331 212 km²
République socialiste
Capitale : Hanoï[1]
Monnaie : le dong
93 M de Vietnamiens[2]
[1] La plus grande ville est Ho Chi Minh-ville, l’ancienne capitale du sud.
[2] La diaspora vietnamienne compte environ 4 millions de personnes.
Bordé par plus de 3 200 km de côtes, donnant sur la mer de Chine méridionale (ou Mer de l’est dans la terminologie vietnamienne) et sur le golfe de Thaïlande au sud-ouest, le Vietnam est frontalier de la Chine au nord (1 280 km), du Laos à l’ouest (2 130 km) et du Cambodge au sud-ouest (1 230 km).
Étendu sur plus de 1 650 km du nord au sud, le Vietnam (ou Viêt Nam) est composé de trois grandes régions articulées autour de deux deltas : au nord du 18ème parallèle et du col de Ngang[1], le Tonkin (Bac Bô), avec des montagnes culminant à plus de 3 000 m en surplomb du vaste delta du fleuve Rouge (Sông Hông, 15 000 km²) ; au centre, dans la partie la plus étroite, l’Annam, constitué des sommets et hauts plateaux de la cordillère Annamitique, surplombant de petites plaines littorales ; au sud, la Cochinchine (Nam Bô) et sa plaine de 67 000 km² correspondant, pour l’essentiel, au delta du Mékong (Cuu Long). Le territoire vietnamien est composé aux trois quarts de hautes terres. Ne représentant que 26 % du territoire, les deux deltas concentrent les deux tiers de la population.
Le climat est essentiellement de type tropical au sud et subtropical au nord, avec des moussons.
[1] Au pied du Hoanh Son, le col de Ngang est aussi connu comme porte de l’Annam.
Appartenant au groupe môn-khmer, les Viêt (ou Kinh) représentent environ 87 % de la population, en incluant les 1,5 % de Muong apparentés qui vivent au sud-ouest de Hanoï. Les ethnies minoritaires – au nombre d’une cinquantaine – sont surtout localisées sur les hautes terres périphériques, qui sont aussi les moins densément peuplées : au nord, elles appartiennent aux groupes Tay-Thaï (4,9 %), Miao-Yao (Hmong, 1,4 %) et Tibéto-birman (Hani) ; sur les plateaux et dans les basses terres du centre et du sud, elles sont Malayo-polynésiennes (2,6 % de Chams et de descendants de proto-Indochinois tels que les Jarai) et Môn-Khmer (1,4 % dans le delta du Mékong).
Officiellement, 73 % des Vietnamiens sont athées ou adeptes de religions traditionnelles (en réalité en recul). 12 % sont bouddhistes (essentiellement de l’école Mahayana, cf. L’Inde creuset de religions), un peu moins de 7 % catholiques (surtout au sud et au centre). Les religions locales réunissent un peu moins de 5 % de pratiquants pour le caodaïsme et un peu moins de 1,5 % pour le hoahaoisme. Convertis à la religion musulmane à partir du XVe siècle, les Chams pratiquent un islam très souple, intégrant le culte de dieux hindous. Le confucianisme et le taoïsme ont quasiment disparu.
Entre tutelle chinoise et domination régionale
Le peuple vietnamien s’est formé par métissages successifs. Le premier de ces brassages a eu lieu au cours du Néolithique (-6 000 à -3 000), dans le delta du fleuve Rouge (Song Cai), entre des autochtones de type austronésien et des éléments « mongoliques » venus de Chine. Les grandes civilisations de la zone sont celles de Hoa Binh au Mésolithique, de Bacson au Néolithique et de Dong Son à l’âge du fer (au VIIIème AEC, époque où se développe la culture de Sa Huynh au sud). Installées sur les collines, ces tribus descendent progressivement dans les plaines formées par les alluvions des rivières. Dès la fin du deuxième millénaire avant notre ère, voire avant, elles forment des entités politiques, connues sous le nom de royaume de Van Lang, dirigées par des rois appelés Hung. Au milieu du IIIème siècle AEC, le Van Lang tombe sous d’un royaume voisin peuplé de Au Viêt (ou Nan Yue[1]), des populations non chinoises du sud de la Chine. Ainsi agrandi, le royaume prend le nom de Âu Lac, avec pour capitale Cô-Loa (au nord d’Hanoï).
Progressivement occupé par les Han chinois, à partir de -221, le pays passe treize ans plus tard sous la tutelle d’un de leurs généraux qui, profitant de la chute de la dynastie Qin, s’est proclamé indépendant à la tête du Royaume du Nan Yue (ou Nam Viêt) : celui-ci s’étend du nord de l’actuelle Canton (en Chine) jusqu’au col des Nuages, qui traverse la cordillère Annamitique au nord du 16ème parallèle (centre du Vietnam actuel). Le Nan Yue retombe finalement sous la tutelle des Han, en -111, quand l’Empereur chinois Wudi achève sa conquête de la Chine du Sud et de ses marches. La sinisation progressive de la société féodale viêt ne va pas pour autant sans heurt : elle génère une succession de révoltes, dont celle des sœurs Trung (39-43). Une fois ce soulèvement réprimé, les Chinois exercent un protectorat beaucoup plus direct sur le pays et y favorisent la diffusion du bouddhisme Meghalaya (à partir du IVème siècle), du confucianisme (pratiqué par les élites sinisées) et du taoïsme.
[1] « Yue du sud ». Le mot Yue, traduit en vietnamien par Viêt, signifie « au-delà ». Il désignait alors pour les Chinois l’ensemble des peuples vivant au sud du Yangzi, en majorité d’ethnies Muong et Tay.
L’affirmation des Chams
Les premiers à s’émanciper de la tutelle chinoise sont les autochtones austronésiens (ou proto-Cham) du Xianglin, la plus méridionale des « sous-préfectures » de l’Empire des Han, dans la région de l’actuelle Hué, au nord du col des Nuages. Leur turbulence est telle que les Chinois décident d’en évacuer leurs ressortissants et de laisser ces « barbares » s’auto-administrer. C’est ainsi que, en 192, un fonctionnaire indigène élimine le « sous-préfet » chinois et se proclame souverain du Royaume du Lin-Yi (ou Lâm Ap). Durant quatre siècles, son histoire est faite de raids contre les commanderies chinoises, de contre-attaques punitives de la part des Han et d’absorption progressive (du IVème siècle au début du VIIème) par les principautés cham, établies au sud du col des Nuages.
La montée en puissance de ce peuple austronésien, avec le passage des chefferies de la culture locale, dite de Sa Huỳnh, à des structures étatiques plus fortes, semble résulter des interventions autoritaires menées sur place par les Han orientaux, aux Ier et IIème siècles EC. Le Champa (« pays des Chams » en sanskrit) n’est pas pour autant un royaume unifié : c’est plutôt une Fédération de principautés largement autonomes, parfois chapeautées par un « roi des rois » ; c’est le cas du royaume d’Amarāvati situé le plus au nord (dans la région actuelle du Quang-nam, près de Dan Nang, au sud du col des Nuages, avec Simhapura pour capitale) et du royaume de Panduranga à l’extrême-sud. Souvent établis à l’embouchure de fleuves, les Chams se livrent volontiers au commerce et à la piraterie maritimes, entrant en contact avec le Funan – dont ils commencent à grignoter le territoire à l’ouest du delta du Mékong à partir du IVème siècle – mais aussi avec la péninsule malaise et avec Sumatra. Soumis également à de fortes influences indiennes – de la part de commerçants, d’exilés et de moines – le Champa voit se propager le shivaïsme et le bouddhisme, surtout theravada, aux côtés des croyances traditionnelles. Après s’être émancipé de la tutelle chinoise au milieu du VIIIème siècle, le royaume fédéral déplace son centre de gravité au Huangwang (les provinces méridionales du Kauthāra et du Pānduraṅga), avant qu’il ne revienne en Amarāvatī à la fin du IXème (avec pour capitale Indrapura, proche de Da Nang, sur le 16ème parallèle). A son apogée, la culture des Cham rayonne depuis les abords occidentaux du delta du Mékong jusqu’au col de Ngang qui les sépare du pays Viet, sur lequel les Chinois exercent toujours leur protectorat (sous le nom générique d’Annam[1] depuis le VIIème siècle).
Au nord, le delta du fleuve Rouge subit, vers 860, les incursions du royaume de Nanzhao fondé, un siècle plus tôt au Yunnan, par des peuples tibéto-birmans.
[1] A l’époque, l’Annam (« sud pacifié », au sens de sud de l’Empire chinois) englobe aussi le futur Tonkin.
Quatre siècles d’indépendance viet
Après avoir multiplié les révoltes contre la domination chinoise, la plupart couronnées d’échecs ou de succès sans lendemain[1], les Viets connaissent un semblant d’autonomie au début du Xème, lorsque l’Empire des Tang commence à se fractionner. En 939, après avoir battu l’armée des Han du sud, qui leur ont succédé en Chine, le général Ngô Quyen obtient l’indépendance du pays, sous le nom de Royaume de Jinghai (capitale Cô Loa, près d’Hanoï), en échange du versement d’un tribut régulier. Mais l’unité du nouvel Etat, qui s’étend jusqu’au 17ème parallèle, est précaire. A la mort de son fondateur, une douzaine de seigneurs de guerre s’affrontent durant une vingtaine d’années, jusqu’à la victoire de l’un d’entre eux en 968 : ayant unifié le pays, Dinh Bộ Linh le renomme Dại Cô Việt (littéralement « Grand Viet »), avec pour capitale Hoa Lu (une ville entourée de montagnes et de rivières, à quelques dizaines de kilomètres au sud d’Hanoï).
Ajoutée à la pression que les Khmers exercent à l’est, l’émancipation des Viets au nord inquiète suffisamment le souverain Cham pour qu’il se rapproche des Chinois. Mais il commet l’imprudence de vouloir se mêler des luttes que les différents clans féodaux Viets se livrent de nouveau, dès 979, pour diriger leur pays. La sanction tombe trois ans plus tard : le Champa est envahi et sa capitale détruite par les armées de Lê Dại Hanh, le nouvel Empereur du voisin nordiste. En l’an 1000, face à de nouvelles attaques venues du nord, le siège du pouvoir cham est définitivement déplacé un peu plus au sud, à Vijaya (Binh Dinh).
Après plusieurs décennies d’instabilité, le pays Viet en sort en 1009 avec l’avènement de la dynastie des Ly. Son fondateur, Ly Thai-Tô, transfère sa capitale dans une ville moins retranchée, Thang Long (« Dragon ascendant », l’actuel Hanoï), et donne à son Etat le nom simplifié de Dai Viet. Ses successeurs abolissent l’esclavage, dotent le pays d’une administration centralisée s’inspirant du modèle chinois, réduisent le pouvoir des féodaux, favorisent le bouddhisme et lancent des grands travaux[2]. Ils renforcent aussi l’armée, afin de contenir les menaces des pays voisins, les Khmers, mais surtout les Chams.
A la fin des années 1060, une contre-offensive du roi Viêt contraint celui du Champa à lui céder ses territoires les plus septentrionaux, ceux situés au sud du col de Ngang. Une dizaine d’années plus tard, c’est l’armée chinoise qui est défaite, après que l’Empereur Song a voulu porter secours à son allié Cham. Le Champa est également soumis aux assauts d’un Empire khmer alors en plein développement. Il est même conquis par son voisin en 1145, avant d’inverser la tendance vingt-deux ans plus tard : révoltés, les Chams saccagent Angkor et annexent le domaine des Khmers, avant de passer de nouveau sous leur tutelle en 1182, puis de recouvrer leur indépendance au début du XIIIème.
Au Dai Viet, les succès militaires de la dynastie Ly ne l’empêchent pas de tomber, victime de révoltes paysannes et d’intrigues de cour. En 1225, la puissante famille féodale des Tran s’empare du pouvoir. Elle doit rapidement faire face aux ambitions retrouvées de l’Empire chinois, désormais dirigé par le khan mongol Kubilaï : non seulement celui-ci souhaite reconquérir les possessions perdues par ses prédécesseurs chinois, mais il a aussi des vues sur le Champa, qui bénéficie d’une position commerciale stratégique sur la route de l’Inde. Envahi trois fois par ses voisins sino-mongols (1257, 1285 et 1287-1288), le Dai Viet parvient à chaque fois à les repousser et finit même par les contraindre à la paix, après une victoire sur le fleuve Bach Dang en 1288. Très occupée sur son front nord, la dynastie Tran ne peut progresser au sud : en 1307, elle se fait certes céder la région de Hué par le Champa mais, durant trente ans, les Chams ne cessent de mener des raids pour récupérer ce territoire. L’ayant repris, ils en viennent même à menacer le sud du Dai Viet.
[1] En 543, une révolte aboutit à la formation du royaume de Van Xuan qui dure près de soixante ans.
[2] La première digue du pays est construite en 1109.
La disparition du Champa
A partir de 1343, la dynastie Tran tombe progressivement en décadence, jusqu’à disparaître en 1400, victime d’un seigneur ambitieux, Ho Quy Ly. Son règne est de courte durée puisque, au motif de rétablir le « pouvoir légitime » des Tran, les Ming – nom de la nouvelle dynastie ayant chassé les Mongols de Chine – interviennent militairement au Dai Viet en 1406. L’Empereur et sa famille sont déportés et l’héritier Tran remis sur le trône, ce qui ne l’empêche pas de contester la domination des Chinois. La réponse de ces derniers est radicale : le pays Viet est purement et simplement annexé à la Chine en 1413 sous le nom de Giao Chi.
Mais, une nouvelle fois, la gouvernance chinoise se heurte à la résistance de la population. En 1427, après neuf ans de guérilla, un seigneur du Thanh Hoa, Lê Loi, assiège les Chinois à Hanoï et les force à quitter le pays. Tout en continuant à payer tribut à la Chine, le nouveau roi rétablit l’indépendance du Dai Viet et fonde la dynastie dite des Lê postérieurs[1], avec toujours Hanoï (rebaptisée Dong Kinh) comme capitale. S’employant à redresser l’économie et l’administration du pays, mises à mal par l’occupation chinoise, les successeurs de Lê Loi normalisent leurs relations avec la Chine, ce qui leur permet de reprendre leur expansion vers le sud. Non seulement, ils résistent aux agressions du Champa, mais lui répondent. En 1471, l’Etat cham disparait, après un millénaire d’existence. Sa partie nord est annexée au Dai Viet qui y implante en masse des soldats agriculteurs ; le sud est découpé en trois principautés vassales des Viets, lesquels imposent aussi leur suzeraineté à des principautés lao frontalières (province de Tran Ninh[2]) et étendent leur influence jusqu’au moyen Mékong.
[1] Une première dynastie de Lê « antérieurs » ayant régné à la fin du Xème siècle, avant les Ly.
[2] Vassalisés par le Vietnam en 1478, ces territoires de l’ancien royaume Bồn Man seront restitués au Laos par la France, en 1893.
Trois dynasties au pouvoir
A partir de 1505, la faiblesse des souverains Lê fait le jeu des diverses factions de la cour, jusqu’à la prise de pouvoir par le chef de l’armée en 1527 : Mac Dang Dung est reconnu par la Chine non pas comme roi, mais comme « général de commanderie ». Le coup d’Etat provoque une réaction des légitimistes qui, à partir de 1533, rétablissent un souverain Lê sur le sud du royaume et reprennent Dong Kinh en 1592. Battue, la dynastie Mac se retire à Caobang, à l’extrême-nord du pays, où elle se maintient jusqu’en 1677, avec le soutien de la Chine. Dans le reste du pays, les Lê n’exercent plus qu’une autorité nominale : au nord, la réalité du pouvoir est aux mains de la famille Trinh qui exerce un pouvoir politico-militaire similaire à celui des shoguns au Japon ; au sud, un général de la famille des Nguyen s’est arrogé une indépendance de fait, au motif d’achever la pacification des régions prises aux Chams. Le conflit entre les deux parties du pays éclate en 1627, après le refus des dirigeants du sud de payer un impôt réclamé par les Trinh au nom du roi. Malgré sept campagnes militaires, les régents du nord doivent se résoudre à accepter l’autonomie des « rois de Hué » (ou d’Annam), en 1674, avec pour frontière la rivière Gianh, sur le 17ème parallèle (juste au nord de Hué).
La paix entre ces deux fiefs aux profils différents va durer un siècle. Au nord, dans la partie appelée Tonkin par les Européens (en référence à Dong Kinh), les Trinh administrent un État très centralisé et hiérarchisé, géré selon des règles confucéennes ; ils s’ouvrent toutefois sur l’Europe, tant sur le plan commercial que religieux, avant de persécuter les chrétiens face au succès que rencontrent les missionnaires auprès des classes laborieuses et même de la Cour. Au sud, dans la partie baptisée Cochinchine par les Portugais, les Nguyen ouvrent les recrutements de fonctionnaires à toutes les classes sociales et appliquent un confucianisme plus souple, eu égard à la diversité ethnique de leur population.
Aidés par les Portugais pour organiser leur armée, les Nguyen poursuivent leur expansion vers le sud : au cours du XVIIe, ils occupent les plaines côtières et fondent des établissements dans la région du fleuve Dong Nai (proche de l’actuelle Saïgon). Après avoir aidé le royaume khmer à combattre les Siamois, et obtenu en échange le versement d’un tribut régulier, ils contraignent le souverain khmer à leur céder trois de ses provinces méridionales, au tout début du XVIIIe. En 1714, ils profitent des difficultés du Siam, affaibli par ses tentatives d’ouverture aux influences européennes, pour annexer le petit royaume fondé par des émigrés chinois à Ha Tien, sur le golfe de Thaïlande. Six ans plus tard, ils mettent fin à l’autonomie des trois dernières principautés chams[1]. Les rois de Phu Xuan (où la capitale a été installée en 1687, près d’Hué) dominent alors la majeure partie du delta du Mékong.
[1] Des colons Viets y remplacent les nombreux Chams partis s’exiler au Cambodge.
Le Vietnam réunifié
La réunification du pays Viet s’opère au tout début du XIXe, à la suite d’une insurrection paysanne née en 1771 dans le domaine des Nguyen : c’est là que trois frères de Tayson, un village de la province de Binh Dinh, se soulèvent contre un dirigeant local. Soutenue par une large partie de la population, qui ne supporte plus d’être exploitée par le pouvoir, la rébellion repousse les rois Nguyen à l’ouest du delta du Mékong, en dépit du soutien que l’armée siamoise leur a apporté. Profitant de la situation, les Trinh interviennent en 1774 et s’emparent de Phu Xuan. L’année suivante, les Khmers sortent de la tutelle que leur avait imposée les Nguyen en 1771, pour passer sous celle des Siamois.
Dès 1786, les Trinh sont chassés de Phu Xuan par un des trois « frères Tayson », Nguyen Van Hue qui, poursuivant son offensive vers le nord, s’empare de Hanoï et y restaure le pouvoir du roi Lê. Mais ce dernier ayant essayé de s’affranchir des Tayson, avec l’appui de la Chine, Nguyen Van Hue prend lui-même le titre d’empereur et bat l’armée chinoise en 1789. Maître de tout le nord jusqu’au col des Nuages, il lance des réformes sans lendemain, puisqu’il disparait en 1792.
Ses frères n’ayant pas son envergure et ses généraux se déchirant en factions rivales, la dynastie des Tayson disparait dix ans plus tard, victime du retour offensif des Nguyen. Dès 1788, ceux-ci avaient profité de l’engagement des Tayson au nord pour reprendre Saïgon et la Basse-Cochinchine (Gia-Dinh en vietnamien). Avec l’aide d’un évêque français et des Portugais de Macao, l’héritier Nguyen renforce ses moyens militaires et reprend Hué en 1801, puis Hanoï l’année suivante. En 1804, Nguyen Anh donne au pays réunifié le nom de Viet Nam[1], dont il établit la capitale à Hué, avec l’aval de la Chine. Sous le nom de Gia Long, le nouvel Empereur instaure une monarchie absolue, débarrassée des derniers vestiges de la féodalité. Il réorganise l’administration d’un pays longtemps divisé et le dote de grandes infrastructures, telles que la Route mandarine reliant la frontière chinoise au Cambodge. La centralisation du pouvoir ne va pas toujours sans heurts : de 1833 à 1835, une insurrection – largement composée de chrétiens – éclate ainsi à Saïgon, avec le soutien du Siam.
Les relations avec le royaume de Siam restent globalement conflictuelles, en particulier à propos du royaume lao de Vientiane, auquel le Viet Nam apporte son soutien à la fin des années 1820. Cette aide s’avère inutile, puisque ce sont les Siamois qui l’emportent. Mais les Vietnamiens n’ont pas tout perdu : ils récupèrent le contrôle de la petite principauté nord-laotienne de Xieng Khouang, dont il n’étaient jusqu’alors que les co-suzerains. Les relations du Viet Nam avec le Siam sont également tendues au sujet du Cambodge, chacun des deux rivaux soutenant un candidat différent pour occuper le trône khmer (cf. Indochine). In fine, le traité de paix qui est signé en décembre 1845 place le Cambodge sous le double protectorat de Bangkok et de Hué, tout en entérinant la souveraineté des Vietnamiens sur la basse Cochinchine (ou Kampuchea Krom ) et celle des Siamois sur les provinces du nord.
[1] Ou Vietnam, « pays des Viêts du sud » (par opposition aux Hans chinois du nord)
Le passage sous protectorat français
La victoire de l’Angleterre sur la Chine en 1842, à l’issue de la « guerre de l’opium », change radicalement la donne. Plutôt que de répondre, comme le Siam, aux demandes d’ouverture commerciale des Occidentaux, le Viet Nam continue à se replier, les ports ayant été fermés au commerce étranger dès 1836. Il commence aussi à persécuter sa communauté chrétienne, considérée comme complice des « barbares impies de l’ouest ». Cela lui vaut d’être attaqué par la France qui, après un massacre de missionnaires, s’empare de Da Nang en 1858 (avec l’aide de l’Espagne), puis de Saïgon l’année suivante. Entre 1862 et 1867, les Cochinchine orientale et occidentale (avec le riche delta du Mékong) passent sous le contrôle des troupes françaises[1], Paris récupérant aussi le « droit au tribut » imposé par l’empereur d’Annam au royaume cambodgien.
La situation se détériore aussi au nord, où des commerçants français ont commencé à s’installer, en 1871, pour faire des affaires avec le sud de la Chine. Le régime d’Hué parvient à repousser une tentative de débarquement de la marine française à Hanoï, mais il doit s’engager à accorder la liberté religieuse à ses citoyens et à commercer avec les Européens : en 1874, la France se voit ainsi accorder des facilités au Tonkin. Mais le régime vietnamien n’applique le traité qu’avec réticence : il fait notamment appel aux Pavillons noirs chinois – issus de la révolte chinoise des Taiping – pour s’en prendre aux intérêts étrangers. Paris décide alors d’une nouvelle intervention militaire qui se traduit par l’occupation d’Hué et par l’imposition d’un protectorat au pays : en vertu de deux traités signés en 1883 et 1884, la diplomatie, la défense ainsi que les douanes et une partie de l’administration du Viet Nam passent sous contrôle français.
Une partie de la Cour et des élites se rebelle, mais en vain : en 1885, la France intronise un nouveau souverain qui lui est favorable et, après une opération navale, obtient de la Chine qu’elle abandonne sa suzeraineté sur le pays et renonce à y intervenir. Le Viet Nam est totalement démembré : Hanoï, Haïphong et Da Nang (Tourane) deviennent des concessions françaises, tandis que les protectorats du Tonkin et d’Annam, la colonie de Cochinchine et Xieng Khouang deviennent membres de l’Union indochinoise (créée en 1887). Si le sud est globalement calme, le nord reste en revanche agité par une guérilla qui ne prend fin qu’en 1895. Après un assouplissement du protectorat, entre 1891 et 1894, la France en reprend une stricte application à partir de 1897, au point de réduire le pouvoir de l’Empereur et de son gouvernement à la seule gestion interne de l’Annam. Les anciennes élites administratives sont remplacées par des fonctionnaires plus dociles. Quant à la langue vietnamienne, sa transcription en caractères chinois est remplacée par l’usage de l’alphabet quoc ngu (caractères latins) et son apprentissage par celui du français. En parallèle, la France dote le pays de nouvelles infrastructures de transport et d’aménagements urbains.
De leur côté, les plus lettrés des nationalistes vietnamiens explorent les modèles mis en œuvre dans leur environnement régional, au Japon (victorieux de la Russie en 1905) et en Chine (révolte des Boxers…) et prennent contact avec des personnalités de ces pays. Une révolte d’origine fiscale ayant éclaté en 1908, Paris en tire les conséquences et ouvre davantage la gouvernance aux Vietnamiens, ce qui rétablit le calme durant la première Guerre mondiale. Dans ce contexte assagi, la France fait venir en métropole plus de cent mille Vietnamiens, soldats et ouvriers, dont Nguyen Ai Quoc, le futur Hô Chi Minh. A la fin du conflit, les nouvelles élites locales (propriétaires fonciers, petite bourgeoisie, commerçants, fonctionnaires) espèrent un partage accru du pouvoir, mais la société coloniale – forte de dix mille Européens – s’oppose à toute réforme politique et sociale, préférant privilégier un développement économique dont les fruits restent très inégalement partagés. C’est donc dans la clandestinité que naissent le Parti nationaliste vietnamien (VNQDD, inspiré du Kuomintang chinois) en 1927 et le Parti communiste indochinois en 1930. Le soulèvement qu’organise le premier au Tonkin et l’agitation sociale générée par le second – tous deux en 1930 – sont sévèrement réprimés ; leurs dirigeants sont exécutés, emprisonnés ou contraints à l’exil. Dans le sud, l’opposition prend la forme de mouvements politico-religieux : le caodaïsme (une religion syncrétiste, fondée en 1921 par un fonctionnaire de l’administration coloniale) et le Hoa Hao (ou Dao Xen, la Paix et la Bonté), une secte bouddhiste qui annonce aux paysans pauvres que le temps de « la justice » approche.
[1] La France ayant repris à son compte, en 1863, le protectorat vietnamien sur la basse Cochinchine khmère.
De l’occupation japonaise à la « guerre de libération » communiste
Après une relative accalmie lors de l’exercice du pouvoir par la gauche en France, la répression contre les opposants communistes et trotskistes reprend, a fortiori après le déclenchement de la deuxième Guerre mondiale et la signature du Pacte germano-soviétique. La débâcle de 1940 en France entraine peu de modifications de gouvernance au Vietnam, dans la mesure où les autorités coloniales restent fidèles au gouvernement de Vichy : celui-ci obtient de conserver sa souveraineté sur la région, en échange de facilités commerciales et militaires en faveur du Japon. Craignant que les troupes françaises ne se joignent à la reconquête de l’Asie du sud par les Alliés, les Nippons occupent le pays en mars 1945. Incitant le jeune Empereur Bao Dai à déclarer l’indépendance, ils lui permettent de retrouver sa souveraineté sur le Tonkin et la Cochinchine. Les communistes profitent de l’élimination des Français pour relever la tête : le Front pour l’indépendance du Vietnam (« Viet Minh »), qu’ils ont créé en mai 1941 à la frontière sino-vietnamienne, « purge » ce qui restait du Parti nationaliste vietnamien et met progressivement la main sur les montagnes et les campagnes du centre et du nord, victimes d’une famine meurtrière après la mauvaise récolte de 1944-1945.
Armée par les Américains et les Chinois au nom de la lutte contre les Japonais, malgré la réticence des seconds, la guérilla de Vo Nguyen Giap s’empare de Hanoï en août 1945 et proclame la République du Vietnam du nord (RDVN) le mois suivant, après l’abdication de Bao Dai. Mais les vainqueurs du conflit mondial voient les choses autrement : pour eux, le désarmement des forces nippones et la restauration de l’ordre au Vietnam doivent être assurés par les Britanniques au sud du 16ème parallèle (passant au sud de Da Nang) et par les Chinois au nord. C’est ainsi que les troupes de Pékin font leur entrée en septembre sur le sol vietnamien, accompagnées de nationalistes locaux très hostiles au PC Indochinois. Les communistes remportent certes les élections générales organisées en janvier 1946, mais il doivent partager le pouvoir avec le VNQDD et d’autres formations nationalistes de droite comme le Dai Viet. Au sud, les Britanniques laissent les Français reprendre au Viet Minh l’administration de la Cochinchine et du sud de l’Annam dès l’automne 1945, sans réaction des sectes Cao Dai et Hoa Hao.
L’objectif alors affiché par la France est d’accorder l’autonomie interne aux cinq membres de la Fédération indochinoise, celle-ci conservant de larges pouvoirs économiques et militaires en liaison avec Paris. L’opération nécessitant que les Chinois se retirent du nord, des négociations secrètes sont engagées avec Hô Chi Minh, bien que celui-ci ait appelé à chasser le colonisateur et les « féodaux » le soutenant. Les discussions aboutissent à un accord en mai 1946 : en échange de la reconnaissance de la République démocratique du Viet Nam comme un État libre au sein de la Fédération indochinoise et de l’organisation d’un référendum sur sa réunification, les troupes françaises sont autorisées à remplacer celles de la Chine, ce qui est fait en mai suivant. Des négociations entre la France et le Viet Minh s’ouvrent dès le mois d’avril, mais elles achoppent sur de nombreux points : le statut du Vietnam (autonomie ou indépendance pure), le devenir de la Cochinchine (que Paris souhaite garder dans son orbite, alors que des guérillas pro-communistes y opèrent), le maintien des intérêts économiques français face au programme de nationalisations envisagé par le PC-I… Terminées sans accord, les négociations s’achèvent toutefois par la promesse, effective, d’un cessez-le-feu au sud. Mais la situation intérieure se dégrade, tant du côté vietnamien – où le Viet Minh reste menacé par des guérillas anticommunistes au nord – que du côté français, où les autorités de Saïgon sont foncièrement hostiles à toute réunification du Vietnam. Finalement, les hostilités franco-vietnamiennes reprennent fin 1946, à la suite d’un incident douanier à Haïphong.
Une nouvelle partition
Paris s’oriente alors vers la recherche d’une autre solution, associant l’ancien Empereur Bao Dai aux nationalistes de droite et au gouvernement de la « République » autonome instaurée en juin 1946 en Cochinchine. En juin 1948, un accord est signé dans ce sens, en vue de faire du Vietnam – réunifié – un « État associé » de l’Union française. La France s’étant résolue à se séparer de sa colonie cochinchinoise, un « Etat du Vietnam » est proclamé par Bao Dai en août 1949, avec le soutien des États-Unis. Pour autant, le Viet Minh n’a pas cessé d’exister, administrant de vastes zones du nord et du centre du pays et se livrant ailleurs à des opérations clandestines de propagande, sans avoir néanmoins les moyens de l’emporter militairement. Paris ayant abandonné ses droits souverains au régime de Bao Dai, Hô Chi Minh demande à la communauté internationale de reconnaître la RDVN comme le seul État légitime au Vietnam, ce que font l’URSS, les pays socialistes d’Europe de l’est ainsi que la Chine, devenue communiste en janvier 1950. Armé par son voisin du nord, le Viet Minh passe à l’offensive au nord du Tonkin dès le mois de septembre. Pour lui répondre, la France lève une armée vietnamienne de 300 000 hommes armée par les Américains, soucieux d’endiguer la progression communiste dans la région, comme elle le fait déjà en Corée. Elle emploie également des Hmong, principalement laotiens, connus pour leur efficacité à se déplacer en milieu difficile et hostile.
Mais, sur le terrain, ce sont cependant les communistes qui marquent des points. Après être entré, début 1953, au Laos – où s’est installé un gouvernement ami, le Pathet Lao – le Viet Minh intensifie sa guérilla et en arrive à contrôler les trois-quarts du delta tonkinois. Ces revers accentuent le mécontentement des nationalistes de droite, tels que le Dai Viet, qui réclament l’instauration d’un régime vietnamien doté de réels pouvoirs, soutenu par les États-Unis, au lieu d’un régime fantoche restant sous la coupe de la France. Sentant le vent tourner, Paris se résout à reprendre des négociations, mais dans un cadre international et non sous la forme bilatérale que propose Hô Chi Minh. De surcroit, les Français veulent protéger la Cochinchine et le Laos : c’est dans cette optique qu’ils constituent à Diên Biên Phu, en pays thaï vietnamien, un camp retranché que Giap fait tomber en mai 1954, au moment même où débutent des négociations internationales à Genève. Elles aboutissent à un accord de cessez-le-feu dès le mois de juillet, avec l’instauration de deux pouvoirs : la RDVN au nord du 17ème parallèle (juste au-dessus de Hué) et l’État du Vietnam, membre de l’Union française, au sud, à charge pour les deux parties de tenir des élections générales et de constituer un gouvernement unique avant juillet 1956. La guerre a fait 450 000 morts dans les rangs communistes (dont un tiers de civils), 76 000 chez les Français et 400 000 morts, blessés et prisonniers dans le camp sud-Vietnamien.
Le conflit n’est pas terminé pour autant car l’accord de Genève, qui entérine de fait la victoire communiste au nord, est refusé par les nationalistes de droite qui gouvernent le sud depuis juin 1954. Soutenu par les Américains, le Premier ministre Ngô Dinh Diem, s’emploie à sécuriser son État. Traquant les membres du Viet Minh, il se débarrasse aussi par les armes des différents soutiens de Bao Dai, à savoir les milices des sectes religieuses et celles de la confrérie criminelle Binh Xuyen. Dans sa démarche, il bénéficie du soutien des 900 000 Vietnamiens, majoritairement chrétiens, qui ont fui le Nord, où les autorités pourchassent les opposants au régime communiste, répression qui va faire quelque 15 000 morts. Ce sont notamment ces exilés qui assurent la victoire de Diem au référendum d’octobre 1955, en vertu duquel il proclame la République du Vietnam et remplace Bao Dai comme chef de l’État. Avec le départ des derniers soldats français en avril 1956, Diem se retrouve seul maître du sud Vietnam, sans obligation de négocier avec les nordistes qui, de leur côté, se sont engagés dans une brutale réforme agraire. En revanche, le chef de l’État sudiste s’est aliéné les caodaïstes qui, après avoir été armés par la France pour lutter contre le Vietminh, se sont ralliés à l’opposition comme une partie des Hoa Hao.
In fine, deux pays rivaux, mais tous deux de type autoritaire, sont admis à l’ONU : au Sud, un régime à caractère policier pro-américain ; au Nord, un pouvoir prochinois pratiquant la collectivisation de l’économie et dominé par un parti unique, le Lao Dong (Parti des travailleurs fondé en 1951, en succession du PC).
La guerre du Vietnam
Assis sur l’armée, sur une puissante police secrète et sur un parti dominant, le Can-Lao Nhan-Vi (parti personnaliste), le régime du Président Diem s’engage dans une politique d’élimination totale des cellules clandestines Viet Minh présentes au sud. Saïgon ayant refusé toute normalisation de ses relations avec Hanoï en 1958, des « forces populaires de libération » engagent la lutte armée dans le delta du Mékong en février 1959. Dès le mois de mai suivant, elles reçoivent des armes et des renforts du nord, via la « piste Hô Chi Minh » construite secrètement dans la cordillère Annamitique : preuve de la méfiance entretenue vis-à-vis du voisin chinois, ce sont des chauffeurs vietnamiens qui conduisent les camions fournis par la Chine. En décembre 1960, la résistance s’organise en un Front national de libération du Sud-Vietnam (FNL ou Viêt Cong, « Vietnam rouge » le surnom que lui donne Diem). Après avoir échappé à un coup d’État en novembre, le Président sud-vietnamien sollicite une aide accrue des États-Unis, qu’il obtient en mai 1961 : des milliers de « conseillers » américains sont envoyés au sud et un commandement militaire américain est même créé à Saïgon en janvier 1962.
Pour couper les rebelles du soutien qu’ils reçoivent dans les campagnes, quelque huit millions de ruraux sont regroupés dans sept mille « hameaux stratégiques ». Le régime engage également une politique active de « vietnamisation » des minorités ethniques, en particulier des Khmers Krom du delta du Mékong (Khmers « Krom »d’en bas ») : l’usage de leur langue est restreint et leurs terres en partie redistribuées à des colons Kinh, ce qui conduit certains mouvements à prendre les armes. C’est le cas du Front des Khmers du Kampuchéa Krom, du Front de Libération du Champa ou encore du Bajaraka (acronyme de plusieurs ethnies « montagnardes »)[1].
Lâché par la majorité bouddhiste de sa population, et ayant perdu le soutien américain, le catholique Diem est assassiné en novembre 1963, lors d’un coup d’État militaire. En juin 1965, après de nouveaux putschs, le général Nguyen Van Thiêu accède au pouvoir, dans un contexte militaire si dégradé qu’il a conduit les Américains à bombarder le nord-Vietnam et le Laos, puis à faire débarquer à Da Nang, en mars 1965, un corps expéditionnaire qui comptera jusqu’à 500 000 hommes. Pour éradiquer définitivement le péril communiste au sud, Washington emploie les grands moyens : usage de défoliants pour détruire les forêts et le couvert végétal, bombardements intensifs des zones rurales pour contraindre leurs habitants à rejoindre des villes où la surveillance est plus facile… Le pays va recevoir autant de bombes en trois ans que toute l’Europe durant la seconde Guerre mondiale.
Début 1968, le FNL lance l’offensive du Têt qui sème le chaos au sud mais échoue aux portes de Saïgon. Pour les États-Unis c’est un coup de semonce, d’autant plus fort que l’opinion américaine se montre de plus en plus hostile au conflit. Washington commence donc à réfléchir sérieusement aux moyens de s’en désengager. L’idée est d’appuyer, depuis les airs, une armée et une police sud-vietnamiennes renforcées, tout en négociant avec le camp communiste. De fait, des négociations débutent en mai 1968 à Paris mais prennent très vite des allures de « dialogue de sourds », tant les combats se poursuivent avec violence. Pour administrer les territoires qu’ils ont « libéré », le Viêt Cong et ses alliés se dotent, en 1969, d’un Gouvernement révolutionnaire provisoire de la république du Sud Viêt Nam (GRP). Le conflit se déplace même au Laos et au Cambodge, où les communistes vietnamiens trouvent un nouvel allié avec le mouvement rebelle des Khmers rouges et où les États-Unis contribuent au renversement du roi Sihanouk.
La reprise des bombardements américains sur Hanoï et Haïphong, en 1972, n’y change rien : à l’issue d’une guerre ayant fait plus de trois millions de morts[2], les négociations de Paris aboutissent à un accord en janvier 1973. Reconnaissant l’indépendance et l’intégrité du Vietnam, Washington retire ses troupes dès le mois de mars, laissant à des élections démocratiques le soin de déterminer le devenir des sud-Vietnamiens.
[1] Ces mouvements se rapprocheront tactiquement au milieu des années 1960, avec le soutien ponctuel du Cambodge sihanoukiste et de la Chine.
[2] Le conflit aurait tué trois millions de Vietnamiens, 600 000 Cambodgiens, plusieurs dizaines de milliers de Laotiens et 58 000 soldats américains.
Fin du régime sudiste et réunification
Le scrutin prévu par les accords de Paris n’aura jamais lieu : ne s’estimant qu’indirectement lié par leur signature, le Président Thiêu refuse d’en appliquer les clauses politiques. Les pourparlers engagés avec le GRP sont rompus en avril 1974 et les combats reprennent avec d’autant plus d’intensité que l’armée sudiste bénéficie du matériel militaire laissé par les Américains lors de leur retrait. Toute perspective de règlement pacifique s’étant évanouie, les nordistes lancent une offensive, l’année suivante, sur les plateaux et le littoral du centre. L’administration américaine n’ayant pas réagi – après avoir changé de Président[1] – les soldats de l’Armée populaire s’emparent de Hué et de Da Nang en mars 1975, face à une armée sud-vietnamienne en telle débâcle que Thiêu démissionne. A la fin du mois suivant, son successeur signe une capitulation sans condition.
Si aucun bain de sang n’accompagne la chute de Saïgon, la paix survient néanmoins dans un Vietnam du sud dévasté : les campagnes sont exsangues et la moitié de la population est composée de réfugiés. Pour y remédier, Hanoï instaure un plan quinquennal axé sur la relance de l’industrie lourde, la collectivisation des terres dans le sud et la nationalisation du système bancaire. Symboliquement, Saïgon est débaptisée et reçoit le nom de Hô-Chi-Minh ville, en hommage au leader communiste disparu en septembre 1969 et remplacé par son second, Le Duan. En juillet 1976, le GRP s’efface et le pays est réunifié sous le nom de République socialiste du Vietnam (RSV). En décembre, le Parti des travailleurs redevient Parti communiste.
Sur le plan diplomatique, les relations se normalisent avec les voisins régionaux, en particulier la Thaïlande et le Laos (où le Pathet Lao est arrivé au pouvoir), mais se dégradent en revanche avec la Chine. Le déclencheur de la crise est le Cambodge, où les Khmers rouges prochinois rompent, en avril 1976, les négociations qu’ils avaient engagées avec les Vietnamiens en vue de signer un traité d’amitié et de délimitation de frontières. Alors que Hanoï se rapproche de l’URSS[2], l’armée cambodgienne attaque le Vietnam en plusieurs points de sa frontière sud-ouest, en septembre 1977. La sollicitation d’une médiation chinoise n’ayant rien donné, le régime vietnamien réagit en nationalisant le commerce privé, majoritairement détenu par les Chinois : la décision entraîne un exode massif vers la Chine de Vietnamiens d’origine chinoise (Hoa) et l’arrêt de toute aide économique par Pékin. A la fin de l’année 1978, l’armée vietnamienne lance une contre-offensive massive contre les Khmers rouges qui aboutit à la chute de Phnom Penh, dès les premiers jours de janvier 1979, et à la mise en place d’un gouvernement allié au Cambodge, le Conseil révolutionnaire khmer. Le mois suivant, la Chine riposte en attaquant les provinces nordistes du Vietnam pour « lui donner une leçon » et le punir de s’être rapproché de Moscou. Durant dix ans, les troupes chinoises vont harceler l’armée vietnamienne le long de leur frontière commune, au prix de dizaines de milliers de morts de part et d’autre, le nombre précis des victimes étant toujours en débat.
[1] Le républicain Nixon, fidèle soutien de Thiêu, a dû démissionner en août 1974.
[2] Un traité d’amitié et de coopération est signé avec Moscou en novembre 1978.
Libération économique et conservatisme idéologique
Si le régime d’Hanoï sort intact de ces confrontations, leur coût s’avère en revanche extrêmement lourd pour une économie loin d’être florissante. La collectivisation entreprise au Sud est un échec, la création de « nouvelles zones économiques » est laborieuse et la pénurie alimentaire s’installe. La situation est telle que, de 1975 à 1989, 1,3 millions de Vietnamiens fuient le pays, dont plus de la moitié par la mer, sur des embarcations de fortune (les boat-people). Pour redresser le pays, le régime instille une légère dose de libéralisme dans le commerce et l’agriculture[1], de sorte que l’autosuffisance alimentaire est à peu près rétablie en 1983. La libéralisation économique se poursuit dans les années 1980, au nom d’une politique qualifiée de Dôi Moi (« Changer pour faire du neuf ») ; pour obtenir l’aval de la frange la plus conservatrice du Parti, les réformateurs lui laissent le contrôle politique, social et culturel. Les réformes s’accentuent après la mort de Lê Duan, figure dominante du régime, en juillet 1986, et le profond renouvellement des instances dirigeantes qui en résulte. Les PME privées sont officiellement autorisées et les investissements étrangers favorisés dans un certain nombre de secteurs clés, tels que l’industrie de base et le tourisme.
Soucieux d’alléger ses dépenses et d’attirer les investisseurs étrangers – alors qu’il est toujours sous embargo américain – le Vietnam retire son armée du Laos en 1988 et en fait de même un an plus tard au Cambodge, bien qu’aucun accord n’ait été trouvé entre factions khmères rivales. La chute du bloc socialiste d’Europe de l’est – et la baisse annoncée de l’aide soviétique – poussent Hanoï à se rapprocher de Pékin, ainsi que de l’Occident : en août 1990, un ministre de la RSV est même reçu pour la première fois à Washington.
La nouvelle Constitution de 1992 – qui remplace le Conseil d’État collectif par un Président de la République et consolide le rôle du PC comme parti unique – entérine le modèle vietnamien d’une économie « multisectorielle à orientation socialiste » : d’un côté, le secteur public et coopératif s’ouvre aux privatisations, de l’autre le Parti et l’armée sont autorisés à créer de plus en plus de sociétés industrielles et commerciales. Le développement économique est indéniable : les étrangers investissent en masse, surtout au sud, de même que la diaspora des Vietnamiens d’outre-mer (les Viet Kiêu). L’embargo américain est levé en 1994 et la RSV devient membre à part entière de l’ASEAN [2] l’année suivante. En 1992, la dernière rébellion montagnarde (le Fulro, Front unifié de lutte des races opprimées) dépose les armes.
Ce bel essor est toutefois contrarié dans la seconde moitié des années 1990 : d’une part par les lourdeurs de la bureaucratie locale, d’autre part par les effets pervers de la libéralisation (chômage, corruption, augmentation des inégalités sociales et géographiques…). En 1997, des soulèvements contre l’accaparement de terres par des cadres locaux corrompus se produisent dans la région septentrionale de Thai Binh. En réponse aux émeutes, le régime lance une politique de « démocratie à la base » et de lutte contre la corruption baptisée « Fournaise ardente ». Le problème perdure néanmoins, comme en témoignent de nouvelles tensions : en 2000 dans la province nordiste de Nam Dinh, en 2001 sur les hauts plateaux du centre (sur fond de revendications identitaires et religieuses de la part des minorités ethniques). Une nouvelle fois, le régime sait réagir en nommant, comme Secrétaire général du PCV, un représentant d’une minorité (en l’occurrence un Tay). Relancées en 2000, les réformes permettent à l’économie de retrouver la croissance et au pays de retrouver sa pleine place sur la scène internationale (adhésion à l’OMC, participation au Conseil de sécurité de l’ONU…).
Politiquement, l’équilibre persiste, dans les instances dirigeantes, entre conservateurs idéologiques du nord et réformateurs économiques du sud. Néanmoins, en 2016, le Secrétaire général du PCV Nguyen Phu Trong – en poste depuis cinq ans et représentant l’aile prochinoise du Parti – se défait de son Premier ministre, jugé trop favorable à l’Occident. Devenu également chef de l’État en 2018, il intensifie la politique, dite de « fournaise ardente », engagée contre la corruption, n’hésitant pas à démettre et envoyer en détention des milliers de généraux, cadres du parti et chefs d’entreprise. Comme en Chine, ces actions permettent de juguler toute forme d’opposition, mais aussi d’attirer les investisseurs étrangers. Résultat : en 2020, l’économie vietnamienne dépasse celles de Singapour et de la Malaisie pour devenir la quatrième de l’ASEAN, grâce à une main d’œuvre peu chère et bien formée.
S’étant affranchi de la limite des deux mandats prévus par la charte du parti, le quasi-octogénaire Trong est réélu pour la troisième fois à la tête du PCV et de l’État en janvier 2021. Mais, quelques mois plus tard, la fatigue le contraint à céder sa place de Président de la République à son Premier ministre, Nguyen Xuan Phuc, qui doit démissionner en janvier 2023, après l’implication de ministres et de hauts fonctionnaires de son cabinet dans un scandale de corruption. Le nouveau chef de l’État, élu en mars par l’Assemblée nationale est un quinquagénaire proche de Trong : Vo Van Thuong s’occupait jusqu’alors, au sein du Parti, de la propagande et de la lutte contre « la corruption et les pratiques malsaines ».
Le régime reste par ailleurs impitoyable vis-à-vis du moindre signe d’opposition. Au printemps 2023, un vendeur de nouilles est condamné à plus de cinq ans de prison pour avoir « porté atteinte à la confiance de la population dans l’État » : dans une vidéo, il avait parodié le ministre de la Sécurité, qui en pleine pandémie mondiale de coronavirus, avait été filmé en train de manger un steak recouvert de feuilles d’or dans un restaurant londonien. En juin, neuf policiers, cadres du PC et civils sont tués dans l’attaque, par des assaillants armés, de locaux officiels dans la province centrale du Dak Lak, l’ancien « Pays montagnard du sud-indochinois », évangélisé par les Français puis les Américains et de longue date réfractaire au pouvoir des Kinh. Le gouvernement met en cause le Fulro, bien qu’il ait déposé les armes, et les associations, basées aux États-Unis, qui défendent les Dega (l’autre nom des Montagnards) contre la dégradation de leur environnement et les atteintes à leur liberté de culte. Une centaine de personnes sont arrêtées et une dizaine condamnées, en janvier 2024, à la détention à perpétuité.
En mars 2024, le Président démissionne, un an seulement après sa nomination, en se déclarant coupable de « violations et de manquements » incompatibles avec l’exercice de sa fonction. Ceux-ci se seraient produits à l’époque où il dirigeait le Parti dans la province centrale de Quang Ngai. Il sera remplacé par le ministre de la Sécurité publique. Le mois suivant, c’est la dirigeante d’un géant de l’immobilier qui est condamnée à mort : durant dix ans, elle aurait escroqué plusieurs dizaines de milliers de Vietnamiens pour un montant total équivalant à 6 % du PIB annuel du pays. Quelques jours plus tard, la lutte contre la corruption entraîne également la démission du Président de l’Assemblée nationale.
Malade depuis plusieurs années, Nguyen Phu Trong décède au mois de juillet. Sa succession est assurée par le nouveau chef d’État, To Lam, qui devient aussi Secrétaire général du Parti.
[1] Les terres exploitées par des paysans indépendants restent toutefois propriété de l’État.
[2] Association des nations de l’Asie du Sud-Est.
CRISPATIONS SINO-VIETNAMIENNES & MULTILATÉRALISME
Millénaire, la rivalité entre le Vietnam et la Chine s'est interrompue durant la guerre de libération menée contre les Français, puis les Américains, avant de reprendre, puis de connaitre un début de normalisation dans les années 1990, à la faveur de la disparition de l'URSS, "parrain" d'Hanoï : un accord sur le Cambodge a été signé en octobre 1991 suivi, fin 1999, d’un accord de délimitation de la frontière terrestre sino-vietnamienne. Un autre accord a été signé en 2000, après huit années de négociations, pour délimiter la frontière maritime des deux pays dans le golfe du Tonkin.
En revanche, le différend sur les Paracel toutes proches n’a pas été réglé, pas plus que celui sur les Spratleys (cf. Mer de Chine méridionale). A la fin du printemps 2011, Hanoï accuse des navires chinois de sectionner les câbles d’un navire de PetroVietnam, alors qu’il opérait dans sa ZEE(zone économique exclusive), et des garde-côtes chinois de tirer sur des chalutiers vietnamiens croisant au large de l’île de Da Dong, dans les Spratleys. En octobre suivant, les deux capitales signent bien un accord de délimitation de leur frontière en mer de Chine méridionale (mer de l'Est pour les Vietnamiens). Mais, dès l’année suivante, la Chine installe une première plateforme de forage en eaux profondes, dans une zone que le Vietnam considère comme appartenant à sa ZEE. L’implantation d’une installation similaire, en mai 2014, déclenche deux incidents avec des navires vietnamiens et une vague de violences contre les entreprises chinoises au sud et au centre du Vietnam.
Du coup, les Vietnamiens commencent à mener leurs propres prospections, non sans difficultés : en juillet 2017, des navires de guerre chinois les contraignent à renoncer aux forages qu’ils avaient entrepris dans leur propre ZEE, que Pékin ne reconnait pas. En réaction, Hanoï renforce depuis 2014 ses capacités navales : achat de sous-marins à la Russie (stationnés dans l’ancienne base soviétique de Cam Ranh) et de patrouilleurs à l’Inde, commande de garde-côtes au Japon et aux États-Unis, livraison de drones "made in USA"… La marine vietnamienne effectue même des manœuvres avec l’ancien ennemi américain, devenu le premier marché d'exportation des produits vietnamiens : une coopération militaire a été établie entre les deux pays en 2007.
Pour autant, une partie de la direction du PCV affiche des sympathies d'autant plus grandes pour la Chine que celle-ci fournit force investissements et composants à l'économie vietnamienne. En octobre 2022, le Secrétaire général du PCV est le premier dirigeant étranger à se rendre à Pékin après la réélection de Xi Jinping à la tête du PCC.
En parallèle, Hanoï poursuit sa politique de bonnes relations avec le Japon, la Corée du sud, la Russie, l'Union européenne et les États-Unis. En décembre 2021, le n°1 vietnamien a remis au goût du jour l'expression de "diplomatie du bambou" pour qualifier cette approche multilatérale : elle avait été mis en œuvre au XIXème siècle par le royaume de Siam, alors pris entre les intérêts des empires coloniaux britannique et français. En septembre 2023, après que Pékin a intensifié sa présence en mer de Chine méridionale, Hanoï décerne aux États-Unis le statut de partenaire stratégique, jusque-là réservé à la Russie, la Chine, l’Inde et la Corée du Sud.