EUROPE, Europe occidentale

L’histoire des îles Britanniques

Des premiers habitants jusqu’à la naissance du Royaume-Uni et de la République d’Irlande.

SOMMAIRE

Les îles Britanniques sont composées de deux États modernes : l’Eire (ci-dessous, 70 273 km², 5,3 millions d’habitants)

et le Royaume-Uni (ci-dessus, 243 610 km², 68 millions d’habitants).


Les premiers peuplements

Arrivés il y a environ 35 000 ans dans les îles Britanniques, les Homo sapiens en repartent à cause des conditions difficiles de la dernière période glaciaire. A l’époque, l’Angleterre est encore reliée par la terre à l’Irlande et à l’Europe. Le retour d’un peuplement humain s’effectue il y a environ 11 000 ans, quand les couches de glace commencent à reculer et permettent l’implantation d’hommes venus probablement du Nord de la péninsule Ibérique. L’élévation des eaux vers -6 000 sépare la Grande-Bretagne de l’Irlande, puis du continent. Entre -2 900 et -2 100, de nouvelles populations indo-européennes arrivent d’Europe centrale et introduisent dans l’île la culture dite campaniforme. C’est pendant cette période que sont construits les monuments mégalithiques tels que Stonehenge (entre -3 000 et -1 100) dans le centre-sud de l’Angleterre.

Entre -1300 et -800, un nouveau peuple venu du continent européen débarque dans le sud-est de l’Angleterre, puis en Irlande : ces Goïdels, qui constituent le rameau le plus septentrional de la famille celtique, introduisent le bronze dans les îles Britanniques. Leur parler donnera naissance aux langues gaéliques telles que l’irlandais, l’écossais et le mannois (de l’île de Man). A partir de -650, ils sont suivis d’une autre vague de Celtes qui se répandent jusqu’en Cornouailles et au Pays de Galles, repoussant ceux qui s’y étaient déjà installés. S’exprimant dans des dialectes « britonniques » – différents des parlers gaéliques – qui donneront naissance au breton, au gallois et au cornique[1], ils appartiennent à une vingtaine de peuplades telles que les Caledones (Calédoniens) dans l’Écosse actuelle, les Damnonii en Cornouailles, les Silures dans le sud du Pays de Galles, la fédération des Brigantes au nord de l’Angleterre, les Atrebates, les Catuvellauni, les Parisi (dans le comté d’York, sur la côte centre-ouest) ou encore les Belges qui s’implantent vers -75 dans le Hampshire, au sud, après avoir été repoussés du continent par les Germains.

Vers 450 AEC, ces tribus entrent en contact avec les Phéniciens de Carthage, venus jusqu’en Angleterre pour acheter l’étain nécessaire à la fabrication du bronze. Les Carthaginois sont suivis des Grecs : explorant le littoral anglais en -325, Pythéas est le premier à nommer ses habitants ‘Pritani’, ce qui signifie « les hommes peints » et fait référence à leur coutume de se peindre ou de se tatouer le corps. De là viendront les noms de Bretagne et de Bretons utilisés pour désigner la grande île et ceux qui y demeurent.

[1] Comme le mannois, le cornique n’est plus parlé que par quelques centaines de personnes.


La domination romaine

En -55, les Romains entreprennent de conquérir l’île, sous la conduite du consul Jules César. A défaut de succès, le chef romain établit des relations diplomatiques avec certaines tribus, notamment les Atrebates et les Catuvellauni, et impose un tribut aux Trinovantes, le peuple qui contrôle le nord de l’estuaire de la Tamise. La colonisation proprement dite ne commence qu’au siècle suivant, en 43 EC. Elle se matérialise par la création de villes telles que Camulodunum (Colchester), Eboracum (York) et Londinium (Londres). Mais elle s’accompagne aussi de révoltes, dont la plus célèbre est celle de Boadicée, en 60-61 : la reine des Iceni se rebelle, après que les Romains ont annexé le royaume de son défunt mari, dans la région du Norfolk (Sud-Est), alors qu’il avait fait allégeance à Rome pour conserver son indépendance. Entre 71 et 77, les légions romaines occupent le royaume des Brigantes, au nord de l’Angleterre, ainsi que le sud de l’Écosse et le Pays de Galles. L’ensemble forme la province de Brittania. Les autres zones des îles Britanniques demeurent en dehors de la sphère romaine, qu’il s’agisse de l’Irlande (Hibernia ou Scotia, divisée en sept royaumes) et de l’Écosse (Calédonie) où vivent les Calédoniens et les Pictes : l’origine de ce peuple (dont le nom provient d’un mot latin évoquant la peinture bleue dont ils s’enduisaient le corps) est inconnue, les différentes hypothèses en faisant des pré-Celtes[1] ou bien des tribus venues d’Ibérie, voire de Scythie.

Entre 119 et 122, des Brigantes se soulèvent sur la frontière nord de la Bretagne, avec le soutien des tribus Calédoniennes insoumises. Pour les contenir, l’empereur Hadrien fait ériger un mur de plus de 115 km entre la mer d’Irlande et l’embouchure du fleuve Tyne, sur la mer du Nord. Une nouvelle révolte étant survenue quatorze ans plus tard, son fils Antonin fait construire un mur d’une soixantaine de kilomètres, un peu plus au nord, en territoire écossais. Mais, n’ayant pas résisté à la pression des Pictes, il est abandonné vers 160. Le mur d’Hadrien, qui correspond toujours à la démarcation entre l’Angleterre et l’Écosse, redevient la frontière nord de l’Empire romain. Les troubles qui affectent ce dernier, à partir du IIIe siècle, n’épargnent pas la Bretagne : plusieurs de ses chefs romains profitent du chaos pour se rebeller contre l’empereur, à l’image du commandant de la flotte romaine de la Manche qui proclame l’indépendance de la province en 286. Elle ne revient dans le giron romain que dix ans plus tard. Au IVe siècle, la colonisation s’accompagne d’un début de christianisation des populations, doublée d’une chasse active aux pratiques druidiques des Celtes.

Au Nord, les Celtes et les Pictes continuent de harceler Brittania, tandis que des bateaux de Saxons et de Francs pillent ses côtes orientales. Pour contrecarrer ces incursions, les autorités de la province favorisent l’implantation de Frisons (des Germains) dans le nord-est de l’Angleterre. Au sud-ouest du Pays de Galles, des Celtes d’Irlande, les Scots[2], fondent en 368-369 un royaume qui durera jusqu’au Xe siècle. Lorsque, en 381, le chef des armées de Brittania remporte enfin une victoire sur les Scots et les Pictes, il se prend à rêver d’un destin impérial : Maxime emmène alors l’essentiel de son armée conquérir l’Empire, dégarnissant du même coup la province britannique. Le retrait complet des Romains se produit une trentaine d’années plus tard. Après le sac de Rome par les Wisigoths, en 410, l’empereur rapatrie toutes ses troupes de l’île, laissant aux autorités romano-bretonnes le soin de se défendre par elles-mêmes, en particulier contre les incursions pictes. Incapables de le faire seuls, les Bretons font appel à des mercenaires de différents peuples germaniques issus des régions comprises entre le Danemark et l’embouchure du Rhin : les Saxons, les Angles et les Jutes.

[1] La langue des Pictes serait proche des parlers britonniques.

[2] L’origine du nom Scot est incertaine.

Vestiges du mur d’Hadrien

Royaumes anglo-saxons et celtiques

S’étant défaits des Pictes, ces guerriers Anglo-Saxons se retournent ensuite contre leurs hôtes. Repoussés vers l’ouest, les Celtes y forment de petits royaumes : dans le Strathclyde (au sud-ouest de l’Écosse), au Pays de Galles, en Cornouailles (royaume de Dumnonée) … Certains Brittons rejoignent l’Irlande, dont le Nord-Est est alors dominé par les royaumes celtiques rivaux de Ulaid (dont vient le nom d’Ulster) et de Dál Riata : formé au Ve, ce dernier s’est ensuite étendu sur les rives occidentales de l’Écosse voisine, y compris les Hébrides intérieures (les îles les plus proches de la côte). Enfin, d’autres Brittons choisissent de traverser la Manche pour gagner l’Armorique. En raison de cet afflux de population, qui se poursuivra jusqu’au début du VIIe siècle, cette région de l’ouest de la France va prendre le nom de Petite ou basse Bretagne, puis de Bretagne tout court, tandis que l’ancienne Britannia deviendra l’Angleterre, en référence aux Angles, bien que la majorité des envahisseurs soient Saxons. Ici et là, la résistance celtique s’organise, en particulier au Pays de Galles. Les Celtes obtiennent même quelques succès plus ou moins légendaires, notamment vers 500 au Mont Badon, succès dont naîtra la légende du roi Arthur. Mais, dans l’ensemble, les Anglo-Saxons ne rencontrent guère de résistance pour constituer leurs royaumes, à partir de la fin du VIe : Wessex (Saxons de l’ouest), Sussex, Kent et Essex au sud, Est-Anglie et Mercie des Angles au centre-est et Northumbrie au sud-est de l’Écosse (par fusion des royaumes de Deira et de Bernicie).

A l’époque, les Anglo-Saxons sont encore païens, à la différence des Brittons et des Celtes d’Irlande, chez lesquels s’est même répandue une doctrine chrétienne condamnée par Rome, le pélagianisme[1]. Au tournant des années 420-430, le pape a dépêché des émissaires pour la combattre. Le plus célèbre est saint-Patrick, un Britton enlevé par des pirates Scots durant sa jeunesse, qui est considéré comme le fondateur de l’Église irlandaise au milieu du Ve. Au siècle suivant, celle-ci envoie des moines convertir le Pays de Galles (saint David) et l’ouest écossais, comme saint Colomba qui crée un monastère dans l’île d’Iona, au sud des Hébrides. C’est également à la fin du VIe siècle que l’Italien Augustin devient le premier archevêque de Cantorbéry, dans le Kent, premier royaume anglo-saxon à se convertir au christianisme. Les autres l’imitent dans les décennies suivantes.

Au cours du VIIe siècle, à la suite d’une succession de revers, le royaume de Dál Riata perd ses territoires nord-irlandais et se recroqueville sur ses terres écossaises. La puissance du royaume d’Ulaid ayant elle aussi décliné, le clan le plus puissant d’Irlande devient celui des O’Neill. C’est lui qui, la plupart du temps, fournit les Grands rois exerçant une autorité, plus ou moins reconnue, sur les cinq royaumes que compte alors l’île.

Dans la dernière décennie du VIIIe siècle, des pillards venus de Norvège s’en prennent aux monastères isolés qui ont été construits sur de petites îles et dans des régions côtières éloignées : Lindisfarne, au large de la côte est de l’Angleterre (en 793), puis Iona à plusieurs reprises, jusqu’à la fuite des moines. Dans la première décennie du IXe siècle, ces « Vikings » commencent à attaquer les districts côtiers de l’Irlande. En 841, ils fondent le royaume de Dublin[2], ainsi que des villes telles que Cork et Limerick. A la même époque, ils mènent aussi des incursions jusqu’à l’estuaire de la Tamise, au sud-est de l’Angleterre.

Au sud-ouest, le roi de Mercie fait ériger une digue de terre pour protéger son royaume d’un autre peuple : les Celtes du Pays-de-Galles, alors divisé en petits royaumes plus ou moins fédérés par un haut-roi. Les Anglo-Saxons les dénomment weallas, d’où vient le mot « Welsh » qui signifie Gallois en anglais[3]. En Écosse, après un siècle d’effacement face à ses voisins Saxons, Pictes et Vikings, le royaume de Dál Riata refait parler de lui. Son souverain Kenneth Mac Alpin profite d’une cuisante défaite des Pictes face aux Vikings, en 843, pour mettre la main sur leurs possessions et les unifier avec les siennes : ainsi naît le royaume d’Alba, terme d’origine celtique qui désignait à l’origine toute l’île de Grande-Bretagne[4].

[1] Ascète et moine britton parti à Rome puis en Orient, Pelage rejette le péché originel et soutient que l’homme peut assurer son salut par ses seuls mérites.

[2] De « Dubh Linn », mare noire.

[3] Weallas provient d’un terme germanique désignant des Celtes romanisés.

[4] D’où provient le nom d’Albion pour désigner la Grande-Bretagne, alors qu’en langues celtiques « Alba » ne sert toujours qu’à nommer la seule Écosse.


La pression des Vikings

À partir de 865, les Scandinaves changent de stratégie à l’égard des îles Britanniques : au lieu de les envisager comme de simples lieux à piller, ils commencent à les voir comme des terres propices à l’établissement de colonies. De véritables armées, plutôt danoises, débarquent sur les côtes pour soumettre les rois anglo-saxons ou, a minima, les obliger à leur céder des terres. York tombe en 866 et de nombreuses régions de l’est et du nord de l’Angleterre passent sous la domination de chefs vikings ou de rois leur payant un tribut (le danegeld). Le roi du Wessex, Alfred le Grand, parvient à freiner leur expansion et à s’emparer de Londres. Mais, en 884, il doit abandonner aux Danois toutes les régions comprises entre la Tamise et le nord du Yorkshire : la Northumbrie, l’Est-Anglie, l’est de la Mercie… Ce pays prend le nom de Danelaw. Ce qui demeure des royaumes anglo-saxons est unifié par le Wessex qui, à la fin du IXe, met également fin à ce qui restait du royaume de Dumnonée en Cornouailles.

Au nord et au nord-ouest de l’Écosse, dans le dernier quart du IXe, des Norvégiens se rendent maîtres d’un ensemble d’îles allant des Orcades et des Shetlands[1] (Norðr) jusqu’à l’île de Man dans la mer d’Irlande, en passant par l’archipel des Hébrides (Sodor). S’étendant sur cinq cents kilomètres, cet ensemble insulaire connait des statuts divers dans les décennies suivantes : tantôt indépendant (comme le comté des Orcades), tantôt vassal du roi de Norvège, voire de souverains vikings locaux comme le roi de Dublin.

Dans les années 910, les Anglo-Saxons profitent des divisions entre Danois pour passer à l’offensive. Bien qu’alliés aux Brittons et aux Scots, les Vikings sont vaincus et doivent abandonner le Danelaw au milieu du Xe. Les Saxons retrouvent leurs terres, tout en restant soumis aux raids réguliers et aux demandes de rançons des Scandinaves.

[1] Archipel le plus septentrional, au sud-est des Féroé danoises, les Shetlands sont à un peu plus de 300 km des côtes norvégiennes (et un peu plus de 200 km du nord de l’Écosse).

Tower bridge, à proximité de la Tour de Londres

Unification écossaise et conquête normande

En Irlande, le souverain du royaume méridional du Munster, Brian Boru, l’emporte en 999 sur les Vikings, victoire qu’il met à profit pour entreprendre l’unification des royaumes irlandais. Mais les rivalités sont âpres et, dès 1014, il doit affronter le roi du Leinster, allié aux Vikings de Dublin et des Orcades (tandis que Boru est aidé par les Vikings de Limerick). Les Principautés galloises encore indépendantes commencent également à se regrouper au milieu du Xe, tout en se plaçant sous la protection des Anglo-Saxons.

Au Nord, l’Écosse quasi-unifiée (vers 1018) devient connue sous le nom de Scotia : outre les terres Scots, elle réunit des royaumes pictes (comme Fortriú), bretons (comme le royaume de Strathclyde) et angles (comme le nord de la Northumbrie). L’un de ses premiers souverains est le roi Macbeth, originaire de l’est des Highlands, la partie septentrionale de l’Ecosse.

Au sud, les Danois n’ont pas abandonné leurs prétentions sur l’Angleterre et repartent à l’offensive. En 1017, le roi du Danemark, Knud le Grand, monte sur le trône d’Angleterre, qu’il conserve jusqu’à sa mort en 1035. Mais son domaine anglais ne survit pas longtemps à sa mort et un Anglo-Saxon remonte sur le trône anglais en 1042. Mais Edouard le Confesseur revient entouré de nombreux représentants du duché viking de Normandie, où il a vécu en exil et dont était originaire sa mère. Lorsqu’il meurt en 1066, trois prétendants se font face : le comte de Wessex Harold (qui, trois ans plus tôt, a tué le dernier haut-roi gallois), le roi de Norvège (où une dynastie locale a chassé les Danois) et le duc de Normandie. Après la victoire du premier sur les Norvégiens, le troisième débarque sur les côtes anglaises et l’emporte à la bataille d’Hastings, dans le Sussex. Désormais connu sous le nom de Guillaume le Conquérant, le duc de Normandie se fait couronner roi d’Angleterre à l’abbaye de Westminster, qu’Edouard le Confesseur avait fait reconstruire sur les vestiges d’un édifice saxon. Remplaçant en grande partie les nobles anglo-saxons par des membres de la noblesse normande, Guillaume leur confie 40 % du royaume et contrôle directement le reste. Des seigneurs normands gèrent également les marches du Pays de Galles, dont le Nord et l’Ouest demeurent indépendants. En 1086, un cadastre recense toutes les propriétés d’un royaume qui se couvre de châteaux (tels que la Tour de Londres) et dont la langue officielle devient une forme du français (le franco-normand).


Indépendance écossaise et Plantagenêt

A la mort d’Henri 1er, troisième fils et deuxième successeur du Conquérant, une guerre civile éclate, les barons anglais préférant confier le trône à un neveu du défunt, Etienne de Blois, plutôt qu’à sa fille Mathilde l’Emperesse, mariée au puissant comte d’Anjou et du Maine, Geoffroy Plantagenêt. Appelée l’Anarchie, cette guerre civile dure quinze ans et ne s’achève qu’en 1153, par la reconnaissance du fils de Mathilde comme héritier légitime de la couronne : le jeune Henri Plantagenêt est déjà à la tête d’un domaine qui couvre toute la moitié ouest de la France, à la suite de la conquête du duché de Normandie, puis de son mariage avec Aliénor d’Aquitaine. En décembre 1154, il devient roi d’Angleterre sous le nom de Henri II. Douze ans plus tard, le roi du Leinster irlandais, hostile au grand-roi d’Irlande alors en fonction, décide de rendre hommage à Angleterre. Des seigneurs Anglo-Normands en profitent pour s’installer dans l’île irlandaise, dont Henri II se proclame seigneur en 1171. Il se montre en revanche moins entreprenant vis-à-vis du roi d’Écosse, auquel il se contente de rappeler que, depuis Guillaume, le roi d’Angleterre est son suzerain.

Le règne de ses fils et successeurs est contrasté : si Richard Cœur de Lion bat plusieurs fois l’ennemi français, son frère Jean sans Terre connait en revanche plusieurs revers. En 1204-1205, le roi de France Philippe Auguste profite de la révolte du Poitou contre les Anglais pour s’emparer de la Normandie, de l’Anjou et des autres possessions des Plantagenêt dans la région (Touraine, Maine, Auvergne) : battue en Anjou et à Bouvines (en Flandre), la monarchie londonienne ne conserve que le Béarn, une partie de l’Aquitaine et les îles Anglo-Normandes[1] au large de la Normandie. Dix ans plus tard, Jean sans Terre doit affronter une révolte d’une partie de sa noblesse, à laquelle il est contraint d’accorder une charte, la Magna Carta, accroissant les pouvoirs féodaux. En 1258, un nouveau traité est signé entre les souverains français et anglais : la suzeraineté du roi d’Angleterre sur l’Aquitaine (rebaptisée Guyenne) et les fiefs attenants comme le Limousin et le Périgord est reconnue, à condition qu’il rende hommage au roi de France dans ces territoires. En 1265, une nouvelle révolte des barons, dirigée par Simon de Montfort – fils du chef de la croisade menée contre les Albigeois en France – est matée. C’est aussi le cas de celle des Llywelyn, seigneurs de la riche principauté de Gwynedd, au nord du Pays de Galles, qui se sont rendus maîtres d’une grande partie du territoire gallois au début du XIIIe. Après la mort du dernier rebelle, en 1283, la principauté de Galles devient l’apanage de l’héritier du trône anglais, qui prend le titre de prince de Galles en 1301.

En Écosse, le royaume récupère deux possessions norvégiennes en 1266 : l’île de Man, entre Angleterre et Irlande (qui se place, dès la fin du siècle, sous la protection de la couronne anglaise[2]) et les îles Hébrides (les Orcades et les Shetlands ne seront récupérées que deux cent deux ans plus tard). Pour renforcer son pouvoir économique et militaire, le pays fait appel à des nobles anglo-normands, ainsi qu’à des colons anglais et flamands (dont certains compatriotes se sont aussi implantés en Angleterre). Une crise de régime survient en 1290, quand une douzaine de candidats revendique le trône écossais. En tant que suzerain, le roi d’Angleterre en désigne un, mais les autres entrent en rébellion. Pour y mettre fin, Edouard 1er envoie ses troupes et confisque la Pierre de Scone, sur laquelle tous les rois d’Ecosse étaient intronisés depuis Mac Alpin. Le meneur de la résistance, William Wallace, est par ailleurs exécuté en 1305. Mais un nouvel opposant se révèle dès l’année suivante. S’étant proclamé roi, Robert Bruce rallie la noblesse et le clergé écossais et, en 1314, il inflige une cuisante défaite aux Anglais à Bannockburn. Quatorze ans plus tard, le nouveau roi d’Angleterre doit reconnaître la pleine indépendance de l’Ecosse, alors même que le pays s’anglicise fortement. Si le gaélique reste parlé dans les Highlands et les îles, une forme locale de l’anglais s’impose à la cour d’Edimbourg, ainsi que comme langue de communication dans le Sud et les Lowlands.

En Angleterre même, le « moyen anglais » s’est imposé comme langue orale, puis écrite à partir de la seconde moitié du XIIe : il résulte de l’addition de tournures danoises et de mots français au « vieil anglais » des Anglo-Saxons. Plusieurs dialectes cohabitant, c’est la forme en usage à Londres – le mercien – qui devient la base de l’anglais standard[3], par exemple dans les Contes de Cantorbéry de Geoffrey Chaucer, écrits dans la seconde moitié du XIVe.

[1] Formées de deux « États » depuis 1204, Jersey et Guernesey, les Channels Islands (198 km²) dépendent directement de la Couronne britannique et ne font pas partie formellement du Royaume-Uni.

[2] Comme les îles Anglo-Normandes, l’île de Man (572 km²) ne fait pas formellement partie du Royaume-Uni.

[3] L’anglais prend sa forme moderne à partir de 1500.


La guerre de Cent ans

En 1328, les hostilités reprennent entre Londres et Paris. L’extinction masculine de la ligne directe des Capétiens, qui régnait sur la France, conduit à l’avènement d’une branche cadette, les Valois. Édouard III relance alors ses prétentions sur le royaume de France, en tant que petit-fils de Philippe le Bel par sa mère. Les Français réagissent en 1337, en confisquant la Guyenne aux Anglais : c’est le début d’une guerre qui va durer cent ans. Multipliant les victoires avec leurs alliés de Flandre, notamment à Crécy dans la Somme (1346), les Anglais obtiennent l’année suivante la capitulation de Calais. Une dizaine d’années plus tard, les chevauchées que le prince de Galles (le Prince noir) mène à travers l’ouest de la France se concluent par la capture du roi français. En contrepartie de sa libération et de la paix, deux traités sont signés en 1360 à Brétigny et Calais : le roi d’Angleterre accepte de renoncer au royaume de France mais, en échange, ce dernier lui abandonne une Guyenne et une Gascogne débarrassées de toute vassalité vis-à-vis de Paris, ainsi que le Poitou, le Limousin, le Périgord, le Quercy, le Rouergue, l’Armagnac et la Bigorre. Sans oublier Calais et la région littorale d’Abbeville dans le Nord. Mais ce domaine s’avérant trop vaste à gérer, les Français reprennent la Normandie aux Navarrais (alliés des Anglais), ainsi que la Guyenne et quasiment tout le Sud-Ouest : en 1375, seules Bordeaux, Bayonne et Calais restent détenues par les Anglais.

En Angleterre même, la monarchie doit réprimer une révolte de paysans. Partie du Sussex et du Kent, où elle a massacré des nobles et des clercs, elle envahit Londres en 1381. Appelés « lollards », ces révoltés sont partisans de John Wyclif, un théologien qui remet en cause le pouvoir de la hiérarchie et des sacrements, considérant que tous les hommes sont prédestinés au salut ou bien à la damnation[1].

Quelques années plus tôt, en 1366, le roi a fait adopter les « statuts de Kilkenny » interdisant aux colons anglais d’Irlande d’adopter les mœurs des populations gaéliques locales. En pratique, la règle ne concerne que le domaine royal, soit Dublin et ses environs, le reste de l’île étant formé de grands fiefs féodaux anglais ou irlandais. Au tout début du XVe, la monarchie anglaise intervient dans une autre terre celtique : elle réprime le dernier grand soulèvement gallois.

En 1415, la guerre avec la France reprend. Le roi français ayant déshérité son fils et marié sa fille au souverain anglais, celui-ci impose le traité de Troyes qui fait de lui l’héritier du trône de France. Charles VI et Henry V étant tous les deux décédés en 1422, c’est le jeune anglais Henry VI qui est sacré à Notre-Dame de Paris, les deux royaumes restant toutefois distincts. Ayant repris l’offensive, les partisans du dauphin français parviennent à faire la paix avec le duc de Bourgogne, allié de la couronne anglaise. Ayant perdu leur principal soutien en France, les Anglais sont expulsés de Paris, de la Normandie et de la Guyenne, à l’issue de la bataille de Castillon près de Bordeaux (1453). La guerre de Cent ans prend fin par la signature du traité de Picquigny, qui ne laisse que Calais à l’Angleterre.

[1] Pourchassée en Angleterre, la doctrine de Wyclif inspirera notamment Jan Hus en Bohême.

La cathédrale anglicane Saint-Paul de Londres

La dynastie des Tudor

Ajoutées à une situation économique difficile, les défaites en France entraînent des révoltes du peuple, puis de la noblesse, qui aboutissent à un conflit dynastique entre deux branches des Plantagenêt. Déclenchée en 1454, leur guerre des Deux Roses (la blanche des York et la rouge des Lancaster) va durer jusqu’en 1485, date à laquelle Richard III trouve la mort à la bataille de Bosworth[1] (au centre de l’Angleterre) face au baron gallois Henri Tudor, apparenté aux Lancaster. En se mariant à une York, il réconcilie les deux familles et inaugure le règne d’une nouvelle dynastie (à la rose de couleur rose) : les Tudor. Pour essayer de consolider ses relations avec l’Écosse, Henry VII marie sa fille au souverain écossais. Mais la dynastie Stuart qui règne à Édimbourg reste fidèle à son alliance avec la France, nouée à la fin du XIIIe, ce qui entraîne plusieurs guerres : membres de la Sainte Ligue (en 1513), puis alliés à l’Empereur germanique (en 1544-1546), les Anglais remportent plusieurs victoires sur la coalition franco-écossaise.

Le successeur et fils du premier souverain Tudor, Henry VIII, se distingue par sa rupture avec le pape, celui-ci ayant refusé d’annuler son premier mariage avec une femme qui ne lui donnait pas de fils. Adopté par le Parlement en 1534, l’acte de Suprématie fait du souverain anglais le chef des Églises catholiques d’Angleterre (puis d’Irlande). Les biens des monastères – qui représentaient un tiers du territoire – sont redistribués, sans que ces épisodes ne dégénèrent en guerre de religion : dans l’ensemble, la population adhère à ce qui est d’abord ressenti comme un acte de souveraineté nationale. Ce n’est d’ailleurs que sous le règne d’Elizabeth 1ère, à partir de 1553, que l’Église « anglicane » adoptera une doctrine proche du calvinisme, tout en conservant un certain nombre de rites catholiques, ainsi que des prêtres et des évêques[2].

Henry VIII procède également à une profonde réorganisation de ses possessions. Ainsi, le pays de Galles perd toute identité juridique distincte de l’Angleterre à la suite des Laws in Wales Acts de 1535 et 1542. Ces lois abolissent les baronnies des Marches galloises et divisent la région en comtés sur le modèle anglais. Des députés gallois commencent également à siéger au Parlement d’Angleterre. En Irlande, après s’être proclamé roi en 1541, Henry VIII confisque quinze ans plus tard les terres des chefs irlandais rebelles et redistribue ces « plantations » à des colons anglais, de religion protestante. Cette politique entraîne de multiples rébellions sous le règne d’Elizabeth 1er, rébellions que soutiennent la Papauté et l’Espagne en tant que championnes du catholicisme. L’Angleterre dispute alors une sorte de suprématie internationale au royaume espagnol, lutte qui voit la flotte anglaise détruire « l’invincible armada » en 1588, au large de Calais, et Londres commencer à affirmer sa puissance sur les mers. Six ans plus tard, l’Ulster – province d’Irlande restée la plus gaélique – s’embrase. Cette guerre de Neuf Ans s’achève en 1603 par la défaite de l’aristocratie catholique locale.

[1] La citation figurant dans la pièce Richard III de Shakespeare (« mon royaume pour un cheval ») est une légende

[2] L’anglicanisme actuel compte trois tendances : High Church (proche du catholicisme), Low Church (puritaine, proche du calvinisme) et Broad Church (libérale).


Stuart, révoltes presbytériennes et guerre civile

En Écosse, la reine catholique Marie Stuart ne conserve son trône que grâce à l’intervention de ses alliés français ; la réalité du pouvoir est détenue par les protestants, d’obédience calviniste, qui fondent l’Église presbytérienne écossaise (Kirk[1]). Contrainte d’abdiquer en 1567[2], la reine est remplacée par son fils de confession protestante, Jacques, qui – en tant qu’arrière-petit-fils d’une sœur d’Henry VIII – s’impose aux autres prétendants pour devenir aussi roi d’Angleterre en 1603, Elizabeth étant morte sans enfant. Les Stuart succèdent aux Tudor. En théorie, les royaumes d’Angleterre et d’Écosse restent distincts, dans la mesure où ils sont détenus en union personnelle. Mais, en pratique, Jacques 1er (Jacques VI d’Écosse) gouverne ses deux États depuis Londres et pratique une politique résolument anglaise. A la même époque, l’anglais s’affirme pleinement comme langue nationale, notamment avec les pièces de Shakespeare et la traduction de la Bible dans une « version autorisée » (en partie différente de ses versions catholiques et calvinistes).

Charles 1er poursuit la politique de son père, notamment en matière religieuse : sa tentative d’imposer la suprématie de l’Église anglicane en Écosse déclenche l’agitation des presbytériens. Ayant pris le pouvoir à Édimbourg, les Covenanters, artisans de la « révolution presbytérienne », envahissent le nord de l’Angleterre en 1641. La même année, la révolte gagne aussi l’Ulster, où les catholiques massacrent des protestants, de plus en plus nombreux depuis que Jacques 1er a décidé d’accorder des « plantations » dans la province irlandaise à des paysans presbytériens écossais opposés à sa politique. Pour combattre ces rébellions, le roi essaie d’obtenir des moyens militaires supplémentaires de la part du Parlement, mais celui-ci se montre réticent à accroitre ses pouvoirs. C’est en particulier le cas des élus puritains, des calvinistes qui reprochent à la monarchie de ne pas avoir suffisamment engagé l’Église anglicane dans la voie de la Réforme protestante, par exemple de ne pas avoir supprimé les postes d’évêques. La répression exercée à leur encontre contraint certains adeptes du puritanisme à prendre le chemin de l’Amérique du Nord et à y fonder des communautés, à l’image des « Pères pèlerins » du Mayflower débarqués en 1620 au Massachusetts[3]. D’autres ont déjà pris le chemin de l’exil en Hollande, comme ceux qui fondent la première Église baptiste, distincte de l’anabaptisme[4], en 1609 à Amsterdam.

En 1642, la tentative du roi de faire arrêter les parlementaires qui lui sont hostiles déclenche une guerre civile. Elle oppose les Cavaliers royalistes aux Têtes rondes, bourgeois et agriculteurs des régions riches de l’Est et du Sud. Un moment allié aux presbytériens écossais, les insurgés l’emportent, sous la conduite d’Oliver Cromwell, un petit noble et militaire anglais, adepte du puritanisme. Après avoir fait exécuter le roi, Cromwell mate l’Irlande et conquiert l’intégralité de l’île, en y commettant d’importants massacres. A l’issue de la répression, la plupart des terres encore catholiques sont confisquées. Il annexe aussi l’Écosse, où les presbytériens se sont retournés contre lui. En 1653, Cromwell se proclame « Lord Protector » du Commonwealth and Free State of England, Scotland and Ireland. Pour la première fois, les quatre composantes des îles britanniques sont réunies dans une même entité politique.

Mais ce régime de stricte obédience puritaine s’effondre après la mort de son fondateur, en 1658. Deux ans plus tard, un Stuart est rétabli sur le trône et l’Église anglicane retrouve toutes ses prérogatives. La répression qu’elle exerce à l’encontre de ses dissidents conduit à de nouveaux départs de puritains vers les Provinces-Unies et la « Nouvelle Angleterre » nord-américaine, en particulier des Quakers : fondée en 1648, cette Société religieuse des Amis prône un retour au christianisme primitif et rejette le clergé professionnel et même la seule autorité de la Bible[5].

[1] Presbytérien signifie que le pouvoir dans l’Église n’est pas confié à des évêques, mais à des assemblées élues de laïcs et de pasteurs, les synodes.

[2] Réfugiée et emprisonnée en Angleterre, Marie Stuart y sera décapitée vingt ans plus tard.

[3] Leur première récolte de 1621, célébrée avec les Indiens, est à l’origine de la fête de Thanksgiving.

[4] Le baptisme est néanmoins basé sur le baptême du croyant à l’âge adulte ; il professe par ailleurs l’autonomie locale des églises, ainsi que la séparation de l’Église et de l’État, et considère que le vrai culte doit venir du cœur, mais pas nécessairement de la lecture de la Bible lors des offices. Cf. Du christianisme aux protestantismes et aux syncrétismes

[5] Un Quaker, William Penn, fonde la Pennsylvanie en 1682, avec une constitution qui servira de base à celle des États-Unis.

Le Palais de Buckingham, siège de la monarchie britannique

Des Orange aux Hanovre

Charles II étant mort sans enfant, son frère Jacques II Stuart lui succède, avec la caractéristique d’être adepte du catholicisme. Si cette situation ne pose pas de difficultés au départ, elle en crée en 1688, lorsque le roi veut faire baptiser son fils dans la religion catholique. Des hauts représentants de la noblesse anglaise réclament alors l’intervention du gendre protestant du souverain, le stadhouder (chef politique) des Provinces-Unies. Répondant à la demande, Guillaume III d’Orange-Nassau débarque en Angleterre, ce qui entraîne la fuite de Jacques II. Soutenu par la France, le roi déchu essaie de prendre pied en Irlande, où ses partisans – les Jacobites – sont plus nombreux que les « Orangistes », surtout présents en Ulster. L’opération est un échec : les troupes favorables au souverain catholique sont battues en 1690 par celles de Guillaume à la bataille de la Boyne (à la frontière sud de l’Ulster). Jacques II s’enfuit en France et une discrimination se met en place dans l’île contre les 70 % de catholiques, qu’ils soient Celtes ou « Vieux Anglais » (descendants des Anglo-Normands) : exclusion du droit de vote et des fonctions publiques, obligation pour les prêtres de prêter serment au roi… A l’issue de ce qui a été qualifié de « Glorieuse révolution », Guillaume et sa femme Marie II Stuart montent conjointement sur le trône anglais.

Le couple étant mort sans descendance, la charge royale revient à la sœur de la défunte, de confession catholique, mais à titre exceptionnel : en 1701, le Parlement vote l’acte d’Établissement qui instaure la succession en ligne entre protestants et prévoit que la future souveraine sera une nièce de Charles 1er, mariée à un prince allemand, l’électeur de Hanovre. Si cette perspective ne suscite pas d’hostilité en Angleterre, elle en rencontre en Écosse, puisque le fils catholique de Jacques II est toujours en vie. Pour étouffer toute révolte dans l’œuf, la monarchie anglaise parvient à convaincre le Parlement d’Édimbourg de voter, en 1707, une fusion des royaumes d’Écosse et d’Angleterre en un seul Etat : le royaume uni de Grande-Bretagne (l’Irlande restant un royaume à part). Les Jacobites essaient de se rebeller, mais leur dernière tentative, en 1746, se solde par une défaite. Elle est suivie d’une très forte répression dans les Highlands, accompagnée d’une active politique d’anglicisation et de confiscation des terres, destinées à briser les clans gaéliques et leur langue.

Entretemps, après la mort sans héritier de la dernière des reines Stuart, le souverain de Hanovre Georges 1er est monté en 1714 sur le trône d’un pays qui va devenir le plus puissant du monde. Ayant installé ses premiers colons dès 1607 en Amérique du Nord (Virginie), l’Angleterre obtient l’éviction des Français du Canada et de l’Inde en 1763. Vingt ans plus tard, la Couronne perd ses treize colonies nord-américaines qui deviennent les États-Unis d’Amérique, mais cela n’altère pas sa marche en avant. Au XIXe siècle, l’Empire britannique s’étend du Canada à l’Australie et à l’Océanie, en passant par les Indes, l’Afrique du Sud et une partie significative de l’Afrique noire. S’y ajoutent quelques possessions en Europe[1].

Durant cette période, la dynastie au pouvoir a changé de nom : Victoria, qui a hérité de la couronne britannique (mais pas celle de Hanovre, réservée à un homme) épouse, en 1840, un de ses cousins allemands, le fils du duc de Saxe-Cobourg-Gotha (une branche cadette de la Maison de Wettin, cf. De la Germanie à l’Allemagne). En 1901, la dynastie royale adopte ce nom germanique mais elle l’abandonne seize ans plus tard, en pleine guerre contre l’Allemagne, pour celui plus britannique de Windsor (tandis que ses cousins Battenberg de Hesse deviennent les Mountbatten).

[1] En 1890, elle cède les îles frisonnes de Heligoland à l’Allemagne, en échange de terres allemandes au Kenya.


L’indépendance irlandaise

La guerre d’indépendance déclenchée par les colonies nord-américaines conduit Londres à lâcher du lest en Irlande, où les catholiques sont soumis à une véritable politique de colonisation de la part des propriétaires protestants[1] et de leurs régisseurs : c’est ainsi que le Parlement de Dublin retrouve, en 1783, un pouvoir législatif qui avait été supprimé trois siècles plus tôt. Mais les tensions ne disparaissent pas pour autant, en particulier dans le comté d’Armagh où les deux communautés sont en nombre à peu près équivalent. Les heurts qui les opposent, notamment lors de la célébration annuelle de la bataille de La Boyne, aboutissent, en 1795, à la formation de l’Ordre d’Orange, une société semi-secrète consacrée à la défense des protestants. Six ans plus tard, les catholiques ayant essayé de se révolter contre l’occupation anglaise, le royaume d’Irlande est aboli et intégré au sein du Royaume uni de Grande-Bretagne et d’Irlande. L’île compte alors 5 millions d’habitants, dont 3,5 millions parlant le gaélique irlandais. Leur nationalisme n’ayant pas disparu, en particulier sous l’action de Daniel O’Connell, Londres doit reconnaître l’émancipation des catholiques en 1829. Mais le progrès est de courte durée : entre 1845-1849, la Grande Famine – provoquée par une maladie de la pomme de terre – tue 1,6 million d’Irlandais et entraîne l’exode d’1,3 million d’autres, principalement aux États-Unis. Ce n’est qu’en 1903 qu’une réforme agraire, votée par le parlement londonien, procède à un transfert massif de propriétés en faveur des paysans irlandais.

En revanche, la question d’une autonomie (Home Rule) de l’île est systématiquement rejetée par la majorité des parlementaires britanniques, du moins jusqu’en 1912. La perspective de voir l’Irlande régie par des catholiques pousse alors les protestants d’Ulster à se doter d’une milice (l’Ulster Volunteer Force), à laquelle répliquent les Irish Volunteers nationalistes. Relativement enterré durant la Première guerre mondiale, le débat resurgit fin 1918, lorsque les électeurs irlandais donnent une forte majorité au Sinn Fein (« Nous-mêmes », fondé en 1905), sauf dans quatre des neuf comtés d’Ulster. Refusant de siéger à Londres, Eamon De Valera et ses compagnons forment une Assemblée d’Irlande, tandis que leur bras armé – l’Irish Republican Army (IRA) qui a succédé aux Volunteers engage la guérilla contre les forces britanniques.

A la fin de l’année 1921, Londres accepte que vingt-six comtés soit 83 % des 84 400 km² de l’île constituent un « État libre d’Irlande », à deux conditions : que cette entité reste associée à la Couronne britannique et qu’elle n’intègre pas les comtés protestants d’Ulster. En pratique, le gouvernement va plus loin puisque, en plus des quatre comtés majoritairement protestants, Londres en administre aussi deux à majorité catholique. La province d’Ulster se retrouve divisée en deux, avec six comtés en Irlande du nord britannique[2] et trois en Irlande du sud. Mais cet accord divise les partisans du catholicisme : son rejet par De Valera et une partie de l’IRA déclenche une guerre civile entre catholiques, qui s’achève par la victoire des partisans du traité, en mai 1923.

Quatorze ans plus tard, une nouvelle Constitution fait de « l’État libre » une république d’Eire (nom de l’Irlande en gaélique irlandais) qui devient formellement indépendante en 1949. Voté par le parlement de Westminster, l’Ireland Act stipule également que le statut des six comtés septentrionaux ne pourra être modifié sans l’accord de ses habitants : l’Irlande du Nord est en effet l’une des quatre nations constitutives du Royaume uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord avec l’Angleterre, l’Écosse et le Pays-de-Galles. Sur le plan institutionnel, un Parlement d’Irlande du Nord exerce le pouvoir législatif local, jusqu’au début des années 1970. Belfast, Londonderry-Derry et les comtés du Nord sont alors en proie à de violents « troubles » résultant de l’opposition entre les protestants voulant rester britanniques – d’où leur nom de loyalistes ou unionistes – et les catholiques – nationalistes et républicains – militant en faveur de l’intégration du Nord à la République irlandaise. Les violences entre les milices des deux camps – dont l’IRA provisoire côté catholique – vont faire quelque 3 600 morts.

Quasiment tous les autres territoires britanniques deviennent indépendants au XXe siècle. Londres conserve toutefois 254 km² de bases militaires dans l’île de Chypre, ainsi que l’enclave de Gibraltar à l’extrême sud de l’Espagne (acquise en 1713 à la fin de la guerre de Succession d’Espagne). La quasi-totalité des anciennes possessions de Londres sont cependant restées membres d’une association libre d’États souverains, le Commonwealth (of Nations), apparu dès 1926. Il comprend une cinquantaine de membres : quinze royaumes dont le roi d’Angleterre est le souverain (comme le Canada et l’Australie), cinq ayant un monarque différent (comme la Malaisie) et trente-six républiques (comme l’Inde, le Pakistan, le Nigeria et l’Afrique du sud). Rejointe par des pays non anglophones (comme le Mozambique ou le Gabon), l’organisation regroupe 2,6 milliards d’habitants sur 30 millions de km². Outre ses deux bases chypriotes, Gibraltar (revendiqué par l’Espagne) et un vaste territoire en Antarctique, Londres a conservé une douzaine de territoires insulaires d’outre-mer, représentant un peu plus de 18 000 km² : cinq aux Antilles[3], un dans l’Atlantique nord (les Bermudes), cinq dans l’Atlantique sud[4], un dans l’Océan indien (l’archipel des Chagos revendiqué par les Seychelles et Maurice) et un dans le Pacifique (Pitcairn).

[1] A l’image de Ch. Boycott qui, traitant mal ses fermiers, subit un blocus de leur part en 1879.

[2] 14 130 km² soit 62 % de la province historique d’Ulster.

[3] Anguilla, Caïman, Montserrat, îles Turques et Caïques, iles Vierges britanniques

[4] Les Malouines (revendiquées par l’Argentine), Géorgie du sud et îles Sandwich du Sud, Ascension, Saint-Hélène et Tristan da Cunha.

Entrée du château d’Edimbourg

Des autonomies plus ou moins fortes

En 1998, les « accords du Vendredi saint » mettent fin aux troubles d’Irlande du Nord et y rétablissent une Assemblée nord-irlandaise, dotée d’une large autonomie dans un certain nombre de domaines : santé, emploi, développement économique, environnement, transports, logement, justice, éducation, culture… L’irlandais (connu par environ 10 % des Nord-Irlandais) et le scots d’Ulster (dialecte anglo-frison, compris par environ 2 %) ont le statut de langues régionales. Au Sud, l’irlandais est la première langue officielle de la république d’Eire, avant l’anglais. En pratique, il n’est plus ou moins parlé que par 40 % à peine des habitants et utilisé couramment par moins de 1 % : il ne prédomine que dans les zones situées le long de la côte occidentale, connues sous le nom de gaeltachtai.

Depuis 2016, le fonctionnement des institutions d’Irlande du Nord est perturbé par deux facteurs principaux. Le premier est la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne : majoritairement hostile (56%) à ce « Brexit », l’Irlande du Nord a bénéficié d’aménagements destinés à faciliter les échanges de biens et de personnes avec l’Eire, restée membre de l’UE[1] ; ces arrangements sont considérés comme une violation de la souveraineté britannique par une partie des unionistes. Ceux-ci ont par ailleurs perdu la majorité dont ils disposaient au Palais de Stormont, du fait de l’évolution démographique régionale : selon le recensement de 2021, sur 1,8 million de nord-Irlandais (moins de 3 % de la population britannique), ceux élevés dans la religion catholique sont devenus plus nombreux que ceux élevés dans les cultes protestants[2], principalement presbytérien et anglican (45,7 % contre 43,5 %). Aux élections tenues l’année suivante, les différentes formations unionistes devancent légèrement leurs rivales républicaines (40,5 % vs 39,8 %), mais le Sinn Fein étant arrivé en tête de tous les partis, sa vice-Présidente est chargée de former le nouvel exécutif en partenariat avec le DUP (Parti unioniste démocrate). Après un long boycott ce ce dernier, l’élue républicaine prend officiellement ses fonctions en février 2024.

Depuis 1998, les deux autres nations non-anglaises constitutives du Royaume-Uni bénéficient également d’un régime de « dévolution » leur accordant une autonomie législative et exécutive dans un nombre plus ou moins étendu de domaines. Adoptée à une courte majorité, la dévolution galloise est moins large que celle des autres et n’est pas remise en question. Elle l’est en revanche en Écosse, dont l’exécutif est dirigé par le Scottish National Party (SNP). En 2014, les nationalistes organisent un référendum, légal, sur l’indépendance, qui voit le rejet de l’option souverainiste : 55 % des votants se prononcent en faveur de l’appartenance écossaise au Royaume-Uni. La seule grande ville à voter en faveur de l’option indépendantiste est Glasgow. Deux ans plus tard, les Écossais rappellent néanmoins leur particularisme, en votant à 62 % en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. En revanche, la majorité des votants du Pays de Galles (à l’exception de ceux du Nord-Ouest) se prononce comme les Anglais en faveur du « Brexit ».

D’une superficie de 78 772 km², l’Écosse (Alba en gaélique écossais) compte environ 5,5 millions d’habitants (8 % de la population britannique).

Depuis 1970, l’enseignement y est bilingue, bien qu’en pratique la seule langue véritablement parlée soit l’anglais écossais ; le gaélique écossais (1 % de locuteurs) n’est vraiment employé que dans les Hébrides. Survivent également un dialecte hérité du moyen anglais (le scots) et les traces d’un ancien dialecte scandinave (le norne) aux Shetland et aux Orcades. Un peu plus de la moitié des 63 % d’Écossais déclarant une religion sont chrétiens : environ 32 % appartiennent à l’Église presbytérienne d’Écosse et 16 % sont catholiques.

S’étendant sur un peu moins de 20 800 km², le Pays de Galles (Cymru en gallois) compte environ 3,2 millions d’habitants (moins de 5 % de la population du Royaume-Uni).

Reconnu comme « langue nationale » aux côtés de l’anglais, le gallois est parlé par plus de 20 % de la population : très peu pratiqué dans le Sud industriel, il l’est en revanche beaucoup plus dans le Nord et l’Ouest. Un peu plus de 55 % de la population se dit chrétienne, les anglicans devançant les catholiques et les méthodistes.

[1] 30 000 travailleurs franchissent chaque jour les 490 km de frontière entre les deux Irlande.

[2] Au Sud, la population est catholique à plus de 68 % (contre moins de 4 % de protestants).

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