SERBIE : 77 474 km2
République parlementaire
Capitale : Belgrade
Monnaie : dinar serbe
7 millions de Serbes[1]
[1] La diaspora serbe compte quatre millions de personnes.
État le plus peuplé et le plus étendu de l’ex-Yougoslavie (un peu moins d’un tiers de sa superficie), la Serbie en est à la fois le berceau et l’héritière. Enclavée au milieu de huit pays, elle partage avec eux un peu plus de 2 300 km de frontières : à l’est, un peu plus de 530 km avec la Roumanie et de 340 avec la Bulgarie ; au sud, un peu plus de 100 km avec la Macédoine du nord, près de 370 avec le Kosovo (qu’elle ne reconnait pas) et près de 160 avec le Monténégro ; à l’ouest, un peu plus de 340 avec la Bosnie-Herzégovine et de 310 avec la Croatie ; un peu plus de 160 km avec la Hongrie au nord.
Le pays est formé de deux ensembles distincts, situés de part et d’autre du Danube et de la Save : au nord la Voïvodine (21 000 km²), dans la grande plaine danubienne de Pannonie ; au sud, la Serbie centrale couverte de montagnes basses ou moyennes, appartenant aux Alpes dinariques à l’ouest, aux Carpates, aux monts Rhodopes et à la chaîne du Grand Balkan (où se trouve le point culminant, à un peu plus de 2 200 m) à l’est. Le climat est de type continental modéré.
83 % des habitants sont d’ethnie serbe. Le reste de la population appartient à une vingtaine d’autres peuples[1] : Hongrois (3,5 %, essentiellement en Voïvodine), Roms (au moins 2 %, mais sans doute davantage), Bosniaques (2 %, dans l’ancien Sandjak de Novi-Pazar, au sud de la Raška, l’ancienne Rascie médiévale), Croates, Slovaques, Albanais (dans la vallée méridionale de Presevo), Valaques…
Sur les 95 % de la population déclarant une religion, 85 % sont orthodoxes. Les autres chrétiens, en majorité catholiques (comme les Hongrois), sont 6 % et les musulmans sunnites un peu plus de 3 % (Bosniaques, « Musulmans » du Sandjak et Albanais de la vallée de Presevo).
[1] La région autonome de Voïvodine, au nord, compte à elle seule vingt-cinq nationalités et six langues officielles : serbe, hongrois, croate, roumain, ruthène et slovaque.
SOMMAIRE
- Du centralisme serbe à la fédération yougoslave
- Six républiques et deux provinces autonomes
- La partition dans la douleur
- Revendications monténégrines et guerre au Kosovo
- La chute de Milosevic
- La Yougoslavie réduite à la Serbie
- ENCADRE : du serbo-croate au BCMS
Du centralisme serbe à la fédération yougoslave
Dès son indépendance, l’État des Serbes, Croates et Slovènes voit s’affronter les visions antagonistes des deux premiers. Tandis que les Serbes militent, sous la houlette du Premier ministre Pasić, pour un royaume très centralisé qu’ils domineraient, les Croates plaident en faveur d’une monarchie fédérale, sous la conduite du Parti paysan de Radić. Ce dernier ayant boycotté les travaux de l’Assemblée constituante, une Constitution très centralisatrice est finalement adoptée. Mais le roi Alexandre Karageorgévitch l’abroge début 1929, au lendemain de l’assassinat de Radić par un député du Monténégro, fidèle aux Serbes. Pour tenter d’instaurer un semblant d’unité nationale, l’État prend la même année le nom de Royaume de Yougoslavie (Slaves du sud). La Bosnie-Herzégovine y perd l’unité qu’elle avait acquise sous la tutelle autrichienne et se retrouve découpée en quatre provinces (banovine). Les Macédoniens ne sont pas davantage reconnus : ils sont inclus parmi les Serbo-Croates, afin de ne pas donner d’arguments à la Bulgarie qui les considère comme Bulgares.
Aucune reconnaissance n’est accordée non plus aux Croates dont le nationalisme se concrétise par la formation, en 1929, d’un parti fasciste dirigé par l’avocat Ante Pavelić. Ses partisans, les oustachis (révolutionnaires en serbo-croate), se lancent dans des actions terroristes qui culminent avec l’assassinat du roi Alexandre (et du ministre français des Affaires étrangères), en 1934 : en visite à Marseille, le souverain yougoslave est assassiné par un Macédonien membre de l’ORIM[1] avec laquelle les oustachis ont noué des liens. Condamné à mort, Pavelić trouve refuge en Italie fasciste. Cinq ans plus tard, Belgrade lâche du lest et dote les Croates d’une banovine autonome.
Mais le déclenchement de la seconde Guerre mondiale rebat les cartes. D’abord restée à l’écart du conflit, la Yougoslavie se voit sommée de rejoindre le camp allemand, début 1941, en vue d’attaquer la Grèce. Le roi ayant refusé, le pays est envahi en avril et démembré : la Slovénie est partagée entre la Hongrie (qui récupère le district septentrional de la Mur), l’Italie (qui annexe aussi la Dalmatie, les bouches de Kotor et administre l’État satellite du Monténégro) et l’envahisseur nazi, qui occupe également la Serbie centrale. La partie méridionale ou « Vieille Serbie » (l’actuel Kosovo) est attribuée à l’Albanie qui réunit pour la première fois toutes les populations albanophones, y compris celles de Macédoine et du Monténégro, tout en étant soumise aux Italiens. La Voïvodine est coupée en deux : la région située à l’est de la Tisza (le Banat serbe) est gérée par les Allemands locaux, tandis que la zone située à l’ouest (la Batchka) est attribuée à la Hongrie. La quasi-totalité de la Macédoine échoit à un autre allié du IIIème Reich allemand, la Bulgarie, qui récupère aussi quelques territoires serbes. Enfin, la Croatie forme un Etat satellite de l’Allemagne : agrandie de la Bosnie-Herzégovine et de la Sirmie (la région de Vukovar à l’est), elle est confiée à Pavelić dont les oustachis entament une politique d’élimination systématique des Serbes, des juifs et des Tziganes ; seuls les Bosniaques musulmans sont épargnés.
Deux mouvements de résistance se mettent rapidement en place, au nord de l’actuel Kosovo : d’abord les Tchetniks du général serbe Draža Mihailovic – fidèles au gouvernement monarchiste réfugié à Londres – puis les Partisans communistes du croato-slovène Josip Broz, dit Tito, né dans une famille paysanne des environs de Zagreb. D’abord unies, les deux mouvances deviennent rivales dès l’automne 1941, lorsque les Allemands les chassent de leurs positions. Peu structurés, les Tchetniks éclatent en plusieurs tendances : tandis que certains groupes poursuivent la résistance (notamment sous la forme de sabotages), d’autres négocient avec les nazis, pour ne livrer combat qu’aux oustachis et aux « titistes ». Début 1942, ces derniers se sont réfugiés en Bosnie, région à la fois centrale et accidentée. C’est là, à Bihac (nord-ouest) qu’est fondée l’Armée de libération nationale, que les Allemands parviennent à repousser au Monténégro.
Mais la capitulation italienne, en septembre 1943, change la donne : si l’État fasciste croate s’agrandit, en récupérant la Dalmatie centrale, la résistance profite du retrait italien pour libérer de vastes zones. Revenu en Bosnie, Tito y installe une préfiguration de gouvernement, le Comité de libération nationale, au sud de Banja Luka. A la fin de l’année 1943, les Alliés antinazis le reconnaissent comme seul chef de la résistance et, en juin suivant, les Britanniques obtiennent du roi yougoslave qu’il remplace Mihailovic comme chef de l’Armée. La Wehrmacht ayant évacué les Balkans après le retournement du front roumain, en août 1944, les titistes prennent la côte dalmate et se retrouvent en position de force, lorsque les troupes soviétiques les aident à entrer dans Belgrade en novembre. Esquissée à Yalta, l’idée d’une cohabitation entre le roi et un gouvernement d’union nationale dirigé par Tito vole en éclats, d’autant plus rapidement que les combats entre Yougoslaves se poursuivent et que les forces titistes se livrent à de sévères représailles, notamment contre les oustachis ; quelque 160 000 personnes sont massacrées en une seule semaine de mai 1945.
Au Kosovo, la population vote pour le rattachement à la Serbie, mais après une résistance qui prônait l’adhésion de la province à une Grande Albanie ; sa répression fait quelque 50 000 morts. En novembre 1945, les premières élections générales d’après-guerre, boycottées par l’opposition, consacrent la victoire sans partage de la liste unique du « Front du peuple », qui remporte 90 % de suffrages favorables. La monarchie est abolie et remplacée par la République fédérative populaire de Yougoslavie qui instaure le régime du parti unique (la Ligue des communistes yougoslaves, SKJ), nationalise l’économie et réprime toute forme d’opposition : 260 000 exécutions sommaires ont lieu en un an, en particulier dans les rangs des anciens Tchetniks.
[1] Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne.
Six républiques et deux provinces autonomes
L’architecture institutionnelle du nouvel État résulte de la volonté de réduire l’antagonisme entre la Serbie et la Croatie. Le serbo-croate est ainsi instauré comme langue unitaire, alors que les Serbes et les Croates considèrent qu’ils parlent des idiomes différents (cf. Encadré). Aux deux entités rivales s’ajoutent quatre autres républiques populaires (Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Macédoine et Slovénie), dont certaines sont peuplées de Serbes, ainsi que deux provinces autonomes, rattachées à la Serbie : la Voïvodine à forte minorité hongroise et le Kosovo-Metohija à majorité albanaise ; bien que plus nombreux que les Monténégrins, les Kosovars n’ont pas droit à une République à part entière[2]. Dans ce dispositif, la Serbie stricto sensu ne réunit que 25 % de la population yougoslave, soit à peine 5 % de plus que la Croatie.
En Slovénie, la Fédération yougoslave retrouve les frontières qui étaient celles du royaume de Yougoslavie d’avant-guerre avec la Hongrie. Elle doit en revanche accepter des arrangements au nord de l’Istrie, près de la frontière italienne : ainsi, Trieste et sa région ne lui sont pas rattachées, mais dotées du statut de territoire libre de Trieste, placé sous administration de l’ONU ; in fine, la ville et ses environs immédiats (en partie peuplés de Slovènes) sont attribués en 1954 à l’Italie, tandis que la partie méridionale échoit à la république yougoslave de Slovénie, qui bénéficie ainsi d’un étroit accès à la mer Adriatique. De son côté, la Croatie hérite de l’Istrie et de toute la Dalmatie. Inversement, elle perd la Bosnie-Herzégovine qui a été érigée en république fédérale à part entière pour éviter toute rivalité territoriale entre les Serbes et les Croates. L’argument retenu est celui de sa spécificité religieuse : bien qu’ils soient de langue serbo-croate, les « Yougoslaves » bosniaques sont en effet musulmans, avant d’être orthodoxes ou catholiques. De son côté, le Monténégro retrouve son territoire de 1913, à l’exception de la région albanophone de Peć attribuée au Kosovo ; en sens inverse, il obtient les bouches de Kotor. Sa capitale est transférée des montagnes de Cetinje aux collines de Podgorica, laquelle reçoit le nom de Titograd.
L’indépendance affichée par Tito vis-à-vis des Soviétiques – raison qui avait poussé le gouvernement britannique de Churchill à lui accorder son soutien – lui vaut de subir, dès 1948, les foudres de Staline : le numéro un soviétique accuse en particulier son homologue de Belgrade de dérive capitaliste, notamment parce qu’il n’a pas collectivisé les terres. Loin de s’en émouvoir, le régime yougoslave refuse les oukases de Moscou, comme l’idée de constituer une fédération avec la Bulgarie. Il s’en prend même aux partisans de l’URSS (les « kominformistes »), dont certains prennent le maquis, au Monténégro et en Bosnie-Herzégovine. La rupture entre le camp moscovite (l’URSS et ses satellites d’Europe orientale) et Belgrade est finalement consommée en 1949, à l’initiative de Moscou.
La Yougoslavie s’engage alors dans une voie originale vers le socialisme, mêlant décentralisation économique, autogestion ouvrière des entreprises, neutralité internationale et tiers-mondisme. C’est au nom des relations étroites qu’il entretient avec de grands dirigeants arabes[1] que Tito crée une nouvelle nationalité « Musulmane » en faveur des Bosniaques de Bosnie et du Sandjak. Les dirigeants qui s’opposent à ces différentes orientations sont limogés, voire emprisonnés. Le petit commerce et l’artisanat sont nationalisés et les terres finalement collectivisées, ce qui s’avère être un échec : en 1953, une nouvelle réforme agraire rétablit donc la propriété privée, même si le mode coopératif demeure la priorité. Trois ans plus tard, la Yougoslavie bénéficie de la déstalinisation pour retrouver grâce aux yeux de l’URSS et bénéficier à nouveau de son aide économique, en complément de celle que lui versent déjà les Occidentaux.
Une nouvelle Constitution est adoptée au début des années 1960. Par « fraternité et unité » (le slogan officiel du pays), elle accroit les prérogatives des républiques et provinces autonomes, au sein de ce qui s’appelle désormais République socialiste fédérative de Yougoslavie (SFRJ). Un fonds de péréquation est également créé, afin que les membres les plus riches de la Fédération contribuent au développement de ceux qui sont les plus pauvres. Devenu Président à vie, Tito élimine toute contestation de la nature fédérale, autogestionnaire et autoritaire du régime. Le pays n’en a toutefois pas fini avec les pulsions, parfois séparatistes, de ses peuples et nationalités, comme en témoigne la multiplication des mouvements nationalistes au tournant des années 1960-1970, en particulier en Croatie. Une nouvelle Constitution est donc adoptée, en 1974, pour accroître les pouvoirs des huit entités composant l’État : chacune des républiques dispose désormais de ses propres institutions et bénéficie du même nombre de voix dans les instances nationales, tandis que le Kosovo et la Voïvodine obtiennent une autonomie renforcée. S’il assure la défense et la politique extérieure du pays, le pouvoir central n’exerce en revanche qu’une fonction de coordination, non décisionnaire, en matière économique. Cette autogestion assumée génère toutefois des effets pervers, tels que l’apparition de baronnies économiques qui renforcent les égoïsmes régionaux, alors que les écarts de développement se creusent entre les républiques : bien que bénéficiant de plus de 40 % des ressources du fonds de péréquation, le Kosovo dispose ainsi d’un produit par habitant sept fois inférieur à celui de la Slovénie.
[1] En 1946, Tito et son homologue albanais Enver Hoxha ont évoqué la formation d’une Fédération entre leurs deux pays pour contrecarrer les « visées impérialistes », mais l’idée a buté sur le statut du Kosovo dans la nouvelle entité.
[2] Tito est le promoteur, avec l’Egyptien Nasser et l’Indien Nehru du Mouvement des non-alignés.
La partition dans la douleur
Les tensions éclatent au grand jour lorsque Tito disparait, en 1980, sans avoir désigné de dauphin, tous ses compagnons de route étant morts ou tombés en disgrâce. Il est remplacé par une direction collégiale tournante, associant les huit entités yougoslaves, dans un contexte de difficultés économiques croissantes. A la crise internationale des années 1980 s’ajoutent la diminution des subsides occidentaux (du fait de la fin de la guerre froide) et l’obligation de payer aux tarifs internationaux les importations en provenance du bloc socialiste de l’Est. Les troubles sociaux se multiplient et les revendications nationalistes ressurgissent : au printemps 1981, les Albanais du Kosovo se révoltent pour un réclamer un statut de république à part entière. L’animosité historique entre Croates et Serbes refait ouvertement surface, tandis que la « solidarité » yougoslave disparait : la Croatie et la Slovénie rechignent à financer les républiques plus pauvres du sud.
Dès 1989, le multipartisme apparait chez les Slovènes qui, début 1990, quittent la Ligue des communistes de Yougoslavie. Quelques mois plus tard, ils sont suivis par les Croates qui ont très majoritairement voté en faveur de l’Alliance démocratique croate (HDZ) dont le chef, le général Franjo Tudjman, accède à la présidence de la république (encore yougoslave) de Croatie. Des nationalistes anti-communistes remportent aussi les premières élections libres en Bosnie-Herzégovine (SDA) et en Macédoine (VRMO). A contrario, en Serbie, le pouvoir est aux mains du communiste Slobodan Milosevic, un ultranationaliste qui, en 1989, a supprimé l’autonomie dont disposaient ses deux provinces périphériques. En réaction, les Kosovars proclament leur propre république en septembre 1990, tandis que nait « la région autonome des Serbes de Croatie » en Krajina (RSK).
Détenant la moitié des sièges de la présidence collégiale yougoslave, la Serbie et son allié monténégrin s’opposent à toute modification des institutions, ce qui pousse la Slovénie et la Croatie à proclamer leur indépendance en juin 1991. Majoritairement dirigée par des Serbes, l’Armée fédérale refuse absolument de quitter la seconde, ne serait-ce que pour soutenir leurs congénères qui constituent plus de 60 % de la population des régions croates de Krajina et de Slavonie. C’est ainsi que la guerre croato-yougoslave débute en août 1991 (cf. Croatie). En revanche, les troupes de Belgrade se retirent rapidement de la Slovénie, où l’indépendance a été approuvée par 88 % de la population. Elles quittent aussi la Macédoine, dont les électeurs ont massivement voté, en septembre, en faveur d’une pleine souveraineté.
L’année suivante, le conflit gagne la Bosnie-Herzégovine (cf. ce pays), dont l’indépendance a été proclamée en mars 1992. La guerre tourne aux affrontements tous azimuts, sur fond de haine ethnique, entre « tchetniks » serbes, « oustachis » croates et « moudjahidines » musulmans, dont les rangs ont été renforcés par des réfugiés du Sandjak. Proclamant que « partout où une goutte de sang serbe a été versée, la terre est serbe », l’armée de la République fédérale de Yougoslavie – nouveau nom de l’association entre la Serbie et son fidèle allié monténégrin [1] – contrôle les trois-quarts de la Bosnie, où elle assiège Sarajevo, et plus d’un quart de la Croatie. Elle bénéficie du renfort de milices, la plupart du temps commandées par des repris de justice qui profitent de la guerre pour s’enrichir en se livrant au racket et au marché noir : les plus célèbres sont Vojislav Seselj, chef des « Aigles Blancs », Dragan ancien soldat de l’armée australienne chef des Kninjas (contraction de Knin, capitale de la Krajina et de Ninja) et le « commandant Arkan », ancien Président des supporters de l’Etoile rouge de Belgrade recherché pour violences et extorsion de fonds dans plusieurs pays d’Europe, devenu homme d’affaires et chef des « Tigres ».
Souvent impuissante pour mettre fin aux violences sur le terrain, l’ONU réagit sur le terrain juridique en décidant de créer un Tribunal pénal international (TPIY) destiné à juger les crimes de guerre commis dans la région : c’est le premier du genre depuis ceux qui avaient condamné les criminels nazis et nippons au lendemain de la deuxième Guerre mondiale. Mi-novembre, après le massacre commis par les forces serbes dans l’enclave bosniaque de Srebrenica, il inculpe pour génocide les deux chefs de la République serbe de Bosnie (RSB) : son chef politique, le psychiatre Radovan Karadzic, fondateur du Parti démocratique serbe (SDS) et son chef militaire, le général Ratko Mladic, ancien général de l’Armée populaire yougoslave (JNA). Quelques jours plus tard, des accords de paix sont finalement trouvés pour mettre fin aux deux guerres, avec la Croatie et avec la Bosnie. Celle-ci devient l’union de deux entités, la Fédération croato-musulmane et la Republika Sprka (cf. Bosnie-Herzégovine).
[1] Dotée de ses propres président et gouvernement, chaque république garde la main sur sa politique sociale et économique.
Revendications monténégrines et guerre au Kosovo
Craignant que Karadzic ne prenne trop d’importance, Milosevic joue la carte Mladic et privilégie Banja-Luka comme nouvelle capitale des Bosno-Serbes, au détriment de Pale où séjournent les éléments les plus jusqu’au-boutistes. A Belgrade même, le numéro un yougoslave reste solidement accroché au pouvoir, en dépit de ses revers diplomatiques. En novembre 1996, son Parti socialiste (SPS) et ses alliés monténégrins du Parti démocratique des socialistes (DPS) remportent largement les élections fédérales, loin devant la coalition « Ensemble » des libéraux nationalistes (soutenus par les radicaux de Pale) et le Parti radical serbe (SRS) de Seselj, reconverti dans la politique. Pourtant, à la fin du même mois, c’est l’opposition qui remporte les municipales dans la plupart des grandes villes, Belgrade comprise. Largement dominées par le pouvoir, la Commission électorale et la Cour suprême annulent de nombreux de résultats, ce qui jette dans les rues de la capitale des dizaines de milliers de manifestants agitant le slogan « sloboda » (liberté) et réclamant la démission de Milosevic. Celui-ci perd ses soutiens un par un : le Président monténégrin, des membres de la coalition Gauche unie (YUL) que dirige pourtant sa propre épouse, le maire de Belgrade, le saint synode de l’Église orthodoxe, des recteurs d’université et même certaines unités de l’armée et de la police qui refusent d’utiliser leurs armes contre la population.
Après quasiment deux mois de manifestations, le pouvoir doit se résoudre à reconnaître la victoire de l’opposition à Belgrade ainsi qu’à Nis, la deuxième ville du pays. Le numéro un serbe profite de ce sursis pour reprendre la main, en renouant notamment avec les dirigeants de Pale et en se faisant élire Président de la République fédérale par le Parlement. L’opposition, elle, se déchire entre ses deux principaux chefs, le maire de Belgrade et Président du Parti démocrate (DS), Zoran Djindjic, et le leader du Mouvement serbe du renouveau (SPO), Vuk Draskovic, favorable au rétablissement de la monarchie. La crise déborde même au Monténégro où le Premier ministre Milo Djukanovic, jeune économiste favorable aux privatisations et à une autonomie accrue, entre en conflit ouvert avec le Président conservateur Bulatovic, qui a renoué avec le numéro un serbe.
Les élections générales de l’automne 1997, boycottées par une partie de l’opposition, marquent un effritement du pouvoir de Milosevic : son camp remporte certes les législatives de Serbie, mais perd sa majorité absolue ; il doit notamment compter avec la forte progression de Seselj qui remporte même la présidentielle au second tour mais n’est pas déclaré élu, la participation n’ayant pas atteint 50 %. Organisé deux mois plus tard, le nouveau scrutin consacre le succès du candidat de Milosevic, des bourrages d’urnes en Voïvodine et au Kosovo ayant permis de dépasser le seuil nécessaire de votants. Au Monténégro, Djukanovic est élu Président, grâce au vote des jeunes et du sud touristique, ainsi que des minorités albanaise et musulmane : il l’emporte avec 5 000 voix d’avance sur Bulatovic, que Milosevic fait nommer Premier ministre fédéral quelques mois plus tard. En mars 1998, le gouvernement s’ouvre largement aux radicaux du SRS, Seselj obtenant lui-même un poste de vice-Premier ministre.
Cette évolution survient alors que la situation se dégrade fortement au Kosovo. L’arrivée de nombreux réfugiés fuyant les guerres de Croatie et de Bosnie fait remonter la proportion de Serbes dans la population, alors qu’elle était passée à seulement 7 % (contre la moitié en 1945), du fait d’une croissance démographique beaucoup plus forte chez les Albanais (cf. Kosovo). Le conflit kosovar achève également de creuser le fossé existant entre Belgrade et le Monténégro. Ne transférant plus d’impôts à la RFY et ayant consolidé une police de 10 000 hommes, le régime de Podgorica accorde l’hospitalité à des opposants notoires de Milosevic et réclame que les jeunes Monténégrins effectuant leur service militaire dans la province rebelle soient rapatriés dans des casernes de leur république. Au printemps 1999, un « Mouvement de résistance du Monténégro » met en fuite, sans coups de feu, des policiers militaires serbes qui étaient venus incorporer de force de jeunes Monténégrins à Cetinje ; l’ancienne capitale du royaume du Monténégro voit également réapparaître le drapeau rouge historique frappé de l’aigle à deux têtes. C’est dans cette même ville que l’Église monténégrine orthodoxe autocéphale, passée sous le contrôle de celle de Serbie en 1920, tente de se reformer.
Au Kosovo, les succès de l’armée fédérale ne suffisent pas à sauver le numéro un yougoslave. Soumis aux bombardements de l’OTAN (cf. Kosovo) et inculpé pour crimes de guerre et contre l’humanité par le TPIY, Milosevic est contraint d’accepter, en juin 1999, le plan de paix que lui soumet le G8 : bien qu’il reste de jure soumis à Belgrade, le Kosovo devient de facto administré par l’ONU et diverses instances internationales. Quant à l’économie de la République fédérale, elle est en berne : le PIB par habitant est inférieur des deux tiers à celui de 1989, le montant des dégâts est estimé à trente milliards de dollars et les jeunes diplômés ont fui le pays par dizaines de milliers. S’y ajoute la nécessité de recaser les 100 000 Serbes ayant fui le Kosovo, alors que le pays compte déjà plus de 500 000 réfugiés des guerres de Croatie et de Bosnie.
La chute de Milosevic
La grogne contre le régime s’amplifie tous azimuts, y compris dans ses fiefs, et même la plus haute hiérarchie de l’Église orthodoxe serbe réclame la démission de Milosevic. La contestation gagne la Voïvodine, grenier agricole du pays qui réclame une meilleure répartition des revenus, l’instauration de l’économie de marché et la création d’une véritable fédération. Les formations de la province fondent une Union des partis démocratiques avec des organisations de deux régions historiques, le Sandjak (majoritairement musulman, mais cœur de la Rascie médiévale) et la Sumadija (région centrale dont les forêts servirent de refuge aux rebelles anti-Ottomans au début du XIXème). Même le « chevalier de la Neretva », l’ancien chef d’État-major Perisic – limogé pour s’être opposé à l’envoi de troupes au Kosovo – entre dans l’arène politique, avec son Mouvement pour une Serbie démocratique.
De son côté, le pouvoir monténégrin fait de plus en plus cavalier seul. A l’été 1999, il propose de remplacer la RFY par une association, souple, de la Serbie et du Monténégro, dans laquelle chacun disposerait de son armée, de sa diplomatie et éventuellement de sa monnaie. Belgrade n’ayant pas donné suite, la citoyenneté monténégrine est créée à l’automne et l’aéroport de Podgorica nationalisé. En réaction, la Serbie instaure une « guerre économique » qui ne fait qu’augmenter l’autonomie de son voisin : les camions affluent à la frontière croato-monténégrine, de même que les bateaux dans le port de Bar. Progressivement, le niveau de vie du Monténégro dépasse celui de la Serbie, avec une libéralisation de l’économie qui n’est toutefois pas exempte de « ratés » : le clientélisme caractérise de nombreuses privatisations et le pouvoir est accusé de complicité de contrebande[1]. Les relations entre les deux républiques prennent un tour de plus en plus violent, comme en témoigne l’assassinat, au printemps 2000, du conseiller à la sécurité de Djukanovic. Les éliminations se multiplient aussi parmi les proches de Milosevic, tels que le ministre de la Défense et le patron de la compagnie aérienne nationale. L’exécution la plus spectaculaire a lieu dans un grand hôtel belgradois : Arkan y meurt criblé de balles, dans des conditions mal définies (règlement de comptes mafieux, volonté du pouvoir de faire disparaître un témoin devenu gênant, vengeance de victimes…).
Malgré tout, le numéro un yougoslave profite des divisions de l’opposition pour reprendre la main : ayant regagné le soutien de la hiérarchie orthodoxe, il fait voter par le Parlement une réforme qui instaure le suffrage universel tant pour l’élection présidentielle (avec possibilité de briguer deux mandats) que pour celle des députés de la Chambre haute (afin de diluer le poids du Monténégro). Milosevic met à profit cette nouvelle Constitution pour convoquer une élection anticipée en septembre 2000. La Commission électorale ayant jugé qu’un second tour était nécessaire, la coalition d’opposition démocratique (ODS) proteste, assurant que son candidat Kostunica a obtenu la majorité absolue dès le premier. Très vite, le pays se retrouve paralysé par les grèves et les manifestations de rues, tandis que l’Église orthodoxe salue la victoire de l’opposant et que policiers et militaires sympathisent progressivement avec les émeutiers. Envahis, le Parlement et les médias officiels se rallient à Kostunica qui est proclamé Président. Seselj et Draskovic lui font allégeance, de même que le chef d’État-major.
Comme elle l’avait promis, l’Union européenne lève ses sanctions économiques et la RFY récupère le siège à l’ONU dont la RSFY avait été déchue en 1992. Anticommuniste et bénéficiant d’un profil vierge de taches sanglantes, le nouveau chef d’État n’en est pas moins un fervent nationaliste : appartenant à la mouvance « grand serbe », il considère ainsi que le Kosovo fait partie intégrante de la Serbie et que le TPIY est une instance politique soumise aux Américains. Les dernières résistances à son élection tombent avec la mise en place d’un gouvernement fédéral associant l’ODS, le SPO, le SPS et deux partis monténégrins (le SNP de Bulatovic et le SNS, Parti populaire, membre de la coalition « Vivre mieux » DZP, au pouvoir à Podgorica). Comme promis, des législatives se tiennent en décembre : elles se traduisent par un succès incontesté de l’ODS (65 % des voix), loin devant les partis de Milosevic, de Seselj et des héritiers d’Arkan. Quant au SPO, il est éliminé du Parlement, faute d’avoir pu dépasser la barre des 5 % de votants.
Face aux menaces des États-Unis de conditionner leur aide financière à la façon dont Belgrade coopèrera avec le TPIY, le nouveau pouvoir obtempère. Les arrestations de proches de Milosevic se multiplient début 2001 et le leader serbe est lui-même arrêté par la police, en mars, pour corruption et abus de pouvoir. Trois mois plus tard, le Premier ministre serbe Djindjic profite de la signature d’un décret autorisant le transfert de citoyens yougoslaves vers le siège du TPIY, aux Pays-Bas, pour autoriser le transfert de l’ancien dictateur dans une prison hollandaise, sans en avoir informé Kostunica. Ironie de l’histoire : Milosevic est embarqué pour La Haye le 28 juin, date anniversaire de la bataille médiévale de Kosovo Polje[2].
Les mois qui suivent sont marquées par des affrontements continus entre le Président serbe et son Premier ministre, jusqu’à l’assassinat de ce dernier en mars 2003 : Djindjic tombe sous les balles d’un sniper, dans la cour même du siège gouvernemental. Le meurtrier est un ancien « Tigre » d’Arkan, devenu chef de l’Unité des opérations spéciales de la police : il aurait agi pour le compte de nostalgiques du régime Milosevic et de mafieux du « clan Zemun », une banlieue belgradoise, auquel le chef du gouvernement menaçait de s’attaquer alors que, jusque là, il avait été très tolérant avec les groupes criminels (sans aller jusqu’aux complicités dont son allié monténégrin Djukanovic est accusé [3]). Un mandat d’arrêt est également lancé contre Mira Markovic, l’épouse de Milosevic réfugiée à Moscou, après la découverte du corps d’Ivan Stambolic : ancien Président serbe des années 1980, il avait été le protecteur de Milosevic, avant de tomber en disgrâce et de disparaître en 2000, alors qu’il s’était rapproché de l’opposition.
Entretemps, le différend entre la Serbie et le Monténégro s’est en partie apaisé. Fragilisé par le départ du SNS de son gouvernement, Djukanovic a dû accepter la solution proposée par l’Union européenne : le remplacement de la RFY par un Etat de Serbie-Monténégro, qui exerce une défense et une diplomatie communes ; en revanche, chaque entité conserve sa monnaie – l’euro pour le Monténégro – ainsi que ses douanes et ses infrastructures financières. Le nouveau dispositif entre en vigueur en février 2003, avec l’idéologue du Parti démocratique des socialistes monténégrins (PDS) comme nouveau Président fédéral. Au Monténégro, la présidence échoit au socialiste Filip Vujanović, tandis que les radicaux deviennent la première formation du Parlement de Serbie, avec plus d’un quart des suffrages, sans pouvoir gouverner pour autant. C’est le Parti démocrate de Serbie (DSS) de Kostunica qui forme le gouvernement : faute de pouvoir s’entendre avec le DS démocrate de feu Djindjic, il parvient à s’allier avec les libéraux du G17+ et les monarchistes du SPO-NS, tout en négociant un soutien du SPS en échange d’un ralentissement des privatisations et des transferts de criminels de guerre vers le TPIY. En juin 2004, la Serbie entre dans une période de cohabitation puisque c’est le démocrate Boris Tadic, héritier de Djindjic, qui est élu à la présidence serbe, grâce aux voix des Belgradois et des minorités ethniques.
[1] Inculpé par la justice italienne pour contrebande de cigarettes, le chef de la diplomatie monténégrine doit démissionner en octobre 1999.
[2] Milosevic mourra d’une crise cardiaque en détention, en 2006, sans avoir été jugé, son état de santé ayant entrainé des reports incessants de son procès.
[3] En mai 2002, le Président monténégrin est accusé par la justice italienne de « participation à association mafieuse pour contrebande de cigarettes », sur dénonciation d’un repenti de la mafia des Pouilles.
La Yougoslavie réduite à la Serbie
En mai 2006, plus de 84 % des électeurs monténégrins, un record, se rendent aux urnes pour participer au référendum sur l’indépendance du Monténégro : le « oui » l’emporte avec 55 % (le minimum requis), bien que la communauté slavo-orthodoxe ait majoritairement voté contre. De fait, ce sont les minorités qui ont assuré le succès des indépendantistes : même les Musulmans du Sandjak monténégrin se sont prononcés en faveur d’une souveraineté qui revient à les séparer de leurs congénères du Sandjak serbe [1]. Après ce vote, l’ex-Yougoslavie ne se réduit plus qu’à la Serbie et à la Voïvodine même si, juridiquement, le Kosovo en fait encore partie.
Un an plus tard, le DS et le DSS parviennent à faire taire leurs divergences et à former un gouvernement : Kostunica devient Premier ministre de Tadic qui est réélu, de justesse, à la présidence de la République serbe en février 2008, sans doute par crainte de certains électeurs de voir leur pays se couper de l’Europe. L’Union européenne en tient compte : deux mois plus tard, elle signe avec la Serbie un accord de stabilisation et d’association, préalable à une adhésion future, sous réserve que Belgrade apporte des preuves concrètes de sa coopération avec le TPIY. L’accord est dénoncé par les radicaux qui rendent les Européens responsables de la sécession kosovare.
Officiellement proclamée en février 2008, l’indépendance du Kosovo provoque une nouvelle crise politique et des législatives anticipées qui voient le succès du DS ; mais, faute de majorité, il doit signer un accord de gouvernement avec le SPS. C’est ce nouveau Parlement qui, en mars 2010, vote – avec seulement une voix de majorité – une résolution condamnant « le crime commis contre la population musulmane bosniaque de Srebrenica en juillet 1995 » ; si le gouvernement bosnien déplore qu’elle ne fasse pas mention d’un « génocide », il accueille en revanche avec satisfaction les excuses adressées par Belgrade aux familles des victimes, ainsi que son engagement à respecter l’intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine.
Les données politiques serbes changent deux ans plus tard, avec les défaites du DS. Seuls 46 % des électeurs s’étant déplacés au second tour, Tadic est battu à la présidentielle par un ancien vice-Premier-ministre de Milosevic, Tomislav Nikolic : après plusieurs candidatures, cet ancien proche de Seselj s’est recentré en créant le Parti serbe du progrès (SNS) nationaliste, populiste, pro-russe… et pragmatique : il se montre aussi pro-européen, en vue de favoriser le développement économique du pays. Également arrivée en tête des législatives, la formation du nouveau Président forme un gouvernement avec le SPS et le parti des « Régions unies de Serbie ». Elle conforte ses succès aux scrutins suivants : avec plus de 50 % des suffrages en 2016, elle devient même capable de gouverner sans les socialistes. L’année suivante, son candidat – le Premier ministre Vucic, lui aussi ancien proche de Seselj et ministre de Milosevic – est élu Président de la République avec 55 % dès le premier tour de scrutin.
Continuant à rejeter toute indépendance du Kosovo, le régime cultive la fibre nationaliste : ainsi, une journée de « l’unité serbe » est instaurée en 2020 en Serbie et en Republika srpska de Bosnie. Il entretient également des liens solides avec la Chine, qui finance la construction de nombreuses infrastructures telles que la ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Belgrade à Novi Sad, en Voïvodine, avant une éventuelle jonction ultérieure avec Budapest en Hongrie. Malgré la crise économique (qui place 20 % de la population sous le seuil de pauvreté), Vucic est réélu pour un second mandat, en avril 2022 : il obtient 59 % dès le premier tour (avec une participation en hausse) et le SNS reste majoritaire au Parlement avec 44 % des suffrages. Ses opposants l’accusent d’avoir distribué des aides pour acheter des voix et laissé ses partisans intimider les électeurs.
En mai, le pays est secoué par deux tueries consécutives. Commise par un adolescent, la première fait dix victimes dans une école de Belgrade ; moins de deux jours plus tard, un jeune homme fusille huit personnes dans des villages à la lointaine périphérie de la capitale. En réaction, des dizaines de milliers de manifestants arpentent les rues belgradoises, à l’appel de l’opposition qui dénonce la passivité du pouvoir et ses complicités avec le crime organisé et le narco-trafic.
Le regain de tension avec le Kosovo, à partir de septembre 2021, débouche, deux ans plus tard, sur le meurtre d’un policier kosovar par un commando serbe. Accusée de soutenir les meurtriers, et craignant à ce titre des sanctions occidentales, la Serbie arrête, sur son sol, un des principaux chefs des Serbes du nord-Kosovo.
En décembre 2023, le SNS sort renforcé des législatives anticipées convoquées par Vucic, avec près de 47 % des suffrages et la majorité absolue des sièges. Unie dans la coalition « La Serbie contre la violence » (SPN), fondée après les événements du printemps, l’opposition obtient moins de 24 % des voix, mais dénonce des bourrages d’urnes, achats de vote et autres fraudes, en plus de l’utilisation massive des moyens étatiques pour soutenir le pouvoir sortant. Ainsi, des ressortissants de la république serbe de Bosnie auraient été convoyés jusqu’à Belgrade pour y voter et permettre au SNS de remporter les élections municipales, organisées en parallèle des législatives, avec seulement quelques milliers de voix d’avance. Condamné par certains pays occidentaux, le régime lâche du lest en autorisant les véhicules du Kosovo à circuler librement en Serbie.
[1] En 2011, 60 % des 390 000 habitants du Sandjak vivaient en Serbie (à 60 % Bosniaques, 33 % Serbes et 5 % « Musulmans ») et 40 % au Monténégro (à 36 % Serbes, 31 % Bosniaques, 18 % Monténégrins, 7 % « Musulmans »).
Du serbo-croate au BCMS
Longtemps dénommée serbo-croate, la langue de la majorité des peuples de Yougoslavie [1] s’est standardisée, dans la seconde moitié du XIXème siècle, à partir de son principal dialecte : le chtokavien, parlé dans l’essentiel des territoires, contrairement au kaïkavien de Croatie septentrionale et au tchakavien d’Istrie et des îles dalmates. Les déchirements entre Slaves du sud ont provoqué l’abandon de la dénomination serbo-croate : les linguistes la désignent désormais sous l’acronyme « BCMS » (bosnien, croate, monténégrin et serbe). A l’exception de quelques différences (dans certains mots, conjugaisons ou déclinaisons), les quatre langues sont inter-compréhensibles. Ce qui les distingue véritablement est leur alphabet : latin pour le croate et le bosnien, cyrillique pour le serbe et le monténégrin.
[1] Les autres langues sont le slovène, l’albanais (au Kosovo), le macédonien (proche du bulgare) et le hongrois (en Voïvodine).