Arabie saoudite

Arabie saoudite

Fort de ses immenses richesses pétrolières, le pays natal de Mahomet est devenu un pivot du monde arabo-musulman.

2 149 680 km²

Monarchie absolue

Capitale : Ryad

Monnaie : riyal saoudien

33 M d’habitants (dont 65 à 70 % de Saoudiens)

Dépourvue de lac ou rivière permanente, l’Arabie saoudite compte moins de 2 % de terres cultivables, la plus grande partie du territoire étant constituée de déserts et de zones semi-arides. La région du sud-ouest, l’Asir frontalier du Yémen, est considérée comme la plus humide du pays, du fait de la présence de la chaîne méridionale des Sarawat qui s’élève jusqu’à 3 000 mètres. Au nord-ouest, la région côtière de Tihama (« couloir » en arabe) est surplombée par la « barrière » du Hedjaz (la partie septentrionale des Sarawat), à l’est duquel s’étend le plateau central du Nedjd (entre 700 et 1 500 m d’altitude). La partie orientale est, quant à elle, plutôt rocailleuse avec des étendues de sable s’étendant jusqu’au golfe Persique. Au sud s’étend le désert de Rub’ al Khali (« le Quart Vide »). A l’exception de quelques oasis de l’intérieur densément peuplées, la population se concentre sur les 2 640 km côtes de la mer Rouge à l’ouest et du Golfe persique à l’est.

Le pays compte plus de 4 400 km de frontières avec sept pays : le Yémen (un peu plus de 1 450 km) et Oman (un peu moins de 680 km) au sud, la Jordanie (un peu plus de 740), l’Irak (un peu plus de 810) et le Koweït (un peu plus de 220) au nord, le Qatar (60) et les Émirats arabes unis (un peu moins de 460) à l’est. Une grande partie des frontières avec les Émirats arabes unis et Oman n’est pas clairement délimitée.

90 % de la population est arabe, soit saoudienne soit venue d’autres pays du Moyen-Orient. Le reste des étrangers (dont le nombre oscille entre 20 et 38 % de la population selon les sources) est majoritairement issu d’Asie du Sud et du sud-est.

Officiellement, 100 % de la population est musulmane sunnite, de rite hanbalite (auquel se rattache la doctrine wahhabite). En réalité, 10 à 15 % des habitants du royaume sont chiites et cette proportion dépasse même 30 voire 50 % dans certaines zones de la province orientale, comme la région de Hasa. Les chrétiens sont environ 4 % et les hindouistes 1 %.

SOMMAIRE

La lente naissance du royaume saoudien

Une première tentative d’émancipation politique de l’Arabie survient en 1745 quand Muhammad Ibn Saoud, un chef tribal du Nedjd (plateau central qui est resté en dehors du domaine ottoman) fait cause commune avec un prédicateur musulman, Muhammad Ibn Abd al-Wahhab : celui-ci entend revenir à la pureté de la foi du prophète et rejette tous les ajouts postérieurs au Coran, ainsi que les dévoiements que sont, à ses yeux, le soufisme et le culte des saints. Entreprenant de convertir les tribus bédouines à ce « wahhabisme », Ibn Saoud et ses successeurs élargissent le périmètre de leur Émirat de Diraya initial : conquête du Hasa, le long du Golfe arabo-persique, puis du Qatar (1793-1794), entrée dans La Mecque (1803). Cette expansion jusqu’à la mer Rouge et au nord du Yémen inquiète à ce point le sultan ottoman qu’il charge son gouverneur d’Égypte de reprendre les territoires perdus : en 1818, puis 1836, Mehmet Ali écrase les Wahhabites qui sont refoulés au centre de l’Arabie. Réduit au Nedjd central, le résidu d’État saoudite tombe dans les années 1880 et est attribué à la Confédération tribale des Chammar, fidèle vassale des Ottomans.

Mais en 1902, un Arabe exilé au Koweït, Abdelaziz ben Abderrahmane Al Saoud, dit Ibn Séoud, reprend le flambeau de ses prédécesseurs : ayant reconquis le Nedjd et expulsé les Ottomans du Hasa, il se voit reconnu comme gouverneur héréditaire du Nedjd en 1914. Dans le reste de la péninsule, les Ottomans ont mis en place des vassaux tels que le chérif hachémite de La Mecque, Hussein ben Ali, ou l’émir de l’Asir, la région montagneuse comprise entre le Hedjaz et le Yémen. A partir de 1915, ces différents chefs arabes basculent dans l’orbite des Britanniques, qui leur ont promis un « grand État arabe » s’ils se révoltaient contre la tutelle ottomane : c’est ainsi que, après la chute de ses anciens protecteurs, Hussein devient roi du Hedjaz, la région côtière de la mer Rouge comprenant Médine, La Mecque et le port de Djeddah. L’émiettement politique qui résulte du départ des Turcs est toutefois de courte durée : avec ses combattants wahhabites (les Ikhwan ou « frères », des bédouins sédentarisés), Ibn Saoud progresse au Hedjaz dès 1919 et s’empare l’année suivante de l’émirat des Chammar en Arabie du nord. Cet expansionnisme, notamment vers l’Irak, est dans un premier temps freiné par les Britanniques. Mais il reprend en 1924, après l’abolition du califat ottoman et après le retrait du soutien que Londres apportait aux Hachémites du Hedjaz (lesquels se verront, en échange, attribuer les royautés d’Irak et du nouvel État de Transjordanie).

Ayant chassé les Hachémites du Hedjaz (à l’exception de la région d’Aqaba attribuée à la Transjordanie), Ibn Saoud devient « roi du Hedjaz et sultan du Nedjd » en janvier 1926. Un an plus tôt, il a poussé son avantage en direction du Golfe, jusqu’aux frontières entre Oman et les États de la trêve, futurs Émirats arabes unis, alors sous protectorat britannique. Mais il revient en arrière à la fin des années 1920, préférant stabiliser le contour de son État qui, en 1932, prend le nom de « Royaume d’Arabie Saoudite ». En 1934, le traité de Taëf lui attribue officiellement l’Asir, annexé quatre ans plus tôt, après avoir une tentative ratée d’invasion du Yémen, où s’était réfugié l’émir déchu. Cette zone demeure un sujet majeur de friction entre les deux pays[1]

[1] En juin 2000, le traité de Djeddah a globalement défini les 1300 km de frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite et reconnu la souveraineté de cette dernière sur les provinces de l’Asir ainsi que de Jizan et de Najran.


Du prosélytisme wahhabite à la naissance d’al-Qaida

L’Arabie saoudite est alors un pays pauvre, dont la principale ressource provient de la fréquentation des Lieux saints. Les choses changent radicalement à la fin des années 1930, avec la découverte de pétrole et la montée en puissance de son exploitation confiée, en 1944, à l’Arabian American Company (Aramco). En 1951, les États-Unis consolident cette alliance économique par la signature d’un traité de défense avec Riyad, dit « pétrole contre protection ».

La richesse qui découle de cet or noir (dont l’Arabie, premier producteur mondial, détient un quart des réserves mondiales) est confisquée par l’immense famille des Saoud, qui l’utilise également comme outil de propagation du wahhabisme dans le monde musulman, jusqu’en Asie du sud et en Afrique subsaharienne. Ce prosélytisme est d’autant plus actif que, en 1979, une révolution islamique a renversé le Shah d’Iran et instauré une République de stricte obédience chiite, sur la rive iranienne du Golfe arabo-persique, juste en face de la province du Hasa où se concentrent la minorité chiite d’Arabie saoudite… et 90 % de ses réserves pétrolières ! L’engagement de Ryad se traduit notamment, au début des années 1980, par la création du Bureau des services aux moudjahidines, les rebelles sunnites qui combattent l’occupation de l’Afghanistan par les forces soviétiques. La mission d’animer cette filière est confiée, par le chef même des services secrets saoudiens, à un jeune homme appartenant à une riche famille d’entrepreneurs du pays : Oussama Ben Laden.

En faisant preuve d’activisme religieux, le régime des Saoud essaie, aussi, de redorer le blason d’une dynastie qui est de plus en plus vilipendée pour sa corruption et sa soumission aux Occidentaux. En témoigne la prise d’otages qui se déroule, en novembre 1979, à la Grande Mosquée de La Mecque : quelque deux cents étudiants saoudiens et égyptiens de l’Université islamique de Médine, lourdement armés, s’emparent du lieu le plus saint de l’islam, où se trouvent encore quelque 50 000 pèlerins. L’assaut qui est donné, au bout de deux semaines, avec l’aide d’experts français, se traduit par la mort de plus de deux-cent quarante personnes, dont plus de la moitié de soldats de la Garde nationale saoudienne.

La situation devient de plus en plus menaçante pour les intérêts pétroliers saoudiens : après le déclenchement d’une guerre extrêmement meurtrière entre l’Iran et l’Irak, en 1980, survient la tentative d’invasion du Koweït par le régime irakien en 1991. Stoppée par les Etats-Unis, cette menace a clairement illustré la vulnérabilité du régime saoudien qui, du coup, doit accepter un renforcement des positions militaires américaines sur son sol, au grand dam des secteurs les plus conservateurs de l’islam local. Parmi eux figure Ben Laden qui, en 1988, a participé à la fondation d’un mouvement transnational, Al-Qaida (« la base »), censé prolonger l’action djihadiste du Bureau des services aux moudjahidines.

En 1991, il quitte l’Arabie saoudite et rejoint le camp des opposants au régime wahhabite. Réfugié au Soudan, puis en Afghanistan, il finance des camps d’entrainement pour les volontaires arabes revenus de la scène afghane, afin qu’ils puissent commettre des attentats dans leurs pays d’origine contre les « Croisés » occidentaux et leurs alliés locaux. De 1995 à 2005, l’Arabie saoudite se retrouve ensanglantée par une série d’attentats, essentiellement anti-américains, commis par la franchise locale d’Al-Qaida qui fusionnera avec celle créée au Yémen. Les ressortissants saoudiens sont également majoritaires parmi les terroristes qui détournent quatre avions de ligne aux Etats-Unis en septembre 2001, y causant les attentats les plus sanglants qu’ait jamais connus ce pays. Les tensions restent également vivent avec le voisin yéménite. En juillet 1998, des accrochages meurtriers opposent des soldats des deux pays dans la petite île d’Al-Douwaima, en Mer Rouge : Sanaa déclare qu’elle lui appartient, tandis que Ryad affirme que le Yémen n’y avait aucune présence avant le mois précédent.

L’Iran et les chiites en ligne de mire

Fort de ses réserves pétrolières et du soutien militaire américain, le régime saoudien est globalement parvenu à enrayer ce terrorisme intérieur – bien que l’Etat islamique y ait revendiqué des actions depuis 2015, particulièrement contre la minorité adepte du chiisme – tout en essayant d’endiguer l’expansionnisme iranien chez ses voisins à prédominance chiite, que cette domination soit politique (Syrie, Liban) ou démographique (Irak, Bahreïn…). Cela conduit notamment Riyad à soutenir des mouvements rebelles – souvent d’obédience djihadiste – dans la guerre civile déclenchée en Syrie, en 2012, pour faire tomber le régime en place, allié de Téhéran. C’est un échec, au même titre que le soutien apporté au pouvoir sunnite du Yémen renversé, en 2014, par la rébellion des Houthis zaydites (une des multiples chapelles du chiisme). L’intervention chez le voisin méridional a aussi des visées économiques, telles que la réalisation d’un oléoduc traversant la province de Mahra, voisine du Dhofar omanais, ce qui conduit le sultanat d’Oman à soutenir des groupes s’opposant à l’influence saoudienne dans la région.

Déjà mauvaises, les relations avec l’Iran se dégradent encore plus fin 2015, lorsque de nombreux Iraniens perdent la vie lors du pèlerinage annuel de La Mecque (des mouvements de foule mal maîtrisés font plus de 2 000 morts) et que Riyad lance une coalition sunnite destinée à combattre « le terrorisme », non seulement salafiste, mais aussi chiite. Un nouveau regain de tension est enregistré, début 2016, après l’exécution d’un dignitaire chiite qui avait été condamné à mort pour sédition, à la suite de manifestations dans l’oasis de Qatif. Sa mort, sans doute décidée pour « calmer » les secteurs les plus conservateurs du régime saoudien, déclenchent de violentes réactions en Iran, telles que l’incendie d’une partie de l’ambassade saoudienne à Téhéran.

Dans ce combat contre « l’axe chiite », le régime saoudien n’hésite pas à utiliser l’arme du pétrole : en refusant d’encadrer et de limiter sa production de pétrole, Riyad favorise le maintien de prix bas qui empêchent l’Iran de revenir sur le devant de la scène, même après la levée de l’embargo occidental pris à son encontre. En revanche, Riyad ne peut pas compter sur le soutien indéfectible du camp sunnite régional, censé s’être uni en 1981 dans un Conseil de coopération du Golfe. Ainsi, en juin 2017, Riyad et plusieurs de ses alliés rompent toute relation avec le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme islamiste issu de la mouvance panislamiste des Frères musulmans et de faire preuve de complaisance avec l’Iran. Même au Yémen, les Saoudiens doivent compter avec les intérêts propres de leurs alliés émiratis qui en arrivent à soutenir les séparatistes sudistes contre le camp loyaliste pro-saoudien, jugé trop proche des Frères musulmans. En effet, tout en continuant à boycotter la « maison mère » des Frères, en Egypte, depuis son refus de condamner l’invasion du Koweït par l’Irak en 1991, Ryad a renoué avec plusieurs de ses branches régionales (comme al-Islah au Yémen).

Au-delà de leur échec tactique, les opérations militaires saoudiennes finissent aussi par peser sur une économie dont la croissance s’est fortement ralentie, du fait de la baisse des prix du pétrole, mais aussi de l’évolution démographique du pays : de 6 millions dans les années 1970, sa population est passée à plus de 22 millions, sans compter au moins 8 millions de travailleurs étrangers, plus ou moins légaux, qui assurent les emplois subalternes. Le tarissement des emplois publics, ajouté à la faiblesse du secteur industriel (hors pétrole) et au manque de formation pour certains postes qualifiés (y compris dans l’industrie pétrolière) deviennent d’autant plus sensibles que deux Saoudiens sur trois ont moins de 30 ans.

[1] Située sur la côte orientale, près d’Hasa, l’oasis compte 90 % de chiites.


L’ascension de « MBS »

La jeunesse de la population contraste avec l’âge de ses dirigeants. En 2015, le nouveau roi Salman a toutefois rompu avec le mode de succession instauré par le roi Fahd (1982-2005), en vertu duquel tous les membres d’une génération devaient être décédés avant qu’un héritier ne soit choisi dans la génération suivante. A la mort de son demi-frère Abdallah, à plus de 90 ans, Salman (79 ans) a nommé comme prince héritier son neveu Mohamed Ben Nayef (55 ans), en lieu et place de Moqren, le moins âgé des fils d’ibn-Saoud encore vivants. Promotion d’ailleurs de courte durée puisque, en juin 2017, Ben Nayef a été remplacé à cette fonction par Mohammed Ben Salman, 31 ans, dit « MBS », le propre fils du roi qui dirigeait déjà le ministère de la Défense.

Au passage, le Palais a récupéré la mainmise sur les services de sécurité qui étaient jusqu’alors rattachés à l’Intérieur… signe d’une reprise en main généralisée de la société : sur le plan diplomatique, en lien avec le prince héritier des EAU, mais aussi religieux et économique. Ainsi, après avoir autorisé les femmes à voter aux municipales en 2015, le régime a levé à l’automne 2017 l’interdiction qui leur était faite de conduire, les a autorisées à ouvrir des comptes en banque et a progressivement favorisé la mixité du public dans certains divertissements… fût-ce dans une tribune à part ; en effet, les femmes demeurent sous la tutelle d’un référent masculin (père, époux ou frères) dans de nombreux domaines, comme le mariage et les voyages à l’étranger. De même, en 2016, le Conseil des ministres a restreint les pouvoirs de la police religieuse (le Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice ou « Moutawa »). L’année suivante, le prince héritier a annoncé un retour à un islam « juste et modéré » avec destruction immédiate des « idées extrémistes » propagées par la réislamisation [sahwa] mise en œuvre, à partir de 1979, pour contrecarrer la révolution iranienne. D’une manière plus générale, la monarchie rompt avec la version traditionnellement donnée de la naissance du royaume saoudien – l’alliance dite « du sabre et de la chahada » (la profession de foi musulmane) conclue en 1744 entre les ben Saoud et un théologien musulman fondateur du wahhabisme – pour mettre en avant la date de 1727, année de l’accession au trône de l’émir de Diriya. Dans l’enseignement, l’histoire des Al Saoud est même relatée depuis leurs ancêtres de la tribu Banu Hanifa, deux cents ans avant la naissance de l’islam. Les sites préislamiques sont d’ailleurs promus dans le cadre du développement du tourisme. Enfin, certains passages décrivant les juifs et les chrétiens comme des infidèles, prônant le djihad, condamnant à la peine de mort les crimes de sodomie et d’apostasie, ou discriminatoires à l’égard des femmes, vont être retirés des manuels scolaires, dans lesquels les chiites et les athées restent en revanche vilipendés.

En novembre 2017, « MBS » a frappé un nouveau coup, en faisant arrêter des dizaines de dignitaires du régime (hommes d’affaires, anciens ministres et même une dizaine de princes tels que le fils du roi Abdallah) dans le cadre d’une campagne « anti-corruption » similaire à celles menées en Chine ou en Russie… pour se débarrasser de rivaux éventuels. Assignés à résidence dans de luxueux hôtels, les dignitaires n’en sont sortis qu’une fois blanchis ou qu’après avoir remboursé les sommes censées avoir été empochées illégalement (100 milliards de $ au total). En janvier 2018, de nouvelles arrestations ont visé une dizaine de princes qui protestaient publiquement contre la décision de l’Etat de ne plus payer leurs factures d’eau et d’électricité… histoire de démontrer que personne n’échapperait aux mesures de rigueur gouvernementales.

Le régime s’est en effet lancé dans une politique de redressement économique, destiné à réduire sa très forte dépendance au pétrole (dont il tire 70 % de ses recettes fiscales). En témoigne le lancement, en octobre 2016, du premier emprunt majeur de son histoire sur les marchés financiers internationaux : il est notamment destiné à financer « Néom », un projet de développement pharaonique (de 500 milliards $) sur la Mer rouge et le Golfe d’Aqaba, face au port israélien d’Eilat. Quelques mois plus tôt, Riyad a annoncé vouloir construire dans le même secteur un pont reliant son territoire à celui de l’Egypte, dont le régime semi-militaire est devenu un de ses meilleurs alliés : l’ouvrage passerait par deux îles, situées à l’entrée du golfe d’Aqaba, que Le Caire restituerait à l’Arabie saoudite[1]. En 2018, le pouvoir saoudien instaure également une taxe sur la consommation et lance l’ouverture de 5 % du capital du « totem » Aramco (qui avait été nationalisé en 1980).

[1] Historiquement saoudiennes, les îles (inhabitées) de Sanafir et de Tiran avaient été confiées à l’Egypte en 1950.

Des fragilités persistantes

Mais cette entreprise de modernisation reste freinée par la fragilité persistante du régime. Malgré quelques signes de libéralisation, l’assassinat sauvage de Jamal Khashoggi – un dissident en exil – dans les locaux du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en octobre 2018, vient rappeler le caractère répressif du régime. L’enquête turque conclut en effet à la responsabilité directe de trois officiers supérieurs proches de « MBS », dont le chef de la police scientifique saoudienne, chargé de démembrer le corps. Après avoir nié, Riyad finit par prétendre qu’ils ont agi de leur propre initiative[1]. En mars 2020, la purge entreprise par le prince héritier frappe son propre cercle familial, avec l’arrestation de Ben Nayef, ainsi que du dernier des frères utérins du roi encore en vie. Le mois suivant, le projet Néom fait sa première victime : un membre d’une tribu est tué dans une fusillade avec les forces de sécurité, parce qu’il refusait de céder ses terres.

Sur le plan extérieur, en dépit d’achats colossaux d’armes aux Etats-Unis et dans le monde, le pays reste à la merci d’attaques extérieures, à l’image des frappes de drones et de missiles de croisière ayant touché deux installations majeures d’Aramco – le plus grand site mondial de transformation de brut au sud du port de Dahran sur la côte est et le deuxième champ national d’hydrocarbures proche de Riyad – en septembre 2019. Revendiquée par les Houthis yéménites, mais probablement venue du sol iranien, cette salve a démontré les failles du système anti-missile acquis par Riyad auprès des Américains et privé le pays de la moitié de sa production pétrolière pendant quelques semaines. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les incidents navals se multiplient dans le détroit d’Ormuz, entre l’Iran et la péninsule arabique, par où transite un tiers du transport maritime mondial de pétrole, saoudien compris ; pour s’en affranchir, Riyad s’est doté d’un oléoduc et d’un gazoduc vers la Mer Rouge. Mais sa très forte dépendance vis-à-vis des recettes pétrolières demeure : la baisse des cours, sur fond de pandémie de coronavirus et de guerre des tarifs avec les Russes et les Américains, conduit le pays à tripler sa taxe sur la consommation en mai 2020 et à supprimer l’allocation universelle qui avait été instaurée en faveur des plus défavorisés. Quant aux projets de diversification économique, ils tardent à décoller, faute d’investissements étrangers suffisants.

A la fin du mois de novembre 2020, « MBS » confirme son rapprochement prudent avec Israël (et la précieuse technologie dont il dispose face au « péril iranien ») en recevant très discrètement le Premier ministre et le chef des renseignements israéliens à Néom, en présence du Secrétaire d’État américain. Ryad dément toutefois cette rencontre, la question divisant fortement la famille régnante même si, officiellement, l’État hébreu n’est plus décrit comme « l’ennemi sioniste » mais comme « l’armée d’occupation israélienne ». En janvier 2021, les relations sont rétablies avec le Qatar, sans que l’émirat n’ait accédé aux exigences majeures de Riyad durant le blocus. Soucieux de redorer son blason, « MBS » a également répondu à la pression des Américains, plus que jamais désireux d’unir leurs alliés régionaux, alors que le régime iranien vient de reprendre l’enrichissement à 20 % de son uranium. L’émir qatari assiste au sommet du CCG qui se tient en Arabie saoudite et signe, avec les cinq autres membres du Conseil, un accord de « solidarité et de stabilité ». Ce rapprochement des pays sunnites de la région – parallèle aux négociations économiques qu’ils ont engagées avec le régime de Bagdad d’une part et avec Israël d’autre part – n’est pas du goût de Téhéran ; à la fin du mois de janvier, des drones chargés d’explosifs visent le vaste complexe royal de Riyad ; selon une milice pro-iranienne d’Irak, ils auraient décollé de la frontière irako-saoudienne.

En février 2021, le nouveau Président démocrate arrivé au pouvoir à Washington remet en cause le soutien aveugle de son prédécesseur au régime saoudien, en particulier dans la guerre qu’il mène au Yémen. La nouvelle administration américaine rend notamment public le rapport de la CIA affirmant que l’assassinat du dissident Khashoggi n’a pu qu’être approuvé par « MBS », d’autant plus qu’il a été commis par des membres de la Force d’intervention rapide, sa garde prétorienne. Dans ce contexte de relative « distanciation » américaine, des négociations discrètes sur la guerre au Yémen sont engagées avec l’Iran, sous l’égide de l’Irak. Mais elles sont rompues en mars 2022, après l’exécution par Riyad de quatre-vingts personnes en une seule journée : pour la moitié chiites, elles étaient accusées de meurtres ou de soutien à des organisations illégales telles que les Houthis du Yémen. A la même période, Riyad – comme son voisin émirati – marque ostensiblement son indépendance vis-à-vis des Etats-Unis, en refusant de prendre des sanctions contre la Russie, qui a envahi l’Ukraine[2]. Dans le même temps, le régime wahhabite renoue avec la Turquie, en proie à de graves difficultés économiques et dont la justice a classé sans suite l’enquête sur le meurtre de Khashoggi.

En juillet, la visite officielle du Président Biden, soucieux de renouer des liens forts avec ses alliés du Moyen-Orient face aux Russes et aux Iraniens, confirme le « retour en grâce » de MBS, même si le numéro un américain l’assortit de remarques sur les attaques contre les dissidents. En signe de bonne volonté, Riyad autorise le survol de son territoire par des vols commerciaux israéliens. Le prince à peine réhabilité, la justice condamne une doctorante chiite à trente-quatre ans de prison pour terrorisme et troubles à l’ordre public : elle relayait, sur un réseau social, les messages d’une militante féministe et d’un blogueur proche de Khashoggi. En octobre, l’Arabie saoudite fait une nouvelle fois preuve de son indépendance vis-à-vis des États-Unis : en accord avec la Russie, elle décide de baisser sa production pétrolière, afin de faire remonter les cours d’un produit dont la vente finance la guerre que Moscou mène alors en Ukraine. En décembre suivant, le régime saoudien reçoit très solennellement le Président chinois, en préambule d’un sommet entre la Chine et les pays arabes. La visite est accompagnée de la signature de nombreux contrats entre les entreprises des deux pays. Et, en mars 2023, c’est sous l’égide de Pékin que l’Arabie saoudite et l’Iran annoncent la réouverture de leurs relations diplomatiques. En août, loin de se rapprocher d’Israël, Riyad annonce la nomination d’un ambassadeur pour les Territoires occupés, basé à Amman, alors que le dossier palestinien était traité jusqu’alors par l’ambassadeur saoudien en Jordanie. Proche du prince héritier Mohammed ben Salman, le diplomate servira aussi de consul général à Jérusalem, considérée comme palestinienne par la monarchie saoudienne.

En août, la réputation du royaume est ternie par une nouvelle affaire : une ONG affirme que, entre mars 2022 et juin 2023, les garde-frontières saoudiens ont froidement abattu des centaines de migrants éthiopiens qui, arrivant du Yémen, essayaient d’entrer en Arabie saoudite, où vivent près de 750 000 de leurs compatriotes.

[1] Les condamnations à mort prononcées, à l’issue d’un procès opaque, seront commuées en peines de détention de vingt ans.

[2] En 2020, Riyad a concrétisé son rapprochement avec la Russie via la création d’un cartel pétrolier dit OPEP+, trois ans après la première visite officielle jamais effectuée par un monarque saoudien à Moscou. Une visite similaire avait eu lieu en Chine en 2006.