SOMMAIRE
- Les premiers peuplements
- Le règne des Étrusques
- L’ascension de Rome face aux Grecs, Gaulois et Carthaginois
- L’expansion romaine
- La disparition de l’Empire d’Occident
- L’Italie lombarde et franque
- L’essor des villes et des puissances maritimes
- L’Italie normande et l’affirmation du pouvoir papal
- L’ascension de Venise et le fractionnement de la Toscane
- Guelfes et Gibelins
- La multiplication des rivalités
- Querelles religieuses et premières unifications
- Les guerres d’Italie
- La montée en puissance de la Savoie et des États pontificaux
- Le retour de l’Espagne, l’occupation française et le redécoupage de 1815
- L’unification italienne
- L’expansion et le repli
Les premiers peuplements
Les premières civilisations, descendant de peuples du néolithique, voient le jour au IIe millénaire AEC : la culture des Terramare (1700-1150) au nord, dans la plaine du Pô, la civilisation apenninique (1600-1200) au sud de cette plaine et la civilisation des Nuraghes (1800-800 AEC) en Sardaigne[1]. De -1400 à -1200, la civilisation Mycénienne (grecque) pose également quelques jalons au sud de la botte italienne, en Sicile, Campanie (Naples) et sur les côtes Adriatiques faisant face à la Grèce. Vers -1200, l’Italie centrale aurait également vu arriver des Lydiens venus d’Asie Mineure, sous la conduite d’un chef légendaire dénommé Tyrrhenus, tandis que des Phéniciens implantent quelques colonies en Sicile, Sardaigne et dans la future Etrurie (l’actuelle Toscane). En Sicile s’installent des Sicanes (peut-être d’origine Ibère ou venus d’Afrique du Nord) et des Elymes (potentiellement arrivés eux aussi d’Asie Mineure, après la chute de Troie). Ces différents arrivants s’ajoutent aux populations autochtones pré-indo-européennes telles que les Ligures sur le littoral du nord-ouest et les peuples Nuragiques de Sardaigne (dont descendraient, peut-être, les Shardanes, un des « Peuples de la mer » qui ravageront la Méditerranée orientale).
Les XIe et Xe siècles sont marqués par l’arrivée, en plusieurs vagues, de peuples indo-européens. Certains sont ILLYRIENS, comme les Iapyges (et Messapiens) dans le talon la botte. D’autres, venus d’Europe centrale, seront connus sous le nom d’ITALIQUES : les Vénètes[2] dans la plaine du Pô, les Latins et leurs voisins Faliques dans le Latium, ainsi que les Sicules qui délogent les Sicanes des terres fertiles de l’est de la Sicile et donneront son nom à l’île ; à cette famille appartiennent aussi les locuteurs de parlers sabelliques (osque, ombrien), dispersés du centre de l’Italie jusqu’au sud de la botte : les Osques, les Sabins, les Samnites (dans le sud des Apennins) et leurs cousins Lucaniens et Bruttiens (en Calabre et Basilicate), les Eques, les Volsques, les Ombriens, les Picéniens… Au Nord-Est, les vallées alpines du Trentin, des Dolomites et du Frioul se peuplent vers -500 de Rhètes, un peuple de langue romane également présent dans les Grisons suisses.
[1] Les nuraghes sont des tours rondes en forme de cône tronqué.
[2] Distincts des Celtes Vénètes de la région de Vannes (Bretagne) et des Slaves Vénètes (ou Wendes) de la Vistule et des bords de la Baltique.
Le règne des Étrusques
Au Xe siècle AEC, une nouvelle culture, dite de Villanova, se développe dans l’actuelle Toscane. Elle va donner naissance à la première grande civilisation de la Méditerranée occidentale : celle des Étrusques, un peuple probablement issu du mélange d’autochtones villanoviens et d’éléments extérieurs, Tyrrhéniens de Lydie ou Pélasges de Grèce. Répartis dans une douzaine de cités-Etats (lucumonies) organisées en fédération à la fin du VIIIe, ils progressent dans la plaine du Pô où ils fondent des villes telles que Felsina (Bologne). Dotées d’une puissante flotte, les cités d’Étrurie (le pays étrusque) établissent également des liens avec les différents pays du pourtour méditerranéen, exportant le fer et le cuivre toscans contre l’importation de tissus, de céramiques, d’ivoire… En revanche, leur expansion vers le Sud de la péninsule va se heurter aux peuples Italiques qui occupent la Campanie et le Latium.
C’est dans cette dernière région que Rome aurait été fondée en -753 par Romulus[1], descendant mythique du héros troyen Énée qui, selon la légende, aurait fondé Lavinium, le « port » de Rome au XIIe. Jusqu’en -616, la cité est gouvernée par des rois Latins et Sabins, d’abord rivaux, comme en témoigne l’épisode fameux de l’enlèvement des Sabines par les Romains, à la recherche de femmes. A partir de -770, les Grecs implantent leurs premières colonies, en Italie du sud (de Naples à Tarente, fondée par Sparte) et sur la côte est de la Sicile (Syracuse fondée par Corinthe, Messine, Agrigente). C’est d’ailleurs le roi d’un de ces peuples qui aurait donné son nom à l’Italie[2] : réputé pour sa justice et sa sagesse, Italos était le chef des Œnôtres (ou Œnotriens), des Arcadiens venus du Péloponnèse. Cet ensemble de colonies, qui va recevoir le nom de « Grande Grèce », entre en concurrence avec les Sicanes, ainsi qu’avec les Étrusques et les Phéniciens, lesquels ont implanté leurs premiers comptoirs dans l’ouest de la Sicile vers -900 et se sont aussi installés en Sardaigne et en Corse. C’est au large de cette dernière, à hauteur d’Alalia (aujourd’hui Aléria) que les Phéniciens, alliés aux Étrusques, remportent une importante bataille navale, en -535, contre les Phocéens de Massalia (Marseille).
A l’époque, l’une des cités Étrusques, Tarquinia, prend le pas sur les autres et va mettre fin à la domination des souverains Sabins et Latins sur Rome : en -616, elle instaure la dynastie des rois Tarquin, qui règne jusqu’en -509, date à laquelle elle est chassée par l’aristocratie latine. Celle-ci instaure une République romaine (Res publica, littéralement « chose publique ») qui, en -493, sort victorieuse de la Ligue latine formée contre elle par les Volsques, les Sabins et les Eques, avec l’appui des Étrusques. De nature plus oligarchique que réellement démocratique, le pouvoir romain est exercé par deux consuls, voire par un dictateur durant six mois, en cas de crise.
Dans le même temps, les Grecs de Grande Grèce ont poursuivi leur colonisation, les colonies principales implantant des colonies secondaires et se livrant souvent une concurrence sévère. En -480, celles d’Agrigente et de Syracuse s’entendent néanmoins pour repousser les raids des Carthaginois (Phéniciens de Carthage), alliés aux Sicules et à d’autres Grecs. Six ans plus tard, les deux cités battent les Étrusques de Campanie, défaite qui marque le début du déclin étrusque. Celui-ci se poursuit après leur perte de Capoue (conquise par les Samnites de la chaîne des Apennins) et surtout par la défaite, en -393, de l’importante cité de Véiès, après une douzaine d’années de lutte contre les Romains : la victoire de ces derniers leur permet de doubler leur territoire.
[1] Rome est un mot d’origine étrusque (ou osque), à partir duquel aurait été forgé Romulus et non l’inverse.
[2] A l’origine, l’Italie ne désigne que le sud de la péninsule ; la dénomination ne s’appliquera à tout le pays qu’à partir du règne de l’Empereur Auguste (au Ier siècle AEC).
L’ascension de Rome face aux Grecs, Gaulois et Carthaginois
En Sicile, les Carthaginois ont profité de la révolte des Elymes contre les Grecs pour reprendre pied dans l’ouest de l’île, tandis qu’à l’est, Denys tyran de Syracuse (le chef de la cité) instaure en -405 une monarchie siculo-grecque qui, durant une trentaine d’années, va dominer la Grande Grèce jusqu’à l’Adriatique. C’est à cette époque qu’est créée la cité d’Ancône (dans l’actuelle province des Marches).
Au nord, le milieu du Ve est marqué par l’irruption de Celtes, que les Romains vont appeler Gaulois : les Insubres au nord du Pô, les Boïens dans région de Bologne et les Sénons dans la plaine adriatique, en plus des Rhètes. Ses légions ayant été écrasées, Rome est mise à sac par le chef Sénon Brennus mais le Capitole, siège du pouvoir romain, est sauvé par le cri de ses oies (-390). En revanche, tout le nord est conquis par les Celtes Bituriges et va prendre le nom de Gaule cisalpine.
Dans le reste de la péninsule, les guerres intestines sévissent durant toute la seconde moitié du IVe siècle. En -342, la Ligue Italiote (nom des Grecs réunis par Denys de Syracuse) s’allie à Sparte et au royaume d’Épire pour combattre les Étrusques et les Italiques (Lucaniens, Bruttiens et Samnites). De -343 à -290, c’est Rome qui mène trois guerres contre les Samnites, souvent alliés aux Étrusques et aux Gaulois. Malgré leur défaite aux Fourches Caudines, en Campanie, les Romains finissent par sortir victorieux de cette série de conflits. Entretemps, Rome a signé avec Carthage (en -306) un accord de partage de leurs zones d’influence : en échange de leur reconnaissance de l’influence carthaginoise sur la Sicile et les îles (seule Syracuse restant indépendante), les Romains sont libres d’exercer leur influence sur la péninsule, ce dont ils ne se privent pas. Après s’être emparés de l’Étrurie, ils battent les Sénons (-284) et conquièrent la Sabine, la région de Rimini et l’Ombrie. Deux ans plus tard, une victoire sur les Lucaniens leur offre le contrôle de la Calabre et leur ouvre la voie de Tarente, qui appelle alors à la rescousse le roi d’Épire : Pyrrhus remporte certes des victoires sur les Romains, mais elles sont meurtrières et éphémères, ce qui le conduit à regagner son pays (-275). La ville tombe trois ans plus tard aux mains de Rome qui, dans la foulée, soumet les derniers Italiques méridionaux (Bruttiens puis Picéniens et Ombriens) et les Iapyges / Messapiens. Dès lors, quasiment toute la péninsule est aux mains des Romains. La vallée du Pô gauloise est conquise un peu plus tard, entre 222 et 198 AEC, en réaction à une nouvelle incursion des Boïens et des Insubres.
La situation est plus agitée au sud où Rome, alliée à Syracuse, doit combattre Carthage et ses comptoirs. Déclenchée en -264, la première Guerre punique[1] voit la constitution de la flotte romaine. Après des défaites initiales, Rome l’emporte et s’installe en Sicile, puis en Corse et Sardaigne (-235). La deuxième guerre débute en -218. Ayant étendu ses possessions en Espagne, le chef carthaginois Hannibal franchit les Alpes avec des mercenaires Gaulois… et des éléphants. Bien qu’allié à la Macédoine, à Syracuse et aux autres cités grecques, il ne pousse pas son avantage et cède aux délices de Capoue, ville de Campanie réputée pour sa douceur de vivre. Rome en profite pour reprendre l’avantage et soumettre toute la Sicile, après la chute de Syracuse, dans laquelle meurt le savant Archimède. Les Romains commencent même à s’en prendre aux possessions espagnoles puis africaines de Carthage, où Scipion débarque, avec le soutien du prince numide Masinissa. Acculés, les Carthaginois doivent signer la paix en -201, céder leurs possessions d’Espagne à Rome et s’engager à ne plus mener de guerres.
En -202, Rome doit par ailleurs mater une révolte de la Gaule Cisalpine. Cinq ans plus tard, elle mène des campagnes contre les Ligures et commence sa conquête de la Gaule transalpine (de l’autre côté des Alpes), avant de soumettre les Boïens. Entre 149 et 146 AEC, une troisième guerre punique éclate. Elle est alimentée par le sénateur Caton l’Ancien qui, de retour d’une délégation à Carthage, s’alarme que la cité se soit autant redressée et prône sa destruction pure et simple (« delenda est Carthago »). Rome prend prétexte du réarmement carthaginois, destiné à combattre les Numides, pour déclencher les hostilités. Aidées d’Utique, voisine et rivale phénicienne de Carthage, les troupes de Scipion Émilien s’emparent de la ville et la rasent.
[1] Mot latin faisant référence aux Phéniciens.
L’expansion romaine
Au cours du siècle suivant, la situation est agitée sur la scène intérieure, où les Socii, les peuples alliés, se rebellent entre 91 et 89 AEC ; pour y mettre fin, Rome procède à l’extension de la citoyenneté romaine[1]. L’époque est aussi celle des affrontements pour le pouvoir. En -59, la République est dirigée par un triumvirat composé de Jules « César »[2], Crassus et Pompée. Le premier reste seul aux commandes après avoir franchi la rivière Rubicon[3] et provoqué la fuite du dernier, qui meurt assassiné en Égypte (-48). César connait le même sort quatre ans plus tard, ce qui favorise l’ascension de son lieutenant, Marc-Antoine, et de son fils adoptif, Octave. En -31 ce dernier défait la flotte de son rival (allié à l’impératrice égyptienne Cléopâtre VII) à la bataille d’Actium, au large de la Grèce. Quatre ans plus tard, Octave met fin à la république et se proclame empereur, sous le nom d’Auguste.
Sa mort (+14) est suivie du règne de plusieurs despotes, dont beaucoup meurent assassinés : Tibère, Caligula, Claude, Néron qui persécute les premiers chrétiens. Lorsqu’il disparait, en 68, une guerre civile éclate, les légions imposant trois empereurs différents. Le calme est rétabli par Vespasien (69-79), premier représentant de la dynastie des Flaviens. L’Empire romain atteint son apogée sous la dynastie suivante, celle des Antonins, avec Trajan, Hadrien qui réduit l’expansion en Orient et Marc-Aurèle qui repousse les incursions en Italie de Germains Quades et Marcomans du Danube. A son expansion maximale, au début du IIe siècle, l’Empire romain réunit un quart de l’humanité : il règne sur l’Espagne, l’Angleterre, la Gaule, la Germanie, toute l’Europe centrale jusqu’à la Thrace, le pourtour méditerranéen de l’Afrique du Nord jusqu’en Égypte, l’Asie Mineure, le Caucase et le Proche-Orient.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_romain#/media/Fichier:Roman_Empire_Trajan_117AD.png
A la différence de ses prédécesseurs, le dernier des Antonins, Commode, est un tyran qui meurt assassiné (192). Les décennies suivantes sont chaotiques, avec une cinquantaine d’empereurs concurrents en vingt ans, au milieu du IIIe siècle : les légions et les « Barbares » inféodés élisent leurs propres candidats, tandis que la Gaule se fragmente[4]. S’ajoutent à cette « Anarchie militaire » la persécution des chrétiens et les raids de peuples germaniques tels que les Alamans et les Francs.
[6] La nationalité romaine ne sera accordée à tout l’Empire que sous Caracalla (211-212)
[7] Caesar, surnom familial qui signifie « celui qui taille », sous-entendu avec son épée à la guerre.
[8] Marquant la frontière avec la Gaule cisalpine, ce fleuve ne devait juridiquement pas être traversé avec des hommes en armes. César le franchit pourtant avec ses légions, en prononçant le célèbre « Alea jacta est » (« les dés sont jetés »).
[9] A l’image de l’Empire des Gaules fondé par Postumus (260-274).
La disparition de l’Empire d’Occident
Pour ramener le calme, Dioclétien instaure une diarchie (285), puis une tétrarchie : l’Empire reste unique, avec Milan pour seule capitale, mais il compte deux Auguste – un en Occident et un en Orient – suppléés par deux César. Ce système prend fin en 324 avec Constantin 1er qui, ayant triomphé de ses rivaux, restaure l’unité de l’Empire et lui redonne du lustre. Son règne voit l’établissement de la liberté de culte individuel, ce qui met fin aux persécutions des chrétiens (édit de Milan en 313), la réunion du concile de Nicée pour mettre provisoirement fin aux dissensions entre doctrines chrétiennes (cf. Les Églises chrétiennes d’Orient) et la fondation d’une capitale à son nom, Constantinople (en 330).
Après sa mort, en 337, des troubles reprennent. Notamment quand Julien l’Apostat restaure le paganisme en 361, alors que le christianisme s’est fortement répandu, en particulier dans la très cosmopolite ville de Rome, quitte à assimiler quelques traditions païennes : par exemple, la date du 25 décembre pour la célébration de Noël et le choix du dimanche comme « jour du Seigneur » se réfèrent à des célébrations du dieu Sol, très vénéré au début du IVe siècle. Finalement, le christianisme officiel (version de Nicée) est érigé, en 380-381, religion officielle de tous les sujets de l’Empire, lequel est revenu au système de la diarchie (puis de la tétrarchie). Une brève réunification est opérée en 394, sous l’empereur d’Orient Théodose 1er, mais l’Empire est définitivement partagé entre ses fils dès l’année suivante. En 402, Ravenne devient la nouvelle capitale d’un Empire d’Occident qui a moins d’un siècle à vivre (tandis que l’Empire d’Orient et Constantinople dureront jusqu’en 1453).
Les coups fatals vont lui être portés par les raids de « Barbares », germaniques ou asiatiques (comme les Huns) qui franchissent une frontière (limes) du Rhin de moins en moins bien défendue. En 410, Rome est mise à sac par les Wisigoths d’Alaric, un peuple germanique venu des Balkans. Quarante-deux ans plus tard, l’Italie est la cible des Huns, qui viennent d’être battus en Gaule par le général Aetius (dont la popularité lui vaudra d’être assassiné sur ordre de l’empereur… qui connaîtra le même sort). Bien que victorieux en Italie, le chef hunnique Attila accepte de repartir vers la Pannonie (Hongrie), contre le versement d’un lourd tribut. En 455, Rome est de nouveau pillée, cette fois par la flotte des Germains Vandales, qui s’emparent ensuite de la Sardaigne et de la Sicile. Cette succession d’évènements plonge l’Empire d’Occident – réduit à l’Italie et à une partie de la Gaule – dans une nouvelle période de chaos et de proclamation d’empereurs successifs. Le dernier, Romulus Augustule, est déposé en 476 par le Germain Odoacre, roi des Hérules et des Skires[1]. C’est la fin de l’Empire Romain d’Occident qui s’accompagne, huit ans plus tard, d’un premier schisme entre le pape de Rome et le patriarche de l’Église de Constantinople, au sujet des doctrines arienne et nestorienne.
Pour asseoir son autorité, Odoacre – qui siège à Ravenne en tant que roi d’Italie – fait allégeance à l’Empire d’Orient, lequel reconnaît son pouvoir, de même que les possessions des Vandales en Sardaigne, en Sicile (et en Corse). Mais le nouveau roi se montrant trop indépendant vis-à-vis de la couronne de Constantinople, celle-ci charge un autre « Barbare » de l’en débarrasser : le chef des Ostrogoths, un peuple germain de Mésie (Bulgarie actuelle). Après avoir assassiné Odoacre, en 493, Théodoric instaure un royaume « romano-gothique » dans le nord de l’Italie et les diverses possessions qui sont les siennes (est de la Sicile, Rhétie, Norique, nord de l’Illyrie, Dalmatie, partie de la Pannonie…) : tous ces territoires sont placés sous l’autorité d’un seul roi, de confession arienne, mais régis par deux administrations différentes, soit gothique, soit romaine. Tuteur du jeune roi des Wisigoths, Théodoric le Grand gouverne même l’Espagne wisigothique et s’empare du Languedoc et de la Provence. Mais son État se désagrège à sa mort (526) et l’Empire d’Orient sort victorieux des guerres gothiques qui s’ensuivent (535-555), ce qui lui permet de reconquérir l’Italie, en plus des îles reprises aux Vandales en 533. Ravenne devient alors un exarchat, siège du représentant de l’empereur dans la péninsule. Rome en revanche est exsangue : à la fin des guerres gothiques, la ville – victime de décennies de pillages – ne compte plus que 30 000 habitants.
[11] L’empereur Julius Nepos, autoproclamé en 474, est assassiné en 480 en Dalmatie, où s’il s’était réfugié.
L’Italie lombarde et franque
A partir de 568, de nouveaux envahisseurs se présentent dans la plaine du Pô, puis en Tuscie (Toscane) : des Germains Lombards passés par les Alpes du Frioul, après avoir été chassés de Pannonie par les Avars. Quatre ans plus tard, ils forment le royaume de Lombardie, avec Pavie pour capitale. Ils fondent également des duchés distincts au centre-sud, à Spolète (Ombrie) et Bénévent (Campanie) et s’emparent de la Ligurie au milieu du VIIe. Le reste de l’Italie reste sous la dépendance de l’Empire d’Orient : Ravenne, la Romagne (« le pays des Romains ») et le duché de Rome (où est hébergé le pape) au centre-nord, l’Apulie (les Pouilles), la Calabre, Naples et la Sicile au sud. La Vénétie est séparée en deux zones d’influence : la Venise maritime – qui, en 697, remplace ses tribuns par un chef unique, le doge (« dux ») – est vassale de l’Empire d’Orient, tandis que la Vénétie intérieure (ou euganéenne) est possession du royaume lombard.
Poursuivant son expansion, le royaume de Pavie soumet les deux duchés distincts de « Lombardie mineure » et s’empare même de Ravenne en 751. Le pape décide alors de faire appel au Carolingien Pépin le Bref qui, en échange de son intervention, se voit officiellement reconnu roi des Francs. Les Lombards ayant été repoussés, leurs conquêtes les plus récentes sont regroupées et attribuées en 754 à la papauté, pour former les États de l’Église (duché de Rome qui va s’étendre progressivement vers la Romagne et les Marches, en direction de l’Adriatique). Dix-huit ans plus tard, le souverain pontife fait appel à Charlemagne pour repousser une tentative de reconquête des Lombards. L’ayant emporté, le roi des Francs ceint la couronne de fer des rois Lombards (774) et fait de la Lombardie un royaume vassal de son Empire : il comprend le duché de Toscane et les duchés margraves (frontaliers) de Frioul, de Spolète et d’Ivrée dans le Piémont (accordé à la Maison des Anscarides, venue de Bourgogne).
Le reste de la péninsule, au centre et au sud, est aux mains du pape, du Bénévent lombard (divisé au milieu du IXe en deux principautés rivales : Bénévent et Salerne) et d’un empire d’Orient dont l’influence commence à décliner. Certaines cités côtières commencent à s’émanciper de Constantinople, à l’image de Venise sur l’Adriatique, de Amalfi, Naples, Sorrente et Gaète sur la mer Tyrrhénienne. C’est aussi le cas de la Sardaigne où, pour se protéger des incursions que les Sarrasins[1] mènent sur leurs côtes, les habitants se réfugient à l’intérieur de l’île, dans laquelle le représentant de l’empereur est remplacé, au VIIIe, par quatre judicats de facto indépendants. A partir du début du IXe siècle, les autres possessions « byzantines[2] » n’échappent pas aux incursions sarrasines. Ainsi, en 827, les Aghlabides de Kairouan (Tunisie) débutent une conquête de la Sicile qui prendra plus de soixante-dix ans. En 846, ils remontent le Tibre et pillent Saint-Pierre de Rome. En réponse, Léon IV entreprend la construction de la Cité léontine au Vatican, dès l’année suivante.
[1] Sarrasins est le nom donné aux Mahométans (les termes musulman et islam n’apparaissent qu’après le Moyen âge dans les langues occidentales).
[2] Le terme Byzantin n’apparaît qu’en 1557.
L’essor des villes et des puissances maritimes
Après la mort de Charlemagne, l’Empire romain d’Occident qu’il avait restauré fait l’objet de multiples partages (cf. La formation de la France), jusqu’au traité de Prüm (en 855). Celui-ci fait de l’ancien royaume vassal de Lombardie un État à part entière, le royaume d’Italie (regnum Italicum en latin) toujours sous responsabilité carolingienne. Mais leur pouvoir est contesté par plusieurs seigneurs rivaux, à commencer par Béranger 1er, marquis de Frioul (petit-fils par sa mère de l’Empereur Louis le Pieux). Couronné à Pavie en 888, il est renversé à plusieurs reprises – par le duc Franc de Spolète, puis par Louis III, roi de Bourgogne cisjurane (Basse-Bourgogne et Provence) – alors que les Magyars mènent des raids destructeurs en Italie du Nord, entre 899 et 954. Ayant capturé son adversaire provençal et lui ayant fait crever les yeux, Béranger 1er réussit à reprendre la couronne des anciens rois lombards et même à se faire couronner Empereur des Romains en 915, distinction qu’il conserve jusqu’à son assassinat neuf ans plus tard. Entretemps, il a vu se dresser un nouvel adversaire sur sa route : le roi de Haute-Bourgogne. Monté sur le trône de Pavie, Rodolphe II le conserve à peine trois ans : dès 925, les grands féodaux nord italiens font appel à Hugues, comte d’Arles et de Vienne, qui règne alors par intérim sur la Bourgogne cisjurane. En 950, puis en 960, un petit-fils de Bérenger 1er se proclame à son tour roi d’Italie : Bérenger II, marquis d’Ivrée. Mais, à chaque fois, il est chassé du trône par Otton 1er, un Saxon régnant sur la Germanie (cf. De la Germanie à l’Allemagne). Ayant réunifié les royaumes germain et italien[1], Otton 1er est couronné Empereur des Romains par le pape, en 962, reprenant le titre resté vacant depuis la mort de Béranger 1er. Le domaine italien de l’Empire couvre le nord et le centre : la Lombardie, la Toscane, la marche de Vérone, le duché de Romagne et Spolète.
Au Sud, le processus de fragmentation des dernières possessions lombardes se poursuit. L’État qui monte en puissance au cours du Xe est la principauté de Capoue, qui s’étend aux dépens de Gaète et du duché de Naples. De son côté, l’empire d’Orient conforte, par des victoires maritimes sur les Sarrasins, le reste de ses positions méridionales : l’Apulie, la Basilicate et la Calabre, regroupées dans un catépanat d’Italie (ou de Bari). Les « Byzantins » enregistrent en revanche des revers en Sicile : après la perte de Syracuse (878), puis de Taormine (902), l’intégralité de l’île est sous le contrôle des musulmans, qui ne remettent pas pour autant en cause la culture gréco-latine et le droit byzantin et tolèrent le judaïsme et le christianisme. En 947, après la chute des Aghlabides en Afrique du Nord, l’émirat de Sicile devient un État vassal de la dynastie chiite des Fatimides qui le confient aux Kalbites, des Arabes issus du Yémen.
Dans le reste de la péninsule, le Xe siècle est marqué par la décadence de la papauté (décadence qui s’achève en 999 par l’intronisation du premier pape français, Sylvestre II) et par une expansion économique qui va faire la fortune de villes de plus en plus peuplées et de plus en plus émancipées des pouvoirs en place : elles se dotent de communes, des structures bourgeoises et aristocratiques de gouvernement. Ainsi, Florence développe une importante activité commerciale, industrielle (dans la laine) et financière. Le commerce avec la France fait la fortune de Lucques, tandis que Venise, Gênes et Pise – qui a mis fin à la puissance d’Amalfi dans les années 1130 – dominent le commerce avec Byzance et le Levant d’un côté, les Flandres de l’autre ; leur essor est d’autant plus grand que, à l’Est, les Turcs Petchenègues coupent la route reliant Constantinople à l’Europe du Nord. Venise assoit également sa prospérité et son autonomie politique en aidant militairement les « Byzantins » contre les raids des Sarrasins, des Normands et des pirates dalmates. En 1017, Pise et Gênes s’allient pour chasser les Arabes de Sardaigne. Grâce à ce succès, les Pisans assoient leur suprématie sur la mer Tyrrhénienne. Indépendante de facto, Pise voit son indépendance reconnue de jure, à la fin du XIe, par le pape, puis par l’empereur.
Au Nord, ce dernier détache le comté de Trente de la marche de Vérone, en 1027, et en fait une principauté épiscopale d’Empire, à laquelle il rattache les comtés bavarois, donc germanophones, de Bozen (Bolzano) et de Vinschgau (val Venosta)[2]. Au début du XIe siècle nait également le comté de Savoie, dont les États vont s’étendre de part et d’autre des Alpes durant deux siècles : Suse (passage vers le Mont-Cenis) et comté d’Aoste côté italien, nord du comté Viennois, pays de Gex et Chablais côté français, Nyon, Valais et pays de Vaud côté suisse. A l’extrême nord-est, la péninsule cosmopolite d’Istrie est divisée en deux (1060) : la partie sud-ouest, majoritairement italienne, est byzantine, tandis que la moitié nord-est, à majorité slovène et croate, est élevée au rang de margraviat (ou marche) autonome de l’Empire germanique.
[1] Un marquis d’Ivrée remontera sur le trône italien en 1002, puis 1014, mais sans lendemain.
[2] À partir de 1511, les principautés épiscopales de Trente et de Brixen (Bressanone) formeront une confédération perpétuelle avec le comté princier de Tyrol, sous la tutelle des Habsbourg.
L’Italie normande et l’affirmation du pouvoir papal
Au Sud, les puissances byzantine, lombarde et musulmane disparaissent, à partir du XIe siècle, sous les coups d’aventuriers et de mercenaires Normands. La plupart du temps, il s’agit de petits seigneurs désargentés du duché de Normandie qui, sans y être en quoi que ce soit poussés par leur duc, se sont engagés comme mercenaires des Lombards ou des Byzantins contre les Sarrasins. Au fil des batailles, ils ont obtenu des fiefs qui ont acquis une autonomie croissante. Le premier à se développer est le comté d’Aversa, en Campanie, qui va absorber la principauté lombarde de Capoue et prendre le contrôle du duché byzantin de Gaète. En 1042, les Normands conquièrent l’Apulie, puis menacent le Bénévent (qui sera vendu au Saint-Siège une dizaine d’années plus tard). Pour mettre un frein à cette expansion, le pape lève une armée constituée de seigneurs italiens, de troupes byzantines et d’un contingent fourni par l’empereur germanique. Mais cette coalition est défaite en 1057 près de Foggia (dans les Pouilles), de sorte que, deux ans plus tard, le souverain pontife est obligé de reconnaître le pouvoir des chefs normands : du comte d’Aversa et de Robert Guiscard de Hauteville sur l’Apulie. Dans les décennies suivantes, le second et son frère Roger mènent une série continue de conquêtes : la Calabre, Bari (capitale de l’Italie byzantine), Amalfi, Salerne… A partir de 1061, ils s’attaquent à la Sicile, où l’émirat Kalbite s’est fractionné en caïdats rivaux. C’est d’ailleurs à l’appel de l‘un d’entre eux que les Normands débarquent dans l’île sicilienne, qu’ils conquièrent totalement en 1091, tout en conservant l’administration mise en place par les Arabes.
A l’époque, la papauté a rompu avec les Byzantins : en 1054, les Églises d’Orient (« orthodoxes ») ont définitivement coupé leurs liens avec Rome, Constantinople considérant que l’Église chrétienne ne saurait avoir d’autre chef que le Christ. Une vingtaine d’années plus tard, le pape se heurte aussi à l’empereur germanique. Profitant du fait que le nouvel élu est mineur, le souverain pontife décide de s’affranchir de la tutelle qu’Otton 1er avait imposée à l’Église, notamment en attribuant à l’Empereur le pouvoir de donner leur investiture temporelle et spirituelle aux évêques. En 1075, un décret papal supprime ce droit aux laïcs et assoit le pouvoir du Saint-Père sur un clergé jusqu’alors morcelé. L’année suivante, Grégoire VII excommunie l’Empereur et délie ses sujets de leur obligation d’obéissance à son égard. Pour sortir de cette Querelle des investitures, qui génère des nominations d’anti-papes et d’anti-rois, l’empereur Henri IV n’a pas d’autre choix que de traverser les Alpes, en plein hiver, pour aller s’incliner devant le pape à Canossa, en Emilie-Romagne (1077). Il se venge huit ans plus tard en assiégeant Grégoire VII au château Saint-Ange de Rome : le pape est délivré par son ancien ennemi Robert Guiscard, soutenu par des Sarrasins, mais doit abdiquer, après que ses libérateurs ont pillé la ville.
Le milieu du XIe siècle voit également apparaître le mouvement des patarins à Milan : le bas-clergé et la population locale y contestent ouvertement l’enrichissement éhonté du haut-clergé (en particulier la simonie, c’est-à-dire la vente et de l’achat de biens spirituels ou de charges ecclésiastiques) et les pratiques nicolaïtes de certains de ses membres (en particulier une vie sexuelle dissolue, à une époque où le concubinage vient tout juste d’être interdit et où leur mariage est encore autorisé[1]). D’abord écoutés par la papauté, les patarins vont commencer à être poursuivis à la fin du siècle et se rapprocher des cathares. En 1215, c’est le mouvement Vaudois qui est déclaré hérétique : sans rapport avec le canton suisse de Vaud, il tient son nom d’un riche marchand lyonnais (Pierre Valdès ou Valdo) qui, à la fin du XIIe, prône le retour du christianisme à la pauvreté originelle de Jésus et de ses apôtres et, pire encore, revendique le sacerdoce universel, c’est-à-dire le droit de prêcher pour tous, y compris les femmes. Chassé de Lyon, Valdès et ses disciples essaiment dans le Piémont et le nord de l’Italie, le sud de la France et jusqu’en Bohême[2]. L’idéal de pauvreté vaudois inspirera d’autres mouvements italiens soit déclarés hérétiques (comme les fraticelles et les dolciniens au XIVe), soit reconnus par l’Église catholique (comme l’ordre des frères mineurs, les franciscains, fondé en 1209 par saint François d’Assise).
[1] Déconseillé, le mariage des prêtres n’est formellement interdit qu’à partir de 1059.
[2] Dans les années 1530, ce qui reste du mouvement vaudois en Italie se ralliera à la réforme protestante. L’Église évangélique vaudoise est la principale église de tradition réformée du protestantisme italien.
L’ascension de Venise et le fractionnement de la Toscane
En plus de traquer ses hérétiques, la papauté a lancé, en 1095, des croisades destinées à reconquérir Jérusalem, tombée aux mains des musulmans. Ces expéditions en Terre sainte vont faire la fortune des républiques maritimes de Venise, de Gênes et de Pise, chargées de transporter les troupes croisées jusqu’au Levant ou de guerroyer contre les Sarrasins en Méditerranée occidentale. A la faveur de ces expéditions, la « Sérénissime » – nom porté, entre autres, par la cité des Doges – bâtit un empire maritime qui comprend les côtes de la Dalmatie et d’une partie de l’Albanie, ainsi que des possessions dans de nombreuses îles grecques (Ioniennes, Crète, Chypre…). Quant aux Pisans, le butin qu’ils ramassent en luttant contre les musulmans des Baléares leur permet de lancer des travaux somptuaires, dont l’exemple le plus célèbre est le campanile penché de la cathédrale (sa construction débute en 1173).
Dans le reste de la Toscane, la mort sans héritier de la princesse Mathilde (1115) marque l’extinction de la maison lombarde des Canossa qui contrôlait alors toute la région allant du lac de Garde jusqu’au nord du Latium, avec les villes de Mantoue, Modène, Ferrare, Florence et Pérouse. Tous ces territoires se fractionnent. Certains donnent naissance à des cités-Etats dont les plus prestigieuses sont la république oligarchique de Florence, la commune libre de Mantoue et la république de Sienne, dans laquelle le pouvoir est exercé par des élus désignés par la noblesse et par le peuple. Le XIIe siècle voit aussi l’expansion de la république de Gênes qui s’empare de toute la côte ligure et dispute à Pise le contrôle des judicats de Sardaigne et des diocèses de Corse. A la fin du même siècle, le petit territoire de Saint-Marin, fondé au IVe siècle au sud de Rimini (entre Emilie-Romagne et Marches), se transforme en république. Grâce à ses alliances, notamment avec la papauté, elle parviendra à rester indépendante, ce qui en fait la plus ancienne république du monde[1].
[1] La Constitution de Saint-Marin date de 1569.
Guelfes et Gibelins
Au Sud, en 1130, les Normands réunissent toutes leurs possessions dans un royaume de Sicile (de Calabre et d’Apulie) qui met fin à l’indépendance de la république maritime d’Amalfi, soumet Naples quatre ans plus tard et évince les Aversa de Capoue. En 1139, le pape n’a pas d’autre choix que de confirmer la mainmise des Normands sur l’Italie méridionale, avec Palerme pour capitale. Une quinzaine d’années plus tard, Constantinople essaie de reprendre ses possessions italiennes, mais ses tentatives s’achèvent par une cuisante défaite à Brindisi. Le royaume de Sicile s’agrandit même en 1156, lorsque le pape reconnaît sa suzeraineté sur les Abruzzes.
A peine la querelle des investitures refermée[1], un nouveau conflit oppose le souverain pontife à l’empire germanique. Il a pris naissance en Allemagne, où deux chefs de familles illustres se sont disputé la couronne impériale en 1138 : d’une part les Hohenstaufen, ducs de Souabe et seigneurs de Wiblingen (d’où viendra le nom de « Gibelin ») ; d’autre part le duc de Saxe, neveu du duc de Bavière appartenant à la famille des Welfs (dont sera tiré le nom « Guelfes »). Le premier ayant été élu empereur, le second rallie tous ceux qui étaient opposés à ce choix. Dès lors, tout l’Empire se partage en Guelfes et en Gibelins. A partir de 1159, le conflit se poursuit en Lombardie et en Toscane, sous la forme d’une véritable guerre ouverte entre les cités gibelines, telles que Pavie, et les villes guelfes, beaucoup plus nombreuses, qui rejettent la tutelle impériale et reçoivent le soutien du pape : celui-ci est trop heureux d’affaiblir un souverain qui lui dispute la suprématie sur les chrétiens d’Occident et exerce sa tutelle, même partielle, sur une large partie de l’Italie. En 1169, Crémone, Mantoue, Bergame et Brescia forment une Ligue lombarde, que rejoignent Milan, Parme, Padoue, Vérone, Plaisance et Bologne. Sept ans plus tard, cette alliance l’emporte, à Legnano, sur les troupes de l’Empereur Frédéric Ier Barberousse. Celui-ci est contraint de signer la paix de Venise, qui reconnait l’indépendance des États pontificaux vis-à-vis du Saint-Empire (1177). Six ans plus tard, il doit accepter l’autonomie des villes italiennes, notamment celles de Toscane et de Lombardie, en échange de leur reconnaissance de la souveraineté impériale.
Mais le conflit est loin d’être terminé. Il reprend en 1194 lorsque, après la disparition du dernier roi normand de Sicile, l’empereur Henri VI ajoute le royaume sicilien à son domaine italien, en se mariant avec la princesse héritière. A sa mort, le pouvoir impérial change de mains et passe au fils du chef de la Maison des Welfs. Les relations entre l’Empire et la papauté ne s’en trouvent facilitées pour autant : le nouvel empereur, Otton IV est excommunié pour s’être emparé des territoires pontificaux de Spolète (dont il avait pourtant fait don à la papauté) et d’Ancône. Déposé de son trône en 1214, il est remplacé, l’année suivante, par Frédéric II de Hohenstaufen. Bien qu’étant le fils d’Henri VI, il est de culture sicilo-normande comme sa mère et se montre beaucoup plus attaché aux affaires italiennes qu’à celle de la Germanie, ce qui ne fait qu’accroître les inquiétudes du pape. Les hostilités entre les deux camps repartent donc de plus belle. Après avoir écrasé la Ligue lombarde, les troupes impériales sortent victorieuses de la Ligue guelfe formée par le pape avec Venise et Gênes et s’emparent d’une partie des États de l’Église (1239). Ces affrontements militaires se doublent de conflits institutionnels et religieux, l’empereur nommant des anti-papes, tandis que le souverain pontife fait élire des anti-rois. Finalement destitué en 1245, Frédéric II meurt cinq ans plus tard sur ses terres siciliennes, ce qui génère un interrègne tumultueux à la tête de l’Empire.
En Italie, la guerre entre Gibelins et Guelfes prend une nouvelle tournure : d’abord menée par de simples citoyens – comme l’écrivain florentin Dante Alighieri – elle est ensuite conduite par des armées de mercenaires, les condottieri. Il ne s’agit plus de guerres ouvertes, mais de conflits entre quelques cités ennemies (qui choisissent leur camp en fonction de celui de leurs rivales), voire entre quelques familles d’une même ville. Au début du XIIIe, Ferrare (Emilie-Romagne) passe sous la coupe de la Maison d’Este, famille guelfe originaire d’une petite commune de la région de Mantoue ; agrandie des comtés de Modène et de Reggio d’Emilie, la seigneurie deviendra duché à la fin du XVe. A Milan, dirigée par un comte-archevêque (979-1101) puis par un podestat élu, les pouvoirs archiépiscopal et seigneurial sont pris, dans la seconde moitié du XIIIe, par la famille des Visconti. Milan bascule ainsi dans le camp des partisans de l’Empereur, dont la puissance est encore importante : en témoigne la victoire que la république de Sienne et ses alliés gibelins (Pise et le nouveau roi de Sicile) remportent sur la Ligue guelfe (Florence, Bologne, Lucques…) en 1260. Mais, dans la décennie suivante, les Siennois sont battus deux fois par leur rivale florentine et se voient contraints de rejoindre le camp hostile à l’Empire. En 1284, les Gibelins perdent un autre membre majeur : après des décennies de guerres navales contre Gênes, la flotte pisane est détruite lors de la bataille de la Meloria, au large de Livourne. Pise perd tout rôle de premier plan en Méditerranée.
Cette période de troubles, à laquelle s’ajoute une terrible épidémie de peste, n’empêche pas la prospérité économique de certaines cités. En 1252, Florence crée la première monnaie en or du Moyen-Age, le florin. A Venise, le dynamisme des affaires permet la construction d’un arsenal. Cette prospérité favorisera l’extraordinaire effervescence de la Renaissance italienne, du XIVe au XVIe siècle : la péninsule se distingue par les œuvres littéraires de Pétrarque et Machiavel, les travaux scientifiques de Galilée, les œuvres artistiques de Michel-Ange et Léonard de Vinci et de grands travaux architecturaux, comme le Dôme de Florence et la basilique Saint-Pierre à Rome (construite sur les vestiges d’une église romaine). Le rayonnement de l’œuvre de Dante, à cheval sur les XIIIe et XIVe siècle, est tel que le dialecte florentin devient la base de la langue littéraire italienne.
[1] Le concordat signé à Worms, en 1122, ne laisse à l’Empereur que l’investiture temporelle des évêques d’Allemagne.
La multiplication des rivalités
Si l’emprise germanique s’est desserrée au nord de l’Italie, elle demeure en revanche forte au Sud, par le biais du royaume de Sicile dont le pape ambitionne toujours de chasser les Hohenstaufen. Il mandate à cette fin Charles d’Anjou, fils du roi de France et comte de Provence qui élimine le roi de Sicile, puis son fils, et s’empare de la totalité du royaume en 1266. Mais la gouvernance angevine, exercée depuis Naples, pose rapidement des problèmes en Sicile, notamment en ce qui concerne la fiscalité et la répression des révoltes. En 1282, la population de Palerme se soulève violemment contre les Français. Ces « vêpres siciliennes », qui embrasent toute l’île, reçoivent le soutien du roi d’Aragon – qui a épousé une princesse Hohenstaufen – et obligent Charles 1er à quitter la Sicile pour Naples. In fine, le royaume sicilien est divisé en deux parties : la partie insulaire, ou Royaume de Sicile, est attribuée à l’Aragon et la partie continentale, ou Royaume de Naples, demeure propriété de la Maison d’Anjou.
A la même période, une autre bataille fait rage entre les républiques maritimes de Venise et de Gênes, lancées dans une course effrénée pour le contrôle de la Méditerranée orientale. De 1258 à 1270, des guerres incessantes opposent leurs flottes en Crète, à Acre, en Crimée. Les Génois prennent un avantage quand les Byzantins expulsent les Vénitiens des comptoirs qu’ils détenaient dans leur Empire, mais Venise récupèrera ses privilèges commerciaux au début du XIVe. Dans la seconde moitié du même siècle, elle met fin aux ambitions méditerranéennes de Gênes, ce qui conduit cette dernière à redéployer ses moyens vers les côtes européennes de l’Atlantique. Dans les années 1320, Génois et Pisans ont par ailleurs été évincés de la Sardaigne par le royaume aragonais de Sicile[1].
Au Nord, en dehors de la Toscane et de Venise (où un conseil des dix marginalise les pouvoirs du Doge), la plupart des États sont sous la férule d’un maître gouvernant seul. C’est le cas du marquisat de Montferrat, fief impérial stratégique, situé à l’intersection du Piémont et de Gênes : en 1305, il passe à la famille Paléologue, qui règne sur l’Empire byzantin. Padoue est aux mains des Carrare (1318), la seigneurie de Mantoue à la famille gibeline des Gonzague (1328) et celle de Rimini aux Malatesta (1334). En revanche, c’est sous la forme d’une république que Lucques retrouve son indépendance, en 1372, après des décennies de dominations diverses. Elle la conservera quasiment sans discontinuer jusqu’à l’extrême fin du XVIIIe siècle[2].
[1] La ville d’Alghero, sur la côte nord-ouest, témoigne encore de cette époque, la moitié de sa population parlant le catalan.
[2] Conquise par les Français en 1799, Lucques devient duché des Bourbon-Parme en 1815, jusqu’à son rattachement au grand-duché de Toscane en 1847.
Querelles religieuses et premières unifications
Une évolution majeure est également survenue à Rome, à la suite d’un profond différend politico-financier entre le pape et le roi de France Philippe le Bel. Celui-ci a fait élire un souverain pontife qui lui est favorable, Clément V. Ne pouvant siéger dans la ville sainte, le nouveau pape s’installe en 1309 à Avignon que Jeanne 1ère, reine de Sicile et comtesse de Provence, vend un peu plus tard à la papauté. En 1377, le pape Grégoire XI retourne à Rome. Mais l’élection de son successeur étant contesté, un antipape est élu en 1378 en la personne de Clément VII qui s’installe à Avignon. Ce « grand schisme d’Occident » culminera avec l’existence de trois papes en 1409 (à Rome, à Avignon et à Naples). Finalement, un seul pape sera élu en 1417, à l’initiative de l’Empereur germanique, mais des antipapes existeront encore durant une trentaine d’années. Ceci n’a pas empêché les États pontificaux de se consolider en une demi-douzaine de provinces, dont le Patrimoine de Saint-Pierre (la zone formée, au nord de Rome, à la fin du XIIe siècle), la marche d’Ancône et le duché de Spolète, auxquels s’ajoutent Avignon et le Comtat Venaissin dans le sud de la France, ainsi que les enclaves de Bénévent et de Pontecorvo dans le royaume de Naples.
En 1372, ce dernier a mis fin à des années de confrontation avec le royaume de Sicile. Le calme ne règne pas pour autant à Naples. En 1382, le royaume passe aux mains du duc de Durazzo, que sa tante Jeanne 1ère avait essayé de déshériter, au profit d’un frère du roi de France. Si ce dernier a bien pris possession de la Provence – ce qui a entraîné la sécession du comté de Nice et son passage sous la protection des États de Savoie – le royaume napolitain est en revanche dirigé par la maison d’Anjou-Durazzo. Elle reste au pouvoir jusqu’en 1435, date à laquelle le territoire est transmis au roi René, descendant de la Maison capétienne d’Anjou-Sicile qui règne aussi sur la Provence. La situation n’est pas plus paisible dans le royaume de Sicile. Dans le dernier quart du XIVe, les Sardes du judicat d’Arborée s’emparent de la quasi-totalité de la Sardaigne et les féodaux siciliens se révoltent. La monarchie aragonaise de Sicile ne reprend le contrôle des deux îles qu’au début du XVe.
Au Nord, en 1395, l’empereur germanique a décerné à Jean Galéas Viscole titre de duc, à la tête du duché de Milan qui s’étend dans toutes les directions : vers l’est (Vérone, Vicence) comme vers l’ouest (Asti, Novare), mais aussi en Émilie jusqu’à Bologne et en Toscane avec Sienne et Pise. Certaines de ces conquêtes ne sont que temporaires. Ainsi, en 1406, Pise est conquise par Florence (laquelle achète un peu plus tard le port de Livourne à Gênes, en proie à des difficultés financières).
Le Milanais perd surtout des territoires au profit de Venise. Bien que victorieuse de la flotte ottomane en 1416 au large de Gallipoli, dans les Dardanelles, la Sérénissime est malmenée par les Ottomans qui lui prennent ses comptoirs de la mer Noire (comme ils le feront un peu plus tard avec les comptoirs génois). Elle s’efforce de compenser ces pertes par des gains dans l’Adriatique et sur la « Terre Ferme ». Au cours des luttes qui l’opposent au duché de Milan, la république maritime récupère Padoue, Vicence, Vérone (1404-1405), puis Brescia et Bergame (1428) … La Sérénissime étend également son influence dans le Frioul et la péninsule d’Istrie, après des siècles de conflit avec le patriarcat d’Aquilée, une principauté ecclésiastique dépendant de l’Empire germanique, formée par la moitié orientale de la marche de Vérone. La capitale du patriarcat, Udine, tombe en 1420 et l’ancienne marche d’Istrie se scinde en deux : le pourtour maritime est attribué à Venise et l’intérieur des terres va aux Habsbourg d’Autriche qui possèdent déjà la ville libre portuaire de Trieste (au nord de la péninsule d’Istrie) depuis 1382. Toujours au Nord, le Piémont perd son autonomie : jusqu’alors apanage d’une branche cadette de la Maison de Savoie, il passe en 1418 sous la coupe directe des États de Savoie, que l’empereur germanique vient de promouvoir au rang de duché, avec Chambéry pour capitale.
Au Sud de la péninsule, le roi d’Aragon et de Sicile reprend le royaume de Naples à la Maison d’Anjou (en 1442) et forme le royaume des Deux-Siciles, État qui inclut la Sardaigne, mais pas la Corse (que la couronne aragonaise doit céder à Gênes[1]). De nouveau divisées entre le frère et le fils d’Alphonse V, mort en 1458, les Deux-Siciles seront réunifiées en 1501 par le royaume d’Espagne, issu du mariage du roi d’Aragon avec la reine de Castille.
[1] A la fin du XIIIe, la Corse avait été intégrée dans un royaume de Sardaigne et de Corse créé par le pape, sous la dépendance très théorique du royaume d’Aragon.
Les guerres d’Italie
Au Nord, une paix a été signée, en 1454 à Lodi, entre Venise et le duché de Milan, passé au condottiere Francesco Sforza quelques années plus tôt. Une autre famille, les Médicis, monte en puissance, au sein de la république oligarchique de Florence. Enrichis dans la banque, ils ont fondé des établissements qui prêtent de l’argent au pape, aux rois de France et d’Angleterre, au duc de Bourgogne… Le premier à exercer le pouvoir, de manière indirecte, est Cosme, à partir de 1434. Proclamé « père de la patrie » à sa mort, il voit ses fils et petits-fils accéder à la tête du principat, le gouvernement effectif de la république. A la fin du XVe, le règne de Laurent le Magnifique se distingue par un soutien si marqué aux artistes de la Renaissance qu’il met à mal les affaires familiales. Cela n’empêchera pas les Médicis, au gré des alliances (avec la France, le pape, l’Empire germanique), d’exercer le pouvoir sans discontinuer jusqu’en 1737, à l’exception de la dictature théocratique du dominicain Savonarole (1494-1498) et d’une brève république (1527-1530). Devenu purement fictionnel, le système républicain florentin disparaitra avec la formation du duché, puis du grand-duché de Toscane (1569). Au sommet de leur puissance, au XVIe siècle, les Médicis fourniront un pape au Saint-Siège (Léon X) et deux épouses aux rois de France.
Tandis que Venise continue à guerroyer contre les Ottomans (qui, en 1500, sont aux portes de la cité lagunaire), une nouvelle menace se présente sur les États italiens. Elle émane du roi de France Charles VIII qui, en 1494, fait valoir ses droits sur Naples, au nom de ses liens familiaux avec la Maison d’Anjou. C’est le début des Guerres d’Italie qui, durant plus de soixante ans, vont opposer les armées françaises à des coalitions diverses, en particulier pour la possession de Naples mais aussi d’un Milanais, dont le territoire alpin s’amenuise : dans les treize premières années du XVIe, la confédération des cantons suisses lui prend le Tessin (la région italophone de Lugano et Locarno)[1] et les Ligues grisonnes, ses alliées, s’emparent de la Valteline, voie de passage privilégiée entre l’Italie du nord et l’Autriche[2]. Poursuivant la politique de son prédécesseur, le roi de France Louis XII conquiert le duché de Milan et devient maître d’une grande partie de la péninsule, avant d’en être chassé, en 1512, par la Sainte-Ligue réunissant le pape, Venise, la Suisse, l’Espagne et l’Angleterre. Trois ans plus tard, après sa victoire à Marignan, le roi François 1er reprend la Lombardie et Parme, avant d’être battu et fait prisonnier dix ans plus tard à Pavie. Le souverain français doit signer une paix perpétuelle avec les cantons suisses et la paix des Dames avec son principal ennemi, l’empereur germanique Charles Quint. En vertu de cet accord, la France renonce à l’Italie et le Saint-Empire à la Bourgogne. Mais les hostilités reprennent en 1536, quand la France s’empare de la Savoie et de ses dépendances, le Piémont et le comté d’Asti (cédé sept ans plus tôt par Charles Quint aux Savoyards[3]). Les combats qui suivent sont particulièrement âpres à Sienne : alliée des Français lors des premières guerres, la ville leur a demandé d’intervenir pour échapper à la coupe des Espagnols, apparentés aux Habsbourg depuis que le futur empereur germanique a épousé l’héritière du trône d’Aragon-Castille. Les forces impériales ayant fini par l’emporter, en 1555, la République de Sienne est définitivement annexée par la Toscane, à l’exception des îles et des côtes qui forment l’État des Présides, sous souveraineté espagnole.
L’année suivante, Charles Quint abdique et partage son Empire en deux : ses possessions italiennes (dont le duché de Milan, repris en 1535 après la mort du dernier Sforza) sont attribuées à son fils Philippe II, au même titre que l’Espagne. Une onzième guerre d’Italie démarre, la France étant alliée à la papauté pour contrôler Naples. C’est un nouvel échec pour le royaume français. Aux traités de Cateau-Cambresis (1559), Paris doit renoncer à ses prétentions sur les Deux-Siciles et le Milanais, mais aussi rendre la Savoie et le Piémont au duché de Savoie qui transfère sa capitale de Chambéry à Turin (1563). La France doit également rendre à Gênes la Corse, qu’elle avait occupée au milieu du XVIe.
[1] La commune de Campione d’Italia, sur la rive orientale du lac de Lugano, est demeurée sous souveraineté italienne et constitue toujours aujourd’hui une enclave de l’Italie en territoire suisse.
[2] In fine, la Valteline sera rattachée à la Lombardie-Vénétie autrichienne en 1815 et rejoindra les royaumes de Sardaigne, puis d’Italie.
[3] Asti, une des premières communes libres d’Italie, était devenue la ville la plus prospère du Piémont à la fin du XIIIe, avant d’être transformée en comté au début du siècle suivant.
La montée en puissance de la Savoie et des États pontificaux
La fin des guerres d’Italie entraîne un remaniement des États de la péninsule, le plus souvent au bénéfice de l’Espagne, qui a hérité du Milanais (en plus des Deux-Siciles), mais aussi de la papauté qui a consolidé ses États : dans la première moitié du XVIe, elle a soumis Bologne et Pérouse, récupéré la Romagne (qui avait été prise par les Vénitiens), repris le contrôle des Marches et soumis Pérouse (en Ombrie) ainsi que Plaisance et Parme (en Émilie). Seuls restent autonomes le duché d’Urbino (à la famille Della Rovere jusqu’en 1631) et celui de Ferrare, qui passera sous le contrôle direct du Saint-Siège en 1598. Chassée de ce qui était son domaine principal, la famille d’Este se replie dans ses duchés de Modène et de Reggio d’Émilie. Au Nord, le duché de Parme a été détaché du Milanais par le pape Paul III ; membre de la famille Farnèse, il l’attribue à son fils illégitime en 1545 et y adjoint Plaisance. Au nord-ouest, le marquisat de Montferrat a changé de titulaire, lorsque la famille Paléologue s’est éteinte sans héritier mâle : en 1536, il est passé aux mains des Gonzague, ducs de Mantoue, qui font aussi de Montferrat un duché.
Les papes (qui adoptent le calendrier grégorien en 1582) jouent un rôle politique encore accru par rapport à la période précédente : ils organisent notamment une nouvelle Sainte-Ligue, avec Venise, l’Espagne, Gênes et la Savoie pour contrer les attaques ottomanes. Leur flotte ayant été défaite en 1573 à Lépante (côte occidentale de la Grèce), les Turcs doivent signer un traité de paix. Mais, dès l’année suivante, leurs bateaux ravagent à nouveau les côtes de la Sicile et de l’Italie du sud[1], tandis que la puissance de Venise commence à décroître, du fait de la concurrence commerciale que lui livrent les Provinces-Unies et l’Angleterre.
En 1601, le duc de Savoie règle ses différends territoriaux avec la France. Les États savoyards perdent plusieurs territoires qui demeureront français (Bresse, Bugey, Gex etc.), mais gagnent en échange le contrôle définitif de Saluces, un petit marquisat plus ou moins vassal, fondé au XIIe siècle.
En 1627, un nouveau conflit éclate entre les Habsbourg et la Savoie d’un côté, Venise et la France de l’autre. Il porte sur la succession du duché de Mantoue, dont le dernier titulaire est mort sans héritier. L’Empire germanique et la France soutiennent alors deux branches cadettes différentes. Bien que la ville ait été prise et saccagée par les Espagnols, c’est pourtant la branche de Gonzague-Nevers, soutenue par les Français, qui accède au pouvoir : préoccupé par la guerre de Trente-Ans, qui ravage une grande partie de l’Europe, l’Empereur choisit d’accepter la médiation papale conduite par un gentilhomme des Abruzzes, Jules Mazarin, qui deviendra conseiller du roi de France. En vertu de la paix signée en 1630, l’Empereur reconnaît le pouvoir des ducs de Nevers sur Mantoue et sur le sud du Montferrat, le nord étant attribué à la Savoie.
Le duché savoyard en récupère la totalité en 1706, à l’occasion de la guerre de Succession d’Espagne, conflit européen déclenché par la perspective qu’un membre de la famille française des Bourbon monte sur le trône espagnol, à la place d’un Habsbourg. Le duché de Mantoue ayant pris parti pour la France, l’Empereur germanique le confisque et l’attribue à l’Autriche, membre influent de l’Empire dirigé par les Habsbourg. La guerre prend fin en 1713-1714, par la signature des traités d’Utrecht et de Rastatt. La Savoie se voit attribuer la Sicile et quelques territoires du Milanais (comme la commune d’Alexandrie[2]), tandis que l’Espagne – désormais dirigée par un Bourbon et non plus par un Habsbourg – est évincée d’Italie : elle doit céder aux Autrichiens la Sardaigne, le royaume de Naples, les Présides et le Milanais, lequel forme la Lombardie autrichienne avec Mantoue.
Mais ni l’Espagne, ni l’Empire (qui voudrait la Sicile) ne se satisfont de ces arrangements. Les Espagnols attaquent les premiers, en s’emparant de la Sardaigne et en menaçant la Sicile. L’intervention de la France et de l’Angleterre met fin aux hostilités. Le traité de Londres, signé en 1718, accorde la grande île du Sud à l’Empire germanique – qui reforme le royaume des Deux-Siciles – en échange de la Sardaigne qui est attribuée aux États de Savoie. La Maison savoyarde accède au statut royal, à la tête d’un royaume de Sardaigne qui comprend l’île ainsi que la Savoie et le Piémont, avec Turin comme capitale, Cagliari comme siège d’une vice-royauté[3] et l’italien comme seule langue officielle à partir de 1760, les dialectes sardes passant au deuxième plan[4].
[1] Une nouvelle Sainte Ligue contre les Ottomans sera constituée en 1683.
[2] Ville construite au XIIe, contre Frédéric Barberousse, en l’honneur du pape Alexandre III, qui régnait alors.
[3] La Sardaigne conservera une certaine autonomie, jusqu’à sa fusion complète dans le royaume en 1847.
[4] Il n’existe pas de langue sarde unique, commune à toute l’île.
Le retour de l’Espagne, l’occupation française et le redécoupage de 1815
En 1731, le duché de Parme et Plaisance passe aux mains de l’Infant d’Espagne dont la mère, héritière des Farnèse, a épousé le roi espagnol. Sept ans plus tard, la guerre de Succession de Pologne aboutit à une nouvelle redistribution des cartes. Alliée à la France, l’Espagne reprend pied dans le sud de l’Italie, en récupérant Naples et la Sicile, mais doit céder aux Autrichiens les duchés de Parme-Plaisance et de Guastalla (qu’elle récupèrera en 1748, pour les attribuer à la branche cadette des Bourbon-Parme). Au centre, le duc de Lorraine et de Bar hérite du grand-duché de Toscane, vacant depuis la disparition du dernier Médicis[1]. Enfin, le royaume de Sardaigne reçoit quelques terres du Milanais, dont le sépare la rivière Tessin, affluent de la rive gauche du Pô. Outre la Toscane et le royaume de « Piémont-Sardaigne » (incluant le comté de Nice), les autres pays encore indépendants dans la péninsule sont le duché de Modène et Reggio, le petit duché de Massa et Carrare (fondé en 1473 par la famille Malaspina, entre Gênes et Lucques), les États de l’Église, la principauté de Monaco (aux mains de la famille Grimaldi depuis 1297) et enfin les républiques de Venise, de Saint-Marin, de Lucques et de Gênes (laquelle perd la Corse au profit de la France, dans les années 1730, cf. La formation de la France).
Entre 1796 et 1814, la péninsule est largement occupée par la France révolutionnaire, puis transformée en États satellites[2] sous Napoléon 1er, à l’exception de la Sicile espagnole et de la Sardaigne (où s’est réfugiée la Maison de Savoie). Après la chute de l’empereur français (brièvement exilé dans un royaume constitué à sa seule intention dans l’île d’Elbe), le Congrès de Vienne redessine la carte italienne, en supprimant toutes les républiques (sauf Saint-Marin, dont l’ancienneté lui confère un caractère symbolique). Venise est intégrée, avec Milan, Mantoue et la Valteline, au Royaume lombard-vénitien sous administration des Habsbourg d’Autriche[3] (lesquels récupèrent aussi l’Istrie et la Dalmatie vénitiennes). Gênes est attribuée au royaume de Sardaigne et Lucques devient un duché aux mains des Bourbon-Parme, leur propre duché étant attribué à l’épouse autrichienne de Napoléon 1er ; après la mort de cette dernière, en 1847, Parme retourne aux Bourbon et Lucques passe au grand-duché de Toscane : celui-ci reste la possession de la branche lorraine des Habsbourg (jusqu’en 1859), leur branche d’Este continuant à diriger Modène et Reggio, ainsi que Massa et Carrare (annexé formellement en 1829). Au Sud, le fils du roi d’Espagne fusionne les deux entités de Naples et de Sicile (qu’il détenait en union personnelle) et reforme le royaume des Deux-Siciles en 1816.
[1] En échange, les duchés lorrains – jusque-là sous tutelle de l’Empire germanique – sont attribués au roi évincé de Pologne, beau-père du souverain français.
[2] Au royaume d’Italie (au nord) s’ajoutent les royaumes d’Etrurie (ex-Toscane) et de Naples, et les principautés de Pontecorvo et de Bénévent, confiés à des membres de la famille ou à des proches (Talleyrand à Bénévent).
[3] L’Empire germanique a disparu en 1806.
L’unification italienne
Partout, les pouvoirs en place commencent à être contestés par des libéraux qui réclament des constitutions et, parfois, l’unification de l’Italie. Elles s’organisent notamment en sociétés secrètes telles que le carbonarisme. En 1820, une insurrection allant dans ce sens éclate dans la partie napolitaine des Deux-Siciles, dont le souverain se voit contraint d’accorder une Constitution. Les Siciliens sont en revanche divisés, ceux de l’ouest prônant une solution plus radicale : la séparation totale vis-à-vis de la Sicile « continentale ». Il existe à l’époque une importante différence économique entre les grandes villes comme Naples et Palerme, qui font partie des capitales les plus avancées d’Europe, et les milieux ruraux sous-développés du reste du pays où apparaissent des trafics de contrebande, de corruptions, d’enlèvements et de nombreux autres crimes ; ils sont perpétrés par des gardes armés privés qui travaillent pour le compte de feudataires (nobles ou grands propriétaires terriens) et qui seront par la suite qualifiés de mafia (terme d’origine palermitaine renvoyant aux notions d’audace et d’honneur). Finalement, les révoltes sont matées en 1821 par le contingent autrichien envoyé par l’archiduc Habsbourg, avec lequel les Bourbons d’Espagne se sont réconciliés. Après la révolution parisienne de 1830, les troupes autrichiennes rétablissent également l’ordre dans toutes les régions touchées par des révoltes.
De nouveaux troubles secouent le pays dans les années 1847-1849, avec l’éviction des Bourbons de Sicile, la restauration de la république à Venise et la proclamation d’une république romaine. Les insurgés se réclament, notamment, des idées unitaires du Génois Mazzini. Les rois de Sardaigne essaient d’en profiter en investissant la Lombardie, mais leurs troupes sont défaites à deux reprises par les forces autrichiennes. Toutes les insurrections font finalement long feu, comme les précédentes, et l’ordre est rétabli par les Autrichiens à Milan, Florence et Venise, par les Espagnols en Sicile et par les Français à Rome.
En pleine libéralisation économique et politique, le royaume de Sardaigne reprend l’initiative, quand le Piémontais Camillo Benso de Cavour arrive à la tête de son gouvernement, en 1852. Pour essayer d’expulser les Autrichiens du nord de l’Italie, le régime de Turin s’allie avec la France, revenue à un régime impérial avec un neveu de Napoléon 1er. En 1858, les deux partenaires s’accordent sur l’établissement d’une confédération, placée sous l’autorité du pape, qui associerait la Maison de Savoie au Nord, les Deux-Siciles au Sud (sous la direction d’une nouvelle dynastie) et un nouveau royaume d’Italie centrale. Pour faire avancer sa cause, Cavour recrute dans toute l’Italie des volontaires dirigés par le Niçois Giuseppe Garibaldi, un ancien marin qui a notamment participé à l’aventure de la république romaine. L’activisme des patriotes italiens dans le Nord incite l’Autriche à lancer un ultimatum à la Sardaigne, ce qui provoque l’entrée en guerre de la France aux côtés de son allié.
Battus en 1859 à Magenta, près de Milan, et à Solférino, près de Mantoue[1] , les Autrichiens doivent abandonner la Lombardie (mais pas la Vénétie) au « Piémont-Sardaigne » qui, en sens inverse, doit céder la Savoie et le comté de Nice à la France, pour prix de son soutien. L’Autriche sort d’autant plus affaiblie du conflit que certains petits États en ont profité pour s’émanciper de sa tutelle et pour se doter de gouvernements libéraux, qui réclament un rattachement au royaume de Sardaigne. C’est le cas de la Toscane, où les Habsbourg-Lorraine sont définitivement renversés par l’assemblée locale. Devenu indépendant, le grand-duché s’associe à la Romagne (nord des États pontificaux), ainsi qu’aux duchés de Parme et Plaisance (qui avait retrouvé sa souveraineté en 1814) et de Modène et Reggio pour former les Provinces-Unies d’Italie centrale. En 1860, cette Fédération adhère, comme le duché de Ferrare, au royaume de Sardaigne qui devient le royaume de Haute-Italie. Agrandi sur le sol transalpin, ce dernier
Restent le Sud et le Centre qu’il paraît difficile de reprendre par les armes. C’est pourtant ce que tente Garibaldi, en s’inspirant des thèses de Mazzini, selon lequel l’unité italienne résultera de soulèvements populaires locaux. Malgré les réticences de Cavour et du roi Victor-Emmanuel II, le Niçois prend la tête de l’expédition des Mille et débarque en Sicile. S’étant rendu maître de Palerme sans opposition majeure, il s’empare de Naples et, fortement anticlérical, entreprend de soumettre Rome. Sentant que le mouvement lui échappe, Cavour envoie des troupes dans les régions centrales, ce qui pousse Garibaldi à s’incliner. Des plébiscites sont organisés, en octobre 1860, pour acter le rattachement des Deux-Siciles à la Haute Italie, à laquelle l’Ombrie, les Marches et la quasi-totalité des États pontificaux sont annexées le mois suivant. En février 1861, des parlementaires de toutes les régions rattachées proclament Victor-Emmanuel comme souverain du royaume d’Italie. La capitale est établie à Turin, dans la mesure où Rome est restée indépendante, au même titre que Venise et toute sa région.
La Vénétie et le Frioul, qui étaient aux mains des Autrichiens, sont annexés en octobre 1866, après la défaite de l’Autriche face aux Prussiens, alliés des Italiens ; l’Empire austro-hongrois conserve en revanche les Vénétie tridentine (régions de Trente et du Haut-Adige) et « julienne » (avec Trieste et la péninsule d’Istrie). Reste le cas de la cité papale, dans laquelle des troupes françaises sont positionnées depuis 1849. Garibaldi essaie bien de s’en emparer à deux reprises, mais Paris parvient à chaque fois à l’en empêcher : en 1866, la France obtient de l’Italie qu’elle établisse sa capitale à Florence et qu’elle respecte l’indépendance du territoire pontifical. Mais la défaite des Français face aux Prussiens, en 1870, les contraint à retirer leurs troupes, ce dont profitent aussitôt les Italiens pour entrer dans « la ville éternelle ». Rome et le Patrimoine de Saint-Pierre sont annexés, au grand dam du pape qui refuse tout compromis et se considère comme prisonnier.
En 1871, Rome devient la capitale officielle d’une Italie unifiée, dans laquelle l’apprentissage de l’italien (basé fortement sur le toscan florentin) devient obligatoire, ce qui n’empêche pas les dialectes de continuer à prospérer, aujourd’hui encore, dans toute la péninsule. Le seul État qui ne fasse pas partie de l’Italie est la république de saint-Marin, avec laquelle un traité d’amitié et de coopération (plusieurs fois renouvelé) a été signé en 1862. Le cas de la papauté ne sera résolu qu’en 1929, par les accords de Latran qui instaurent « l’État de la cité du Vatican », enclave sous souveraineté pontificale au cœur de Rome.
[1] Les dégâts de la bataille de Solférino déclenchent l’idée de créer la Croix-Rouge chez l’homme d’affaires suisse Henry Dunant.
L’expansion et le repli
A peine unifiée, l’Italie entreprend de prendre sa part du « gâteau africain », sans entrer en concurrence avec les puissances coloniales déjà bien établies. Elle porte ses efforts sur l’actuelle Érythrée, où elle s’implante progressivement entre 1869 et 1885. Sa tentative de conquête de l’Éthiopie voisine est en revanche un échec, matérialisé par la cuisante défaite d’Adoua en 1896. Entretemps, les Italiens ont imposé leur protectorat à différents sultanats somalis qu’ils réunissent, en 1905, dans la colonie de Somalia. Frustrée d’avoir vu les Français la devancer en Tunisie (très proche de l’île de Lampedusa, que des colons Siciliens ont commencé à développer en 1843), l’Italie jette son dévolu sur la régence de Tripoli, province de l’Empire ottoman dont les Italiens constituent la première communauté étrangère. La Tripolitaine et la Cyrénaïque sont formellement annexées en 1912.
Lors de la première Guerre mondiale, l’Italie – d’abord alliée de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne – se range finalement du côté de la France et de la Grande-Bretagne, ce qui lui vaut de récupérer deux régions du comté autrichien du Tyrol : le Trentin (autour de Trente) qui est italophone et la partie méridionale du Tyrol qui est germanophone. En 1920, un traité avec le jeune royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes octroie l’Istrie, la région de Trieste, Zara (Zadar) et quelques îles à l’Italie, le reste de l’ancienne Dalmatie vénitienne devenant « yougoslave ». Depuis cette époque, chacun des pays inclut des minorités du pays voisins : Slovènes et Croates en Istrie italienne et italophones en Slovénie.
Le cas du port croate de Rijeka est traité à part. La Société des nations (SDN) en fait un pays « tampon » de 28 km², entre l’Italie et la « Yougoslavie » : l’État libre de Fiume. Pour éviter les tensions entre les communautés locales, des troupes occidentales y sont déployées, avant d’en être chassées en septembre 1919 par les volontaires « patriotes » du poète Gabriele d’Annunzio. Refusant que le territoire puisse un jour passer aux « Slaves du sud », ils rebaptisent la ville et son arrière-pays Régence italienne du Carnaro, en référence au golfe baignant la région. Mais les irrédentistes ne reçoivent pas le soutien de Rome, bien au contraire : les troupes italiennes les chassent à Noël 1920 et rétablissent l’État libre de Fiume, que le régime fasciste de Benito Mussolini finit par annexer à l’Italie en 1924.
Le nouveau pouvoir italien s’engage par ailleurs dans une stratégie d’expansion qui lui fait conquérir l’Éthiopie en 1935, vengeant ainsi la défaite d’Adoua, puis mettre sous tutelle l’Albanie en 1939, après que son allié allemand a commencé sa conquête de l’Europe. En juin 1940, l’Italie s’engage formellement dans la seconde Guerre mondiale aux côtés des nazis, ce qui lui permet de reprendre la Dalmatie, de recevoir une partie de la Slovénie, de conquérir les bouches de Kotor et d’administrer l’État satellite du Monténégro. Mais, en juillet 1943, les Anglo-Américains débarquent en Sicile et Mussolini est destitué. Libéré par les Allemands, il forme dans le Nord un État fantoche, la République sociale italienne (ou république de Salo, nom de la ville proche du lac de Garde où siège son gouvernement) qui disparaitra en avril 1945. L’Italie ayant capitulé, elle perd la quasi-totalité de ses conquêtes européennes (celles d’Afrique ayant été perdues à partir de l’été 1941) : la majeure partie de l’Istrie, la Dalmatie, Zara, Kotor et le Monténégro sont récupérés par la Yougoslavie, de même que Fiume (rebaptisée Rijeka), tandis que l’Albanie retrouve sa pleine indépendance.
Seule la région de Trieste, au nord de l’Istrie, fait l’objet d’un traitement particulier : en partie peuplée de Slovènes, elle forme le « territoire libre » de Trieste, placé sous administration anglo-américaine au nord et yougoslave au sud. En 1954, la partie méridionale passe officiellement sous la souveraineté de Belgrade, tandis que la petite moitié septentrionale devient italienne. A l’inverse, en 1947, l’Italie a dû céder quelque 700 km² de territoires à la France dans l’arrière-pays niçois, les Hautes-Alpes et la Savoie.
Le débarquement des Alliés en Sicile ayant fait renaître des aspirations séparatistes dans l’île, la république italienne – qui a succédé à la monarchie en 1946 – dote la Sicile et la Sardaigne d’une large autonomie (administrative, législative et financière). Ce statut s’applique aussi à trois régions septentrionales abritant des populations parlant d’autres langues que l’italien : le Frioul-Vénétie Julienne, le Trentin-Haut-Adige et la Vallée d’Aoste. Dans le Frioul-Vénétie Julienne – composé à 90 % du Frioul (Udine) et à 10 % de la région de Trieste – le frioulan (dialecte ladin oriental du groupe rhéto-roman), le slovène et l’allemand sont reconnus comme langues minoritaires, ce qui n’est pas le cas des dialectes vénètes encore parlés ici ou là. Dans la vallée d’Aoste, dont le rattachement à la France fut rejeté en 1944-1945, subsistent des locuteurs de parlers franco-provençaux (de même que dans quelques vallées du Piémont). Dans le Trentin-Haut-Adige, un nouveau dispositif a été adopté en 1972, à la suite d’une vague terroriste provoquée, au début des années 1960, par le ressentiment des populations germanophones du sud-Tyrol (que les Italiens appellent Haut-Adige) contre la domination des Italiens de Trente. Le nouvel édifice institutionnel confie l’essentiel des pouvoirs de la région, qui ne disparait pas pour autant, à deux provinces autonomes, du Trentin et de Bolzano (en allemand Bozen). Toutes deux comptent des locuteurs de dialectes allemands, ainsi que du ladin.
La longue histoire et la lente unification de l’Italie font qu’elle abrite aussi des personnes parlant le croate (dans le Molise), ainsi qu’un dialecte grec (le griko, dans le Salento, le « talon » de la botte) et un dialecte albanais issu du tosque ; ses locuteurs, les Arbëresh, ont émigré dans plusieurs zones du sud italien à partir du XVe siècle, pour fuir l’occupation de l’Albanie par les Ottomans.
La cité du Vatican a sa propre particularité. Elle héberge le siège de l’ordre souverain militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte, héritier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem fondé au moment des croisades. Ordre religieux catholique et organisation internationale caritative, il bénéficie d’un statut d’observateur permanent à l’ONU et au sein de diverses organisations internationales telles que l’Union européenne.