Bhoutan

Bhoutan

L’inventeur du « bonheur national brut » essaie d’exister entre menace chinoise et tutelle indienne.

38 394 km²

Monarchie constitutionnelle

Capitale : Thimphou

Monnaie : roupie indienne

780 000 Bhoutanais

Couvert à 70 % de forêts, le « pays du dragon » est totalement enclavé entre l’Inde (605 km de frontière) et le Tibet chinois (470 km) au nord. Il en est séparé par le massif de l’Himalaya, dont quelques sommets locaux dépassent les 7 000 mètres. La plus grande partie de la population est concentrée sur les hauts plateaux et dans les vallées qui descendent vers les plaines indiennes de l’Assam. Les climats diffèrent : tropical avec des périodes de mousson au sud, semi-tropical au centre du pays.

Un peu plus de la moitié des habitants du Bhoutan appartiennent à des populations d’origine tibétaine, regroupées sous les noms génériques de Ngalop (de langue dzongkha) dans l’ouest et le nord et de Sharchop (de langue tshangla) à l’est : ces derniers sont considérés comme les descendants des Monpa, les premiers habitants identifiés du pays. A ce peuplement autochtone s’ajoutent environ 15 % de tribus éparses, telles que les Lepchas (des Tibéto-birmans également présents au Népal et au Sikkim indien). Le reste de la population est constitué de « Lhotshampa », des Népalais arrivés au milieu du XIXe siècle, notamment pour pallier le manque de main-d’œuvre dans le sud du pays.

Les Bhoutanais sont aux trois-quarts adeptes du bouddhisme lamaïque (ou tibétain, cf. L’Inde creuset de religions) et pour un peu moins de 25 % de l’hindouisme (essentiellement les Lhotshampa).

La modernisation du pays s’est faite très progressivement[1], sur le plan politique (avec la création d’une Assemblée en 1953) comme économique : à la fin des années 1950, à l’instigation de son puissant parrain indien, le gouvernement construit des routes carrossables, tandis que le servage et l’esclavage sont abolis et que des réformes agraires sont lancées. Dans la seconde moitié des années 1960, l’accent est mis sur le développement de l’éducation.

L’invasion du « cousin » tibétain par la Chine au début des années 1950 pousse le royaume à fermer sa frontière avec la Chine populaire, avec laquelle il n’entretient aucune relation diplomatique. Alimentée par les revendications de Pékin sur certains de ses territoires du nord et de l’ouest, la méfiance du Bhoutan est aggravée par l’offensive que les Chinois mènent contre l’Inde en 1962. L’année suivante, le roi accepte donc la présence d’un conseiller de New-Delhi auprès de son Premier ministre, qui est assassiné en 1964, sans doute victime de ses velléités d’indépendance vis-à-vis du « parrain » indien. Le conseiller est finalement rappelé à New-Delhi deux ans plus tard, mais l’Inde ne diminue pas son soutien à son petit voisin, bien au contraire : c’est avec l’aide de New-Delhi que le Bhoutan fait son entrée à l’ONU, en 1971.

Cette accession est le prélude à une ouverture plus large du royaume à son environnement international : pour favoriser ses projets de développement, il fait en effet appel à un certain nombre de donateurs tels que l’Australie, le Japon, la Suisse…  Pour diminuer sa dépendance aux aides, le pays s’ouvre progressivement au tourisme et lance une politique de grands travaux, dans l’irrigation ou l’hydroélectricité. Dès son accession au pouvoir en 1972, le roi (Druk Gyalpo) Jigme Singye Wangchuck introduit un nouveau concept de développement, le « Bonheur national brut », savant alliage de critères économiques et de principes du bouddhisme tibétain, consacré religion d’État. De son côté, le dzongkha est décrété langue nationale en 1971.

Le renforcement de l’identité nationale est encore accentué après le recensement de 1988, dont les résultats font apparaître le poids croissant de la population d’origine népalaise, qu’il s’agisse des lhotshampa présents de longue date ou d’immigrés clandestins plus récents. Le régime redoute que la population autochtone ne finisse par devenir minoritaire dans son propre pays, à l’image de ce qui s’est produit dans l’ancien royaume voisin du Sikkim. Après le durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité bhoutanaise (en 1985) et l’imposition du port de la robe traditionnelle locale à toutes les femmes et tous les hommes du pays, l’enseignement du népali à l’école est interdit en 1992. Le gouvernement procède également à l’expulsion de près de 100 000 Népalais, qu’il refuse de reconnaître comme citoyens bhoutanais, avec également pour objectif de redistribuer leurs terres à des locaux. Les expulsés allant s’entasser dans des camps de réfugiés au sud-est du Népal, les relations se tendent avec le royaume népalais.

En 2007, le pays accède à une totale souveraineté diplomatique : le nouveau traité d’amitié signé avec l’Inde ne mentionne plus qu’une « étroite collaboration » entre les deux pays. L’année suivante, le royaume franchit une nouvelle étape sur le plan institutionnel : la nouvelle Constitution, adoptée par référendum, en fait une monarchie parlementaire et instaure le multipartisme (seules deux formations étant toutefois autorisées à concourir aux élections). Un nouveau roi, âgé de vingt-huit ans, est couronné.

Malgré cette évolution démocratique, la situation ethnique reste tendue, comme le rappelle une série d’attentats commis, en janvier 2008, à Thimphou et dans trois autres villes, sans doute par des organisations clandestines telles que le BPP (Bhutan People’s Party, fondé en 1990) qui utilisent les camps de réfugiés népalais comme bases-arrière. Dans ce contexte troublé, le pays entreprend d’équilibrer ses relations internationales et de normaliser ses rapports avec la Chine, alliée du Népal. En 2012, une rencontre réunit pour la première fois un Premier ministre bhoutanais et son homologue chinois, mais le contact est sans lendemain : irritée par cette tentative de rapprochement, l’Inde adopte des sanctions économiques contre le Bhoutan, notamment dans ses livraisons de carburant. Affaibli, le gouvernement bhoutanais démissionne et le royaume – qui dépend à plus de 75 % de l’Inde pour ses importations et à plus de 90 % pour ses exportations –  revient rapidement dans le giron de New-Delhi. Il demeure le seul État d’Asie du sud à ne pas adhérer aux nouvelles « routes de la soie » chinoises.

De fait, les relations avec Pékin restent plus que délicates. A l’été 2017, Thimphou sollicite une intervention indienne pour stopper les travaux de construction, par les Chinois, d’une route goudronnée sur le plateau himalayen du Doklam (Donglang en chinois) : situé à l’ouest du Bhoutan, entre la vallée tibétaine de Chumbi et la passe de Siliguri indienne, ce territoire de 269 km² est revendiqué par Pékin, au nom d’un traité signé en 1890 entre la Chine mandchoue et la Grande-Bretagne ; de son côté, le Bhoutan argue que, depuis cette date, il a signé avec les Chinois des traités en vertu desquels le statut de ce territoire restera neutre tant qu’une solution n’aura pas été trouvée à son sujet. Malgré une vingtaine de réunions en trois décennies, aucune issue n’a été trouvée : le Bhoutan était prêt à échanger le Doklam avec des territoires chinois, mais l’Inde s’y est fermement opposée ; New-Delhi considère en effet que toute avancée de la Chine dans ce secteur pourrait représenter une menace pour ses États du nord-est, qui ne sont reliés au reste de l’Union indienne que par l’étroit corridor de Siliguri. Pékin n’en continue pas moins ses opérations de grignotage : selon des sources tibétaines, les Chinois auraient construit une vingtaine d’implantations sur 825 km² de territoire bhoutanais, au nord-est et au voisinage du plateau du Doklam, avec l’idée de les utiliser pour un échange de territoires.

Victime de la baisse du tourisme et de la crise mondiale frappant certaines matières premières, le pays voit le chômage des jeunes s’accroître dangereusement et ses élites s’exiler en Occident, tandis que 10 % des habitants ne mangent pas à leur faim. Pour relancer l’économie, le roi annonce, en décembre 2023, le projet de créer une zone spéciale de 1 000 km² au carrefour de l’Asie du sud et l’Asie du sud-est à Gelephu, près de la frontière indienne : n’accueillant que des activités non polluantes, elle s’articulerait autour d’une « ville de pleine conscience« . Le mois suivant, les élections législatives sont gagnées par le Parti démocratique populaire, dirigé par un diplômé de Harvard ayant déjà dirigé le gouvernement entre 2013 et 2018 : il remporte près des deux tiers des sièges devant le nouveau Parti Tendrel du Bhoutan, tandis que le principal parti d’opposition et le parti du Premier ministre sortant ont été éliminés lors du processus pré-électoral.

[1] Preuve de cette progressivité, la télévision n’est entrée dans le pays qu’en 1999.