EUROPE, Europe occidentale

A l’origine des pays germanophones

Des premiers peuplements celtes et germains jusqu’à la naissance de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Suisse.

SOMMAIRE


Les premiers peuplements

Dans l’Antiquité, à partir du IIe siècle AEC, la Germanie est le nom donné à l’espace compris entre la mer du Nord et la Baltique, le nord des Alpes, le Rhin à l’ouest et la Vistule à l’est. Elle tient son nom d’un ensemble de peuples, les GERMAINS, qui sont probablement issus du sud de la Scandinavie et se sont répandus à partir de -1000 dans la grande plaine centrale européenne[1]. Quand ils arrivent, vers -500, en Thuringe et sur le cours inférieur du Rhin, les peuples germaniques entrent en contact avec des tribus CELTES qui sont implantées de longue date dans toute la région : la civilisation des Champs d’urnes, dans laquelle l’incinération a remplacé l’inhumation de la culture des Tumulus, s’est en effet répandue vers 1200 AEC dans le sud de l’Allemagne. Entre autres peuples celtiques, les Boïens sont installés en Bohême depuis le VIe siècle et les Helvètes dans le bassin du Main, affluent de la rive droite du Rhin. Plus à l’est, dans le canton suisse des Grisons et dans le Tyrol, c’est un peuple de langue romane, les Rhètes, qui s’est implanté vers -500.

L’intrusion des Germains va entraîner une dispersion de ces différents peuples : les Helvètes vont se fixer sur le plateau suisse tandis que, au nord du Main, les Celtes Belges migrent vers la rive gauche du Rhin. Au sud, les peuples celtiques sont refoulés vers la Norique (sud-est de la Bavière et Autriche), où ils fondent le royaume des Celtes Taurisques. Au milieu du 1er siècle AEC, les Germains Marcomains et Quades expulsent les Boïens de Bohême : ces derniers migrent vers le nord de l’Italie ou bien se fondent sur place avec leurs envahisseurs, pour donner naissance au peuple Bavarois.

[1] Les peuples germaniques vont se répartir de la mer du Nord à la mer Noire, entre Germains de Scandinavie, de langue nordique (l’alphabet Rune apparaît au IIe siècle) et Germains d’Orient et d’Occident, de langue gotique (qui disparaîtra à partir du VIe siècle).


Des Romains aux Francs

A la fin du même 1er siècle AEC, de nouveaux envahisseurs entreprennent de conquérir la Germanie : les Romains, qui s’attaquent à la Norique et à la Rhétie, ainsi qu’aux Helvètes, aux Allobroges de la région de Genève et aux Insubres du Tessin (au sud de la Suisse). L’empereur Auguste ayant donné l’ordre de repousser les frontières de son Empire jusqu’à l’Elbe, Drusus mène – entre 12 et 9 AEC – une campagne de conquêtes victorieuses depuis les rives de la mer du Nord jusqu’à l’Elbe, au détriment des différents peuples germaniques qui peuplent la région : Sicambres, Chérusques, Chauques, Chattes, Bructères, Lombards et autres Cimbres. Seul lui échappe le royaume des Marcomans de Marbod, en Bohême. La pacification des terres conquises, constituées majoritairement de forêts et de marais, n’est pas pour autant acquise, comme en témoigne l’anéantissement de légions romaines, en 9 EC à la bataille de Teutobourg (Basse-Saxe) : quelque 20 000 légionnaires sont massacrés par les troupes germaniques d’Arminius, un Chérusque formé par les Romains.

Ayant perdu tous les territoires gagnés en vingt ans, Rome abandonne la rive droite du Rhin (Germania Magna) aux Germains et concentre ses efforts sur la consolidation de sa frontière (limes) sur le fleuve. Il faudra attendre une quarantaine d’années pour que les généraux romains mènent de nouvelles campagnes et s’emparent des Champs Décumates (le « coin » constitué par les hautes vallées du Rhin et du Danube, dans l’actuel Bade-Wurtemberg), puis soumettent définitivement les Helvètes (entre 69 et 71). Administrativement, toute la rive gauche du Rhin est rattachée à la Gaule romaine : la Germanie supérieure (plaines du Palatinat et d’Alsace, Franche-Comté, moitié occidentale de la Suisse et moitié orientale de la Bourgogne), la Germanie inférieure (de Bonn jusqu’à l’estuaire de l’Escaut à Anvers) et la Belgica, à laquelle appartient la région de Trêves. Plus au sud et vers l’est, Rome administre les provinces de Rhétie (le sud de la Bavière et du Bade-Wurtemberg, le Tyrol et l’est de la Suisse), ainsi que la Norique, où le royaume Taurisque a été conquis en 40.

La situation évolue entre la fin du II° et le début du III° siècle, quand certains peuples germaniques se structurent en ligues : les Chauques de la mer du Nord sous le nom de Saxons, ceux du Rhin moyen sous le nom d’Alamans (« tous les hommes ») et ceux du Rhin inférieur (Chattes, Bructères, Sicambres…) sous le nom de Francs (« hommes libres »). En 213, les troupes de l’empereur Caracalla défont d’autres Germains, les Goths de Rhétie, et combattent les Alamans, auxquels Rome abandonne toutefois les Champs Décumates (vers 260). A partir de 250, la frontière sur le Rhin est de plus en plus difficile à maintenir, face aux incursions des Francs Saliens. Leurs ravages poussent un légat d’origine gauloise (ou batave), Postumus, à proclamer un éphémère Empire des Gaules (258-274), qui inclut la Germanie, avec Cologne pour capitale. A sa chute, Rome reprend le contrôle de ses possessions et transfère la capitale des Gaules de Lyon à Trêves, près du Rhin.

A partir de 406, sous la poussée des Huns venus d’Asie, des « Barbares » déferlent sur l’Europe occidentale : Vandales, Suèves et Alains font irruption sur le Rhin et le Danube et en chassent les légions romaines[1], avant de poursuivre leur route vers le sud de la Gaule et l’Ibérie. En revanche, d’autres profitent de la situation pour s’installer : ainsi, les Alamans forment un « royaume », en réalité une confédération de chefferies, qui s’étend des Vosges alsaciennes jusqu’au Vorarlberg (à la frontière austro-helvétique), en passant par l’actuel Bade-Wurtemberg allemand, le plateau suisse et la Bavière. Plus au sud, Aetius freine les Burgondes, d’autres Germains qui essayaient de progresser en Gaule. En échange de l’obtention d’un statut de fédérés (foedus), Rome leur concède en 413 une partie de la Gaule rhénane, aux environs de Worms. Convertis au catholicisme, ils sont déplacés en Sapaudie (nord des Alpes et partie occidentale de l’Helvétie actuels) trente ans plus tard, les Romains comptant sur eux pour freiner l’expansion des Alamans dans le sud du Jura et dans l’actuelle Suisse romande.

En dépit de ces multiples arrangements, la puissance romaine ne va pas résister pas à la multiplication des invasions, d’autant plus qu’elle est affaiblie par des rivalités entre chefs militaires et des querelles sur la place du christianisme. A la fin du IVème, l’Empire est divisé en deux : d’Orient (à Constantinople) et d’Occident (en Italie). Si le premier parvient à se maintenir, le second s’effondre en 476, lorsque l’empereur Romulus Augustule est déposé par Odoacre, roi de Germains orientaux. Profitant du vide, les Francs rhénans[2] (partie du peuple franc installée sur le cours moyen du Rhin, dans l’actuelle Rhénanie-du-Nord-Westphalie) fondent un royaume à Cologne, dans la seconde moitié du Ve, royaume qui est éliminé, au début du VIe, par Clovis, chef des Francs Saliens.

[1] Le nom de la région de Souabe dérive du nom Suève.

[2] Désignés à partir du VII° siècle comme Francs ripuaires (c’est-à-dire Francs des rives).

La Porte noire, à Trêves

Expansion et rivalités franques

S’étant imposé comme le roi de tous les Francs, Clovis les réunit au sein d’un seul royaume (cf. Formation de la France). A sa mort, en 511, son domaine est partagé entre ses quatre fils, en vertu des règles de succession franques qui veulent que les domaines soient divisés entre tous les héritiers mâles, les filles étant écartées. En dépit des rivalités qui opposent les quatre rois, le domaine franc s’étend : la Thuringe est conquise en 531, le royaume Burgonde annexé en 533-534 et la Bavière vassalisée en 555. Les seuls à échapper à la domination franque sont les Saxons et les Frisons au nord, ainsi que l’Alémanie.

En revanche, le domaine des parlers germaniques se restreint à l’est d’une ligne allant de l’embouchure de l’Elbe au golfe de Trieste, du fait de l’invasion de peuples slaves dans les actuelles Pologne, Tchéquie et Slovaquie. Durant ce même VIe siècle, les langues germaniques de l’ouest connaissent une mutation phonétique, qui va conduire à la naissance de deux rameaux : le bas-allemand (vieux-néerlandais ou vieux-bas-francique, ainsi que le saxon apparenté, entre le Rhin et l’Elbe) et le haut-allemand, qui comporte trois groupes de dialectes principaux : l’alémanique, le bavarois en Bavière et plus à l’est, et le francique en Franconie (langue maternelle de Charlemagne).

Objet de rivalités incessantes entre héritiers, le royaume franc est réunifié par Clotaire 1er (558-561), puis de nouveau partagé entre ses fils. Quelques années plus tard, ne restent plus que deux Etats face-à-face : l’Austrasie (ou Royaume de Reims puis de Metz) qui s’étend en pays germanique et la Neustrie (ou royaume de Soissons) allant du nord de la Loire à la Champagne et aux Flandres. Les Francs exercent également leur tutelle sur les Alamans, qui ont profité de la chute du royaume Burgonde pour se rendre maîtres de toute la Suisse. Seule leur échappe la Rhétie, où les Goths ont été rejoints par des Alamans que Clovis avait défaits en 496 à Tolbiac (Germanie inférieure).

Une nouvelle restauration du royaume franc survient sous l’égide de Clotaire II roi de Neustrie, qui récupère l’Austrasie en 613. Mais, à la mort de son fils Dagobert 1er, en 639, les divisions et guerres font leur retour. La fonction royale se délite, avec l’avènement de « rois fainéants », de sorte que la réalité du pouvoir est exercée par les maires du palais. En 687, celui d’Austrasie, Pépin de Herstal, défait son homologue de Neustrie et en fait un État vassal. Il soumet par ailleurs les seigneurs de Saxe, de Frise et de Bavière. En 746, à la suite d’une rébellion avortée de leur aristocratie contre les Francs, les Alamans perdent toute autonomie : leur duché est découpé en deux comtés vassaux des Francs.


Le règne des Carolingiens

En 751, le dernier des « rois fainéants » est destitué par son maire du Palais, Pépin le Bref, qui devient roi. Il fonde une dynastie qui prendra le nom de Carolingiens, en référence à son fils Charlemagne (Carolus magnus), qui lui succède en 768. Quatre ans plus tard, le nouveau roi est appelé à l’aide par le Pape, dont les États – fondés une quinzaine d’années plus tôt – sont menacés par les Lombards, peuple germanique qui s’est installé dans le nord de l’Italie[1]. Victorieux, Charlemagne transforme la Lombardie en royaume vassal. Les années suivantes, entre 785 et 805, il parvient à soumettre définitivement les Frisons et les Saxons au Nord, ainsi que les Tchèques en Bohême ; il destitue aussi le duc de Bavière, suspecté de collusion avec les Avars, un peuple turcophone essayant de s’installer en Europe centrale. En 800, Charlemagne obtient du pape qu’il le couronne Empereur romain d’Occident, restaurant une dignité disparue depuis plus de trois cents ans. Depuis sa capitale d’Aix-la-Chapelle (à la jonction des frontières actuelles de l’Allemagne, des Pays-Bas et de la Belgique), l’Empire carolingien va rassembler jusqu’à vingt millions d’habitants sur 1,2 million de km². L’inspection de ses trois cents comtés est confiée à des missi dominici, duos composés d’un comte et d’un évêque.

En 806, l’Empereur divise ses terres en trois royaumes pour ses fils : la Bavière et la Lombardie italienne pour Pépin (sacré roi d’Italie) – qui crée en 811 la Marche de l’est de l’Empire (future Autriche) – la Francie (de la Touraine à la Saxe) pour Charles le Jeune et toute la moitié sud de la France actuelle pour Louis le Pieux (ou le Débonnaire) qui récupère la Francie à la mort de son frère, puis devient empereur, après le décès de Charlemagne (814). Sa propre succession est en revanche conflictuelle (cf. La formation de la France) et ne se conclut réellement qu’au traité de Verdun, en 843 : Louis « le Germanique » hérite de la Francie orientale, base du futur Saint-Empire romain germanique, avec des terres allant de la Saxe à la Bavière, via l’Austrasie et la majeure partie de l’Alémanie ; Charles le Chauve reçoit la Francie occidentale (future France) et Lothaire 1er la Francie médiane (courant de la Frise jusqu’aux États du pape, au centre de l’Italie). Quelques partages plus tard, en 880, l’ancien Empire de Charlemagne se compose de trois États : le royaume carolingien d’Italie (l’ex-Lombardie) et les deux Francie, orientale et occidentale, dont la frontière nord-sud suit approximativement les cours de l’Escaut, de la Meuse, de la Saône et du Rhône.

Une réunification de l’Empire carolingien survient cinq ans plus tard, quand Charles III le Gros, qui cumule déjà les titres de roi de Francie orientale et d’Italie et d’Empereur germanique, est appelé sur le trône de Francie occidentale par la noblesse neustrienne. Mais, de santé mentale défaillante, il est destitué de toutes ses fonctions royales à la fin de l’année 887. Son neveu monte sur les trônes de Francie orientale et d’Italie. A son décès, il est remplacé par son fils Louis IV l’Enfant, dont la mort prématurée – en 911, à dix-sept ans – met fin au règne des Carolingiens en Francie orientale. Le royaume vit alors une période difficile, soumis aux raids des Magyars, nouveaux envahisseurs venus d’Asie : entre 909 et 917, ils ravagent la Thuringe, la Bavière, la Saxe, la Bourgogne et la Haute-Lotharingie (future Lorraine). Établis en Pannonie, les ancêtres des Hongrois mettent également fin à l’Empire de Grande Moravie fondé, vers 830, par les Slaves. Seul leur échappe le duché de Bohême, que les Tchèques avaient érigé en 855 : il parvient à conserver son autonomie, sous suzeraineté germanique.

[1] Venus de l’Elbe, les Lombards se sont installés à la fin du Ve en basse Autriche et en Pannonie, où ils ont été fixés comme fédérés par les Byzantins. Vers 568, ils ont migré vers l’Italie, sous la pression des Avars.


L’heure des grands féodaux

L’ex-Francie orientale se retrouve divisée en une demi-douzaine de duchés : la Franconie des Francs dans la région de Mayence, la Saxe, la Bavière (dont se détachera le duché de Carinthie à la fin du Xe), la Lotharingie, la Thuringe et la Souabe, héritière des comtés d’Alémanie qui, après avoir repris leur indépendance au IXe, sont éliminés en 917 : à leur place nait le duché de Souabe (ou de haute Alémanie) qui s’étend jusqu’à la Rhétie au sud et aux abords d’Augsbourg à l’est ; en 925, il est agrandi du duché franc d’Alsace, détaché de la Lotharingie. Dans ce nouveau cadre, la royauté est désormais élective et les ducs sont appelés à se succéder à tour de rôle sur le trône : c’est dans ce cadre que le duc de Franconie Conrad (en 911), puis celui de Saxe Henri l’Oiseleur (en 919) sont couronnés rois de ce qui est encore appelé la Francie orientale.

En 936, Otton 1er succède à son père Henri l’Oiseleur et affermit le pouvoir du royaume. En 955, il met fin aux invasions « barbares » en écrasant les Slaves et les Magyars à la bataille du Lechfeld, près d’Augsbourg. Désireux d’établir un glacis contre ces peuples et contre l’Empire d’Orient, il fait de l’actuelle Autriche une marche (Ostmark), qu’il attribue à la famille franconienne des Babenberg. En 961 – dix ans après une première tentative sans lendemain – il reprend le royaume d’Italie que plusieurs seigneurs se disputaient depuis 888. L’année suivante, le pape le couronne Empereur des Romains (cf. Encadré), distinction qui avait disparu avec la mort de son dernier détenteur théorique, en 924 (cf. La formation de l’Italie). Dans les années 975, Otton 1er met un frein aux révoltes trop fréquentes du duché de Lotharingie, qu’il divise en Basse-Lotharingie (les actuels Pays-Bas) et Haute-Lotharingie (qui deviendra le duché de Lorraine). Son petit-fils, Otton III, porte le coup de grâce aux Carolingiens, qui régnaient encore en Francie occidentale, en apportant son soutien à Hugues Capet, prétendant extérieur à la dynastie.

L’Empire s’étend alors de la Baltique à la Toscane et à Arles du nord au sud, et des Pays-Bas à l’Elbe d’ouest en est. Fédération dans laquelle l’Empereur ne dispose que d’un pouvoir relatif sur les grands féodaux, il n’a pas, et n’aura jamais de capitale officielle, ce rôle étant tenu au fil des siècles par les villes où réside l’Empereur du moment ou bien par des cités ayant un prestige historique : Francfort, Mayence, Aix-la-Chapelle, Ratisbonne, Prague, Vienne…

Sur son franc oriental, l’Empire est menacé par une puissance nouvelle : le duché de Pologne issu de l’unification de tribus slaves locales en 960. Son duc se convertit même au catholicisme, afin de concurrencer l’Empire dans ses tentatives de conversion des peuples baltes païens de la région (Borusses, Prutènes, Lituaniens) : c’est à cette fin que la ville de Magdebourg est érigée en principauté épiscopale, en 968. Quinze ans plus tard, le pouvoir impérial perd ses possessions à l’est de l’Elbe. Singulièrement agrandi, le duché de Pologne devient un royaume, qui poursuit son expansion de 999 à 1003, en Moravie, Slovaquie, Lusace et même en Bohême (1003). Cette dernière conquête déclenche plusieurs guerres, qui se terminent par la signature d’un traité en 1018 : le texte reconnait les droits de l’Empire sur la Bohème tchèque et ceux de la Pologne sur la Lusace et la Moravie. Son signataire germanique étant mort sans enfant six ans plus tard, la dynastie des Ottoniens disparait et un nouvel Empereur est élu.

Le titre revient à Conrad II, premier représentant de la dynastie franconienne, issue des Francs Saliens. Le nouvel Empereur mène une politique extérieure ambitieuse qui le voit repousser les prétentions des Hongrois sur la Bavière, récupérer la Lusace et recevoir l’hommage du duc tchèque de Bohême. En 1032, à la mort sans descendant du dernier roi des Deux Bourgogne (allant du Jura à la Provence), il affronte un autre prétendant, le comte Eudes II de Blois allié à diverses entités suisses (comté de Genève, comté équestre de Nyon, sires de Grandson dans le pays de Vaud). Finalement victorieux, l’Empire intègre les royaume et comté de Bourgogne. A cette occasion, son lieutenant Humbert conquiert les vallées de Maurienne et de la Tarentaise et fonde la Maison de Savoie qui, du XIe au XIIIe siècle, va s’étendre de part et d’autre des Alpes (cf. Formations de la France et de l’Italie) sous la tutelle plus ou moins réelle de l’Empire. Sous l’empereur Henri III, la majesté impériale est reconnue par les royaumes slaves (tels que la Pologne) et scandinaves. Sa domination est en revanche contestée par les nobles Saxons, qui se révoltent (1073-1075).

A cette époque l’empereur Henri IV est mineur. Le pape en profite pour s’affranchir de la tutelle qu’Otton 1er avait imposée à l’Église, notamment en ce qui concerne l’investiture temporelle et spirituelle des évêques. En 1075, un décret papal supprime ce droit aux laïcs. L’année suivante, Grégoire VII excommunie l’Empereur et délie ses sujets de leur obligation d’obéissance à son égard, ce dont certains féodaux profitent pour contester l’autorité impériale. Pour sortir de cette Querelle des investitures et reprendre le contrôle de la situation, Henri IV n’a pas d’autre choix que de traverser les Alpes, en plein hiver, pour aller s’incliner devant le pape à Canossa, en Émilie-Romagne (1077). Trois ans plus tard, une nouvelle rupture survient entre les deux hommes et l’Empereur nomme un antipape, qu’il ne réussit pas à imposer hors de l’Empire. La querelle s’achève par la signature du concordat de Worms, en 1122, par lequel l’Empereur ne conserve que l’investiture temporelle des évêques d’Allemagne. Tous ces épisodes ont fragilisé le pouvoir impérial qui, par deux fois (en 1110 puis 1131), doit reconnaître l’autonomie des féodaux.

L’église gothique Notre-Dame de Trêves

La guerre des princes

La dynastie salienne s’étant éteinte en 1125, le trône échoit au duc de Saxe, dont les troupes avaient infligé, dix ans plus tôt, une cuisante défaite à celles d’Henri V lors de la révolte de la noblesse saxonne. Mais l’élection de Lothaire III est contestée par les Hohenstaufen (du nom de leur château en basse-Souabe), ducs de Souabe et de Franconie. Une guerre éclate alors entre les partisans de ces derniers et ceux de Lothaire, qui s’est placé sous la suzeraineté du pape.

Malgré ce conflit, l’Empereur engrange des succès, tels que la soumission de princes « Wendes », nom donné à des Slaves non christianisés. Soumis et convertis, certains de leurs princes prennent la direction de marches (districts militaires frontaliers) de l’Empire, comme les Poméraniens (nord-est de l’Allemagne et nord-ouest de la Pologne actuels) et les Obodrites du Mecklembourg. Du XIIe au XIVe siècle, des centaines de milliers de Saxons, Westphaliens, Rhénans, Hollandais, Flamands, Franconiens, poussés par la raréfaction des terres disponibles et le désir d’affranchissement, affluent vers l’Est afin de mettre en valeur les nouvelles terres conquises à la faveur de l’affaiblissement de la Pologne. Plus au sud, la Silésie et l’Est du royaume de Hongrie, dévastés par les invasions des Mongols, sont repeuplés par des colons de langues germaniques, auxquels le roi de Bohême fait également appel, au XIIIe, pour exploiter les mines d’argent découvertes sur le pourtour de son pays : ils sont les ancêtres des Allemands des Sudètes. A l’époque arrivent aussi les premiers Roms, arrivés d’Inde comme serviteurs des Mongols : bûcherons, éleveurs de chevaux, tanneurs, chaudronniers ou saltimbanques, ils vont recevoir le surnom de « Bohémiens ».

Sur le sol allemand lui-même, la guerre entre princes se poursuit lorsque, en 1138, un Hohenstaufen est élu à la place de l’Empereur défunt. L’impétrant trouve sur son chemin un héritier de Lothaire : le duc de Bavière, membre de la dynastie des Welfs, une très ancienne et puissante famille de la noblesse franque ; une de ses branches collatérales a dirigé le royaume de Bourgogne de 888 à 1032 et sa branche principale règne sur des comtés en Alémanie, en Bavière et en Carinthie, jusqu’à ce que ces possessions passent, au milieu du XIe, à la maison italienne d’Este (qui prend localement le nom de Welfs de Bavière). C’est d’ailleurs en Italie que l’opposition entre Gibelins (partisans du pouvoir impérial) et Welfs ou Guelfes (soutenus par le pape) va se poursuivre, lorsque le nouvel empereur Hohenstaufen, Frédéric 1er Barberousse, essaie d’étendre son pouvoir dans la péninsule italienne et se heurte à la Ligue lombarde. En plus du comté de Bourgogne qu’il a reçu en dot, il s’efforce, durant son long règne (1152-1190), de renforcer le pouvoir impérial contre les féodaux allemands. Sa cible principale est le Welf Henri le Lion, qui dispute le duché de Saxe à la Maison d’Ascanie, née au XIe dans l’est de la Francie orientale, le long de l’Elbe et de son affluent la Saale.

Évincé de Saxe, le chef des Ascaniens, Albert 1er l’Ours, s’impose en 1157 comme le premier margrave de Brandebourg, l’ancienne marche de l’Est saxon formée au-delà de l’Elbe, au nord de la marche de Misnie.  En 1180, Frédéric Barberousse démantèle le duché de Saxe, qu’il redonne aux Ascaniens ; le chef des Welfs ne conserve que la région de Brunswick et perd aussi la Bavière, que l’Empereur attribue au seigneur bavarois de Wittelsbach. Le comté de Tyrol, qui contrôle l’important col du Brenner (reliant la Germanie à l’Italie), profite de la situation pour s’émanciper de la Bavière, ce que fera aussi la principauté ecclésiastique de Salzbourg au siècle suivant. Plus à l’est, le margraviat d’Autriche est promu, en 1156, au rang de duché, toujours sous la domination des Babenberg qui vassalisent le duché de Styrie (détaché de celui de Carinthie) à la fin du même siècle.

Les conflits entre partisans du pape et de l’empereur n’étant pas terminés, des Guelfes se révoltent sous le règne de Henri VI, qui élargit cependant son domaine italien en devenant roi de Sicile (1194), territoire qui inclut alors une large partie de l’Italie méridionale. Son fils étant trop jeune pour lui succéder, lorsqu’il disparait, le trône impérial échoit à Otton IV de Brunswick, fils du chef des Welfs qui a encore renforcé le poids de sa Maison, en se mariant avec une princesse de la dynastie Plantagenêt régnant en Angleterre. Mais le passage du seul Welf sur le trône impérial est sans lendemain. Bien que soutenu par le pape, il est excommunié, après s’être emparé des territoires pontificaux de Spolète et d’Ancône, puis déposé en 1214, après sa défaite face au roi de France à la bataille de Bouvines.


L’extrême fractionnement du territoire germanique

En 1215, un Hohenstaufen fait son retour comme roi des Germains[1], avant d’être couronné empereur cinq ans plus tard. Fils de Henri VI, mais de culture sicilo-normande (par sa mère), Frédéric II se montre surtout intéressé par son domaine italien. Ce positionnement indispose fortement le pape, qui se considère comme le seul à avoir une autorité légitime sur les affaires italiennes et sur la chrétienté. L’empereur n’en délaisse pas pour autant l’Allemagne. Pour y rétablir la paix, Frédéric II octroie aux évêques et abbés royaux une charte, en vertu de laquelle il renonce à influencer les élections et à exercer ses droits régaliens sur les territoires ecclésiastiques. Il donne également aux princes laïcs un statut (privilège de Worms) qui en fait les maîtres de la terre et de la justice, autonomie que son fils renforce en accordant aux princes séculiers l’hérédité des fiefs. Dès cette époque, les terres allemandes sont de facto quasi indépendantes du pouvoir impérial.

En 1235, le conflit entre Guelfes et Gibelins d’Allemagne prend fin avec la paix de Mayence. C’est la première loi d’Empire à ne pas être rédigée en latin, mais en allemand, en l’occurrence en haut-allemand. Toutefois, la nécessité d’unifier les différents dialectes – qui se manifestent par des écrits variant fortement d’une région à l’autre – ne s’imposera pas avant la fin du XVe siècle[2]. Homme de science et d’art, Frédéric II finit son règne dans l’agitation, en particulier en Lombardie où les Gibelins et les Guelfes continuent de s’affronter et où le pape s’inquiète de la puissance croissante de l’Empire. Estimant que ses avertissements sur la nécessaire séparation de la Germanie et de l’Italie n’ont pas été écoutés, il excommunie l’Empereur par deux fois, sans parvenir à lui trouver durablement un remplaçant.

La disparition de Frédéric II, en 1250, est suivie d’un interrègne d’une vingtaine d’années, accompagné de violences, de l’élection d’anti-rois liés au pape et d’un morcellement territorial qui va aboutir à la constitution de plus de 250 États, laïcs ou ecclésiastiques, principautés et cités… Tandis que l’Italie, la Provence et la Bourgogne s’éloignent de l’Empire, plusieurs États allemands s’affirment : les margraviats de Brandebourg (aux mains des Ascaniens) et de Misnie (possession des Wettin[3]), les duchés de Saxe (à l’est de Magdebourg), d’Anhalt (né en 1212 dans l’est de la Saxe[4]) et de Brunswick, le landgraviat de Thuringe, la Bavière et le Palatinat du Rhin (au sud de Mayence), les deux derniers étant la propriété de la Maison des Wittelsbach

L’Ouest se morcelle en principautés ecclésiastiques (Cologne, Mayence, Münster…) et en villes libres, telles que Francfort et Nuremberg. En 1247, la disparition du dernier landgrave de Thuringe déclenche une guerre qui aboutit à la scission de l’État : la partie orientale passe aux Wettin, margraves de Misnie, et la partie occidentale à des parents du duc de Brabant pour former le landgraviat de Hesse (autour de Cassel). Deux autres États « historiques » de l’Empire disparaissent à la même époque : le duché de Franconie, divisé par l’empereur au tournant des XIIe et XIIIe, et celui de Souabe, qui ne résiste pas à l’extinction de la lignée Hohenstaufen, en 1268. Déjà affecté par la sécession du margraviat de Bade (en 1112) et du comté de Wurtemberg (en 1135), le duché de Souabe se désintègre en plusieurs abbayes, villes libres et seigneuries, dont certaines passent aux mains des Habsbourg ou de la Maison souabe des Hohenzollern.

Sur les bords les plus orientaux de la Baltique, le pouvoir est exercé, en toute indépendance, par deux ordres militaro-religieux chargés de coloniser les terres païennes situées entre la Vistule et le golfe de Finlande : les chevaliers Porte-Glaive – créés en 1202 pour soutenir l’effort de colonisation entrepris avec la fondation de la ville de Riga (1180) – et les chevaliers Teutoniques apparus en 1190-1191 en Terre sainte, sous le nom de « Frères hospitaliers allemands de Sainte-Marie de Jérusalem ». Les deux ordres, qui fusionnent en 1237, finissent par dominer tous les territoires de la zone et y fondent des villes telles que Königsberg (dont ils feront leur capitale, après la ville de Marienburg, en Poméranie, choisie en 1309).

Un peu plus à l’ouest, le XIIIe siècle a vu apparaître la Ligue hanséatique (ou teutonique), association de grandes villes marchandes du nord de l’Allemagne, parlant le moyen bas-allemand (langue qui a pris la suite du vieux-saxon) : Hambourg, Brème, Lübeck… Au départ, il ne s’agit que d’une alliance commerciale destinée à contrôler le trafic de marchandises en Baltique et en mer du Nord, entre la Rus de Kiev, la Scandinavie, la Flandre, l’Angleterre et même la Gascogne. Mais, à partir de sa naissance officielle (en 1281), la Ligue hanséatique s’affirme comme une puissance militaire, capable d’infliger un blocus à Bruges et à la Norvège, ou encore de participer à la nomination du roi du Danemark.

[1] Lors de son couronnement, il utilise le manteau de son beau-père, le roi de Sicile, qui devient alors le manteau de sacre des empereurs et sera utilisé par quarante-sept d’entre eux.

[2] Lorsque Gutenberg invente l’imprimerie à caractères métalliques mobiles et publie son premier livre (la Bible) selon cette technique à Mayence, en 1445, elle est encore écrite en latin.

[3] La marche de Misnie longe l’Elbe, de la Lusace à la Bohême.

[4] Le duché d’Anhalt éclatera en multiples principautés aux siècles suivants.

Monument Gutenberg à Francfort

La montée en puissance des Habsbourg et de la Suisse

Dans ce contexte d’affaiblissement généralisé de l’Empire, la noblesse finit par s’entendre, en 1273, sur la nomination comme empereur d’un seigneur de Suisse et de haute Alsace, Rodolphe 1er de Habsbourg, jugé trop peu puissant pour nuire aux intérêts des Welfs ou des Wittelsbach. C’est une grave erreur d’appréciation car, très vite, le nouvel élu affiche ses prétentions sur le duché d’Autriche, tombé en déshérence depuis la mort du dernier duc de la famille Babenberg. En 1278, Rodolphe défait l’autre prétendant affiché – le roi de Bohême Ottokar II, qui avait profité de l’interrègne pour étendre ses territoires – et s’empare aussi de la Styrie et de la Carinthie. La puissance des Habsbourg, qui établissent leur capitale à Vienne, n’est cependant pas encore à son faîte : non seulement, le fils de Rodolphe est évincé du trône impérial en 1291, mais leur autorité est contestée dans leurs fiefs de Souabe et de Suisse, où la rébellion des populations alimente des légendes telle que celle de Guillaume Tell. En 1315, les troupes des Habsbourg sont écrasées à Morgarten (au sud de Zurich) par les soldats, pourtant très inférieurs en nombre et en armement, de la Ligue des trois cantons, préfiguration de ce qui sera plus tard appelé la Confédération helvétique : fondée en 1291 par les contrées forestières de Ur, Schwyz et Unterwald, situées au nord du col alpin du Saint-Gothard (seul passage direct vers l’Italie), la « ligue éternelle » va se renforcer au cours des décennies suivantes avec les adhésions de Lucerne, Zurich ville impériale et Berne, jusqu’à former la Confédération des VIII cantons (1353).

L’éviction des Habsbourg du trône impérial entraîne son passage à plusieurs familles successives, telles que la Maison de Luxembourg. Son représentant Charles IV, également roi de Bohême (après le mariage de son père avec l’héritière de la dynastie Prémyslide), ouvre la première université de langue allemande à Prague en 1347 et mène une politique d’expansion qui le voit conquérir le Brandebourg, le Haut-Palatinat et la Lusace. En revanche, l’Empereur vend au duc d’Anjou, frère du roi de France, les derniers vestiges de l’ancien royaume des Deux-Bourgogne (cf. Formation de la France).

En 1356, au lendemain d’une peste noire qui a décimé le tiers de la population européenne, la Bulle d’or codifie le choix de l’Empereur germanique : indépendant du pape, il sera désormais élu par sept Grands Electeurs[1], à savoir les princes archevêques de Mayence, Cologne et Trêves, le roi de Bohême, le margrave du Brandebourg, le duc de Saxe et le comte palatin[2] du Rhin (Palatinat). Le statut d’électeur est en revanche refusé à l’Autriche. En réaction, les Habsbourg se parent unilatéralement du titre d’archiducs[3]. Ils divisent également leurs domaines en deux : d’un côté le duché d’Autriche, de l’autre « l’Autriche intérieure » composée des duchés de Styrie, de Carinthie et de Carniole, du comté de Tyrol (récupéré en 1363), des territoires souabes (« Autriche antérieure »), ainsi que de l’Istrie et de Trieste, en marge de l’Italie.

Par ailleurs, la famille autrichienne n’a pas renoncé à reprendre les cantons suisses de Haute-Alémanie, contre lesquels elle envoie ses armées. Mal lui en prend car ses troupes sont sévèrement défaites, en 1386 à Sempach, puis en 1388. Dans les deux cas, les soldats expérimentés des Habsbourg ont été battus par des montagnards inférieurs en nombre qui, sur le champ de bataille, arborent une bannière sur laquelle figurent deux bandes croisées blanches sur fond rouge. Ces victoires vont faire des Suisses des mercenaires recherchés, concurrents des Souabes, à travers toute l’Europe[4] et aboutir à la signature d’un traité de paix, en 1389 : il fait de la Ligue des VIII cantons un État souverain dans l’Empire, affranchi de la tutelle des Habsbourg. Le comté de Genève perd en revanche toute indépendance : vassal des Savoyards depuis le milieu du XIVe, il est officiellement acheté au début du XVe par le comté de Savoie, dont l’empereur germanique fait un duché en 1416.

L’année précédente, l’électorat de Brandebourg a changé une dernière fois de mains. Passé des Ascaniens aux Wittelsbach de Bavière en 1320, puis à la Maison de Luxembourg, il est vendu par cette dernière au burgrave de Nuremberg, membre de la ligne cadette des Hohenzollern. Son voisin, le Mecklembourg est érigé en duché (1348) ; de scissions en réunifications, il existera jusqu’en 1918.

[1] Le nombre de Grands électeurs passera à huit en 1623 (duc de Bavière), puis à neuf en 1693 (duc de Hanovre).

[2] Le titre vient des comtes du palais qui représentaient l’empereur carolingien, puis germanique, dans chaque duché de leur empire.

[3] Le titre ne sera légalisé qu’en 1453, sous l’empereur (Habsbourg) Frédéric III.

[4] La garde suisse pontificale sera notamment créée en 1506.


Tensions aux extrémités de l’Empire

Au début du XVe siècle, un nouveau front – celui-ci de nature religieuse – s’ouvre au sein de l’Empire, plus précisément en Bohême, où le théologien Jean Hus prêche un retour à une Église apostolique, spirituelle et pauvre et prône une réforme ecclésiastique passant par le pouvoir laïc. Jugé hérétique, Hus est exécuté, ce qui déclenche une rébellion de ses partisans, dont le point de départ est la défenestration des échevins de Prague en 1419. Le pape et l’Empereur lancent alors une croisade qui aboutit, en 1434, à la défaite des hussites les plus radicaux (les taborites), mais aussi à la prise en compte des revendications des plus modérés.

Trois ans plus tard, la Bohême passe, par mariage, de la Maison de Luxembourg à celle des Habsbourg. En 1422, c’est l’électorat de Saxe (ou Saxe-Wittenberg) qui a changé de mains : l’extinction de la branche des Ascaniens a entraîné sa transmission de aux Wettin qui, après l’avoir uni à leurs possessions de Thuringe, le fractionnent en plusieurs États. Une autre branche des Ascaniens continue de régner sur une des principautés d’Anhalt[1]. Au XVIIIe, l’une de ses membres deviendra impératrice de toutes les Russies sous le nom de Catherine II.

En 1438, après le passage des Luxembourg et des Wittelsbach, un Habsbourg est de nouveau couronné à la tête de l’Empire, sous le nom d’Albert II. Cette dynastie ne quittera plus le pouvoir impérial jusqu’à ce qu’il disparaisse, à l’exception d’un court intermède, entre 1740 et 1745. Malgré la mort prématurée d’Albert II, le pouvoir reste en effet aux mains des Habsbourg : le prince qui gouvernait les fiefs d’Autriche intérieure est élu roi des Romains[2] en 1440, puis porté douze ans plus tard à la tête de l’Empire, sous le nom de Frédéric III. Dernier empereur couronné à Rome, il devient également archiduc d’Autriche en 1457, réunifiant ainsi les différentes possessions familiales.

A l’Est, les chevaliers Teutoniques sont malmenés. La dégradation de leurs relations avec la dynastie Jagellon, qui dirige la Pologne et la Lituanie, aboutit à une guerre qui se termine par leur défaite à la bataille de Grunwald, en 1410. Trente ans plus tard, plus de soixante-dix seigneurs et villes de Prusse se rebellent contre le despotisme des moines-chevaliers. Soutenue par la Pologne, cette Ligue de Prusse l’emporte et obtient, en 1466, la scission du domaine teutonique. La Prusse occidentale, voisine de la Poméranie, devient connue sous le nom de Prusse royale, avec le port hanséatique de Dantzig (Gdansk) comme ville principale ; unie personnellement au souverain polonais, elle ne fait en revanche juridiquement pas partie de son royaume[3]. Les Teutoniques conservent la Prusse orientale, dont le centre politique est Königsberg, tandis que l’ordre affilié de Livonie contrôle les territoires baltes, avec Riga pour capitale.

Pacifié depuis la fin de la révolte suisse, l’Ouest de l’Empire connaît un nouvel épisode de tension dans les années 1470, en raison de l’appétit du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, qui convoite la Lorraine et la Savoie (sous tutelle impériale), ainsi que les cantons helvétiques. Pour se défendre, ces derniers rejoignent la Ligue alémanique (ou Ligue de Constance) qui associe notamment les ville et évêque de Strasbourg, ainsi que l’archiduc d’Autriche. Battu par cette coalition à Héricourt (Haute-Saône actuelle), Charles le Téméraire est tué en 1477 à Nancy, en combattant le duc de Lorraine et les Suisses. Sa disparition entraîne le démantèlement des États bourguignons, qui sont partagés entre la France (qui prend le duché de Bourgogne) et l’archiduc d’Autriche : marié à la fille du défunt duc de Bourgogne, Maximilien de Habsbourg récupère les actuels Pays-Bas et Belgique, ainsi que le comté de Bourgogne (actuelle Franche-Comté) vendu par les Suisses.

La défaite du duc de Bourgogne entraîne celle de son allié savoyard, qui doit céder plusieurs possessions aux cantons helvétiques. Berne et Fribourg récupèrent des territoires tels que Grandson et Aigle, les premiers de langue romane à entrer dans une Confédération qui parle alors exclusivement des dialectes alémaniques. En 1475, la Maison de Savoie doit également abandonner le bas-Valais, lui aussi francophone, à l’évêque de Sion, qui dirigeait déjà le Haut-Valais sous la tutelle de l’Empire. Les cantons suisses étendent également leurs territoires au sud des Alpes, en zone italophone, après une bataille victorieuse contre le duc de Milan, en 1478 à Giornico (Tessin). Au début du XVIe, Bellinzone, Lugano et Locarno rejoignent la Confédération.

Victorieux des Bourguignon, les Habsbourg voient en revanche leurs possessions autrichiennes fragilisées par les ambitions dévorantes du roi de Hongrie Mathias Corvin, qui transfère même sa capitale à Vienne, en 1485. Mais la situation se retourne à sa mort cinq ans plus tard, avec l’accession au trône de Hongrie du roi de Bohême, membre de la famille lituanienne des Jagellon régnant sur la Pologne.

En 1496, les Habsbourg reprennent leur expansion territoriale, lorsque Philippe le Beau épouse l’héritière des trônes de Castille et d’Aragon. Il est le fils de l’empereur Maximilien 1er, dont le règne marque un début d’unification linguistique, la chancellerie de Vienne prenant en effet pour modèle le haut-allemand parlé dans les grandes villes du Sud telles que Nuremberg et Augsbourg. Au Nord, le haut-allemand prédomine aussi comme langue écrite, mais sous une forme dialectale : le moyen-allemand. C’est elle qui finira par s’imposer, notamment à travers les écrits de Luther (cf. infra). C’est également sous Maximilien que, en 1495, la diète de Worms proscrit les guerres privées ayant sévi durant tout le XVe et institue un tribunal arbitral d’Empire pour régler les différends entre États.

Mais l’un d’entre eux refuse d’appliquer ces nouvelles dispositions : la Confédération helvétique. Bien que déchirée par de fortes rivalités entre cantons ruraux et citadins (réglées par le convenant de Stans signé en 1481), elle a affirmé son indépendance en refusant d’intégrer la Ligue de Souabe, conçue par les Habsbourg comme une alliance destinée à freiner l’expansion des Wittelsbach de Bavière. La guerre de Souabe est déclenchée en 1499, lorsque Maximilien 1er cherche à étendre la domination impériale jusqu’aux cols des Alpes et sur les rives du lac de Constance, afin de conforter les positions autrichiennes au Tyrol et à Milan. Ce faisant, il s’en prend aux Ligues rhétiques (ou grisonnes) – formées à la fin du Moyen-Age dans l’actuel canton des Grisons (dans le sud-est de la Suisse) – qui reçoivent l’appui des cantons suisses, soutenus par la France. En sept mois, les troupes autrichiennes enregistrent tellement de défaites qu’un traité de paix est signé à Bâle. Outre la reconnaissance de l’intégrité territoriale des Ligues rhétiques, il consacre la quasi-indépendance de la Confédération helvétique : si elle est reste formellement membre de l’Empire, elle n’est plus soumise aux décisions impériales. En 1501, elle est renforcée par l’adhésion de Bâle, canton alémanique qui possède aussi des territoires de langue romane, dans le Jura. En 1513, la Confédération compte treize cantons, flanqués de nombreux sujets, vallées, abbayes, bailliages… S’y ajoutent, sur un pied d’égalité, les alliés que sont le Valais de l’évêque de Sion et les trois Ligues « grisonnes » (Ligue grise, Ligue des Dix-Juridictions et Ligue de la Maison-Dieu).

A la même période, la puissance de la Ligue hanséatique commence à décliner, victime de la fermeture du comptoir russe de Novgorod et de la montée en puissance des marchands anglais et néerlandais. La diète de 1518 constate qu’une trentaine de sa centaine de membres ne participe plus à aucune des activités de la Ligue, dont la dernière assemblée aura lieu cent-cinquante ans plus tard.

[1] Les différentes principautés d’Anhalt seront réunies en 1863.

[2] Le titre roi des Romains est porté jusqu’au couronnement comme empereur.

[3] L’autonomie de la Prusse occidentale diminuera à partir de 1569, lorsque la Pologne et la Lituanie s’uniront formellement pour former la république des Deux Nations.

Sur la place du marché à Wittenberg

Réforme et guerres de religion

En 1520, le fils de Philippe le Beau est sacré roi des Romains, à Aix-la-Chapelle, et se proclame empereur germanique sous le nom de Charles Quint (Charles V). Dix ans plus tard, il est le dernier empereur formellement couronné par le pape (à Bologne) ; ses successeurs le seront en Allemagne, généralement à Francfort, en même temps qu’ils sont sacrés rois, de sorte que le titre « d’empereur des Allemands » se substitue progressivement à celui « d’empereur des Romains ». Charles Quint est à la tête d’un Empire sur lequel « le soleil ne se couche jamais » puisqu’il comprend l’Espagne et les Pays-Bas espagnols, le royaume de Naples, les Philippines, ainsi que des territoires en Amérique et en Afrique du Nord (pour lutter contre les Barbaresques), en plus des États du Saint-Empire, qui sont de trois natures différentes : des principautés ecclésiastiques (gouvernées par des archevêques, évêques, monastères et ordres religieux), une centaine de villes libres et des États laïques (duchés, comtés, principautés, seigneuries) placés sous la suzeraineté immédiate ou indirecte (médiate) de l’Empereur. Tous sont représentés au sein de la Diète qui conseille le monarque.

A l’Est, la Bohême et la Hongrie – qui étaient passées sous la gouvernance des Jagellon – deviennent, par mariage, la possession des Habsbourg d’Autriche (1526). Mais la noblesse hongroise s’y oppose et choisit comme roi le voïvode de Transylvanie, vassal des Ottomans. L’intervention de ces derniers – qui échouent à prendre Vienne – conduit à un partage du territoire hongrois en trois zones : deux sont liées aux Ottomans et la troisième (ou Hongrie royale, à l’ouest) est aux mains des Autrichiens.

Le règne de Charles Quint est également marqué par de longues guerres contre les rois de France, en particulier en Italie (cf. La formation de l’Italie), mais surtout par le développement de la Réforme protestante. Elle est incarnée par le prêtre et théologien Martin Luther qui s’élève, en 1517, contre les abus de l’Église (en particulier le marchandage des indulgences religieuses) et rédige quatre-vingt-quinze thèses, qu’il affiche sur la porte de l’église de Wittenberg (sur les bords de l’Elbe). Sa critique du système en place est radicale, puisqu’il écrit notamment que « un chrétien est le maître de toutes choses et n’est le sujet de personne », ce qui lui vaut d’être excommunié et mis au ban de l’Empire et de trouver refuge chez l’électeur de Saxe. Durant deux ans (1524-1526), le message de Luther – dont la diffusion est favorisée par l’invention de l’imprimerie quelques décennies plus tôt – va entraîner des révoltes de paysans protestants à travers tout l’Empire, jusqu’en Alsace-Lorraine-Franche-Comté, en Suisse et dans les Alpes autrichiennes.

Ce « soulèvement de l’homme ordinaire » est un conflit qui a, à la fois, des causes religieuses, mais aussi sociales, dans la continuité des mouvements du Bundschuh (conjurations du « soulier à lacets », symbole des paysans), qui ont localement affecté les territoires germaniques, de 1493 à 1517. En Thuringe, Thomas Müntzer et son groupe instaurent même une sorte de théocratie radicale, qui critique violemment Luther, du fait que sa démarche a reçu le soutien de certains princes. Voyant que la révolte paysanne menace de se retourner contre ses appuis seigneuriaux, Luther condamne d’ailleurs les soulèvements. Sur les 300 000 paysans qui se sont révoltés, 100 000 sont tués par les troupes seigneuriales, largement composées de mercenaires. Une nouvelle rébellion éclate en 1534-1535 dans la ville de Münster, où les « anabaptistes » instaurent une théocratie durant plus d’un an : jugeant que la Réforme luthérienne ne va pas assez loin dans la séparation entre la religion et l’État, ces chrétiens adeptes d’une stricte lecture de la Bible professent que seuls les adultes peuvent être baptisés[1]. Leur mouvement est violemment pourchassé, au même titre que celui des Huttérites du Tyrol et de Moravie, anabaptistes qui prônent la mise en commun des biens.

Mais le péril le plus grave pour le régime est la rébellion des grands princes qui se sont convertis au luthéranisme (Saxe, Hesse, Palatinat, Wurtemberg) : protestant contre le refus impérial de leur octroyer la liberté religieuse (mouvement dont provient le nom de « protestantisme »), ils confisquent les possessions de l’Église dans leurs États. En 1525, le fils d’un margrave d’Ansbach devenu grand maître des chevaliers Teutoniques, Albert de Hohenzollern, passe dans le camp luthérien, sécularise les biens de l’Ordre et se fait reconnaître duc héréditaire de Prusse par la Pologne, ennemie historique des chevaliers. Par ricochet, la branche de Livonie – qui est restée catholique – restaure l’ordre des Porte-Glaives. En 1530, la diète d’Augsbourg ordonne la restitution des biens confisqués, mais les princes et villes protestants s’y refusent et des guerres de religion débutent entre « unions » catholiques et ligues protestantes. Celle de Smalkalde est battue en 1547 à Mühlberg (Saxe), mais la guerre continue, jusqu’à la signature de la paix d’Augsbourg (1555), après une intervention de la France (qui occupe les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun) : le texte reconnait aux États allemands le droit de choisir leur religion, laquelle sera automatiquement celle de leurs sujets (« Cujus regio, ejus religio »). Deux tiers des Allemands deviennent ainsi protestants.

Les violences religieuses n’épargnent pas la Confédération helvétique, dans laquelle les cantons catholiques s’opposent en 1531 aux cantons protestants ; le principal leader de ces derniers, Ulrich Zwingli, est tué à la bataille de Kappel. Les idées de la réforme luthérienne ont également gagné le Genevois qui, dans la seconde moitié des années 1530, s’érige en république de Genève, l’évêque abandonnant à la ville ses droits régaliens et son pouvoir seigneurial sur les habitants des villages environnants. En 1543, un théologien originaire de Picardie, Jean Calvin, rédige les Édits civils qui serviront de constitution à la nouvelle république, laquelle devient, une quarantaine d’années plus tard, un « allié éternel » de la Confédération suisse[2], laquelle s’enrichit un peu plus tard du pays de Vaud, pris par Berne à la Savoie.

[18] Anabaptistes ou rebaptiseurs (étymologiquement, le mot signifie « second baptême »). A la recherche de la perfection morale, ils sont aussi millénaristes, annonçant l’imminence de la fin du monde. Leurs héritiers sont les Mennonites et les Amish (anabaptistes suisses expulsés d’Alsace au début du XVIIIe).

[2] Pleinement émancipée du Saint-Empire romain germanique en 1648, Genève deviendra le 22ème canton de la confédération en 1815.


Les ravages de la guerre de Trente ans

En 1556, Charles Quint abdique, pour finir ses jours dans un couvent. Il partage ses domaines en deux : l’Empire et les États héréditaires autrichiens pour son frère Ferdinand d’Autriche, l’Italie, l’Espagne et ses possessions pour son fils Philippe II. Fervent catholique, ce dernier pousse à une contre-Réforme, quitte à remettre en question la paix d’Augsbourg. Cette politique va pousser le nord des Pays-Bas espagnols à se révolter, sous la direction de Guillaume « le Taciturne », personnage influent de la cour de Charles Quint à Bruxelles, membre de la Maison de Nassau. Née au XIIe siècle, cette famille d’Allemagne centrale (à l’est de Coblence) va donner une dynastie aux Pays-Bas et un roi à l’Angleterre (cf. Les pays du Benelux avant les indépendances modernes).

En 1609, les Habsbourg forment avec d’autres États une Sainte Ligue catholique qui, neuf ans plus tard, s’attaque aux Hussites de Bohême : cette coalition comprend le duché de Bavière, dont les princes Wittelsbach sont restés catholiques, alors que leur branche palatine a choisi le protestantisme ; la même division traverse la famille Hohenzollern, dont la branche de Souabe est toujours adepte du catholicisme, tandis que celles dite de Franconie et du Nord sont protestantes. Hostiles à l’autoritarisme des Habsbourg sur la Bohême, les nobles non catholiques du royaume molestent les délégués royaux en 1618 (défenestration de Prague), déchoient de son titre Ferdinand de Habsbourg (devenu l’empereur Ferdinand II) et choisissent comme roi de Bohême l’électeur Palatin, de confession calviniste. Ainsi débute la Guerre de Trente Ans qui fera au moins sept millions de morts. En 1620, les protestants sont battus à la Montagne blanche, près de Prague, ce qui entraîne l’internationalisation du conflit : le Danemark et la Suède entrent en guerre aux côtés de la Saxe, du Brandebourg et des différents princes allemands convertis au protestantisme. En 1635, la France – catholique, mais déterminée à empêcher tout succès des Habsbourg – rejoint à son tour le conflit, aux côtés de la Suède, de la Savoie, de la Suisse et des Provinces-Unies néerlandaises.

Les hostilités prennent fin en 1648, avec les traités de Westphalie. Le duché de Bavière récupère le Haut-Palatinat (nord de la Bavière), alors que les Habsbourg conservent la Bohême et la Moravie, ainsi que le trône impérial, mais à un prix très lourd. L’Empire perd officiellement deux membres importants, la Suisse et les Provinces-Unies, tout en comptant encore plus de trois cent quarante États souverains, libres de mener à leur guise leur politique extérieure, pourvu qu’elle ne nuise pas aux intérêts impériaux. Les calvinistes, qui se sont propagés depuis Genève, reçoivent par ailleurs les mêmes droits que les autres protestants. Ce n’est pas le cas des Hussites qui se retrouvent persécutés en Bohême et dont certains, les « Frères Moraves », émigreront en Saxe[1]. Enfin, l’Empire perd de nombreux territoires tels que la Haute-Alsace au profit de la France et la Poméranie occidentale, le Mecklembourg et Brême en faveur de la Suède. La Lusace passe à la Saxe et la Poméranie orientale est attribuée à un Brandebourg en pleine expansion : son prince-électeur, qui a hérité du duché de Clèves[2] et de ses dépendances à la frontière des actuels Pays-Bas et reçu le duché de Prusse en union personnelle (1618), annexe aussi l’ancien archevêché de Magdebourg (1680).

En 1674, l’Empire et le Brandebourg s’allient aux Provinces-Unies et à la monarchie espagnole lors de la guerre de Hollande qui les oppose à la France et à ses alliés (Bavière, Münster, Angleterre et Suède). Signé quatre ans plus tard, le traité de Nimègue attribue au royaume français la cité épiscopale de Besançon ainsi que la « Franche comté » (ou comté de Bourgogne), dernière possession impériale de l’ancien Royaume des Deux Bourgogne. Poursuivant sur sa lancée, le roi de France annexe les années suivantes Strasbourg ainsi que plusieurs territoires de Lorraine, de Basse-Alsace et de Sarre qui étaient demeurés sous tutelle germanique.

Affaibli politiquement, l’Empire sort démographiquement exsangue des conflits : sa population a chuté de plus de 40 %, de très nombreux germanophones étant morts ou ayant quitté leurs pays en direction de la Hongrie, de la Galicie polonaise, de la Voïvodine (Serbie actuelle) et de la Bucovine (à cheval sur les actuelles Ukraine et Roumanie). L’Autriche retrouve en revanche de la vigueur. Après un nouvel échec des Ottomans devant Vienne en 1683, les Habsbourg et leurs alliés chrétiens reprennent progressivement le contrôle de la Hongrie, avec la Croatie et la Principauté de Transylvanie.

[1] Les héritiers de l’Église hussite forment l’Unité des Frères (Frères Moraves, très impliqués dans les activités missionnaires), ainsi qu’Église évangélique des frères tchèques.

[2] Comté rhénan né au XIIe siècle, Clèves est érigé en duché en 1417 à la suite de ses expansions (Berg, Ravensberg…) ; une large partie est occupée par les Provinces-Unies jusqu’au début de la guerre de Hollande en 1672.

Sansouci, le palais d’été de Frédéric II de Prusse

La montée en puissance de la Prusse face à l’Autriche

De 1693 à 1697, une nouvelle guerre, dite de la Ligue d’Augsbourg, oppose l’Empire et l’Espagne à la France. Signé en 1697, le traité de Ryswyck entérine les conquêtes françaises en Alsace et fixe la frontière avec l’Empire germanique sur le Rhin. La France doit en revanche restituer la quasi-totalité des territoires qu’elle a conquis en Sarre et reconnaître l’indépendance du duché de Lorraine, sujet germanique enclavé sur le sol français, puisque l’Alsace et la Franche-Comté sont passées sous la tutelle de Paris. Quatre ans plus tard, l’extinction de la branche espagnole des Habsbourg provoque la guerre de Succession d’Espagne qui oppose la France et son allié bavarois à tous les pays hostiles à l’arrivée d’une famille française, les Bourbon, sur le trône madrilène : l’Empire, l’Angleterre, les Provinces-Unies et le Danemark. Signés en 1713, les traités d’Utrecht consacrent la perte de l’Espagne par les Habsbourg qui, en revanche, acquièrent les possessions des Espagnols aux Pays-Bas (la Belgique actuelle) et en Italie, quitte à les céder ensuite (cf. La formation de l’Italie).

L’Empire opère par ailleurs un léger regroupement, dont témoigne la réunion de deux des trois duchés de Brunswick (séparés au siècle précédent) en un seul État, l’électorat de Hanovre, dont l’électeur devient roi d’Angleterre en 1714 et qui s’agrandit, l’année suivante, de l’ancienne principauté ecclésiastique de Brême cédée par la Suède. Il n’empêche que, à la fin du XVIIIe, près de trois cents États sont encore représentés à la Diète, sans compter les fiefs de 1500 « chevaliers d’Empire ».

Dans ce morcellement étatique, deux États affirment leur puissance : la Saxe (dont le duc règne sur la Pologne pendant une cinquantaine d’années, entre 1697 et 1764) et surtout le royaume de Prusse. Celui-ci résulte de la fusion, en 1701, de l’électorat de Brandebourg avec le duché de Prusse, qui s’est libéré, en 1660, de sa vassalité vis-à-vis de la Pologne. Le roi « en Prusse », Frédéric-Guillaume 1er, dote le nouvel État d’un gouvernement centralisé, dont la capitale est Berlin, et de moyens militaires renforcés, y compris dans le domaine maritime. Attirés par la traite négrière et le commerce avec les Antilles, les Brandebourgeois ont établis des colonies en Afrique, dans l’île d’Arguin (au large de la Mauritanie) et sur le golfe de Guinée, dans l’actuel Ghana (cette Côte de l’or prussienne sera revendue aux Hollandais dans les années 1720).

C’est dans ce contexte que le royaume prussien se retrouve allié de la Russie, dans la grande guerre du Nord (1700-1721) qui l’oppose à la Suède. Les Suédois ayant été défaits, les Prussiens s’emparent du sud de la Poméranie occidentale, qui jouxte le Mecklembourg. Inversement, l’Autriche doit faire face, de 1703 à 1711, au soulèvement de la Hongrie, soutenue par la France. La révolte est finalement matée et le principe de l’indivisibilité de la Hongrie et des provinces héréditaires des Habsbourg est réaffirmé (Pragmatique Sanction de 1713).

En 1740, à la mort de son père, Marie-Thérèse d’Autriche prend la tête des États des Habsbourg, Hongrie et Bohême comprise. Seul un homme pouvant accéder au titre impérial, elle promeut la candidature de son mari, ancien duc de Lorraine et de Bar, ce qui déclenche la guerre de succession d’Autriche. Alliés à l’Angleterre, les Autrichiens affrontent la Prusse, la Bavière, la Saxe et leurs alliés (France, Piémont-Sardaigne et Espagne) qui font élire le duc de Bavière comme Empereur. Finalement, les Habsbourg font leur retour sur le trône impérial en 1745, en la personne de François 1er de Habsbourg-Lorraine, tandis que la Prusse reçoit la majeure partie de la Silésie.

Onze ans plus tard, par crainte que les Autrichiens ne cherchent à reprendre la province qu’ils ont perdue, le roi de Prusse Frédéric II attaque la Saxe, alliée de l’Autriche. C’est le début de la guerre de Sept ans, dans laquelle les alliances ont changé : cette fois, les Habsbourg sont alliés aux Français et aux Russes, alors que la Prusse ne peut compter que sur le Hanovre et sur la Hesse. Bien équipée et coordonnée, l’armée de Frédéric « le Grand » enregistre des succès, en dépit de son infériorité numérique. C’est toutefois le retrait des Russes – dont le nouveau tsar admire le roi de Prusse – qui permet la signature d’une paix sans vainqueur en 1763 : les Prussiens rendent la Saxe et conservent la Silésie.

Un nouvel affrontement entre les deux puissances de l’Empire débute en 1777, lorsque l’extinction de la branche bavaroise des Wittelsbach entraîne le passage de la Bavière à la branche palatine, laquelle réunit ainsi les possessions de la famille. Mais le décès précoce du nouveau duc déclenche la guerre de Succession de Bavière, la Prusse s’opposant à toute mainmise des Habsbourg sur le duché. Cette « guerre des patates » – allusion au fait qu’une bonne partie des soldats décédés sont morts de faim – débouche en 1779 sur une paix qui confie les possessions des Wittelsbach à une branche cadette de la famille. Elle confirme aussi les dispositions prises après la guerre de Sept ans : l’Autriche se voit interdire toute nouvelle expansion territoriale en terre allemande.

Elle trouvera à s’agrandir du côté de l’Empire ottoman (avec la Bucovine dans les années 1770 et quelques très maigres gains en 1791) et surtout au détriment de la Pologne, qui disparait totalement après trois partages successifs en 1772, 1793 et 1795. A l’issue de ce dépeçage, l’ancien royaume polonais se retrouve divisé en trois zones : une zone autrichienne autour de Cracovie dans le sud, une zone russe autour de Varsovie au centre et une zone prussienne au nord (Mazovie) et à l’ouest (Grande Pologne, autour de Poznan) ; en récupérant l’ancienne « Prusse royale » sous suzeraineté polonaise, l’État prussien assure une continuité territoriale entre sa partie orientale (l’ancien duché de Prusse) et ses territoires occidentaux (Brandebourg, Magdebourg, Poméranie…). La Prusse annexe aussi Dantzig (aujourd’hui Gdańsk), ancienne capitale du duché de Poméranie qui était devenue ville libre au sein de la république des Deux Nations (Pologne-Lituanie).


De l’Empire germanique à l’Empire allemand

En 1792, la France révolutionnaire commence à s’étendre sur la rive gauche du Rhin, expansion qui se poursuit à plus grande échelle sous Napoléon 1er. Après les batailles d’Austerlitz (en Moravie) et d’Iéna (en Thuringe), quasiment tous les États allemands sont sous influence française, à l’exception de la Prusse et de l’Autriche, laquelle a dû céder le Tyrol à la Bavière (promue au rang de royaume, toujours sous la gouvernance des Wittelsbach), ainsi que ses dernières possessions de Souabe au grand-duché de Bade et au Wurtemberg (érigé lui aussi en royaume). En Italie, le Saint-Empire a définitivement perdu la suzeraineté, très théorique, qu’il détenait encore sur ses différents fiefs (Milanais, Toscane, Lucques, duchés de Parme et Modène).

En 1804, l’archiduc d’Autriche prend le titre d’empereur d’Autriche, réunissant de jure dans un même État les possessions des Habsbourg jusqu’alors dispersées en divers royaumes, principautés et duchés : Autriche, mais aussi Bohême, Hongrie, Lombardie-Vénétie…. En revanche, François II doit se soumettre, en 1806, à l’ultimatum que lui a fixé Napoléon : il renonce à la couronne impériale et rend leur totale liberté aux Etats allemands, enterrant ainsi le Saint-Empire. Mais, sept ans plus tard, la défaite des troupes napoléoniennes à Leipzig amorce le retrait des Français, qui sont définitivement vaincus en 1815.

Le Congrès de Vienne, qui met fin au conflit, remplace le Saint-Empire par une Confédération germanique (Deutsche Bund), dont la Diète siège à Francfort-sur-le Main. Elle est composée de trente-neuf États souverains (Hanovre, Saxe, Bavière, Wurtemberg, Bade…). A l’instigation de l’influent diplomate autrichien Metternich, elle est placée sous la direction honorifique des Habsbourg d’Autriche (qui reprennent le Tyrol), mais le pays le plus puissant est le royaume de Prusse : il a récupéré la Poméranie qui était encore suédoise, ainsi que le nord de la Saxe, la Westphalie et la Rhénanie[1], dont des parties du Limbourg et du Luxembourg (cf. Les pays du Benelux). Érigé en royaume, le Hanovre s’agrandit de la Frise orientale (qui était prussienne). Au Sud, la Bavière reçoit une large partie de la Franconie et un Palatinat reconstitué sur la rive gauche du Rhin.

Bien que le nombre de ses membres ait fortement diminué, le territoire de la Confédération a encore des allures de puzzle : ainsi, les moitiés orientale et occidentale du royaume prussien sont séparées par des États tels que le Brunswick (lui-même divisé) et le Hanovre (dont le territoire enserre le duché d’Oldenbourg[2]), tandis que la Hesse-Darmstadt sépare les deux parties du royaume bavarois et que la Thuringe est fractionnée en une demi-douzaine de principautés[3]. En outre, le périmètre de la Confédération n’épouse pas totalement le territoire de ses deux principaux membres : la Hongrie, la Galicie et la Lombardie-Vénétie autrichiennes n’en font pas partie, pas plus que les Prusse orientale et occidentale.

Le Congrès de Vienne entérine également la reconnaissance officielle de la Confédération suisse (son nom officiel dans sa Constitution de 1815), qui compte alors vingt-deux cantons. Les dernières entités à l’avoir rejointe sont la république des Sept Dizains (successeure de la principauté épiscopale de Sion, dans le Valais) en 1798 et l’État allié des Trois ligues en 1799 (qui forme le canton de Rhétie), suivis en 1815 des francophones république de Genève et principauté de Neuchâtel[4]. Pour assurer sa continuité territoriale avec le reste de la Suisse, le canton genevois obtient quelques localités du pays de Gex français et de la Savoie administrée par le royaume de Sardaigne.

Dans la foulée du Congrès de Vienne, des constitutions d’essence libérale sont octroyées par certains souverains du Sud (Bavière, Wurtemberg, Bade), puis en Saxe et dans le Brunswick, après la révolution républicaine qui a secoué le royaume français en 1830. Des mouvements favorables à l’unification allemande commencent également à se développer à travers toute la Confédération. Un premier pas en ce sens est franchi en 1830, avec la création d’une union douanière (Zollverein) qui comprend vingt-cinq États, dont la Prusse mais pas l’Autriche. Les revendications unificatrices reprennent de l’ampleur, après la nouvelle révolution républicaine de 1848 en France. Les manifestants réclament majoritairement la création d’une Allemagne fédérale, dirigée par un Empereur, la question étant de savoir si elle comprendrait ou non l’empire autrichien, dont la moitié du territoire est située en dehors de la Confédération et dont les trois-quarts de la population parlent une autre langue que l’allemand (tchèque, hongrois, polonais, croate, italien…).

En Suisse, les querelles sont d’abord d’ordre religieux. La prise de mesures anti-catholiques par le Parti radical (comme la fermeture des couvents en Argovie), provoque la création d’une ligue sécessionniste des sept cantons conservateurs attachés au catholicisme : le Sonderbund ou Sondrebond (« alliance particulière » en allemand). Inférieurs militairement, ils sont battus en 1847 par les troupes protestantes du général Dufour qui, en ordonnant à ses soldats d’épargner les blessés, préfigure la fondation de la Croix-Rouge à laquelle il participera quelques années plus tard[5]. L’année suivante, la Constitution met un terme à l’indépendance quasi totale des cantons suisses et instaure un État fédéral, doté d’une monnaie et d’une armée uniques, ainsi que du célèbre drapeau à croix blanche sur fond rouge.

En Allemagne, c’est finalement la solution « petite allemande » prônée par la Prusse (c’est-à-dire sans l’Autriche) qui l’emporte. En compensation, la monarchie prussienne proposera aux Habsbourg une union entre eux et cette Allemagne fédérale, mais la dynastie autrichienne refusera de s’associer à une fédération dominée par les Prussiens. Le processus d’unification est accéléré par Otto von Bismarck : nommé Ministre-Président du royaume de Prusse en 1862, il a pour mission de renforcer le potentiel militaire prussien. L’occasion lui en est donnée deux ans plus tard, quand le roi du Danemark décide d’intégrer à son royaume les petits duchés de Schleswig, Holstein et Lauenbourg, qui n’étaient jusqu’alors que ses possessions personnelles. La Confédération germanique déclenche alors la guerre des duchés, à l’issue de laquelle la Prusse obtient le Schleswig et le Lauenbourg, tandis que l’Autriche hérite du Holstein… jusqu’à ce que les Prussiens décident de l’envahir en 1866. Condamnée par la Diète pour cette incursion, la monarchie prussienne voit se dresser contre elle une coalition qui associe l’Autriche à la Bavière et à d’autres États du sud (Bade, Wurtemberg, Hesse-Darmstadt) et même à des États du nord (Saxe, Hanovre, Nassau, Hesse-Cassel). Pourtant, les Prussiens, soutenus par la France et la jeune Italie, sortent victorieux de la confrontation en battant les Autrichiens à Sadowa en Bohême. Outre les anciens duchés danois, le royaume de Prusse annexe le Hanovre, la Hesse-Cassel et le duché de Nassau (pris à la maison royale des Pays-Bas), ce qui permet une continuité territoriale entre ses terres historiques et ses possessions rhénanes.

Pour consolider cette puissance, Bismarck dissout la Confédération germanique et forme une Confédération d’Allemagne du nord, associant vingt-et-un États, sous la direction d’un gouvernement fédéral dirigé par les Prussiens. La Bavière et les États du Sud n’en font pas partie, de même que le Liechtenstein enclavé entre l’Autriche et la Suisse[6], et le grand-duché de Luxembourg qui, affranchi de toute tutelle allemande[7], devient un pays neutre.

Vaincu et affaibli par son caractère multinational, l’Empire d’Autriche prend une nouvelle dénomination, destinée à accorder plus de place à la noblesse hongroise : il devient, en 1867, l’Empire austro-hongrois, double monarchie associant d’une part l’Autriche et ses dépendances (telles que la Bohême et la Galicie : la « Cisleithanie[8] »), de l’autre les royaumes de Hongrie et de Croatie-Slavonie réunis (« Transleithanie »). Dans ce dispositif, François-Joseph Ier est empereur à Vienne et roi à Budapest, les deux États disposant à la fois d’institutions propres et communes (dans les domaines régaliens : diplomatie, finances…).

D’abord réticents à rejoindre la Confédération d’Allemagne du nord, les États catholiques du sud acceptent d’y adhérer en novembre 1870, après que la Prusse a déclaré la guerre à la France, parce-que cette dernière s’opposait à l’arrivée potentielle d’un Hohenzollern sur le trône espagnol. A l’issue de la défaite française, l’Empire allemand (Reich) est proclamé en janvier 1871 au château de Versailles. Le roi de Prusse est promu empereur d’un pays de 540 000 km², composé de vingt-deux États et de trois villes libres, tous représentés au Bundesrat (lequel a un droit de veto sur les décisions de l’autre Chambre, le Reichstag). Sur le plan territorial, l’Empire récupère l’Alsace (sauf l’arrondissement de Belfort) et des territoires constituant l’actuel département de la Moselle, soit plus de 1,5 million d’habitants.

En 1876, l’allemand devient la seule langue administrative d’un pays à 90 % germanophone, y compris dans les territoires peuplés de Polonais et de Danois. Malgré l’élaboration d’une première grammaire en 1641, les haut et moyen allemand nécessitaient jusqu’alors d’être traduits pour être inter-compréhensibles, tandis que les dialectes continuaient de prédominer à l’oral. C’est le brassage des populations, dans les villes et les bassins industriels tels que la Ruhr rhénane, qui va permettre au XIXe siècle la diffusion de l’allemand standard, inspiré de la langue de Luther.

De 1884 à 1900, l’Allemagne constitue un empire outre-mer qui lui fait coloniser le Togoland, le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie), l’Afrique orientale allemande (Burundi, Rwanda et Tanzanie continentale) et le Kamerun ; en Océanie, les Allemands s’emparent d’une partie de la Nouvelle-Guinée, de Nauru, des îles Mariannes, Marshall et Carolines, dont Palau, et des Samoa occidentales. En 1890, l’Allemagne procède à un échange de territoires avec le Royaume-Uni : elle obtient les îles frisonnes de Heligoland (Helgoland en allemand) et la bande de Caprivi dans le Sud-Ouest africain ; en échange, elle cède à Londres le protectorat du petit sultanat du Wituland (sur la côte kényane) et promet d’abandonner toute visée sur le sultanat de Zanzibar.

[1] La Prusse avait commencé à prendre pied dans ces régions à la faveur d’une guerre de succession en 1614.

[2] Le duché (puis grand-duché) d’Oldenbourg, voisin de Brême, est l’héritier d’un comté né au début du XIIe.

[3] Saxe-Weimar-Eisenach, Saxe-Altenbourg, Saxe-Cobourg et Gotha, principautés de Reuss… Les huit États de Thuringe fusionnent en un seul Land allemand en 1920.

[4] N’ayant plus d’héritier au trône, Neuchâtel était devenue propriété personnelle du roi de Prusse en 1707. Elle le restera même après son adhésion, jusqu’à la révolution neuchâteloise de 1848 qui chasse les Prussiens.

[5] Organisation de secours aux blessés, la Croix-Rouge a été fondée en 1863 par un homme d’affaires protestant de Genève, horrifié par la boucherie de la bataille de Solférino en Crimée.

[6] La petite principauté du Liechtenstein (160 km²) avait été fondée en 1719, par fusion de la seigneurie de Schellenberg et du comté de Vaduz, au profit d’une famille autrichienne tributaire des Habsbourg.

[6] La forteresse de Luxembourg-ville est démantelée et sa garnison allemande quitte le pays en septembre 1867.

[7] « De ce côté de la Leitha », petit affluent du Danube.

Dresde, ville largement détruite durant la deuxième Guerre mondiale

Les ravages des guerres mondiales

En 1914, l’Empire allemand, comme l’Empire austro-hongrois, se retrouvent engagés dans la première Guerre mondiale, déclenchée par l’assassinat de l’héritier du trône autrichien à Sarajevo. Vaincus, les deux Empires doivent signer, en 1919, les traités de Versailles et de Saint-Germain qui leur interdisent notamment toute fusion (Anschluss). Le rattachement à Berlin est pourtant réclamé par la république d’Autriche qui a été proclamée en novembre 1918 à Vienne, sur les terres germanophones de l’ex-Empire austro-hongrois. Sur le plan territorial, l’Allemagne perd l’intégralité de son empire colonial au profit de la France, du Royaume-Uni, de la Belgique et du Japon. Elle rétrocède l’Alsace-Moselle à la France, cède à la Belgique des cantons pourtant germanophones (Eupen, Malmédy et Saint-Vith) et laisse le nord du Schleswig rejoindre le Danemark.

La Pologne, qui a été recréée, obtient la Posnanie (région de Poznan voisine du Brandebourg), une partie de la Haute-Silésie, ainsi que le corridor de Dantzig, ce qui lui assure une ouverture sur la mer Baltique et sépare la Prusse-Orientale du reste de l’Allemagne. Bien que germanophone, la ville de Dantzig proprement dite est érigée en ville libre, sous la protection de la Société des Nations (SDN) et de la Pologne (qui l’englobe dans sa frontière douanière, assure sa défense, utilise son port…). Un sort voisin est réservé au territoire de Memel, également de langue allemande, à la frontière de la Prusse orientale et de la Lituanie : il bénéficie d’un statut d’autonomie, sous protectorat français, jusqu’à son invasion par l’armée lituanienne en 1923. La France hérite par ailleurs de la propriété des mines de charbon du bassin de la Sarre, dont le territoire est placé sous mandat de la SDN, statut qui durera jusqu’en 1935 (date à laquelle une énorme majorité de la population vote en faveur du rattachement à l’Allemagne).

En fin de compte, l’ancien Reich se voit amputé de plus de 43 000 km² (13 % de son territoire) et de plus d’un neuvième de sa population (autour de 7 millions de personnes). Tout en conservant le nom officiel de Reich allemand, le pays proclame la République en juillet 1919, à Weimar (Thuringe). D’essence fédérale, elle intègre la vingtaine d’États libres ou populaires qui ont été proclamés sur les vestiges des principautés dissoutes (Bavière, Prusse, Hesse, Waldeck-Pyrmont, Lippe, Oldenbourg-Birkenfeld…)

Le sort de l’Autriche-Hongrie est encore pire : démantelée, elle laisse place à une demi-douzaine d’États-nations – en plus de l’Autriche proprement dite – tels que la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la future Yougoslavie. Par ailleurs, Vienne perd le sud du Tyrol : bien que de langue germanique, il est annexé par l’Italie sans la moindre consultation de la population. Un référendum permet en revanche à l’Autriche de conserver la région de Klagenfurt (au sud de la Carinthie), tandis que la Hongrie lui cède la majeure partie du Burgenland, au sud de Vienne. Resté neutre durant le conflit, le Liechtenstein sort de son union monétaire et douanière avec l’Autriche et en forme une nouvelle avec la Suisse, en 1924.

En 1938, le régime nazi – arrivé au pouvoir à Berlin cinq ans plus tôt – concrétise son rêve de reconstituer une Grande Allemagne : il réalise l’Anschluss, puis obtient le rattachement à son IIIe Reich des Sudètes, région tchécoslovaque habitée par des Allemands. En mars 1939, Hitler occupe ce qui restait de la Tchécoslovaquie, puis fait de même à Memel. Le premier pays à lui résister est à la Pologne, qui refuse de restituer Dantzig et son couloir, dirigés depuis 1933 par un mouvement pro-nazi. Le refus de Varsovie déclenche la seconde Guerre mondiale. Rapidement occupée, la Pologne est partagée avec l’URSS (signataire du pacte germano-soviétique), sur la base du partage de 1793. Suivent le Luxembourg, l’Alsace-Lorraine, la Yougoslavie… En juin 1941, l’Allemagne nazie attaque l’Union soviétique et prend le contrôle des parties de la Pologne qui avaient été annexées par l’URSS en 1939.

A la fin du conflit, la conférence de Potsdam (1945) décide de diviser l’Allemagne vaincue en quatre zones distinctes, sous la surveillance des puissances occupantes : Union soviétique, États-Unis, Royaume-Uni et France. Le territoire allemand diminue de 24 % par rapport à 1937 et ne couvre plus que 357 000 km². Sa frontière orientale ayant été déplacée vers l’ouest, le long de l’Oder et de son affluent la Neisse, l’Allemagne perd la Prusse-Orientale, attribuée à la Pologne et à l’URSS (Königsberg va devenir Kaliningrad), ainsi que la Haute-Silésie, deuxième centre industriel du pays. En deux ans, quinze millions d’Allemands sont expulsés des territoires libérés par les Alliés, quand ils ne s’enfuient pas d’eux-mêmes devant l’armée soviétique. En Tchécoslovaquie, ils sont – comme les Hongrois – privés de la nationalité du pays et expulsés, de même que dans le Banat serbe. A l’Ouest, la France récupère la Sarre qui, fin 1947, devient un « pays autonome lié à la France ». Ce statut lui permet de disputer les Jeux olympiques de 1952 et même d’affronter l’équipe nationale d’Allemagne lors des qualifications pour la coupe du monde de football de 1954. Dans ce qui reste de l’Allemagne, le territoire est redécoupé : la Bavière reste intacte, la Hesse est réunifiée, le Hanovre rétabli (sous le nom de Basse-Saxe), le Bade et le Wurtemberg fusionnent en un seul Land, tandis que la Rhénanie est divisée entre la Rhénanie-Palatinat et la Rhénanie du Nord-Westphalie.


De la partition à la réunification

La fin du régime d’occupation par les Occidentaux, en 1954, entraîne le retour de la Sarre dans le giron allemand en janvier 1957, plus précisément dans le giron ouest-allemand. Dans le contexte de la guerre froide, les zones d’occupation ont en effet donné naissance à deux États rivaux, en mai 1949 : la République fédérale d’Allemagne (RFA, un peu moins de 249 000 km²) ou « Allemagne de l’Ouest » sous protectorat américain et la République démocratique allemande (RDA, un peu plus de 108 000 km²) ou « Allemagne de l’Est » sous domination soviétique. Située en RDA, Berlin est divisée en deux parties : l’ouest (un peu moins de 55 %) appartient à la RFA (dont le siège est Bonn) et l’est à la RDA (dont il constitue la capitale). Pour mettre fin à la fuite d’au moins trois millions d’Allemands de l’est en direction de l’Ouest, le gouvernement communiste érige, en 1961, un « mur de protection antifasciste » qui coupe physiquement la ville en deux. Il est détruit par les Berlinois en mai 1989, à la faveur de la désagrégation du bloc soviétique et du délitement du régime est-allemand. Onze mois plus tard, en octobre 1990, la RFA absorbe la RDA et Berlin retrouve son statut de capitale d’une Allemagne réunifiée comprenant seize Länder. L’allemand est la langue officielle de tout le pays. Quatre langues de minorités ethniques ont également un statut officiel : le frison, le sorabe (dans la région de Lusace, à cheval sur la Pologne), le romani et le danois (dans le land du Schleswig-Holstein, où le bas-saxon est reconnu comme langue régionale).

           ROMAIN, GERMANIQUE ET ALLEMAND

Le terme « royaume de Germanie » (au sens institutionnel du terme) n'a jamais existé dans l'Europe médiévale. Il n’est apparu que plus tardivement, notamment pour renforcer les fondations de l’unité allemande au XIXe siècle. Ainsi, le roi Louis II n’est-il qualifié de Louis « le Germanique » que bien après sa mort même si, de son vivant, certains textes le qualifient de « rex Germaniae », en référence à la Germania Magna qui, à l'époque antique, désignait le territoire historique des Germains à l'est du Rhin. Au XIe siècle, le fait que le pouvoir puisse être exercé par une dynastie non franque (comme celle des Ottoniens) conduit au remplacement du nom de Francie orientale par celui de Regnum Teutonicum (par comparaison avec le Regnum Italicum du sud). Le terme teutonicus est une latinisation du vieux haut allemand tiudesc ("langue du peuple, deutsch en allemand). La Francie orientale va prendre le nom de Theudisk-Land (qui deviendra Deutschland), alors que les habitants de Francie occidentale considèrent tous ses sujets comme des Alamans (d’où proviennent les noms d’Allemands et Allemagne en français).

La qualification de « Saint » pour désigner l’Empire a été rajoutée en 1157, sous le règne de Frédéric Barberousse, pour renforcer l’idée que les empereurs règnent par droit divin. Le nom de « Romain » apparaît un peu plus tard, vers 1184, et est utilisé de façon constante à partir de 1254. En 1441, le futur empereur Frédéric III ajoute « Teutonicae nationis » au nom de l'empire, ce qui en fait le Saint-Empire romain (de la nation) germanique. Cette dénomination tombe en désuétude à la fin du XVIIIe siècle, au profit de celle d’Empire germanique, jusqu’à sa disparition en 1806.

Légende photo : le château de Neuschwanstein construit par Louis II de Bavière

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