ASIE, Indochine

Myanmar (Birmanie)

Comptant plus de cent trente ethnies, le pays est confronté à une succession de rébellions et de putschs militaires.

676 578 km²

République

Capitale : Naypidaw[1]

Monnaie : le kyat

56 millions de Birmans

[1] La plus grande ville est Rangoon.

Le centre du pays est occupé par une vaste dépression, traversée sur 1 000 km du nord au sud par l’Irrawady (« fleuve des éléphants ») descendant de l’Himalaya : la partie nord, autour du bassin de Mandalay, est dénommée haute Birmanie et la partie sud, constituée par le delta de l’Irrawaddy et la plaine du Sittang, est connue sous le nom de basse Birmanie. Les pourtours sont cernés de montagnes couvertes de forêts, culminant parfois à plus de 3 000 m : à l’ouest, la chaîne de l’Arakan et les Chin hills qui séparent le pays de l’Inde (plus de 1460 km de frontière) ; à l’extrême-nord les monts Kachin [1], prolongements du plateau tibétain, qui le séparent de la Chine (près de 2 200 km de frontière) ; à l’est, les hauts plateaux du pays chan, traversés par la Salouen, qui longent le Laos (235 km) et la Thaïlande (1 800 km) ; à l’extrême-sud, la chaîne du Tenasserim, qui se prolonge jusqu’en Thaïlande et en Malaisie. La Birmanie compte également un peu moins de 200 km de frontière terrestre avec le Bangladesh au nord-ouest et une façade maritime d’un peu plus de 1 900 km sur le golfe du Bengale. Le climat est fait d’alternance entre vents de mousson, de juin à octobre, et sécheresse.

Le recensement effectué sous occupation britannique, en 1931, a identifié 135 groupes distincts, dont 134 occupaient plus de la moitié du territoire, en l’occurrence les zones frontalières escarpées (du nord au sud les Kachins, les Wa, Shans et Karenni et au nord-ouest les Chins) ainsi que les zones littérales de l’ouest (Arakanais) et celles du sud jusqu’au Tenasserim (Môns, Karens). Ces ethnies ne représentaient en revanche qu’un tiers de la population, face aux deux tiers de Bamars (ou Birmans) occupant le delta de l’Irrawady et la moyenne Birmanie. Regroupés en huit « races nationales », ces différents peuples appartiennent à trois groupes linguistiques principaux[2] :

  • Sino-tibétain : Bamars (Birmans ethniques) 68 %, Karens 7 % et groupes voisins (Pa’O 2 %, Karennis ou Kayah ou Karen rouges < 1 %), Arakanais ou Rakhine 3,5 %, Kachin 1,5 %, Chin 1 %, Lisu, Lahu, Akha, Naga…
  • Thaï : Shan (9 %), Hkamti, Thaïs
  • Môn-Khmer (groupe Austro-asiatique) : Môn (2 %), Wa (2 %), Ta’ang (ou Palaung)

La plupart de ces ethnies sont présentes dans les pays voisins : les Wa au Yunnan chinois, les Naga en Inde, les Arakanais dans la région bangladaise des Chittagong Hill Tracts et au nord-est de l’Inde. Le nombre de 135 ethnies est cependant contesté, parce qu’il inclut des sous-groupes, qu’il ne tient pas compte de peuples tels que les Rohingyas et qu’il procède à des classements fantaisistes : ainsi, les « Panthay » (Birmans musulmans d’origine chinoise) ne sont pas reconnus comme Chinois mais comme « Myanmar Indian » (un musulman ne pouvant être qu’Indien aux yeux d’un Birman). La loi de citoyenneté de 1982 s’inscrit, à quelques aménagements près, dans la droite ligne du recensement de 1931. Elle distingue trois catégories de citoyens :

sont « citoyens à part entière » les personnes à même de prouver qu’elles descendent directement de parents établis en Birmanie avant 1823 (année précédant la première vague de colonisation britannique en Basse-Birmanie) ;

sont considérées comme « citoyens invités » les personnes ayant acquis la citoyenneté birmane en 1948 (année de l’indépendance) ;

sont considérées comme « citoyens naturalisés » les personnes qui vivaient en Birmanie avant le 4 janvier 1948 et ont demandé la citoyenneté après 1982.

Toute personne non reconnue dans l’une ou l’autre de ces trois catégories est considérée comme « étrangère au pays » (Naing-ngan Khya ou « Other »).

Environ 88 % de la population est adepte du bouddhisme theravada (cf. L’Inde creuset de religions) . Les chrétiens, essentiellement protestants, sont environ 6 % (ultra-majoritaires dans l’État Chin et présents aussi chez les Karen et les Kachin), les musulmans sunnites 4 % (essentiellement des Rohingyas). S’y ajoutent 2 % d’animistes et d’adeptes autres religions (hindouisme, confucianisme, etc.).

Pour en savoir plus : http://www.info-birmanie.org/birmanie-une-population-heterogene-repartie-le-long-des-frontieres/

[1] C’est à l’extrême-nord de l’Etat Kachin, près des frontières avec le Tibet chinois et l’Arunachal Pradesh indien, que culmine le Hkakabo Razi, à un peu moins de 5 900 m.

[2] Sans précédent en trente ans, le dernier recensement a été effectué en 1984, dans des conditions contestées par certains groupes, en particulier les Chin et les Rohyngias (souvent exclus puisque considérés comme étrangers).

SOMMAIRE

Cérémonie bouddhiste. Crédit photo : maungnelynnaung /Pixabay

Une fédération aux fondations fragiles

Lorsque l’indépendance entre formellement en vigueur, en janvier 1948, le pouvoir échoit à un réformiste modéré, U Nu, qui se trouve rapidement confronté à une nouvelle situation conflictuelle. Engagés depuis 1942 dans la lutte armée, à l’époque contre l’occupant japonais, les communistes ont déclenché une insurrection contre les nouvelles autorités birmanes : les radicaux du Drapeau rouge dès 1946, suivis des modérés du Drapeau blanc en 1948. Dès mai 1947, en Arakan (cf. article dédié), les insurrections s’enchaînent aussi contre le statut fédéral instauré par la Constitution de l’Union birmane. Dans le prolongement des négociations menées avec Londres pour accéder à la souveraineté, Aung San – alors chef du gouvernement intérimaire – a en effet signé un accord permettant aux ethnies non birmanes d’être autonomes et même de faire sécession dans les dix ans suivant l’indépendance. Mais cet accord signé en février 1947 à Panglong, en pays shan, a un défaut majeur : il n’a été négocié qu’avec les Kachins, les Chins et les Shans, lesquels héritent au passage du plus vaste État de l’Union, constitué par fusion de la douzaine de principautés qui étaient auto-administrées sous l’occupation britannique[1]. Les autres minorités ont été de facto exclues, qu’il s’agisse des Môns et des Arakanais (englobés avec les Birmans), des Pa-O, Palaung et Wa (traités avec les États shans), ainsi que des Karens et Karennis (ces derniers n’ayant jamais été soumis par les Anglais).

La Constitution prévoit bien la création d’États fédérés pour certains de ces peuples[2], mais sans pouvoir réel, ce qui alimente les revendications séparatistes (cf. Encadré). En août 1948, une insurrection éclate dans l’État des Karennis, après l’assassinat de leur leader indépendantiste par une milice favorable au régime. Leur révolte est suivie, la même année, par celles des Karens, des Môns et des Nagas. Animées d’une même hostilité vis-à-vis des dirigeants bamars, les rébellions sont en revanche fortement désunies, ce dont joue le régime de Rangoon pour mieux régner : en 1952, il adjoint des régions de peuplement shan aux trois États originels de l’État Karenni, pour former le nouvel État Kayah[3]. En plus des guérillas ethniques et des différentes factions du PCB, l’armée birmane doit également combattre, à partir de 1949, quelques milliers de combattants du Kuomintang (KMT) : n’ayant pas suivi leur chef Tchang Kaï-chek dans son exil taïwanais, ces soldats perdus du nationalisme chinois se sont repliés dans l’Etat shan, avec l’ambition de reprendre le Yunnan voisin, puis de reconquérir la Chine.

Malgré un relatif apaisement des rébellions après 1954, U Nu finit par confier les rênes du pouvoir au commandant en chef de l’armée, le général Ne Win, en octobre 1958. Ancien héros de la résistance, le nouveau chef de l’État dirige le pays jusqu’aux élections de février 1960 qui consacrent la victoire du parti d’U Nu et le ramènent au pouvoir, mais pour peu de temps. Son projet d’instaurer le bouddhisme comme religion d’État se heurte à l’hostilité d’une partie de l’armée et des minorités religieuses, en particulier des Kachins fortement christianisés. Mécontents du traitement réel que leur réserve le régime fédéral, les Kachins, ainsi que les Chins puis les Shans, choisissent à leur tour l’action armée, qu’ils vont financer via divers trafics frontaliers (drogue, armes, taxation de la contrebande). Inversement, la rébellion du KMT prend fin en 1961, à la suite d’une intervention de l’armée chinoise dans l’État shan, sollicitée par Rangoon. En « échange », un traité signé l’année précédente entre les deux pays a cédé à la Chine trois zones frontalières de 560 km².

[1]  Les seigneurs traditionnels shans (saopha ou « seigneurs du ciel ») n’abandonnent formellement leurs privilèges, au profit de l’État shan, qu’à la fin des années 1950.

[2] En pratique, cinq Etats ethniques sont créés : Chin côté ouest et quatre dans les zones frontalières orientales (Kachin, Shan, Karenni et Karen du nord au sud).

[3] Les Kayah n’étant qu’un des multiples groupes des peuples karennis.


L’armée au pouvoir

Face au risque d’éclatement que les insurrections et les négociations avec les insurgés font courir à l’Union, Ne Win reprend le pouvoir en mars 1962, à la faveur d’un coup d’État militaire sans effusion de sang. A la tête d’un Conseil révolutionnaire, il instaure un régime extrêmement centralisé, à parti unique (BSPP, Parti du programme socialiste birman) et à connotation socialiste : mélange de progressisme et de traditions, la « voie birmane vers le socialisme » mêle collectivisme, autarcie et rejet de toute influence étrangère. En pratique, l’armée (la Tatmadaw) prend le contrôle de toutes les banques et compagnies industrielles étrangères, puis birmanes ; elle confisque aussi les biens de nombreux marchands et propriétaires fonciers, provoquant le départ de 300 000 à 400 000 Indiens et Chinois en quelques années et, par ricochet, la désorganisation du commerce et de l’agriculture. La situation économique se dégrade si rapidement que, pour éviter la montée des mécontentements, le régime met en place, dans la seconde moitié des années 1960, un système de coopératives artisanales et agricoles destiné à pallier les lacunes étatiques. L’abrogation de la Constitution pousse également de nombreux Kachins à quitter l’armée birmane, où ils étaient très présents, pour rejoindre les rangs de leur rébellion ethnique.

En 1972, la junte militaire cède la place à un régime civil. La « République socialiste de l’union de Birmanie » est instaurée en 1974, dotée d’une nouvelle Constitution qui crée deux nouveaux États ethniques pour les Môns au sud et en Arakan à l’ouest. Mais le changement n’est que formel : la gouvernance reste entre les mains des Bamars, à commencer par Ne Win qui dirige le Conseil d’État, la nouvelle instance dirigeante. Son retrait, en novembre 1981, n’est qu’apparent : grâce à son contrôle de l’armée et du BSPP, demeuré parti unique, il conserve l’effectivité du pouvoir. Rien ne l’entame véritablement, ni le regroupement des Karens et d’autres groupes séparatistes en un fragile National democratic front (NDF) au milieu des années 1970, ni le rapprochement opéré entre les Kachins et les communistes, à l’initiative de Pékin.

La Chine change radicalement de stratégie au tournant des années 1980 : après en avoir fait le principal mouvement armé du pays, Pékin abandonne le PC birman [1] et devient un allié indéfectible de Rangoon. Pour les Chinois, la Birmanie est un formidable réservoir de matières premières, mais constitue aussi une voie de désenclavement de leurs provinces du sud-ouest (cf. Encadré). Au-delà du changement de positionnement de la Chine, l’armée birmane a mis en place une stratégie implacable pour combattre les rebelles : dite des « Quatre coupures », elle consiste à les priver d’accès à l’alimentation et aux sources de financement. Les insurgés, en particuliers Karens, sont peu à peu repoussés dans les zones montagneuses, tandis que des dizaines de milliers de civils fuyant les combats trouvent refuge ailleurs dans le pays ou dans des camps en Thaïlande [2].

[1] Recyclé dans le narcotrafic, le PCB est traversé par des multiples scissions, souvent ethniques, qui conduisent à la perte de ses bastions du Triangle d’or et à son implosion en quatre narco-factions, en 1989.

[2] L’Etat de Kayin qui leur est dédié n’abrite qu’environ un quart des Karens, les autres ayant rejoint Rangoon et d’autres régions birmanes (470 000 en 2010) ou des camps de réfugiés de Thaïlande (environ 150 000).

Rangoon la nuit. Crédit : dMz / Pixabay

Les premiers pas d’Aung San Suu Kyi

C’est finalement une démonétisation brutale du kyat, en septembre 1987, qui va fragiliser le régime militaire. Prise sous le prétexte de lutter contre le marché noir et les trafics des groupes rebelles, cette décision frappe durement la population des villes. Ne pouvant plus payer leurs frais de scolarité, les étudiants se révoltent. La mort de l’un d’eux, tué par un soldat, intensifie les manifestations en mars 1988. Plus de deux-cents personnes sont tuées par la police anti-émeutes. La démission de Ne Win de la présidence du BSPP, en juillet, n’y change rien, d’autant qu’il nomme à sa place son plus fidèle lieutenant, connu pour sa répression de la rébellion karen des années 1950 et de manifestations estudiantines en 1962. Le 8 août 1988 [1], des foules d’étudiants, de bonzes, de femmes, de classes moyennes envahissent les rues de Rangoon et des principales villes du pays, brandissant des portraits d’Aung San et des drapeaux représentant des paons, emblèmes du nationalisme birman. La réaction du régime est brutale : trois mille personnes sont tuées ou portées disparues après l’intervention de l’armée et des forces de l’ordre. A la fin du mois d’août, un fait va changer le cours des événements : le retour en Birmanie d’Aung San Suu Kyi, fille du « père de l’indépendance ». Son discours devant 500 000 personnes, réunies autour d’une pagode de Rangoon, galvanise les foules et rallie à sa cause diverses figures de la scène politique et militaire.

L’armée reprend le contrôle par un nouveau coup d’État, mettant fin à l’illusion de régime civil entretenue depuis une quinzaine d’années. En septembre 1988, le dernier ministre de la Défense de Ne Win et chef d’état-major, le général Saw Maung, abroge la Constitution de 1974 et annonce la création d’une nouvelle instance dirigeante, le SLORC (State Law and Order Restoration Committee). Des milliers d’étudiants et de professeurs s’enfuient à l’étranger, via les zones frontalières où est fondé un nouveau mouvement armé, l’All Burma Students’ Democratic Front (ABSDF). Globalement, les insurrections marquent un temps d’arrêt : entre 1989 et 1993, la junte signe des accords de cessez-le-feu avec une quinzaine de rébellions (cf. Encadré). Dans le même esprit, le pays est rebaptisé Union du Myanmar [2] en juin 1989, un nom censé être moins connoté que celui de Birmanie, qui renvoyait uniquement au peuple majoritaire. Ces dispositions ne contiennent en revanche aucun accord de règlement politique de la question fédérale, celle-ci étant renvoyée à la rédaction d’une future Constitution.

Le régime birman reste largement boycotté sur la scène régionale et internationale, à l’exception majeure de la Chine : la signature d’un important accord militaire entre les deux pays, en 1989, permet à la Tatmadaw d’intensifier ses actions contre les mouvements n’ayant pas déposé leurs armes. En un demi-siècle, les différents conflits armés auraient provoqué la mort d’un demi-million de personnes, victimes des combats, mais aussi du sous-développement dans les zones de guerre (malnutrition, maladies) et du travail forcé (emploi des prisonniers comme démineurs ou comme « bêtes de somme »).

[1] Le 8 est un chiffre symbolique dans la numérologie bouddhiste.

[2] Myanma (sans « r ») fait écho à un terme apparu au XIIème siècle, au sens de « premiers habitants du monde ». Le nom a été confirmé en octobre 2010, en même temps que les changements de drapeau et d’hymne national.


La victoire volée de 1990

Se sentant renforcé, le pouvoir convoque des élections pour mai 1990. Le BSPP ayant été dissous, c’est le National Unity Party (NUP) qui porte les couleurs gouvernementales, face à des dizaines de partis, en particulier la National League for Democracy (NLD) fondée en septembre 1988 par Aung San Suu Kyi, U Nu et leurs partisans. Face à l’engouement suscité par cette nouvelle formation, sa charismatique Secrétaire générale est assignée à résidence en juillet 1989 et ses autres dirigeants emprisonnés. En revanche, la junte n’influe pas sur le déroulement du scrutin lui-même, comme en témoignent les résultats : bien que privée de ses chefs, la NLD rafle 60 % des voix et 80 % des sièges à pourvoir, loin devant des partis régionaux – en particulier shan et arakanais – et plus encore devant le NUP qui n’obtient que dix élus. Désemparé par cette issue, le SLORC tergiverse et opte finalement pour un plan B en septembre 1990 : il confie à une Convention nationale – et non au nouveau Parlement élu – le soin de rédiger la nouvelle Constitution du pays. L’attribution de Prix Nobel de la paix à la fille d’Aung San, en octobre 1991, n’y change rien : le nouveau chef du SLORC, le général Than Shwe, poursuit la stratégie envisagée. Mise en place en janvier 1993, la Convention compte moins de cent parlementaires parmi ses sept cents membres, dont la mission principale est de perpétuer le pouvoir de l’armée.

Contre toute attente, la junte libère Aung San Suu Kyi sans condition, en juillet 1995. En réalité, elle est engagée dans des négociations d’adhésion à la zone économique régionale (l’ASEAN) et se doit de donner des gages à ses voisins pour bénéficier de leurs aides. Après trois mois de silence relatif, la patronne de la NDL reprend ses critiques contre le régime et décide de retirer les élus de son parti d’une Convention nationale dont les travaux n’avancent pas. Les discussions achoppent notamment sur la question du fédéralisme que les militaires considèrent comme dangereux pour l’unité du pays et qui pourrait fragiliser les cessez-le-feu déjà signés. Admise comme observateur au sein de l’ASEAN, la Birmanie doit encore obtenir son adhésion à part entière, de sorte que son gouvernement ne peut donc pas s’en prendre directement à la « dame de Rangoon » ; il contourne l’obstacle en empêchant ses partisans de lui rendre visite et en multipliant les arrestations dans les rangs de son parti. En octobre, une dizaine de membres de la NDL sont condamnés à sept ans de prison. Ayant fini par devenir membre de l’ASEAN en juillet 1997, la junte procède à un nouveau « ravalement de façade » en novembre suivant, ce qui lui permet d’évincer certains dirigeants [1] et de nommer de jeunes officiers autour des généraux Tan Shwe, Maung Aye (chef de l’armée de terre) et Khin Nyunt (chef des renseignements) : le SLORC est remplacé par le SPDC (Conseil d’Etat pour la paix et le développement). A l’occasion de ce « toilettage », ASSK est autorisée à célébrer la fête nationale, chez elle, en présence de ses partisans et de diplomates.

L’accalmie est sans lendemain. La junte se raidit à nouveau à l’approche du dixième anniversaire de la répression sanglante du 8 août 1988. Les arrestations et les assignations à résidence se multiplient. En septembre 1998, plus de huit cents membres de la NDL sont arrêtés, y compris des députés élus au sein d’un Parlement qui ne s’est jamais réuni. En mars 1999, Aung San Suu Kyi ne peut se rendre aux funérailles de son mari britannique, décédé au Royaume-Uni, par crainte de ne pas être autorisée à revenir dans son pays. Dix-huit mois plus tard, elle est de nouveau assignée à résidence, tout en ouvrant un dialogue, alors gardé secret, avec les services secrets de Khin Nyunt. Libérée « sans condition » en mai 2002, elle est de nouveau arrêtée en mai 2003, après qu’un de ses voyages dans le nord du pays a donné lieu à des échauffourées mortelles (4 à 80 victimes selon les sources), provoquées par des nervis à la solde du régime.

L’affaire vaut au pays de sévères condamnations et sanctions, dans un contexte de forte dégradation économique : à l’exception de la production d’opium qui croît de 10 % par an et des laboratoires de fabrication de drogues de synthèse qui poussent aux frontières, les autres activités sont en perdition. Dépensant toujours sans compter pour acheter des armes, le Myanmar est confronté à la raréfaction des investissements internationaux et des aides étrangères (1 $ par habitant, soit cinquante fois moins qu’au Cambodge ou au Laos), alors que la crise sévit, tant sanitaire (sida, tuberculose, paludisme) que sociale (25 % de la population au-dessous du seuil de pauvreté et un tiers seulement des enfants scolarisés) et sécuritaire.

En août 2003, la junte enregistre une nouvelle évolution : tout en restant chef de l’Etat, des forces armées et du SPDC, Than Swe, adversaire résolu de la « dame de Rangoon », cède sa place de Premier ministre à Khin Nyunt. Tenant d’une ligne plus « pragmatique », ce dernier annonce « une feuille de route » en sept points vers une « démocratie disciplinée », mais sans le moindre échéancier. Rien de précis n’est dit, en particulier, sur la relance de la Convention nationale, en panne depuis le retrait des élus de la NDL. Dans un nouveau geste de conciliation vis-à-vis de l’ASEAN, le régime libère « la dame de Rangoon », tout en la replaçant en liberté surveillée à son domicile. Plusieurs milliers de prisonniers sont libérés en novembre 2004, juste avant un sommet de l’organisation économique régionale : la junte explique ces libérations par les irrégularités commises, lors de leur arrestation, par les services secrets dont l’ancien chef, Khin Nyunt, a été arrêté pour corruption le mois précédent, à l’occasion d’une plus importantes purges jamais effectuées depuis 1962. La « ligne dure » de Than Swe l’ayant emporté, Aung San Suu Kyi et son vice-Président restent assignés à résidence [2], alors que les travaux de la Convention nationale reprennent en février 2005.

En novembre, le régime annonce le déménagement de la capitale de Rangoon à Naypidaw (« cité royale »), 370 km plus au nord ; officiellement, il s’agit de se rapprocher du cœur historique des Birmans et de quitter une ville décatie, au passé colonial, de surcroit proche de la mer, donc trop exposée à une attaque éventuelle. Le nouveau siège gouvernemental est par ailleurs proche d’un camp où les nationalistes birmans aveint été formés durant la seconde Guerre mondiale, avant de devenir le QG de Aung San quand il se retourna contre les Japonais.

[1] Le régime procède à des purges régulières : en 2002, le gendre de Ne Win (qui décède la même année) et ses trois fils sont pendus pour tentative de putsch et les chefs de la police et de l’armée de l’air limogés.

[2] Leurs assignations sont même reconduites en juin 2006.

Crédit : taaniadelongchamp / Pixabay

Militaires et civils associés au pouvoir

A la suite de la violente répression d’une manifestation massive contre la hausse des prix, menée par des moines bouddhistes en septembre 2007, la junte lâche du lest, sous la pression de son protecteur chinois, peu enclin à voir couler le sang dans sa zone d’influence à un an des Jeux olympiques de Pékin. Autorisée à rencontrer des membres de son parti, la cheffe de l’opposition se dit « disposée à coopérer » avec le pouvoir « dans l’intérêt national » à l’issue de deux réunions avec le Ministre du travail. En mars 2008, le régime fait un nouveau geste, en affirmant son intention de céder le pouvoir aux civils après des élections multipartites en 2010, mais dans le cadre d’une nouvelle Constitution laissant un pouvoir certain aux militaires : l’armée nommera un quart des membres des assemblées provinciales et de l’Assemblée nationale, bloquant ainsi tout amendement constitutionnel n’ayant pas son consentement (puisque son approbation nécessiterait 75 % de votes favorables) ; elle gardera aussi le pouvoir de nommer des fonctionnaires dans des ministères clés comme la Défense et l’Intérieur et aura le droit de reprendre le pouvoir en cas de crise ; quant au chef de l’Etat, il devra posséder une expérience militaire de quinze ans et ne pas avoir de lien de mariage avec un étranger, disposition qui exclut Aung San Suu Kyi, mais qui figurait déjà dans la Constitution de son propre père en 1947. La nouvelle Constitution prévoit également la création de six Régions auto-administrées sur une base ethnique : Naga à la frontière indienne ; Pa’O, Palaung et Danu au centre de l’État Shan ; Kokang et Wa à la frontière chinoise. Les minorités ethniques comptant plus de 60 000 individus, et dont la représentation est supérieure à 0,1 % de la population totale dans un État donné, auront également droit à une représentation parlementaire.

Alors que le pays vote sur ces nouvelles dispositions, le passage d’un cyclone dans le delta de l’Irrawady fait plus de 140 000 morts et disparus en mai 2008. Totalement incapable de secourir les survivants, le régime doit se résoudre à accepter des aides occidentales et à mettre en place une structure de gestion humanitaire avec l’ONU et l’ASEAN. En septembre suivant, il libère le plus ancien prisonnier politique du pays (un proche d’Aung San Suu Kyi détenu depuis dix-neuf ans), mais ne relâche pas sa pression sur la leader de l’opposition : en mai 2009, deux semaines avant l’expiration de son assignation à résidence, elle est emprisonnée pour avoir violé une loi sur la protection de l’État contre « les éléments subversifs », après qu’un ancien vétéran américain de la guerre du Vietnam se soit introduit chez elle ; en août suivant, elle est condamnée à trois ans de prison, commués en une nouvelle assignation à résidence de dix-huit mois.

En novembre 2010, les premières élections depuis vingt ans se tiennent dans quasiment tout le pays, à l’exception de quelques zones aux mains des rébellions. Elles visent à élire le Parlement, mais aussi les quatorze assemblées régionales des États et Divisions (nom des entités administratives des populations birmanes). Les scrutins sont entourés de peu de suspense, puisque la NDL a été dissoute[1] – après avoir refusé d’écarter sa cheffe de ses instances dirigeantes – et que les deux principales formations sont liées au pouvoir : Parti pour la solidarité et le développement de l’Union (USDP) dirigée par le Premier ministre et d’autres membres du gouvernement ayant abandonné l’uniforme et le Parti de l’union nationale (NUP) animée par d’anciens partisans de Ne Win. Le premier remporte près de 80 % des voix, à l’issue d’un scrutin suivi officiellement par plus de 60 % des électeurs, bien que le chiffre soit sujet à caution (votes anticipés, obligation des fonctionnaires de voter pour le parti gouvernemental…). Nommé en février 2011, le nouveau Président de la République est un général à la retraite, Thein Sein, Premier ministre sortant et fidèle de Than Shwe. Officiellement dissoute le mois suivant, la junte est remplacée par un gouvernement « civil » largement composé d’anciens galonnés.

Libérée en novembre 2010 – après avoir passé quinze de ses vingt-et-une dernières années en détention – Aung San Suu Kyi reprend progressivement ses activités. A l’issue d’une rencontre avec le nouveau chef d’État à Naypidaw, en août 2011, elle est même autorisée à réenregistrer la NDL et rencontre l’ambassadeur chinois en Birmanie en décembre. En janvier 2012, plus de trois cents prisonniers politiques sont libérés : leaders de la NDL et des manifestations de 1988, nationalistes shans, meneurs de la révolution « de safran » de 2007, ainsi que Khin Nyunt qui était en résidence surveillée depuis 2005. En mars, la Birmanie signe un accord avec l’OIT en vue de mettre fin au travail forcé dans les trois ans. En deux ans, le Parlement adopte un ensemble de lois libérales sans précédent : légalisation des syndicats, abolition de la censure, octroi du droit de grève et de manifestation, réforme bancaire, libéralisation de monopoles d’État, loi en faveur des investissements étrangers… Cette évolution conduit les Américains et les Européens à lever progressivement leurs sanctions, les Japonais à annuler leur dette et les Thaïlandais et les Indiens à investir dans le pays.

En avril 2012, la NDL remporte la quasi-totalité des sièges mis en jeu lors de législatives et régionales partielles, dont un pour sa cheffe dans une circonscription rurale ; pour pouvoir siéger, les nouveaux élus sont obligés de prêter le serment de s’engager à « sauvegarder » (et pas seulement à respecter) la Constitution. Malgré les divisions régnant dans chaque camp – « vieille garde » contre jeunes gardes à la NDL, pragmatiques autour du Président Sein contre tenants d’une ligne « dure » au sein du gouvernement – les législatives se tiennent dans le calme en novembre 2015 et sont suivies par 80 % du corps électoral. La NDL obtient plus de 80 % des sièges mis en jeu dans les deux Chambres, très loin devant l’USDP et le NUP qui sont laminés, y compris dans leurs bastions du delta de l’Irrawaddy. Malgré les réticences de certains représentants de minorités vis-à-vis de la tiédeur de la « dame de Rangoon » à leur égard, la NDL obtient des scores très importants dans les districts ethniques où le scrutin a pu être organisé.

Toutefois, le parti d’opposition ne réunit que 255 des 440 élus, loin de la majorité des deux-tiers nécessaire pour réviser la Constitution, puisque 25 % des sièges étaient réservés d’office aux militaires. La fille d’Aung San ne pouvant elle-même accéder à la Présidence de la République, c’est un de ses amis d’enfance qui est élu, flanqué de deux vice-Présidents, l’un membre de la NDL, l’autre proche de Than Shwe et ancien gouverneur militaire de Rangoon lors de la répression de la « révolte des moines » en 2007. De son côté, Aung San Suu Kyi hérite d’un statut de quasi-chef de gouvernement : ministre des Affaires étrangères, elle est aussi « Ministre du bureau du président » et « conseiller d’État », chargée de faire la liaison entre la présidence et le Parlement, au grand déplaisir des militaires qui conservent les ministères régaliens de la Défense, de l’Intérieur et des Frontières.

[1] Des dissidents de la NDL participent toutefois au scrutin sous le nom de Force nationale démocratique (NDF).


Le retour de la junte

La « dame de Rangoon » assoit son pouvoir en effectuant une visite officielle en Chine en août 2016, afin de relancer des projets économiques et d’obtenir l’appui de Pékin qui soutient certaines minorités insurgées agissent à sa frontière [1] : c’est le cas de l’USWA, dont les 20 000 hommes assurent la sécurité de casinos à capitaux chinois en territoire birman ; c’est aussi le cas dans la région autonome du Kokang : située à l’extrême nord de l’Etat shan, cette enclave montagneuse de 150 000 personnes, est peuplée aux trois quarts de Birmans d’origine Han et pour le quart restant de Chinois à part entière[2]. En mai 2016, la fille de Aung San a en effet tenté de renouer avec l’héritage de son père, en organisant une conférence de réconciliation nationale dite de Panglong, comme celle de 1947 (bien que s’étant tenue à Naypidaw). Mais sa tentative n’a pas donné grand-chose : non seulement son poids reste faible par rapport à celui des militaires, mais elle reste perçue, par les minorités, comme une pure représentante des élites birmanes, notamment dans sa gestion de la répression exercée contre les musulmans Rohyngias de l’Arakan[3] . La NDL n’en sort pas moins renforcée des élections de novembre 2020, en obtenant la quasi-totalité des sièges de la chambre haute (Sénat) et plus de 80 % de ceux de la chambre basse.

Ce nouveau revers pour l’USDP est tel que, en janvier 2021, le chef de la Tatmadaw, Min Aung Hlaing, l’attribue publiquement à des fraudes majeures, susceptibles de remettre en cause l’application de la Constitution. Quelques jours plus tard, l’état d’urgence est proclamé pour un an, au motif de rétablir la stabilité du pays : « daw » (madame) Suu est arrêtée, ainsi que le Président de la République. Ils sont remplacés par un « Conseil d’administration de l’État » (SAC), composé de huit officiers et de huit civils, dont aucun n’est membre de la NDL. Le siège de celle-ci est détruit et plusieurs de ses responsables arrêtés. Alors que des centaines de milliers de Birmans manifestent pacifiquement dans le pays pour réclamer le retour de la démocratie, en arborant « le paon combattant » (un symbole utilisé lors du soulèvement populaire de 1988, puis par la NDL), les premiers morts tombent sous les balles des forces de l’ordre. Prévenant les manifestants qu’ils risquent leur vie, la junte réprime violemment les rassemblements et les mouvements de grève, au point que même Pékin, qui avait d’abord qualifié cet épisode de « remaniement ministériel », adopte une résolution de l’ONU appelant l’armée birmane « à la retenue ». Ceci n’empêche pas les opposants de s’en prendre à des intérêts chinois : une vingtaine de protestataires sont tués par les forces de l’ordre, en bloquant des entreprises textiles liées à Pékin dans la périphérie de Rangoon. La répression du régime s’amplifie : plus de cent personnes, y compris des enfants, sont tuées mi-mars lors de la « journée de l’armée » commémorant le soulèvement anti-japonais de 1945, en présence du vice-ministre russe de la Défense.

L’aggravation de la situation est telle que des organisations ethniques signataires de l’accord de cessez-le-feu de 2015 le remettent en cause, à l’image de la KNU qui attaque un camp militaire en pays Karen. D’ailleurs, la moitié du gouvernement d’union nationale en exil (NUG) formé par la NDL n’est pas d’ethnie Bamar : son Président est Kachin et son Premier ministre Karen. Des milices d’autodéfense civiles, souvent indépendantes les unes des autres et du NUG (mais parfois liées à des guérillas ethniques, cf. Encadré), se développent, en zones rurales comme urbaines, y compris dans les régions bamar de Sagaing ou Magway, au nord-ouest et au centre. Équipées de façon rudimentaire (y compris d’arbalètes), elles y attaquent tout ce qui représente l’État : des militaires et des fonctionnaires, mais aussi des écoles et des centres médicaux. Tandis que le pays s’enfonce dans une crise humanitaire, aggravée par la pandémie de Covid-19, le pouvoir réplique par des bombardements aériens sur les villes révoltées. Il active aussi des escadrons de la mort, les Pyu Saw Htee, ainsi que des milices de la mouvance Ma Ba Tha (mouvement pour la défense de la race et de la religion), bannie en 2017 par le haut clergé bouddhiste. En septembre, le régime relâche un moine radical, plusieurs fois condamné pour sa haine antimusulmane, après avoir libéré d’autres leaders ultranationalistes les mois précédents.

L’orientation autoritaire de la junte (plus d’un millier de morts et des milliers d’arrestations en un an) est telle que son chef n’est pas invité au sommet de l’ASEAN organisé à Brunei, ce qui conduit la junte à promettre la libération de 5 000 détenus. En revanche, les condamnations pénales pleuvent contre « la lady » de Rangoon et ses proches, sous des chefs d’accusation aussi différents que l’incitation à la révolte et la détention de walkies-talkies, considérée comme une infraction à la législation sur les télécommunications. Dans l’État Kayah, des soldats birmans traquant des insurgés karennis incendient volontairement des véhicules où se trouvaient des civils : une trentaine de femmes, d’enfants et deux membres d’une ONG meurent brûlés vifs. Par crainte des violences, près de la moitié de la population de l’État s’enfuit dans des régions voisines ou en Thaïlande. Le bilan est également lourd parmi les combattants : bien qu’armée lourdement par la Chine et la Russie, la Tatmadaw aurait perdu plusieurs milliers d’hommes, sans compter les désertions.

En janvier 2022, l’opposition affiche sa volonté d’union : quatre cents représentants de partis politiques et de groupes armés de tout le pays adoptent une Charte de la démocratie fédérale, appelée à remplacer la Constitution de 2008. Ne contrôlant plus directement que 50 % du territoire, mais conservant toutes les grandes villes et infrastructures, la junte raidit encore ses positions : en juillet, elle exécute des opposants, les premières exécutions en plus de trente ans. Aidée de milices, dont certains dirigeants sont très officiellement décorés, l’armée détruit également des villages des régions rebelles et y exécute des civils « pour l’exemple ». Mais, de nouveau boycottée par l’ASEAN en novembre, elle libère plusieurs milliers de prisonniers, dont des étrangers et des anciens ministres de la NDL. Cette clémence ne concerne pas la « dame de Rangoon » qui est condamnée, le mois suivant, à un total de trente-trois années de prison.

En janvier 2023, un rapport de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (UNODC) pointe la très fortement augmentation, après des années de baisse, des surfaces consacrées à la culture du pavot, dont sont extraits l’opium et l’héroïne (+33% en 2022). Plus de 80 % des terres se situent dans l’Etat shan, où elles sont exploitées par une demi-douzaine de guérillas ethniques – parfois rivales – ainsi que par des groupes ralliés au régime ou qui observent une prudente neutralité dans le conflit en cours. C’est le cas de l’USWA, dont les enclaves abritent des laboratoires de fabrication de drogues synthétiques, l’argent de ces différents trafics étant blanchi via les nombreux casinos qui fleurissent dans le Triangle d’or et dans les zones frontalières voisines.


L’intensification des guérillas périphériques

En février 2023, l’état d’urgence est prolongé de six mois et les élections d’août reportées d’autant, alors que les rangs de l’opposition ne cessent de grossir. De mieux en mieux structurées et coordonnées avec les guérillas ethniques, les forces de défense populaire (PDF) compteraient 65 000 hommes en armes. Les combats auraient déplacé un million de personnes et fait des dizaines de milliers de victimes dans les rangs de l’armée ; des milliers de collaborateurs présumés de la junte auraient par ailleurs été assassinés. En mars, le régime annonce la dissolution de la NDL qui, selon la version officielle, n’aurait pas réuni les conditions requises pour se réinscrire en tant que parti politique. Ayant affiché sa détermination à en finir avec la révolte, la junte essaie de tirer parti de sa supériorité dans les airs, quitte à se livrer à des bombardements aveugles ; l’ONU affirme avoir recensé six-cents frappes aériennes en deux ans, dont l’une fait près de cent morts – y compris des femmes et des enfants – en avril, dans un village de la région de Sagaing. En juillet, l’état d’urgence est prolongé pour la quatrième fois.

Quatre mois plus tard, les trois groupes armés de l’Alliance de la fraternité (TNLA, AA et MNDAA) lancent une offensive conjointe dans la zone « auto-administrée » du Kokang, région de 150 000 habitants au nord de l’État shan, gérée par des dissidents du MNDAA ralliés au gouvernement depuis 2009 (cf. Encadré). Les insurgés s’emparent d’une ville stratégique voisine du Yunnan chinois, de dizaines de sites militaires et d’armement lourd, ce qui provoque l’inquiétude de la Chine : l’instabilité pourrait menacer certains de ses projets dans la région et favoriser l’essor d’activités mafieuses majoritairement exercées à l’encontre des Chinois (jeux, cybercriminalité, arnaques en ligne). Pékin est d’ailleurs suspecté d’avoir laissé faire les rebelles pour punir une junte qui ne s’attaque pas suffisamment aux groupes criminels pullulant à sa frontière. A l’été 2023, la Chine avait obligé l’USWA, restée neutre dans les conflits en cours, à fermer ses centres de fraude dans une autre zone sinophone et à expulser quatre mille de ses salariés chinois de l’État shan. Celui-ci assure aussi 90 % de la production birmane d’opium à pavot, dont les chiffres explosent : le pays en devient le premier producteur mondial en 2023 avec 1 080 tonnes, soit trois cents de plus qu’en 2022.

Malmenée dans l’Arakan (d’où part le gazoduc vers la Chine), l’armée souffre également au Nord-Ouest, en pays Kachin, et à l’Est, où les Karens essaient de couper la route reliant Rangoon à Bangkok. Dans l’Etat Kayah, les soldats gouvernementaux sont assiégés dans leurs camps par les rebelles Karennis, rejoint par l’Organisation nationale de libération Pa’O qui a rompu ses pourparlers de paix avec la junte. En janvier 2024, les trois mouvements alliés du Nord s’emparent de la route entre Mandalay et la Chine ainsi que de la capitale du Kokang, Laukkaing, après la reddition des centaines de soldats qui la défendaient (trois de leurs chefs sont condamnés à mort pour désertion). L’intervention d’une médiation chinoise permet la signature d’un cessez-le-feu. A l’extrême-Nord, des centaines de soldats, malmenés par l’offensive de l’AA, s’enfuient dans l’État indien du Mizoram, tandis qu’en pays Karen, le corps des gardes-frontières issu de l’ex-guérilla bouddhiste de la DKBA, annonce rompre ses liens avec la Tatmadaw et adopter une politique de neutralité, pour continuer à exploiter ses casinos le plus tranuillement possible.

Dans ce contexte, la junte prolonge de six mois l’état d’urgence (reportant d’autant la tenue d’élections) et met en œuvre une loi de 2010, jamais appliquée, qui instaure un service militaire obligatoire d’au moins deux ans pour les jeunes hommes et les jeunes femmes du pays… ce qui pousse des milliers de jeunes gens à rejoindre les zones « libérées ». En avril, le NUG revendique l’envoi de drones armés sur des sites sensibles de Naypidaw, opération plus symbolique qu’efficace : le gouvernement en exil essaie de montrer sa capacité à frapper la junte partout alors que, dans les zones centrales, les insurgés ne mènent que des raids de faible intensité. En revanche, les forces « révolutionnaires » malmènent de plus en plus sérieusement sérieusement l’armée dans les régions périphériques : en avril, la KNLA et ses alliés – les plus proches du NUG – s’emparent de Myawwady, dans l’Etat Kayin, le plus important point de passage entre la Birmanie et la Thaïlande ; pour évacuer un certain nombre de ses fidèles, la junte birmane a dû demander l’autorisation de sa voisine pour franchir la frontière et utiliser un aéroport thaïlandais. Bangkok entretient à la fois de bonne relations avec Naypidaw, tout en acceptant que son territoire serve de base arrière aux rebelles karens.

[1] Wa et Kokangais sont même soupçonnés de fabriquer et de livrer des armes chinoises à d’autres guérillas.

[2] Le Kokang n’a été rattaché aux Indes britanniques qu’en 1897 ; ancien fief du PCB, comme toutes les zones frontalières du Yunnan chinois, il s’est reconverti dans des activités criminelles (héroïne, jeux, cybercriminalité, blanchiment d’argent).

[3] En Arakan, elle met en cause l’extrémisme islamiste des insurgés et argue que plus de 50 % des villages situés dans les zones troublées sont « intacts ».

Des tentatives pour sortir de l’isolement diplomatique

Le caractère longtemps isolationniste, voire xénophobe, du régime birman l’a longtemps tenu éloigné des grandes puissances régionales, exception faite de la Chine à partir des années 1980. Obtenue en 1997, malgré l’hostilité américaine, l’adhésion à l’ASEAN a amélioré les relations avec ses voisins, notamment la Thaïlande. En parallèle, Naypidaw a noué d’autres contacts. En avril 2007, la junte a ainsi rétabli des relations diplomatiques avec un autre pays « paria », la Corée du nord, relations interrompues depuis qu’un commando nord-coréen avait essayé d’assassiner le Président sud-coréen à Rangoon, en 1983. La Birmanie est soupçonnée de fournir de la drogue à Pyongyang, en échange de son aide dans la construction de la nouvelle capitale, dans l’équipement de la flotte birmane en missiles et même dans le développement d’un programme nucléaire. 
En juillet 2010, c’est en Inde que le chef de la junte birmane est reçu avec tous les honneurs, New-Delhi étant intéressé – comme l’ennemi chinois – par l’exploitation et l’exportation des ressources gazières de la Birmanie, ainsi que par une coopération sécuritaire contre les minorités insurgées à leur frontière commune (en particulier les maoïstes naxalites et les « cousins » que sont les Chin et les Mizo). 
En mai 2013, la visite du Premier ministre japonais témoigne de l’ambition de Tokyo de s’implanter dans un pays riche en matières premières et en main d’œuvre à bas coût ; premier soutien de la guerre d’indépendance birmane, le Japon n’a jamais condamné la junte, étant un des premiers pays développés à la reconnaître et un des rares à ne pas lui infliger de sanctions économiques.
La Chine demeure malgré tout le premier partenaire du Myanmar, y assurant 40 % des investissements étrangers et en important des ressources aussi stratégiques que les terres rares. En mars 2009, les deux pays ont signé un accord de construction d’un oléoduc et d’un gazoduc reliant l’Arakan au Yunnan, en vue d’approvisionner le sud-ouest chinois en hydrocarbures du Moyen-Orient sans passer par le détroit de Malacca. Les ports birmans ouvrent également à la marine chinoise une fenêtre sur le golfe du Bengale, face à l’ennemi indien. A l’ONU, la Chine s’oppose régulièrement à toute condamnation de la Birmanie, notamment lors de la répression des Rohyngias, bien que le pouvoir birman ait mis un coup d’arrêt, en septembre 2011, à la construction d’un barrage sur l’Irrawady : le projet aurait nécessité d’engloutir une zone équivalente à Singapour pour produire de l’électricité destinée à 90 % à la Chine, ce qui aurait pu être vécu comme un fâcheux abandon de souveraineté par les nationalistes birmans, a fortiori au sujet d’un fleuve considéré comme la « ligne de vie » du pays.

Une nuée de rébellions et de cessez-le-feu plus ou moins durables

Comme beaucoup de guérillas à travers le monde, celles de Birmanie vivent de nombreux trafics : drogue, mines d’argent, d’or, de jade et de rubis, jeux de hasard, prostitution… La prospérité de ces activités illicites est favorisée par la topographie des zones frontalières du pays, à l’image du Triangle d’or dont les 225 000 km² occupent tout le nord-est de la Birmanie, ainsi que les confins du Yunnan, du Laos, du nord Vietnam et de la Thaïlande : difficile d’accès, cette région de collines et de montagnes (culminant à une altitude moyenne de 2 600 m) est propice à la culture du pavot à opium et à la production de ses dérivés tels que l’héroïne ; elle a également vu se multiplier les laboratoires clandestins de fabrication de drogues de synthèse telles que les métamphétamines. Gérées par des groupes armés ayant parfois abandonné leurs revendications ethniques, ces activités le sont aussi par les militaires et des milieux affairistes liés au pouvoir birman. Rapportant au moins autant que les exportations légales du pays, elles génèrent des revenus qui servent aussi bien à acheter des armes qu’à investir dans l’immobilier ou le tourisme, souvent avec des partenaires chinois. Cette situation a été entérinée par les cessez-le-feu signés, en 1989 avec les quatre narco-factions issues du PC birman (dont l’United Wa State Army, UWSA, et la Myanmar National Democratic Alliance Army, MNDAA), puis jusqu’en 1993 avec une dizaine de rébellions ethniques (à l’exception notable des Karens et des Shans) : en échange d’un arrêt des combats, elles se sont vues accorder le droit de conserver leur arsenal et d’exploiter leurs ressources territoriales, y compris les plus illicites (drogue, pierres et bois précieux), sur lesquelles les représentants régionaux du pouvoir prélèvent leur dîme. Ainsi, le Kokang se voit attribuer le statut de zone « auto-administrée » par la minorité sinophone locale.

La plupart des rébellions sont d’abord à caractère ethnique, caractère qui se double parfois de considérations religieuses. Elles sont l’illustration de la très forte hiérarchisation des peuples du pays : ainsi, les Shans, qui ont longtemps régné sur des États princiers autonomes, méprisent des groupes tels que les planteurs de thé Palaung (ou Ta’ang, opérant sur les hauts plateaux de l’Etat shan courant jusqu’au sud de la province chinoise du Yunnan) ou les coupeurs de têtes Wa. Cette diversité a non seulement nui à une réelle unification de l’opposition armée, mais elle a également conduit à d’innombrables scissions et à l’éparpillement des groupes armés.

Ainsi, lorsque l’Organisation kachin pour l’indépendance (KIO) est contrainte de signer un cessez-le-feu avec le régime en octobre 1993, elle et son bras armé (la KIA, Kachin independance army) éclatent en multiples factions, souvent rivales. En 1994, la KNLA (Karen national liberation army) – bras armé de la KNU (Karen national union) – enregistre le départ d’une partie de ses troupes de confession bouddhiste, qui s’estiment discriminées par la direction chrétienne du mouvement. En échange de diverses facilités, leur Democratic Karen Buddhist Army (DKBA) signe un cessez-le-feu avec le gouvernement birman, dont elle va devenir une force supplétive : l’année suivante, elle l’aide à conquérir le quartier général de la KNU à Manerplaw, à la frontière thaïlandaise. En 1997, la KNU connait une autre dissidence, celle de « l’Armée de Dieu« , mêlant luthéranisme et mysticisme tribal : le QG de cette faction est pris en 2000 par l’armée birmane. Longtemps référence et fer de lance de la rébellion contre le régime, la KNU/KNLA ne compte plus que des troupes éparses, dispersées dans la nature, puisqu’elles ne peuvent plus se replier dans les camps de réfugiés de Thaïlande : en dépit des rivalités ancestrales opposant Siamois et Birmans, le régime de Bangkok a en effet renoncé à provoquer un voisin puissamment armé, préférant s’intéresser à son potentiel économique (port en eau profonde, complexe pétrochimique et débouché de gazoduc sur le golfe de Martaban). L’armée thaïlandaise expulse donc de son territoire tous les hommes de plus de quinze ans susceptibles d’être des combattants.

En 1995, un autre mouvement insurgé est affecté par une scission : la Mong Taï Army (MTA) perd la moitié de ses combattants et commandants shans qui reprochent à leur chef, le sino-shan Khun Sa, d’avoir abandonné toute revendication nationaliste pour se consacrer uniquement au trafic de drogue.  Les dissidents rejoindront finalement la Shan State Army (SSA) fondée en 1964. Le narcotrafic de la MTA subit aussi la concurrence des Wa de l’USWA qui ont signé la paix avec Rangoon, en échange de la poursuite de leurs lucratives et illicites activités au sud de l’Etat shan, près de la frontière thaïlandaise. En janvier 1996, la MTA perd son QG, son chef ayant sans doute négocié un arrêt des combats contre le droit de prendre sa retraite sans être inquiété. Quelques unités refusent toutefois de déposer leurs armes et continuent à se battre sous le nom d’Armée de l’Etat Shan du sud (SSA-S). L’opération est néanmoins un succès pour les généraux birmans qui renforcent ainsi leurs positions dans les régions riches en pavot proches de la Thaïlande et profitent ainsi d’un trafic jusque-là dominé par les milices was et kokanaises qui, en dépit de leur ralliement au régime, ne sont pas forcément partageuses.

Dans certains cas, la fragilité des cessez-le-feu est telle que les combats reprennent ; dans d’autres cas, ce sont les signataires qui ne respectent pas tous les termes des accords et qui rechignent, par exemple, à intégrer leurs troupes dans les Forces de gardes-frontières. C’est pour mettre au pas ces mouvements récalcitrants que la Tatmadaw lance une offensive à la fin de l’été 2009. Elle vise plus particulièrement la MNDAA ou Kokang army : beaucoup de rebelles (et de civils) s’enfuient en Chine, au grand déplaisir de Pékin qui redoute que d’autres ethnies frontalières ne reprennent les armes, si elles se sentent menacées ; en revanche, le n°2 de la MNDAA et ses partisans se rallient au pouvoir birman et forment une force de gardes-frontières qui gère la zone « auto-administrée » du Kokang et ses multiples activités illicites, notamment dans les jeux. En mars 2010, la mort d’une vingtaine de soldats birmans dans une embuscade de la SSA provoque une répression impitoyable de la part de l’armée : plus de 3 000 villages shans sont brûlés et parsemés de mines anti-personnel.

Redoutant une intensification des offensives gouvernementales, les groupes armés de six ethnies (Karens, Kachins, Chins, Môns, Was et Shans) signent, en novembre 2010, un accord destiné à unir leurs forces : pour la première fois, des mouvements, ayant ou pas signé un cessez-le-feu, s’allient au sein d’une organisation commune. Mais la solidité de cet UNFC (United nationalities federal council) est précaire. Elle n’empêche pas l’armée birmane d’attaquer la KIA, en juin 2011, après dix-sept ans de cessez-le-feu : le mouvement kachin a en effet refusé d’intégrer ses quelques milliers de combattants au sein des gardes-frontières, comme l’a fait la DKBA qui, en échange, a obtenu la gestion d’une partie du commerce officieux avec la Thaïlande et la possibilité de se livrer à des activités illégales telles que les jeux ; une partie des revenus tirés de ces opérations est reversée à des moines bouddhistes radicaux, ainsi qu’à l’armée. Celle-ci agit le plus souvent à l’instigation de la Chine, désireuse de mettre fin à la mainmise des rebelles sur les trafics frontaliers de bois et de jade et de les éloigner des chantiers de construction de barrages hydrauliques réalisés par et pour les Chinois. Ces investissements sont dénoncés par les populations autochtones qui en voient les conséquences environnementales, mais ne bénéficient que marginalement de leurs retombées. Au sud, ce sont les Karens qui freinent des projets routiers et hydrauliques, menés cette fois par la Thaïlande.

Finalement, des négociations de paix sont entamées et des accords conclus, de novembre 2011 à mars 2012, avec les minorités karen (KNU et DKBA), shan (SSA-S), môn (New Môn State Party), chin (Chin National Front) et karenni (Karenni Army, branche armée du KNPP, Karenni national progressist party). Le Président birman demande également à ses troupes de cesser le combat contre la KIA. Des dirigeants de la rébellion karen sont même reçus officiellement à Naypidaw, en avril 2012, après la signature d’un accord comprenant l’élaboration d’un « code de conduite » des forces armées et le « retour dans leurs maisons des déplacés », avec un règlement équitable des litiges sur la terre et des opérations de déminage. Mais le régime reste fondamentalement hostile à toute idée de fédéralisme, de sorte que la situation demeure fragile. Dès décembre 2012, l’armée birmane – appuyée par l’aviation – essaie de prendre le QG de la KIO/KIA, dans l’extrême-nord du pays. Elle met fin à son offensive dès le mois suivant, sans doute sous la pression internationale, non sans avoir repris de nombreuses positions rebelles près de la frontière chinoise.

En février 2015, plusieurs dizaines de soldats birmans sont tués dans l’attaque d’un de leurs camps par des rebelles « chinois » de la MNDAA, sans doute appuyés par la KIA Kachin et par la Ta’ang National Liberation Army (TNLA), sans doute pour récupérer des « droits » sur les divers trafics confisqués par la Tatmadaw. Le conflit risquant de déborder sur son sol, la Chine déploie des avions de combat à sa frontière avec la Birmanie, après la mort d’ouvriers agricoles, victimes d’une bombe de l’aviation birmane alors qu’ils travaillaient en territoire chinois.

La MNDAA et la TNLA se retrouvent dès lors exclues – ainsi que l’Arakan Army (AA) des Rakhine – des négociations qui aboutissent à un accord de cessez-le-feu (NCA), en octobre 2015, un mois avant les législatives. Accord d’ailleurs très partiel, puisque sur près de vingt mouvements conviés (dont plus d’un tiers opérant dans l’État Shan), seuls les membres de l’Ethnic Armed Organizations (EAOs) l’ont signé : la KNU et ses dissidences de la DKBA et de la KNLA-PC (Karen National Liberation Army – Peace Council), le CNF chin, le Restoration Council of Shan State/Shan State Army South (RCSS/SSA-S), la Pa-O National Liberation Organization (PNLO), l’Arakan Liberation Party (ALP) et le All Burma’s Students Democratic Front (ABSDF). Les autres groupes ont refusé de parapher l’accord, en l’absence de tout progrès sur l’instauration d’un véritable Etat fédéral : c’est le cas de l’USWA, du Shan State Progressive Party (SSPP / SSA North), de la KIA kachin, du KNPP karenni, des Nagas du NSCN-K[1] et de la NDAA (National Democratic Alliance Army, issue du PC birman). Au total, l’ensemble des mouvements non invités et non signataires prétend aligner plus de 65 000 combattants (contre 17 000 aux signataires). La situation reste d’ailleurs si précaire dans certains districts des Etats Kachin, Shan et même Karen, que le scrutin législatif n’y est même pas organisé.

Au lendemain des élections débute, sous le nom de Panglong, un cycle de conférences de réconciliation nationale, mais son organisation est bancale : sur la vingtaine de mouvements invités, seuls les huit ayant signé des accords de cessez-le-feu ont droit à la parole. Sur l’insistance de la Chine, sept autres groupes acceptent toutefois de participer au deuxième round en tant qu’observateurs, dont le nouveau bloc du FPNCC (Federal Political Negociation Consultative Commitee) constitué par l’UWSA avec la KIA, le SSPP et la NDAA. Prévu au rythme d’une conférence annuelle, le nouveau « Panglong round » peine à avancer, l’armée exigeant comme préalable à tout accord que les mouvements ethniques signent une clause de non-sécession, dans l’esprit du Panglong de 1947 : « l’unité dans la diversité ». Deux membres de la moribonde UNFC paraphent toutefois l’accord de paix, en février 2018 : les Môns du NMSP et la Lahu Democratic Union (LDU). Du côté des Karens, les différentes factions décident de mettre leurs divisions sous le boisseau et de se rassembler derrière la KNU « mère », à l’exception des bouddhistes de la DKBA. En revanche, les trois membres de la Pangkham Alliance (MNDAA, TNLA et AA) n’ont toujours pas été invités, puisqu’ils refusent de déposer leurs armes. Fin 2018, Pékin favorise toutefois des rencontres entre ces trois mouvements et le gouvernement, ce qui n’empêche pas la Tatmadaw de bombarder des zones de l’AA en Arakan et en pays Kachin.

Les combats reprennent tous azimuts au printemps 2021, après le coup d’Etat militaire de janvier : la KNLA et la Force de défense de Sagaing (nord-ouest) reprennent les armes, aux côtés des groupes qui ne les avaient pas déposées. Dans l’Etat Kayah, des milices locales d’autodéfense s’allient à l’Armée karenni pour fonder la Karenni nationalities defense force (KNDF), sous l’autorité d’un gouvernement provisoire, tandis que plusieurs mouvements naissent dans l’Etat Chin, avec l’aide du CNF pour former leurs combattants inexpérimentés. Certains insurgés bénéficient par ailleurs d’armes fournies par l’UWSA, officiellement neutre dans le conflit. En pays karen, ce sont les gardes-frontières issus de la DKBA qui adoptent une position de neutralité, afin de préserver leurs activiés illicites.

[1] National socialist council of Nagaland-Khaplang, proche des Nagas indiens.

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