ASIE, Sous-continent indien

Bangladesh

Né dans un bain de sang, le pays connait un cycle ininterrompu de violences politiques, communautaires et religieuses.

147 570 km²

République parlementaire

Capitale : Dacca

Monnaie : le taka

161 M de Bangladais

L’ex-Bengale oriental pakistanais représente les deux tiers de l’ancien Bengale de l’Empire des Indes britanniques (le dernier tiers ayant formé l’État indien du Bengale occidental). Plus de 70 % de son territoire (105 000 km²) est constitué par la confluence du Gange (appelé localement Padma) et du Brahmapoutre (ou Jamuna) – qui forme le plus grand delta du monde – et de leurs nombreux affluents.

Cette plaine, qui compte parmi les plus fertiles au monde, est sujette aux cyclones tropicaux et aux inondations des moussons, dont les impacts sont d’autant plus dévastateurs que 10 % du pays est situé sous le niveau de la mer. Le reste du territoire est occupé par quelques collines et montagnes, dont la région vallonnée et boisée des Chittagong Hill Tracts (13 000 km²), au sud-est, le long des 193 km de frontière avec la Birmanie. Tout le reste du pays est enclavé dans l’Inde (plus de 4 000 km de frontière), entre le Bengale occidental, l’Assam et les petits États du nord-est. La plus grande partie de la côte maritime bangladaise, sur le Golfe du Bengale, consiste en une jungle marécageuse, les Sundarbans, qui constituent la plus grande mangrove mondiale. Cox’s Bazar, située au sud de la ville de Chittagong (dans l’extrême sud-est), possède la plus longue plage du monde (120 km ininterrompus)

98 % des habitants sont Bengalais, de langue indo-aryenne bengalie, comme la majorité de la population du Bengale occidental indien. Les autres sont Biharis et Santals ou appartiennent à une douzaine d’ethnies autochtones, souvent identiques à celles vivant dans les États indiens voisins. La plupart sont de langue tibéto-birmane, à l’exception notable des Khasi (de langue môn-khmère) à la frontière du Meghalaya et des Chakma (ou Changma), de langue indo-aryenne proche du bengali[1], qui vivent dans les Chittagong Hill Tracts : les populations tribales de cette région sont regroupées sous le nom générique de Jumma.

Les Bangladais sont très majoritairement musulmans, surtout sunnites (à plus de 85 % contre 3 % de chiites). Les hindouistes y sont encore 9 %, la région majoritairement hindoue de Chittagong ayant été attribuée au Pakistan oriental (et non à l’Inde) lors de la Partition de 1947 ; leur part a toutefois fortement baissé depuis l’indépendance (ils étaient alors 28 %). Quant aux bouddhistes (1 %), ils sont essentiellement présents parmi les populations Jumma, de même que quelques infimes minorités de chrétiens et d’animistes.

[1] Un nombre équivalent de Chakma (environ 300 000) vit en Inde.

SOMMAIRE

Rue de Dacca. Crédit : Niloy Diswas / Unsplash

De coups d’Etat en rivalités féminines

Après une guerre de libération ayant fait entre 300 000 et un million de morts (selon les sources), le père de l’indépendance est libéré en 1972 par le Pakistan. Mujibur Rahman forme son premier gouvernement et, l’année suivante, sa Ligue Awami remporte les élections. Mais à peine en place, le pouvoir doit affronter les revendications d’autonomie de la douzaine d’ethnies des Chittagong Hill Tracts, dont certains chefs tribaux ont soutenu le Pakistan occidental lors de la guerre civile. Leur rébellion ne prendra fin qu’en décembre 1997, au terme d’un conflit ayant fait au moins 8 500 morts (cf. Encadré).

Le pouvoir de M. Rahman est également contesté par une partie de la population bengalaise, ce qui le conduit à proclamer l’état d’urgence en 1974 et à instaurer un régime de parti unique. « Bangabandhu » (l’ami du Bengale) meurt assassiné, en août 1975, victime d’un coup d’État militaire, le premier d’une longue série[1]. Ce n’est en effet qu’après trois mois de putschs et de contre-putschs que le chef des armées, Zia ur-Rahman, accède au pouvoir. Après avoir levé la loi martiale, restauré le multipartisme et fondé sa propre formation – le  Bangladesh Nationalist Party (BNP) – il est élu Président en 1978, avant de finir lui aussi assassiné par des militaires, en mai 1981. Contre toute attente, le chef de l’armée – Hussain Muhammad Ershad – reste fidèle au pouvoir : il aide même le vice-Président Sattar, élu Président de la République en 1982, à mater une tentative de putsch fomentée par les assassins de Zia.

Mais l’entente entre les deux hommes est de courte durée. Souhaitant réduire le poids des militaires dans la gouvernance du pays, Sattar est renversé dès le mois de mars 1982. Administrateur de la loi martiale, Ershad dissout l’Assemblée et se proclame chef de l’État l’année d’après. Pour légitimer son pouvoir, il convoque des élections en 1986, mais le succès de son parti Jatiya est très relatif, puisque les deux principales formations de la scène bangladaise ont boycotté le scrutin. Les deux partis d’opposition sont dirigés par les héritières de leurs fondateurs : à gauche, Sheikh Hasina Wajed, fille de Mujibur Rahman, conduit la Bangladesh Awami League, laïque, socialisante et plutôt favorable à l’ancien allié indien, ce qui lui vaut la sympathie de la minorité hindoue, mais aussi les critiques des éléments les plus nationalistes de l’armée ; au centre-droit,  Khaleda Zia, veuve du général assassiné, dirige le BNP, libéral sur le plan économique, conservateur sur le plan religieux et favorable à un rapprochement avec le Pakistan. En 1987, les deux formations exigent la démission d’Ershad qui riposte par une sévère répression et par la convocation de nouvelles élections, de nouveau boycottées par l’opposition. Celle-ci reprend sa campagne contre le chef de l’Etat en 1990 et finit par obtenir son départ, sous la pression des donateurs internationaux du pays. Arrêté, le général-Président est condamné à dix ans de prison.

La suite de l’histoire politique du pays va être marquée par une lutte sans concession entre les deux héritières, les deux « bégums[2] ». En 1991, Khaleda Zia forme le gouvernement et rétablit le régime parlementaire, après la victoire du BNP aux élections. Mais cette victoire est courte et rapidement contestée par la Ligue Awami qui entame une campagne sans relâche de grèves, de manifestations et de boycott du Parlement. Le succès du BNP est beaucoup plus net aux législatives de février 1996, accompagnées de violences, parfois meurtrières ; mais la participation ne dépasse guère les 15 %, l’opposition ayant appelé à boycotter le scrutin. Se trouvant dans une impasse, Khaleda Zia doit demander au Président de la République de convoquer un nouveau scrutin qui se retourne contre elle quatre mois plus tard : après une traversée du désert de vingt-et-un ans, la Ligue Awami arrive en tête, sans disposer toutefois de la majorité absolue. Pour gouverner, Sheikh Hasina doit faire alliance avec le Jatiya, conduit par l’épouse de l’ancien dictateur Ershad, l’homme qui l’avait brièvement faite interner. Le sort est moins faste pour le troisième pilier de l’opposition, le Jamaat-e-Islami, qui s’effondre, victime d’une très forte participation électorale (70 %).

[1]Le pays va connaître une vingtaine de tentatives de coup d’Etat militaires en vingt-cinq ans d’indépendance.

[2] Bégum est un titre honorifique donné aux femmes de rang social élevé en Asie du Sud.


La montée en puissance des islamistes

Les violences politiques reprennent au printemps 2001, lorsqu’une explosion mortelle fait des victimes dans un parc de Dacca, à l’occasion d’un concert de musique traditionnelle donné pour le nouvel an bengali. L’attentat, non revendiqué, intervient alors que l’opposition réclame la démission de la Première ministre. Si elle parvient à finir son mandat, Sheikh Hasina est battue en juillet et doit céder la place à son ennemie intime. Après l’assassinat de deux de ses militants au nord-est du pays, la Ligue Awami appelle, en août 2004, à une manifestation qui dégénère en plein cœur de Dacca : les manifestants sont pris pour cible par des lanceurs de grenades et une quinzaine d’entre eux sont tués. Un nouvel attentat du même type frappe à nouveau un meeting du parti en janvier suivant, faisant cinq victimes, dont un ancien ministre. Sheikh Hasina met ouvertement en cause les deux partis fondamentalistes musulmans, dont le Jamaat, qui sont membres de la coalition gouvernementale formée par Khaleda Zia. Outre des locaux de la Ligue Awami, les violences visent des spectacles culturels, ainsi que des lieux de culte de la minorité ahmadie et des tombeaux soufis.

Le pouvoir hésite sur la conduite à tenir car l’influence du Jamaat ne cesse de croître dans la population, notamment à travers l’offre d’éducation gratuite qu’il propose dans ses madrasas. En outre, les chefs des milices islamistes sont issus de la branche étudiante du Jamaat-e-Islami et leurs hommes de main participent à l’élimination et à la bastonnade de militants du parti communiste (interdit). En février 2005, le régime décide toutefois d’interdire deux groupuscules radicaux, à la suite d’attentats à la grenade contre des ONG locales. L’interdiction est sans effet puisque, en août 2005, l’un de ces mouvements – le Jamaat-ul-Mujahideen Bangladesh (JMB[1]) – « signe » une campagne d’attentats sans précédent : en une heure, plus de quatre cents bombes artisanales touchent des bâtiments administratifs, tribunaux, centres de presse, gares et stations de bus d’une cinquantaine de villes, dont Dacca et Chittagong ; le bilan humain est faible – deux victimes seulement car les engins étaient de faible puissance – mais l’opération illustre sans ambigüité les capacités opérationnelles dont dispose le groupe. En novembre suivant, le pays connait son premier attentat-suicide, commis au sein du palais de justice de Gazipur, une ville située à une trentaine de kilomètres de Dacca.

Le déclenchement de ces violences islamistes n’empêche pas les deux principaux partis de poursuivre leurs affrontements meurtriers. C’est le cas en octobre 2006 lorsque Khalida Zia, arrivée au terme de son mandat, confie au Président de la Cour suprême – contesté par l’opposition – le soin de préparer les futures législatives, tandis que le chef de l’État prend la tête d’un gouvernement de transition. La tension ne retombant pas, il impose l’état d’urgence en janvier 2007 et reporte les élections, l’opposition jugeant suspect le remaniement des listes électorales. Avec l’appui des militaires, le gouvernement intérimaire fait la chasse à la corruption et s’efforce de mettre les deux rivales sur la touche : en avril 2007, Khaleda Zia est forcée de s’exiler en Arabie Saoudite (en échange de la libération de ses deux fils), tandis que Sheikha Hasina, inculpée du meurtre de quatre hommes lors d’une manifestation de la Ligue Awami en octobre précédent, se voit interdire de rentrer des États-Unis. Mais le gouvernement doit faire « machine arrière », la justice annulant les décisions prises contre les deux « bégums ».

Les législatives finissent par se tenir en décembre 2008, sous haute surveillance : 600 000 membres des forces de l’ordre déployés dans le pays. Elles sont favorables à la Ligue Awami qui remporte 75 % des sièges. Le pays n’en a pas fini pour autant avec l’instabilité. En février 2009, une centaine d’officiers des Bangladesh Rifles (une unité de garde-frontières) sont exécutés par leurs hommes, rebellés pour des raisons sociales et salariales[2]. A l’été 2010, ce sont les ouvriers de l’habillement – un secteur qui représente 7 % du PIB du pays – qui se révoltent contre leurs salaires, inférieurs au seuil de pauvreté, et leurs conditions de travail. La dangerosité de celles-ci est illustrée un peu plus tard par deux accidents majeurs : en novembre 2012, l’incendie d’un atelier fait une centaine de morts ; le bilan est dix fois plus lourd en avril 2013, lorsque s’effondre un immeuble vétuste, appartenant à un membre influent de la Ligue Awami. Entretemps, en décembre 2011, l’armée a déjoué un énième coup d’État, fomenté par des officiers islamistes souhaitant instaurer la charia dans le pays.

[1] JMB : Assemblée des combattants.

[2] Plus de 130 des 800 mutins seront condamnés à mort.

Vue de Dacca – Crédit : Masba Molla / Unsplash

La radicalisation du pouvoir

La violence atteint son paroxysme durant l’année 2013 (cinq cents morts) quand resurgissent les fantômes du combat pour l’indépendance. En février, le secrétaire général adjoint du Jamaat-i-Islami est condamné à la prison à vie, pour son action au sein des milices pro-pakistanaises ayant sévi en 1971. Jugeant le verdict trop clément vis-à-vis de celui qui avait été surnommé « le boucher de Mirpur » (un quartier de Dacca), les tenants du patriotisme bengali laïque et héritiers des « freedom fighters » (incarnés par la Ligue Awami) se heurtent aux partisans d’un islam conservateur, proches de l‘ancien tuteur pakistanais (BNP et Jamaat). Une nouvelle flambée de violences éclate, à la fin du même mois, après la condamnation d’un autre dirigeant historique de la Jamaat, cette fois à la peine capitale. De nouveaux heurts meurtriers surviennent en mai, lorsque des militants d’un mouvement fondamentaliste de Chittagong, le Hefazat-e-Islam[1], manifeste à Dacca pour exiger l’instauration de la peine de mort en cas de blasphème et la mise en place de l’éducation religieuse obligatoire, revendication qu’accepte le gouvernement. L’année se termine par un nouveau déferlement de haine quand le numéro deux du Jamaat, finalement condamné à mort, est pendu en décembre à Dacca[2]. Sans adopter une loi sur le blasphème, le gouvernement amende, durant l’été 2013, la loi sur les technologies de l’information et de la communication, instaurant notamment la punition de tout acte susceptible de « blesser les croyances religieuses ».

La situation, à l’approche des élections générales, est d’autant plus explosive que cette fois, la Ligue Awami n’a pas cédé le pouvoir à l’administration de transition chargée de préparer le scrutin. Les législatives de janvier 2014 voient le succès sans partage de la Ligue Awami, au terme d’une campagne marquée par de nouvelles violences, en particulier dans les bastions nationalistes du nord : boycotté par le BNP et ses alliés, le vote ne rassemble que 30 % des électeurs. Qu’importe, le pouvoir poursuit sa marche en avant : en février 2015, il lance un mandat d’arrêt contre Khaleda Zia, accusée de ne pas s’être présentée devant le tribunal qui devait la juger pour des faits de corruption supposément commis durant son exercice du pouvoir.

Le même mois, un blogueur ouvertement athée est tué à coups de machette en pleine rue. Durant les trois années suivantes, une cinquantaine de « libres-penseurs », mais aussi de journalistes, d’éditeurs ou de membres de la communauté LGBT, sont assassinés au sabre ou à la machette par des justiciers autoproclamés d’Allah, se réclamant d’Ansar al-Islam Bangladesh (branche locale d’al-Qaida) ou de l’Etat islamique (Daech). Celui-ci revendique son premier attentat dans le pays en septembre 2015, en assassinant un travailleur humanitaire italien à Dacca, puis un Japonais. Fin octobre, trois engins explosifs sont lancés sur le principal lieu de culte chiite de la capitale, où près de 20 000 fidèles fêtaient l’Achoura. En juin 2016, l’épouse d’un policier est assassinée, en plein Dacca, sous les yeux de son jeune fils.

Le gouvernement déclenche alors une vague d’arrestations qui touche plusieurs centaines de personnes appartenant à toute l’opposition. Pour le pouvoir, les attentats sont en effet commandités par le BNP et le Jamaat, même quand ils ne le sont pas : c’est le cas de celui qui, en juillet 2017, fait une vingtaine de morts, essentiellement étrangers, dans un café du quartier diplomatique de Dacca. Revendiquée par Daech – auquel le JMB clandestin a fait allégeance – l’opération, qui a épargné les musulmans, a été perpétrée par des jeunes gens, éduqués et issus de familles aisées, ce qui constitue un choc pour la société bangladaise. Sûr de son analyse, le régime poursuit la répression de toute forme d’opposition, au point que même des militants décédés du BNP sont condamnés à de la prison. En 2017, le Président de la Cour suprême se réfugie aux États-Unis après l’annulation, par son institution, d’une disposition parlementaire qui autorisait le gouvernement à démettre les juges. L’année suivante, Khaleda Zia est condamnée à dix ans de détention, puis à sept années supplémentaires dans une affaire de détournement de fonds caritatifs.

Dans ces conditions, la coalition de Sheikh Hasina remporte la quasi-totalité des sièges aux législatives de décembre 2018. Au passage, la Ligue Awami est accusée d’avoir mis de côté sa laïcité en laissant les coudées trop franches au Hefazat, afin de se concilier une partie de l’électorat islamiste. Mais elle bénéficie aussi d’une croissance économique qui a fait reculer le taux de pauvreté à moins de 13 % en 2016 contre plus de 43 % vingt-cinq ans plus tôt. La situation de la population reste néanmoins des plus précaires, aggravée par une urbanisation non maîtrisée qui accroît les risques d’accidents (incendies, effondrements d’immeubles) et l’impact des catastrophes naturelles : Dacca – 50 000 habitants au km² – a vu sa population décupler en quarante ans, sans que les infrastructures ne suivent.

Le « miracle bangladais » (un PIB multiplié par six en quinze ans) est frappé par le déclenchement d’une pandémie mondiale en 2020 – qui freine les achats de textile (85 % des exportations) – et de la guerre russo-ukrainienne en 2022, qui surenchérit le coût de l’énergie. Le pouvoir adopte des mesures d’économie drastiques qui ramènent l’opposition dans les rues. Malgré les arrestations, les manifestants réclament toutes les semaines la démission de Hasina et la libération de Khaleda Zia, assignée à résidence. En octobre 2023, le chef du BNP, des dizaines de dirigeants et des milliers de militants sont arrêtés, après une manifestation monstre ayant provoqué la mort d’un policier. S’y ajoutent les grèves des employés du textile, qui réclament de fortes augmentations de salaires.

En janvier 2024, Sheikh Hasina obtient la possibilité d’exercer un quatrième mandat consécutif, après la victoire de ses partisans aux législatives, auxquelles seulement 40 % des électeurs ont participé : le scrutin avait été boycotté par le BNP et d’autres partis d’opposition, tandis que le Jamaat-e-Islami avait été interdit d’y participer. Dans ces conditions, la Ligue Awami et ses alliés remportent près de 75 % des sièges du Parlement monocaméral, le parti n’ayant pas présenté de candidats dans un certain nombre de circonscriptions pour préserver un semblant de diversité.

[1] Né au début des années 2010, le Hefazat e-Islam réunit des enseignants et des étudiants de madrasas inspirées par le déobandisme.

[2] Le Secrétaire général du BNP et un leader du Jamaat connaissent le même sort en novembre 2015, de même que le Président du Jamaat en mai 2016.

Environs de Chittagong – Crédit : Tarek Suman / Unsplash
                    UN SUD-EST AGITE
En 1972, une délégation des populations autochtones des Chittagong Hill Tracts rencontre Mujibur Rahman et lui réclame un retour au statut d’autonomie dont bénéficiait le district durant l’occupation britannique : à la fin du XIXème siècle, Londres n’avait pris le contrôle de cette région, voisine du Tripura et du Mizoram indiens, qu’en échange de larges pouvoirs aux chefs des Chakma (ou Changma) qui la dirigeaient depuis plus de quatre siècles. Ce statut ayant été supprimé par le Pakistan en 1963, les dirigeants autochtones réclament son rétablissement et surtout l'interdiction de toute nouvelle installation de populations étrangères : bannie sous le Raj britannique, celle-ci avait commencé dès la fin des années 1950 avec la construction du barrage de Kaptai – ayant détruit l’habitat de 100 000 Chakma – et s’était poursuivie avec l’implantation de milliers de Bengalis sans terre. Le Premier ministre bangladais ayant rejeté ces revendications, les groupes tribaux s’unissent dans une association de solidarité populaire des Chittagong Hill Tracts (PCJSS, Parbattya Chattagram Jana Samhati Samiti) dotée d’un bras armé, la Shanti Bahini (« la paix par les armes ») : au milieu des années 1970, cette organisation commence à attaquer les forces de sécurité ainsi que les colons bengalis installés dans la région. En représailles, le régime engage de violentes opérations militaires en 1980 et forme des groupes d’autodéfense dans les villages peuplés de Bengalis. Après deux décennies de conflit ayant fait plus de 8 500 morts, dont 2 500 civils, un accord de paix est finalement signé en décembre 1997 : il crée notamment un Conseil régional, dans lequel les autochtones sont majoritaires. Certaines de ses dispositions sont restées lettre morte : au lieu d’être restituées, les terres ont continué à être accaparées par des colons (qui représentent plus de 45 % de la population) et l’armée reste déployée à un niveau largement supérieur à ce qu’il est dans le reste du pays. Les tensions confessionnelles restent vives : en septembre 2012, quelque 25 000 musulmans incendient des temples bouddhistes centenaires et des maisons, dans une ville et des villages du sud-est du Bangladesh, après la publication sur un réseau social, par un bouddhiste, d’une photo insultant le Coran… quelques jours après la diffusion, sur Internet, d’un film américano-copte violemment islamophobe, ayant embrasé l’ensemble du monde musulman. 
La situation dans le district de Cox’s Bazar, à l’extrême sud-est, s’est par ailleurs fortement dégradée depuis la fin des années 1970, du fait de l’arrivée de vagues successives de migrants Rohyngia, fuyant les persécutions du régime birman (cf. Tensions communautaires en Arakan). Aux 300 000 locaux se sont ajoutés au moins 750 000 réfugiés que le Bangladesh ne parvient pas à renvoyer chez eux, au point que Dacca commence à en héberger sur une île alluvionnaire apparue au large de ses côtes.

Des contentieux plus ou moins réglés avec le voisin indien

Le Bangladesh a des relations tendues avec l’Inde, en dépit de l’aide apportée par le gouvernement de New-Delhi durant la guerre d’indépendance. Certaines situations délicates sont héritées de la Partition, réalisée parfois dans des conditions erratiques : ainsi, les collines de Chittagong ont été attribuées à ce qui était alors le Pakistan oriental, alors qu’elles ne comptaient que 2 % de musulmans, tandis que les districts musulmans de Murshidabad et Malda revenaient à l’Inde.

D’autres situations sont antérieures à 1947, datant de l’époque où les maharadjahs et les nababs bengalis se remboursaient leurs dettes de jeu en se cédant des terrains. A la Partition, il en résulte l’existence de près de deux cents enclaves dans la région de Cox Bazar (ou Cooch Behar), au sud de Chittagong : 70 km² d’enclaves indiennes au Pakistan oriental et 50 km² d’enclaves bangladaises en Inde, le cas le plus extrême étant celui d’une enclave indienne incluse dans une enclave bangladaise, elle-même enclavée dans une enclave indienne en territoire bangladais ! Après l’indépendance du Bangladesh, un accord d’échange est négocié, mais il n’est pas ratifié côté indien, le gouvernement de New-Delhi ne voulant pas risquer de heurter sa population en cédant quelques dizaines de km² de territoire national. Les échanges de tirs entre garde-frontières des deux pays sont rares, mais parfois meurtriers (une quinzaine de morts en avril 2001). Paradoxalement, ce sont les ultranationalistes indiens qui parviennent à régler le contentieux, ne serait-ce que pour contrecarrer les ambitions de la Chine chez leur voisin (livraison de sous-marins, modernisation du port de Chittagong, projet de port en eaux profondes à Cox Bazar). En juin 2015, Dacca et New-Delhi signent un accord délimitant leur frontière terrestre, mettant ainsi quasiment fin au statut d’apatrides des 53 000 ressortissants des enclaves : 111 sont officiellement transférées au Bangladesh et 51 à l’Inde. Parallèlement, celle-ci construit un mur frontalier de 3 000 km, destiné à freiner l’afflux d’immigrants bangladais clandestins, de confession musulmane, qui viennent modifier l’équilibre ethnique et religieux du Bengale occidental et de l’Assam. Il s’agit aussi d’empêcher l’infiltration de séparatistes indiens ou de terroristes islamistes, que New-Delhi accuse Dacca d’héberger. La responsabilité d’un groupe islamiste bangladais, le Harkat-ul-Jehadi Islamia (HuJI) est ainsi évoquée au sujet d’attentats commis en territoire indien, dont ceux à la bicyclette piégée commis en mai 2008 contre des marchés et temples de la capitale, très touristique, du Rajasthan. Dans ce contexte tendu, une liaison ferroviaire de passagers, interrompue depuis 1965, est remise en service en 2008 entre Calcutta et Dacca.

En 2014, Bangladais et Indiens s’entendent sur leur frontière maritime dans le golfe du Bengale, à l’issue d’un arbitrage international. Seul demeure le contentieux sur le partage des eaux du fleuve Teesta qui traverse le Bengale occidental indien avant de traverser le Bangladesh. Celui-ci se plaint des projets et réalisations hydrauliques de l’Inde, situation d’autant plus délicate que les États fédérés indiens ont aussi leur mot à dire sur ces questions. Les deux pays possèdent en effet une cinquantaine de cours d’eau en commun, dont les immenses Gange et Brahmapoutre qui s’unissent au Bangladesh ; mais seul le premier a fait l’objet d’un traité de partage des eaux, en décembre 1996.

Reconnue comme un « partenaire de développement » – pour son aide vaccinale contre un coronavirus l’Inde reste toutefois honnie des islamistes locaux, notamment du fait de sa politique de discrimination des musulmans : en mars 2021, des manifestants sont tués à l’occasion de la visite du Président indien, pour le cinquantième anniversaire de l’indépendance bangladaise ; les heurts les plus meurtriers ont lieu dans une petite ville rurale du sud, où demeurent les principaux chefs du groupe Hefazat. En octobre – comme en écho aux discriminations exercées contre les musulmans en Assam – des centaines de maisons et de lieux de cultes hindous sont incendiés dans l’est du Bangladesh (une dizaine de morts), après la diffusion d’une vidéo montrant un Coran aux pieds d’une statue hindouiste.

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