Des hommes de la culture néolithique se sont installés au huitième millénaire AEC dans des villages fortifiés en briques crues sur les bords du Nil, où ils complétaient la chasse et la pêche par la collecte de céréales et l’élevage de bétail. Au cours du cinquième millénaire, ils ont été rejoints par des populations en provenance du Sahara, alors en voie d’assèchement. Le mélange de ces habitants va donner naissance, vers 2500 AEC, à une structure étatique désignée aujourd’hui comme le Royaume de Kerma, du nom moderne de sa capitale, située au sud de la troisième cataracte. Au nombre de six, les cataractes sont des rapides qui parsèment le cours du fleuve : la première, la plus au nord, est située à hauteur de l’actuel barrage d’Assouan et la sixième, la plus au sud, en aval du confluent que le Nil blanc (venant du lac Victoria en Afrique de l’est) et le Nil bleu (issu du lac de Tana sur les hauts plateaux éthiopiens) forment dans l’actuelle ville de Khartoum.
SOMMAIRE
- Koush et pharaons noirs
- De Méroé au royaume de Nubie
- Les premières invasions musulmanes
- Grandeur et ascension du sultanat Funj
- Conquête égyptienne et révolte du Mahdi
- Du condominium à l’indépendance
Koush et pharaons noirs
Au début du XVIe siècle AEC, les Égyptiens remontent le Nil et s’aventurent dans ce qu’ils appellent Ouaouat, c’est-à-dire la région comprise entre les deux premières cataractes. Au-delà, jusqu’à la cinquième cataracte, ils parlent de « Terre de l’arc » (Ta-Seti), eu égard aux compétences militaires de ses habitants, quand les habitants de langue méroïtique évoquent le pays de Koush, terme qui apparait dans le Livre biblique de la Genèse pour désigner la zone allant du sud de la Haute-Égypte jusqu’au nord de l’actuel Soudan[1]. Le terme « Nubie » n’apparaîtra que bien plus tard, dans la Géographie de Strabon (-29) : il proviendrait de « nub » (or en égyptien), mais cette étymologie ne fait pas l’unanimité. Vers -1640, les Nubiens profitent de l’affaiblissement égyptien pour pousser jusqu’au nord de la première cataracte. Ils vont y mener des raids réguliers pendant près d’un siècle mais, faute d’avoir pu s’allier avec les Hyksos qui sévissent alors dans le delta du Nil, ils ne parviennent pas à mettre fin à la royauté égyptienne. Celle-ci prend sa revanche dans les décennies suivantes : descendus au-delà de la quatrième cataracte, les pharaons installent un vice-roi, membre de la famille royale, à Anuba, en basse-Nubie.
Mais, aux XIIIe et XIIe siècles, l’Égypte connait un nouvel affaiblissement. Harcelée par les Libyens et les « Peuples de la mer », elle doit se retirer de haute Nubie vers -1200. Au XIe siècle AEC, toute la Nubie redevient indépendante, d’abord sous la forme de chefferies et de principautés multiples, puis d’un État unique : le royaume de Koush, dirigé par des rois (les qore), mais aussi des reines (les candaces). Centré sur le confluent du Nil Bleu et du Nil Blanc, ainsi que celui du Nil et de la rivière Atbara un peu plus au nord, il a pour capitale Napata, sur la quatrième cataracte. Vers -900, ce royaume koushite conquiert les territoires situés entre la quatrième et la première cataracte, qu’il franchit pour envahir l’Égypte, vers -730. Le roi Piânkhy y fonde la XXVème dynastie qui va régner pendant près d’un siècle : les « pharaons noirs » sont alors à la tête d’un empire qui s’étend de l’actuel Kordofan du Sud jusqu’au Sinaï. De cette époque date la construction des premières pyramides napatéennes, en grès, qui vont être bâties entre -800 et 100 EC, sur le modèle des sépultures des anciens rois égyptiens.
Les tentatives d’expansion koushite au Proche-Orient sont en revanche un échec. Elles sont contrecarrées par les Assyriens qui envahissent même l’Égypte pour conforter leurs positions au Levant. Chassé de Basse-Égypte vers -663, le pharaon koushite s’enfuit en Haute-Égypte et en Nubie. Son successeur essaie de reconquérir le terrain perdu, jusqu’à assiéger les villes du delta du Nil. Mais ses troupes sont mises en déroute par des renforts assyriens qui poussent jusqu’à Thèbes et à la Haute-Egypte qu’ils vassalisent. Ayant perdu tout espoir de refonder un empire, le royaume koushite se recentre sur Napata, puis sur Méroé – entre la cinquième et la sixième cataracte – à la suite du saccage de Napata par les Egyptiens vers -591. Toutefois, quelques pharaons nubiens vont encore régner sur une partie de la Haute-Égypte, en évinçant provisoirement la dynastie gréco-égyptienne des Lagides de la Thébaïde, à la fin du IIIe AEC. De son côté, le royaume de Méroé prospère grâce à ses richesses en fer, en bois et en ressources agricoles, ainsi qu’au commerce qu’il effectue avec les navigateurs grecs croisant en mer Rouge. Son émancipation est telle que l’influence égyptienne s’y estompe fortement : au IIe AEC, les hiéroglyphes sont remplacés par des inscriptions en méroïtique, la langue locale.
[1] Koush est également un personnage de la Genèse et d’autres livres bibliques : il est un fils de Cham, petit-fils de Noé.
De Méroé au royaume de Nubie
En -23, les Romains – nouveaux maîtres de l’Égypte – lancent une expédition contre le royaume de Méroé. La résistance est incarnée par la candace Amanishakhéto (Amanirenas) qui, à force de harceler les troupes romaines jusque sur le sol égyptien, obtient la signature d’un traité de paix fixant la frontière nord de son État sur la première cataracte. Mais, dès le siècle suivant, le royaume de Méroé commence à décliner, victime de la désertification, des attaques de nomades du désert et surtout de la croissance du royaume chrétien d’Aksoum, dans l’actuelle Éthiopie. Vers 350, les Aksoumites – alliés à des mercenaires berbères de Rome – lui infligent une défaite si cuisante qu’il disparait.
A sa place vont naître de nouveaux États. Le premier est celui des Blemmyes, des nomades couchitiques qui menaient des raids au sud de l’Égypte à la fin du IIIème siècle et dont Rome a essayé de se débarrasser en leur cédant la province méridionale de Dodécaschène, trop pauvre et trop coûteuse à protéger. A la fin du IVe, les Blemmyes ont pris possession d’une mine d’émeraudes dans le désert oriental et établi leur capitale à Talmis (Kalabchah), au sud de la première cataracte. Ils y côtoient et y combattent des nomades nubiens fédérés de Rome, les Nobades (ou Nobatiens) qui, eux aussi, harcèlent le sud égyptien. Vers 450, le conflit entre les deux peuples tourne à l’avantage des seconds. Tandis que les Blemmyes sont chassés dans les déserts situés à l’est du Nil et se confondent avec les Beja, les principautés nubiennes post-méroïtiques donnent naissance à trois royaumes rivaux au VIe siècle : Nobatia, entre la première et la troisième cataracte, avec pour capitale Qasr Ibrim puis Faras (Pachoras) sur la deuxième ; Makuria, entre la troisième et la quatrième, autour de (Old) Dongola, avec une influence qui s’étend jusqu’à la cinquième ; enfin Alodia (ou Alwa), dont la capitale Soba est située au sud du confluent formé par les Nil blanc et bleu. A partir du VIème siècle, ces trois royaumes commencent à être christianisés : le Makuria par des Melkites de Constantinople[1] et ses rivaux de Nobatia et d’Alodia par des Coptes monophysites venus d’Égypte.
Entre 639 et 641, les Arabes musulmans conquièrent l’Égypte, qui était devenue byzantine. En revanche, leurs deux incursions au sud de la première cataracte, en 642 puis 651, sont repoussées par le royaume de Nubie (ou de Dongola). Ce nom est celui qu’a pris la Makuria après avoir absorbé, dans la première moitié du VIIe siècle, la Nobatia, qui était brièvement passée sous le contrôle des Perses Sassanides. Annexée, la Nobatia conserve un semblant d’autonomie via le vice-roi (ou éparque) qui y demeure. Face aux envahisseurs arabes, les archers nubiens tirent avec une telle précision dans les yeux de leurs assaillants qu’ils vont hériter du surnom de « frappeurs de pupilles ». In fine, les belligérants signent un pacte de non-agression (« bakt ») par lequel Dongola fournit de l’or et des esclaves noirs aux Arabes, en échange de divers approvisionnements ; ce pacte sera globalement reconduit jusqu’au XIIIe siècle. Repoussés de Nubie, les Arabes se rattrapent à l’est du Nil, où ils fondent plusieurs villes portuaires et se mêlent aux Bejas.
Abandonnant le melkisme byzantin pour se convertir à son tour au monophysisme copte, ce qui apaise les relations tendues de longue date avec l’Alodia, le royaume nubien continue à s’enrichir en fournissant des esclaves noirs, razziés parmi les tribus du Kordofan et du Nil bleu, aux armées des différents régimes gouvernant l’Égypte. La puissance politique et le développement culturel de la Nubie chrétienne atteignent alors leur apogée. Dans ce royaume où les femmes ont accès au pouvoir, à l’éducation et à la propriété, les arts s’épanouissent sous la forme de riches peintures sur les poteries et sur les murs des nouvelles églises construites à Dongola et Faras, en particulier au début du VIIIe siècle, sous le règne de Merkourios, « le nouveau Constantin ». La langue parlée, le vieux nubien, est écrite à l’aide de caractères coptes, mais aussi de lettres spécifiques ou bien dérivées de l’alphabet méroïtique.
[1] « Dyophysites » ou « melkites », car cette position était celle de l’empereur de Constantinople, en syriaque malka, « le roi ».
Les premières invasions musulmanes
Au XIIe siècle, la région du Darfour voit s’implanter les Dadju ; sans doute venus des environs de Méroé, ces nomades païens, sans doute proche des Nubiens, y supplantent la culture locale de Tora.
À partir de la fin du XIe, Dongola amorce son déclin, tout comme l’Alodia au XIIe. La désagrégation du royaume de Nubie commence en 1275, quand son roi essaie de s’emparer d’un port égyptien sur la mer Rouge, en réaction aux incursions des Mamelouks d’Égypte au-delà de la première cataracte. L’opération est un échec, le roi ne conservant son trône qu’en versant un lourd tribut à ses vainqueurs et en leur cédant plusieurs provinces.
Aux XIVe et XVe siècles, Nubie et Alodia voient déferler des vagues de nomades arabes : installées en Égypte après avoir quitté l’Arabie, ces tribus bédouines envahissent la majeure partie du Soudan, émigrant jusqu’au Butana (ou « île de Méroé », la région de steppe située entre le Nil et l’Atbara), à la Gezira (entre les Nil blanc et bleu), au Kordofan et au Darfour. Propageant l’islam et la langue arabe, elles s’y mélangent aux populations locales, donnant naissance aux tribus arabo-nubiennes, dans une région que les Arabes vont dénommer Bilad-al Sudan, le pays des Noirs. La cour de Dongola elle-même s’islamise, des princesses nubiennes étant mariées à des chefs Beja, en échange de leur soutien militaire. En 1317, le palais d’audience des rois de Dongola est transformé en mosquée, la plus ancienne du Soudan encore debout aujourd’hui. En 1364, devant les assauts répétés des tribus arabisées, la capitale est abandonnée et la région évacuée. La cour royale se replie vers le djebel Adda en Basse-Nubie, tandis que l’éparque de Nobadia s’établit à Qasr Ibrim. C’est aussi au nord qu’une lignée de rois va perpétuer un État chrétien, sous le nom de royaume du Dotawo (le nom du Makouria en vieux-nubien), le reste du territoire appartenant au royaume musulman de Kokka. Le dernier roi connu du Dotawo est Joël, qui disparait vers 1484.
Au XVe siècle, les régions côtières du sud, jusqu’à la ville portuaire de Suakin, sont reprises par le sultanat d’Adel, dans l’actuelle Éthiopie. A la même époque, le royaume Dadju – peut-être passé sous la tutelle du Kanem voisin – est submergé par les Toundjour, des Berbères islamisés venus du nord qui ont déjà soumis le Ouaddaï tchadien à la fin du XIVe. Voyant le pouvoir leur échapper progressivement, les souverains Dadju, devenus musulmans, se réfugient au Tchad voisin où ils gouvernent le sultanat du Dar Sila.
Grandeur et ascension du sultanat Funj
Au début du XVIe, deux nouveaux acteurs s’affrontent aux abords du Nil bleu : des Arabes de la tribu des Rufaa, dirigés par Abdallah Jammah, et des Funj, un peuple couchitique (ou nilo-saharien) venu du sud. Les seconds étant sortis victorieux de l’affrontement (en 1504), et leurs dirigeants s’étant convertis à l’islam, ils constituent un sultanat dont la capitale est Sennar, sur le Nil bleu. S’étendant du piémont éthiopien jusqu’à la troisième cataracte, le sultanat de Sennar progresse jusqu’au Kordofan et aux Monts Nouba, afin d’y razzier le maximum d’esclaves. Au passage, il s’empare de ce qui restait du royaume d’Alodia, poussant la cour de Soba à s’enfuir à l’est du Nil, en direction de l’Ethiopie. Elle y fonde le royaume de Fazughli, qui se maintiendra jusqu’au XVIIe siècle, coincé entre l’Empire éthiopien et le sultanat de Sennar[1]. Au sein de celui-ci, le pouvoir des souverains Funj ne s’exerce réellement qu’au sud de leurs territoires. Ailleurs, il est exercé par des chefs locaux tels que le cheikh abdallabi, établi à Qerri, au confluent des Nil bleu et blanc, avec le titre de vice-roi du Nord.
Vers 1526, le sultanat de Sennar entre en conflit avec les Ottomans, qui ayant conquis l’Égypte au début du XVIe, commencent à progresser sur le Nil. Ainsi, à partir de 1550, les envahisseurs turcs forment, entre la première et la troisième cataracte, la province du Berberistan (en référence à la tribu sédentaire arabe des Barabra qui réside dans la région), dont les gouverneurs vont se rendre largement indépendants du pouvoir cairote. Les Ottomans occupent aussi les ports de Souakin et de Massaoua sur la mer Rouge. En revanche, ils échouent à s’emparer de Dongola, en 1585.
À l’ouest du Nil, les Toundjour – déjà évincés du Ouaddaï par une alliance d’autochtones Maba et d’Arabes dans le premier tiers du XVIe – sont chassés de leurs possessions soudanaises vers 1650. Ils sont victimes de l’expansion du sultanat Fur, un petit royaume dans le nord du Djebel Marra, dont le clan des Keira va faire un État prospère, vassalisant le Ouaddaï à l’ouest (jusqu’à la seconde moitié du XVIIIème) et s’étendant vers le nord au détriment des nomades Zaghawa. Le Darfour (« pays des Fur ») se livre à des razzias de populations noires, qu’il revend comme esclaves jusqu’à la cour napoléonienne.
Ayant atteint son expansion maximale au XVIIe siècle, le sultanat de Sennar commence à décliner. Il doit notamment faire face à l’expansion du royaume des Shilluk : fondé au milieu du XVe siècle aux abords du Bahr el-Ghazal et du Nil blanc, cet État – qui, vers 1630, a fait appel aux Funj pour repousser les incursions des Dinka venus du sud et de l’ouest – va s’étendre vers le Nord, au fur et à mesure que son allié s’affaiblit. Sennar est en effet confronté à des révoltes internes régulières : en 1747, l’une d’elles conduit à la prise effective du pouvoir par les Hamaj, un peuple ou un clan ayant dominé le royaume de Fazughli. Le sultanat des Funj commence à se fragmenter peu après, au point de se limiter quasi-uniquement à la Gezira au début du XIXe. Déjà largement indépendants, les Abdallabi sont imités par les rois de peuples arabo-nubiens tels que les Jaaliyyin et les Mirafab ; dans la région de Dongola, les nomades arabes Shayqiyya chassent de nombreux sédentaires nubiens Danaqla vers le Darfour, où ils deviennent commerçants sous le nom générique de « jallaba » (dérivé de Jaali, désignant les populations sédentaires arabo-nubiennes de la vallée du Nil). De leur côté, les Shilluk profitent de la disparition du sultanat de Sennar pour contrôler le commerce des caravanes et mettre sur pied un système de navette pour les marchands souhaitant traverser le Nil blanc.
[1] Fazughli passe sous la coupe des Ethiopiens en 1615, puis du sultanat de Sennar en 1685. Une principauté chrétienne, Shaira, aurait subsisté dans la zone frontalière éthiopienne-soudanaise jusqu’au début des années 1770.
Conquête égyptienne et révolte du Mahdi
La donne régionale va être très largement modifiée dès le début des années 1820. Gouvernant l’Égypte pour le compte des Ottomans, mais s’en est largement affranchi, le pacha Mehmet Ali entreprend de conquérir toute la zone comprise au-delà de la première cataracte. L’expédition conduite par son fils Ismaïl soumet tour-à-tour les chefs du Berberistan, puis ceux de toutes les tribus arabo-nubiennes et arabes de Nubie et enfin les dirigeants de ce qui restait du sultanat Funj. En 1821, un second contingent défait les troupes du sultanat du Darfour à El-Obeid, au Kordofan, mais ne poursuit pas sa conquête en pays Fur. Ismaïl meurt l’année suivante, victime d’une révolte des Hamaj, des Abdellabi et d’autres groupes. Les « Turco-Egyptiens » du Caire réagissent en envoyant des renforts pour mater la rébellion et en érigeant un fort au confluent du Nil blanc et du Nil bleu : Khartoum. En 1840, ils en construisent un autre en pays Beja, mais sans parvenir à soumettre ces derniers. En revanche, ils se font céder par le pouvoir ottoman les ports de Souakin et Massaoua.
Au sud, un marin turc parvient à descendre le Nil blanc au-delà de son confluent avec la rivière Bahr-el-Ghazal et à atteindre le territoire des Bari, dans l’actuelle région de Juba. Cette avancée va permettre d’atteindre le pays des Zandé, encore plus au sud, et d’ouvrir le commerce de l’ivoire, tout en intensifiant celui des esclaves, en utilisant les jallabas du Kordofan et du Darfour comme intermédiaires. La poussée des troupes du Caire est fatale au royaume Shilluk, dont la capitale a été établie dans l’actuelle Fachoda : ayant perdu le soutien des Funj, il disparait en 1865, n’ayant pu empêcher l’alliance des Dinka et des Nuer de franchir la rivière Sobat, le plus septentrional des affluents du Nil blanc. La poussée des « Turco-Egyptiens » vers le Sud se poursuit encore dans les années 1870, avec la formation d’une province d’Equatoria au nord de l’actuel Ouganda, puis par la conquête du Darfour en 1874. Mais les Fur se révoltent trois ans plus tard, tandis que le Bahr el-Ghazal est livré à l’anarchie. Pour rétablir l’ordre, le khédive (vice-roi ottoman) d’Égypte fait appel à un officier britannique, Charles Gordon. Le calme revient mais pour peu de temps.
En juin 1881, un chef musulman intégriste se proclame « Mahdi », c’est-à-dire « celui qui doit venir la fin des temps pour rétablir la foi et la justice sur Terre ». Pourchassé par les autorités du Caire, il se réfugie au Kordofan avec ses partisans, les « ansar ». Ceux-ci comprennent des religieux partisans d’une théocratie, des « villageois » (awlad al-balad) originaires de la vallée du Nil – principalement des Danaqla et Jaaliyyin qui craignent que Le Caire interdise la traite des esclaves – et des nomades Baggara, hostiles au régime « turc ». Ayant proclamé le djihad en 1882, Muhammad Ahmad ibn Abdallah s’empare de la capitale du Kordofan l’année suivante, avant d’infliger, en novembre 1883, une cuisante défaite à l’armée envoyée contre lui par le khédive. Ce succès de prestige renforce l’insurrection mahdiste qui récupère de nombreuses armes et munitions et rallie de nouvelles tribus, dont les Bejas. S’étant emparée du Bahr el-Ghazal et du Darfour, la rébellion commence à s’attaquer aux villes et aux garnisons égyptiennes du Soudan, y compris Khartoum. De nouveau, le khédive décide de faire appel à Gordon et le nomme gouverneur général du Soudan, avec mission d’évacuer les garnisons égyptiennes encore présentes dans le pays. Encerclé à Khartoum, Gordon meurt dans la défense de la capitale en janvier 1885, juste avant l’arrivée des renforts envoyés par la Grande-Bretagne, devenue maîtresse de l’Egypte en 1882. Bientôt, les forces anglo-égyptiennes ne contrôlent plus que Souakin.
Mais « le Mahdi » ne profite pas longtemps de sa victoire, puisqu’il meurt de maladie quelques semaines plus tard. Sa succession est assurée par le chef des troupes Baggara, Abdallah al-Khalifa, dont la gouvernance de plus en plus autoritaire lui vaut la défiance de certains ansar, à commencer par les awlad al-balad. Leur ressentiment est d’autant plus grand qu’une grave famine frappe le pays en 1889-1890. Six ans plus tard, les Britanniques reprennent la main alors que d’autres Européens, les Italiens, viennent d’enregistrer une défaite dans l’Éthiopie voisine. En septembre 1898, les mitrailleuses des troupes anglo-égyptiennes commandées par Kitchener anéantissent les forces mahdistes : 11 000 combattants sont tués côté soudanais et 16 000 blessés – la plupart abandonnés à leur sort – contre moins de cinquante morts dans le camp adverse. Réfugié avec ses derniers partisans au Kordofan, Abdallah est tué l’année suivante.
Du condominium à l’indépendance
C’est également en 1899 que le Soudan devient un condominium anglo-égyptien : en droit, il appartient toujours au khédive d’Égypte même si, en pratique, il est passé aux mains des Anglais. Le Darfour retrouve son autonomie, mais en restant tributaire de Khartoum. Nommé par Londres, le gouverneur-général favorise l’islam sunnite dans le nord ; en revanche, il promeut le travail des missions chrétiennes, ainsi que l’usage de la langue anglaise, dans le Sud où sont formées des forces militaires locales. Cette politique s’applique aux Monts Nouba, une région de collines du sud-Kordofan constituant une véritable mosaïque, ses populations parlant une quarantaine de langues « kordofaniennes » ou « nilo-sasahériennes » et pratiquant l’islam, le christianisme ou l’animisme. Créée en 1910, la Province des Monts Nouba est toutefois supprimée dès 1928, afin de faire taire les inquiétudes des Baggara comme des jallabas face à l’émergence d’un éventuel pouvoir « nouba ».
Sur le plan international, les frontières du Soudan sont consolidées avec les colonies et les États voisins, en particulier avec la France après un incident armé à Fachoda, sur le Nil, en 1898. Durant la première Guerre mondiale, les Britanniques empêchent le Soudan de rejoindre l’Empire ottoman dans le camp allemand : ils donnent notamment des gages aux nationalistes soudanais en libérant Abd al-Rahman, le fils du Mahdi. Seul le sultan du Darfour et du Dar Massalit (un sultanat vassal apparu en 1870) lance le djihad contre les Anglais, ce qui lui vaut d’être éliminé en 1916. Trois ans plus tard, une convention anglo-française rattache au Tchad une partie du Dar Massalit, notamment ses territoires peuplés de Zaghawa. Le nationalisme égyptien s’étant exacerbé après la guerre, Londres s’accorde avec les chefs soudanais pour contrecarrer les prétentions du Caire, tout en s’efforçant de juguler une renaissance du mahdisme. A cette fin, un véritable « cordon sanitaire » est institué entre le Nord et le Sud, les déplacements de l’un à l’autre étant strictement réduits et encadrés.
Le condominium anglo-égyptien est reconduit en 1936, mais le contexte a changé, avec l’émergence de forces politiques. En 1942, un professeur, Ismail al-Azhari, et ses partisans, les Ashigga (« Frères ») prennent le contrôle du Congrès national des diplômés – une force regroupant les fonctionnaires soudanais – et militent en faveur d’une union avec l’Égypte. Les supporters d’Abd al-Rhaman vont plus loin : en 1945, ils fondent le parti Oumma qui réclame l’indépendance. Londres lâche du lest et institue une Assemblée législative qui, en 1952, vote en faveur de l’autonomie. Égyptiens et Britanniques se rallient d’autant plus à une autodétermination du Soudan que l’arrivée au pouvoir de Nasser en Egypte, en 1954, met fin à toute perspective d’union entre les deux pays. La République du Soudan devient indépendante le 1er janvier 1956.
Pour en savoir plus sur les royaumes chrétiens : https://books.openedition.org/africae/2832?lang=fr