en Asie centrale, à partir du règne de Tamerlan (c’est notamment la langue de Babur, fondateur de l’Empire Moghol en Inde) ; en découlent l’ouïghour et l’ouzbek modernes, mais de façon très indirecte : tous deux ont subi de fortes influences extérieures, notamment iraniennes.
- le kiptchak dans le khanat de la Horde d’or (dont les habitants sont dénommés « Tartares » en Occident). En dérivent le tatar, le bachkir, le kazakh et le kirghiz, toujours en usage dans l’espace post-soviétique.
Les nombreuses langues turques sibériennes se rattachent également au turc « commun » : le yakoute (en république russe de Sakha), le touvain (en république russe de Touva), les dialectes turcs de l’Altaï, le khakasse et le tchoulym (en république russe de Khakassie)… Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Langues_turques_sib%C3%A9riennes
Les seules langues turciques à ne pas faire pas partie du « turc commun » sont celles du groupe Oghour, auquel appartenaient les Bulgares qui essaimaient entre Volga et bas-Danube (avant de migrer vers l’actuelle Bulgarie) et les Khazars, présents entre la Caspienne et la mer Noire du VIIe au Xe siècle (cf. Caucase). La seule langue moderne qui descende du groupe Oghour est le tchouvache, parlé sur les bords de la Volga.
Au début du XXe siècle, un intellectuel turc, Ziya Gögalp, développe une doctrine, le « pantouranisme », qui prône le regroupement au sein d’une entité politique commune de tous les individus de race et langue turques vivant « du Bosphore au Baïkal ». Tous appartiendraient à une terre unique dénommée Touran, mot d’origine iranienne qui désigne de manière vague les zones nomades situées au nord de l’Iran. Centrée sur le « pan-turquisme », cette doctrine a inspiré plusieurs dirigeants turcs. Ainsi, Ankara a fondé une Organisation des États turciques (née en 2009 sous un nom différent) qui compte le Kazakhstan, le Kirghizstan et l’Azerbaïdjan comme membres permanents, ainsi que le Turkménistan et la Hongrie comme observateurs (cf. Turquie & Asie centrale).
En pratique, plus de 40 % des locuteurs de langues turciques parlent turc, 17 % ouzbek (en Ouzbékistan et dans les pays voisins), 15 % azéri (en Iran et en Azerbaïdjan), 10 % ouïghour (dans le Xinjiang chinois), 7 % kazakh (au Kazakhstan, au Xinjiang et dans les pays voisins), 3,5 % tatar et 1 % bachkir (cf. Encadré sur les Tatars dans Russie), 3 % turkmène (au Turkménistan, en Irak, en Iran et dans les pays limitrophes), 2 % kirghiz (au Kirghizstan et dans son voisinage), 1 % tchouvache…