ASIE, Sous-continent indien

Le sous-continent indien jusqu’aux indépendances modernes

A l’intersection du Moyen-Orient et du monde extrême-oriental, la région a vu alterner dominations étrangères et dynasties locales.

La diversité ethnique du sous-continent indien témoigne d’un très fort brassage de populations dès les périodes préhistoriques et protohistoriques. Les habitants les plus anciens, établis vers -60 000 dans la vallée du fleuve Indus (qui a donné son nom international à l’Inde) sont les « Négritos » : de peau noire, ils sont peut-être d’origine Hamite, comme les populations du nord de l’Afrique. A partir de -12 000, ces chasseurs-cueilleurs sont progressivement chassés vers le sud de l’Inde[1] par de nouveaux arrivants qui pratiquent l’agriculture : ces proto-Dravidiens[2], de peau un peu moins foncée, sont qualifiés par les chercheurs de « Méditerranéens occidentaux » ou de « Caucasoïdes » ; ils descendraient des agriculteurs néolithiques des Monts Zagros, en Iran, et se rapprocheraient des Elamites qui vont peupler les versants méridionaux de cette chaîne montagneuse. Dès -6 000, des villages de fermiers apparaissent dans les vallées du Baloutchistan.

[1] On trouve aujourd’hui des Négritos sur l’archipel d’Andaman et dans quelques zones tribales de l’Inde méridionale, ainsi que dans la péninsule malaise. D’autres peuples sont qualifiés du même nom aux Philippines.

[2] Dravida désigne, en sanskrit, les peuples du sud de l’Inde.

SOMMAIRE

Le Taj Mahal à Agra. Crédit : ejson123 / Pixabay

De la civilisation de l’Indus aux premiers royaumes aryens

La civilisation la plus marquante de l’époque est celle de l’Indus qui prend sa pleine expansion aux alentours de -2 600, avec la naissance d’une écriture et la création de véritables villes telles que Harrapa dans le nord de la vallée (Pendjab actuel) et Mohenjo-Daro dans le sud (Sind actuel). Cette civilisation, dite aussi harapéenne, se répand dans l’est de l’Afghanistan et entretient des relations commerciales soutenues avec ses voisins : les Sumériens, qui qualifient ses habitants de Meluhhaites, ainsi que les Indo-Européens de la civilisation bactro-margienne formée entre les sommets de l’Hindou-Kouch afghan et les rives de l’Oxus (cf. Asie centrale). A l’apogée vers -1900, la civilisation de l’Indus amorce ensuite un lent déclin – sans doute du fait de raisons climatiques – jusqu’à sa complète disparition, à la fin du deuxième millénaire, sur les rives orientales du fleuve.

Entretemps, à partir de -1700, des Indo-Européens ont commencé à s’installer très progressivement dans le nord du bassin de l’Indus : les Aryens[1]. Apparentés aux peuples iraniens, avec lesquels ils évoluaient à l’est de la mer Caspienne, ces éleveurs semi-nomades sont organisés en confédérations tribales dont l’une, les Bharata, donnera son nom autochtone à l’Inde (Bharat en langue Hindi). De langue védique (voisine de l’avestique, la plus ancienne langue iranienne connue), ils pratiquent une religion polythéiste, le védisme, qui divise la société en quatre classes hiérarchisées (cf. Encadré sur le système des castes dans l’article sur l’Inde). Vers -1300, ces nouveaux venus forment des royaumes au Pendjab, repoussant encore plus vers le sud de l’Inde les autochtones Dasa (sans doute Dravidiens). Entre -1000 et -800, les Aryens défrichent la vallée du Gange, empiétant ainsi sur le domaine des autochtones Mundas[2] et atteignent finalement le Bengale au IVe siècle. Au fil du temps, le védique prend le nom de sanskrit, lequel mue en parlers plus populaires, les « prakrits », au fur et à mesure qu’il emprunte des mots aux langues autochtones[3].

Dans leur avancée, les Aryens fondent des royaumes, les janapadas, tels ceux des confédérations Panchala et Kuru dans la région d’Indraprastha, l’actuelle Delhi. Leur regroupement, dans les siècles suivants, donne lieu à la création de « grands domaines », les Mahajanapadas, au sein desquels la caste des guerriers prend le pas sur celle des brahmanes. Au milieu du VIe, le royaume de Magadha (dans le Bihar actuel) s’affirme comme le plus puissant de ces États, aux côtés du Kosala et du Videha plus à l’est et de confédérations « républicaines » et autres petites principautés sur les contreforts de l’Himalaya. C’est dans l’une d’elles – le royaume Sakya, aujourd’hui situé au Népal – que nait, vers -563, le prince népalais Siddharta Gautama qui va devenir connu sous le nom de Bouddha (« illuminé » en sanskrit). Bannissant la rigidité du védisme, sa doctrine bouddhiste va se répandre rapidement dans le sous-continent (cf. L’Inde creuset de religions).

A l’extrême sud du cône indien, les Indo-Aryens débarquent, entre les VIe et IVe siècles, sur l’île que les Européens appelleront Ceylan. Ces autoproclamés Sinhala (« fils de lions »[4]) supplantent les autochtones Vedda [5] et fondent des proto-Etats qui s’unifient progressivement entre les VIe et IVe siècles dans la région du Rajarata (nord-est) : royaumes de Tambapanni (-543), puis de Upatissa Nuwara (-505) et d’Anuradhapura (-377).

[1] De Arya = noble. D’autres Indo-Aryens, partis en direction de la Mésopotamie, participent vers -1500 à la formation du Royaume du Mittani.

[2] Les langues munda forment une des deux branches de la famille austro-asiatique, l’autre étant celle des langues môn-khmères.

[3] L’un des plus célèbres prakrits est le pali, originaire de la plaine indo-gangétique, dans lequel ont été écrits les principaux textes du bouddhisme theravada.

[4] De Sinhala dérivent le nom de Cinghalais, désignant l’ethnie majoritaire de l’île, et celui de Ceylan (que les Cinghalais appellent Lanka, les Tamouls Ilankai et les Arabes Serendip).

[5] Les Vedda ou Wanniyila-aetto (« gens de la forêt ») sont jugés comme ethniquement proches des Négritos.


Grecs et Maurya, protecteurs du bouddhisme

Tandis que les Perses de la dynastie Achéménide atteignent la vallée de l’Indus (-518), le Magahda poursuit sa poussée vers l’est et le nord au milieu du Ve siècle : il atteint sa pleine expansion un siècle plus tard, sous la dynastie Nanda. A la fin de ce même IVe siècle, les troupes de l’Empereur macédonien Alexandre franchissent l’Indus (-326) et, via les montagnes de l’Hindou Kouch, pénètrent au Pendjab, le « pays des cinq rivières » (affluents de l’Indus) en langue perse. Ils livrent notamment bataille aux rois (rajahs) du Gandhara (l’actuelle région de Peshawar, au nord-ouest du Pakistan). Mais, selon certaines sources, son armée se heurte à la puissance des éléphants du royaume de « Gangaridaï » (nom donné par les Grecs au delta du Gange, dans le Bengale) et refuse d’aller plus loin. Alexandre décide de regagner l’Iran, via le Sind. Après sa mort, certaines de ses possessions régionales sont reprises par le royaume fondé par un de ses successeurs, Séleucos, mais pas toutes : dans la seconde partie du IIIe siècle, l’Arachosie – correspondant au Baloutchistan et au sud afghan actuels – passe aux mains de la dynastie des Maurya, fondée en -320 par un général ayant renversé les Nanda. Depuis ses bases du Gandhara, le roi Chandragupta impose son pouvoir dans la plaine indo-gangétique et installe sa capitale à Pataliputra, l’actuelle Patna dans le Bihar. 

Sous la conduite du roi Ashoka, arrivé au pouvoir en -273, l’Empire Maurya atteint son apogée : il s’étend du sud de l’Afghanistan jusqu’au Bengale et du Népal jusqu’au sud du Deccan. Mais, en -261, la conquête du Kalinga (l’actuel Orissa, sur le golfe du Bengale) est si meurtrière[1]  qu’Ashoka décide de se convertir aux principes de non-violence du bouddhisme. Il en devient même un ardent promoteur et envoie en effet des missions à Ceylan, en Birmanie, en Asie centrale. La civilisation bouddhiste gagne aussi le Deccan, pourtant de culture dravidienne. C’est aussi la culture de l’extrême sud où les Tamouls créent de nouveaux royaumes au IIIe : les plus pérennes, basés sur le commerce maritime et la riziculture, seront ceux des C(h)ola sur la côte de Coromandel (sud-est), de Pandya à l’extrême-sud (face à Ceylan) et de Chera sur la côte des Malabar (sud-ouest).

Au nord de l’Inde, la mort d’Ashoka (-232) engendre de telles rivalités entre ses fils que l’Empire Maurya finit par se réduire au seul Magadha, après l’indépendance de plusieurs provinces : c’est ainsi que le Deccan passe aux mains de Dravidiens de langue telugu, les Andhra (ou Satavahana). En -184, le dernier souverain Maurya est assassiné par le général en chef de ses armées, lequel fonde la dynastie S(h)unga[2] et restaure avec vigueur les lois védiques. Les rois grecs de Bactriane saisissent l’occasion pour se rendre maîtres du Pendjab et du Gandhara, puis d’une partie de l’Afghanistan, du Sind et même du haut Gange (-160). Ils se montrent aussi protecteurs du bouddhisme, que pourchassent les Sunga : dans la seconde moitié du IIe siècle, le roi Ménandre Ier l’adopte comme religion personnelle et favorise le développement d’un art « gréco-bouddhique » faisant la synthèse des influences grecques et indiennes. Mais la puissance de ces « Indo-Grecs » est fragilisée par leurs rivalités intestines. Vers -170, le roi Parthe Mithridate 1er en profite pour étendre son Empire Arsacide jusqu’à l’Arachosie ; dix ans après, c’est le Gandhara qui s’émancipe des rois grecs du Pendjab, dont le domaine se scinde en deux États au milieu du IIe siècle.

[1] Le nombre de mort est estimé à 100 000.

[2] La dynastie Sunga sera à son tour chassée par les Kanva vers -72.


Des envahisseurs venus d’Asie centrale

Au milieu du IIe siècle, l’intrusion en Bactriane de nomades Indo-Européens, les Yuezhi, a pour conséquence d’en chasser les Scythes d’Asie qui y étaient installés. Repoussés vers le sud, ces Sakas s’installent d’abord au Cachemire, puis en Arachosie : ils y fondent un royaume qui, au siècle suivant, domine la totalité du bassin de l’Indus et l’ouest de la plaine du Gange, au détriment des royaumes « Indo-Grecs ». La domination de ce royaume « indo-scythe » est toutefois de courte durée, l’Empereur Arsacide ayant chargé les Suren de rétablir l’ordre. La mission de cette prestigieuse famille parthe est couronnée de succès, puisqu’elle oblige les Sakas à devenir vassaux de l’Empire où à demeurer à l’est de l’Indus. Mais les Suren ne s’arrêtent pas là : s’étant émancipés des Arsacides dans le Sakastan, ils poursuivent leur expansion jusque vers -10, en prenant l’Arachosie, la vallée de Kaboul et le Gandhara ce qui entraîne, au passage, la disparition des dernières principautés indo-grecques.

A la fin du 1er siècle AEC, un nouvel acteur s’impose : un clan Yuezhi de Bactriane, connu sous le nom de Kouchan (ou Kusana en sanskrit). Après avoir soumis ses congénères, puis les Suren[1], il s’étend vers le Pendjab, avant de vassaliser les Sakas qui s’étaient établis au Rajasthan, dans le bas Indus, et dans le Maharastra. Vers 80 EC, l’Empire Kusana s’étend depuis la mer d’Aral jusqu’à Bénarès (sur le Gange), avec Purushapura (Peshawar) comme capitale principale. Convertis au bouddhisme, les Kouchan poursuivent le développement de l’art « gréco-bouddhique », bénéficiant de l’exceptionnelle prospérité de leur territoire qui fournit lapis-lazuli, argent, rubis, gomme et produits médicinaux aux caravanes de la « route de la soie ».

Au centre de l’Inde, les Andhra affirment leur puissance en éliminant le royaume Saka du Maharastra (Ksaharâta) en 125 et en étendant leur pouvoir sur une partie du Gujarat et même du Karnataka (sud-ouest). Mais leur royaume disparait un siècle plus tard, laissant la place à plusieurs dynasties locales, telle celle des Vakataka dans le Deccan central. Cette même année 225, la puissance des Arsacides s’effondre sous les coups des Perses Sassanides, tandis que le Kusana, passé sous la tutelle parthe au milieu du IIe siècle, se scinde en deux parties, orientale et occidentale. Quelques années plus tard, les nouveaux maîtres perses de la région occupent Peshawar puis, vers 270, prennent la plaine du Gange aux Kouchan.

A la fin du IIIe siècle, les Tamouls débarquent au nord de Ceylan : un prince de Chola s’empare ainsi d’Anuradhapura à la fin du IIIe et règne une cinquantaine d’années sur le Rajarata[2]. Mais l’essentiel du pouvoir reste exercé par des princes cinghalais qui vont devenir les gardiens du bouddhisme originel (dit theravada), à la suite d’un don :  celui de l’unique dent retrouvée dans les cendres de Bouddha, qu’une princesse du Kalinga confie à un roi cinghalais, au début du IVe siècle. La relique va être conservée dans un « temple de la dent » érigé par les souverains de Ceylan, au fur et à mesure de leurs pérégrinations étatiques[3].

[1] Les Suren « indo-parthes » ne conservent que le Séistan, jusqu’à sa conquête par les Sassanides en 224/225.

[2] Par la suite, des rois tamouls dirigeront par intermittence les royaumes cingalais.

[3] Royaumes d’Anuradhapura (377 av. J.C.–1017), de Polonnaruwa, de Dambadeniya (1220–1345), de Gampola (1345-1406), de Kotte (1412–1597) et finalement de Kandy.


De l’émergence des Gupta à l’affirmation politique du sud

Dans les années 320, une nouvelle dynastie sort le Magadha de sa léthargie : les Gupta. Dénommé Chandragupta – comme son prédécesseur Maurya – leur chef fonde un Empire qui provoque la disparition du royaume des Sakas du Rajasthan dans les années 380 et englobe tout le nord de l’Inde, du Pendjab jusqu’au Bengale, en passant par le nord du Deccan. A l’est, l’actuel Assam, connu sous le nom de Kamarupa, est dominé par des dynasties indiennes plus ou moins vassales. Régnant depuis Ayuthia (ou Ayodhia), les Gupta sont alors à leur apogée, y compris sur le plan culturel, d’où le nom « d’Inde classique » donné à cette période : religieusement éclectiques (entre bouddhisme, jaïnisme et brahmanisme), ils développent la littérature en sanskrit, dont les fameuses épopées du Mahabharata et du Ramayana (écrites au cours du IVe EC, après plusieurs siècles de transmission orale), mais aussi le Kâma-Sûtra écrit entre les IVe et VIIe siècles.

Mais leur puissance est battue en brèche par des peuples de la Confédération chionite [1], arrivés dans le nord-ouest de l’Inde en provenance de Bactriane. En font notamment partie les Kidarites, vassaux des Kouchan qui se sont affranchis dans la région de Kaboul et le Gandhara (cf. Espace « afghan »). Vaincus par les Gupta en 455, ils sont remplacés par d’autres hordes hunniques : les Alchon, qui prennent le contrôle du Gandhara et du Pendjab entre 460 et 470 et les Huns blancs (ou Hephtalites) qui s’aventurent dans le Sind à partir de 480. Ces incursions manquent provoquer la chute de l’Empire Gupta qui parvient toutefois à se reconstituer partiellement au début du VIème. Dans le premier tiers du siècle, lui et ses alliés viennent même à bout des Alchon et les repoussent d’abord au Cachemire et dans le Gandhara[2]. Les Hephtalites succombent à la même période : d’abord vaincus par un prince indien, ils sont anéantis dans la décennie 567-575 par les Perses Sassanides, alliés aux Türüks occidentaux. Les Huns qui en réchappent demeurent au sud de l’Hindou-Kouch, se fondent dans la population indienne ou bien rejoignent les reliquats des troupes d’Attila et des Avars en Europe centrale.

Cet effondrement ne profite pas à l’Empire Gupta qui, dès le milieu du VIe, s’est scindé en trois branches (Ayuthia, Bénarès, Malava) et disparait définitivement, aux alentours de 570. Certains de ses vassaux profitent de cet affaiblissement pour fonder de nouveaux États dans la moyenne vallée du Gange : c’est le cas de la dynastie des Maukhâri, établie à Kanyakubja (l’actuelle Kanauj), et de sa vassale Pusyabhuti (ou Vardhana) qui donne même naissance à un éphémère Empire Harsha (606-647). Au début du VIIe, une partie du Bengale est également unifiée sous le nom de royaume de Gauda, unité qui ne survivra pas à la mort de son fondateur.

Au sud du Deccan, les peuples dravidiens mettent en place leur propre organisation, à l’image du royaume des Gangas né vers 450 au sud-ouest. Dans cette même zone émerge, au milieu du VIème siècle, l’Etat des C(h)alukya, dynastie d’ethnie kannada. Depuis sa capitale de Badami, au Karnataka, elle se propage sur tout le plateau au début du siècle suivant, notamment après une victoire sur le Harsha et sur les Arabes du Sind : jusqu’alors fractionnée en petits royaumes, l’Inde du sud se retrouve dirigée par un empire organisé. Son expansion est néanmoins freinée, au sud-est, par les Pallava, une dynastie de brahmanes du nord alliés à des Dravidiens : émancipée vers 300 des Andhra, dans la région de l’actuelle Madras, elle soumet même les royaumes de Pandya et de Chola au VIIe siècle et y favorise la diffusion de l’hindouisme. Inversement, le culte tamoul de la dévotion (bakhti) va imprégner la pratique des hindouistes vis-à-vis de leurs dieux.

[1] En référence à leur descendance supposée des Xiongnu de haute Asie (cf. Monde sino-mongol).

[2]Les Alchon retourneront dans la région de Kaboul à la fin du VIème

Guerriers Rajputs / Crédit : Wikimage / Pixabay

L’invasion musulmane freinée par les « fils de roi »

Le milieu du VIIe siècle voit l’entrée en jeu de nouveaux acteurs extérieurs. Ce sont d’abord les Chinois qui, vers 648, mènent une expédition dans le nord de l’Inde, mais sans suites militaires. Au contraire, les deux régions développent leurs relations économiques et culturelles. Tel n’est pas le cas des Arabes Omeyyades qui affichent des ambitions territoriales : en 712-713, ils s’installent dans une partie du Pendjab et dans le Sind, conquête qui va favoriser la diffusion des mathématiques indiennes dans tout le monde musulman et faire la renommée des chiffres « arabes »[1]

Au sud du désert de Thar, la progression musulmane est stoppée par les Rajputs[2], des dynasties guerrières constituées par la fusion d’envahisseurs divers (Scythes, Parthes, Kouchans, Huns) avec les kshatriya indo-aryens locaux. Ils sont divisés en clans rivaux, tel celui qui gouverne le royaume Gurjara (futur Gujarat) fondé dans les années 570, sur les bords du golfe de Cambay, par les Gurjar, un peuple sans doute arrivé des bords de la Caspienne quelques siècles plus tôt. Mettant à profit l’effondrement des Etats de la plaine indo-gangétique, le clan dirigeant du Gurjara fonde l’Empire Pratihara qui, au début du IXème siècle, s’étend de la mer d’Oman jusqu’à la vallée du Gange. Cette expansion s’est faite au détriment des Pala – une dynastie bouddhiste née vers 750 dans l’ex-Magadha et l’Orissa – et des Rashtrakuta, des rajahs qui, après avoir évincé les Chalukya de tout le Deccan au milieu du VIIIe, s’étaient enrichis en commerçant avec le monde islamique ; seuls les Chalukya orientaux, émancipés de leurs suzerains de Badami un siècle plus tôt, échappent à ces domination successives.

Le VIIIe siècle voit également l’affirmation d’un puissant royaume hindou du Cachemire qui étend sa domination des plaines du Pendjab jusqu’à la région montagneuse du Ladakh. Dans le Sind, les gouverneurs arabes du califat des Abbassides – successeurs des Omeyyades – s’en séparent partiellement au milieu des années 850 et fondent la dynastie Hibbaride. Le sud du sous-continent est lui aussi en pleine effervescence : en un demi-siècle (846-915), le Chola se rend maître de tout le pays tamoul, battant le Pandya et vassalisant tour à tour Ceylan, puis les Pallava.

[1] La numérotation décimale est attribuée à Aryabhata vers 510 et l’emploi du zéro à Brahmagupta (628).

[2] Rajaputra signifie « fils de roi ».


Des Ghaznévides aux sultans de Delhi, l’heure des dynasties musulmanes au nord

Au Xe siècle, les frontières occidentales de l’Inde voient arriver des dynasties musulmanes installées en Afghanistan : les Samanides et surtout les Ghaznévides dans la seconde moitié du siècle. Composée de nombreux Afghans, leur armée mène de multiples incursions et propage l’islam dans la vallée de l’Indus, dont le sud est conquis par des Ismaéliens se réclamant des Fatimides d’Egypte : après avoir pris Multan, au Pendjab méridional, ils évincent les Hibbarides du Sind à la fin du Xe[1].

Au centre-ouest de l’Inde, de nouveaux clans Rajputs s’affirment dans la seconde moitié du Xe[2] : les C(h)andela, qui profitent du déclin de leurs suzerains Pratihara pour s’émanciper, puis les Paramara qui règnent au Malwa (parties du Madhya Pradesh et du Rajasthan) jusqu’au début du XIIIe et mettent fin à une brève renaissance de leurs anciens maîtres Rashtrakuta. Au sud du sous-continent réapparait une nouvelle dynastie de Chalukya, dits « occidentaux », qui favorisent le développement de la littérature kannada. C’en est fini en revanche de l’indépendance de leurs cousins orientaux : vers l’an 1000, ils passent sous la protection du C(h)ola, dont l’expansion se poursuit. Enrichi par son commerce avec l’Insulinde, le puissant royaume tamoul conquiert les Maldives (habitées par des colons venus de Ceylan depuis les années 500) et Ceylan[3], avant de remonter jusqu’au Bengale et à la vallée du Gange dans les années 1020. Il affirme également sa puissance maritime en 1023, à la faveur d’un raid qui affaiblit son principal rival, la thalassocratie de Srivijaya à Sumatra.    

De leur côté, les Ghaznévides atteignent leur apogée sous Mahmoud, qui règne de la Caspienne au Golfe persique, du fait de la chute des Samanides, ainsi qu’au Pendjab et dans le nord de l’Inde : en 1018, il met fin à l’Empire des Pratihara après une victoire sur une coalition de Rajputs et sept ans plus tard mène une razzia à Somnath, près des bouches de l’Indus. Son fils pousse même jusqu’à Bénarès, sur le Gange. En revanche il est battu, en 1040 près de Merv (dans le sud de l’actuel Turkménistan), par d’autres Turcs, chassés des steppes situées entre le lac Balkhach et la Caspienne : les Oghouz Seldjoukides. Se trouvant de ce fait évincée d’Afghanistan et d’Iran oriental, la dynastie ghaznévide s’implante totalement en Inde en 1040. Plusieurs Afghans en profitent pour se tailler des fiefs, jusqu’au Bengale.

Dans la seconde moitié du XIIe, les vallées de l’Indus puis du Gange passent aux mains de vassaux iraniens des Ghaznévides : les Ghourides. Après avoir renversé les derniers Ghaznévides du Pendjab (1186), ils battent les Rajputs, conquièrent Delhi et Kanyakubja, puis entrainent la disparition des Pala, mettant ainsi fin à dix-sept siècles de puissance politique bouddhiste en Inde[4]. Mais les Ghourides sont éliminés à leur tour, une vingtaine d’années plus tard, en l’occurrence par les shahs du Khârezm. Le général turc qu’ils avaient nommé vice-roi de la région de Delhi profite de la chute de ses maîtres pour se proclamer sultan des Turcs et des Persans (1206). A la tête de sa dynastie des Esclaves, Qutb uddîn Aibak entreprend de diffuser la religion musulmane dans l’ensemble de ses possessions, à l’est de l’Afghanistan et au nord de l’Inde : toutefois, son sultanat de Delhi ne parvient pas à convertir en masse les populations locales[5], ni à soumettre les royaumes rajputs et les territoires des Yadava, de langue marathe, dans le nord du Deccan. Il doit par ailleurs repousser les raids de nouveaux venus, les Mongols, qui saccagent Lahore en 1241 et provoquent l’exode de la minorité ismaélienne d’Iran au Cachemire et au Pamir. Dans le nord-est, le Kamarupa – resté plus ou moins indépendant depuis le IVe siècle – parvient à repousser les invasions musulmanes. En revanche, il passe au XIIIe sous la coupe de princes shans qui fondent la dynastie Âhom, laquelle va donner son nom à l’actuel Assam.

Sur le plan linguistique, le persan, langue de la Cour, se diffuse indirectement dans les milieux populaires. Mélangé au dialecte indo-aryen de Delhi, il donne naissance à un nouvel idiome, l’hindoustani, qui va s’affirmer comme la langue principale des musulmans indiens sous le nom d’ourdou[6](écrit en caractères arabo-persans) ; il va également devenir la langue de la majorité des hindous, l’hindi, par adjonction d’apports sanskrits (par exemple l’écriture devanagari).

Au sud, la puissance du Chola décline, face à la montée en puissance de deux autres dynasties dravidiennes : celle des Hoysala de langue kannada, née au début du XIe au Karnataka, et celle des Kakatiya Telugu, fondée à la fin du XIe aux marches orientales de l’Empire Rashtrakuta, dans l’actuel Andhra Pradesh. A partir de 1070, les royaumes cinghalais reprennent leur indépendance et des royaumes tamouls commencent à s’établir au nord du Sri-Lanka, dans la région de Jaffna. Un siècle plus tard (1189), l’Empire Hoysala élimine les Chalukya Occidentaux ; au XIIIe siècle, il gouverne la majeure partie du Karnataka, le nord-ouest du Tamil Nadu et des parties de l’ouest de l’Andhra Pradesh et du Telangana. Il y favorise le développement de l’art, de l’architecture et de la religion. En 1279, le Chola succombe aux coups du Pandya renaissant.

[1] La dynastie ismaélienne des Sumra du Sind disparait au milieu du XIVe

[2] D’autres royaumes Rajputs se distinguent : celui des Chauhan du Rajasthan (du VIe au XIIe siècle) et celui des Gaharwar, « cousins » des Chandela, qui règnent au XIIe à Bénarès et Kanauj.

[3] Dans le dernier quart du XIe, le roi d’Anuradhapura déplace sa capitale, conquise par les Chola, à Polonnurawa (centre est) où il fonde un nouveau royaume qui se fragmente à sa mort.

[4] Déjà évincé du Bengale à la fin du XIe, le royaume de Pala disparait en 1199. Sa grande université de Nalanda (dans le Bihar actuel) est détruite, sa bibliothèque brûlée et ses moines massacrés.

[5] Au XIIe siècle, l’islam se diffuse aussi aux Maldives, sous l’influence de marchands arabes.

[6] Ourdou ou « langue des camps » (militaires).


Du délitement du sultanat de Delhi à la prise de pouvoir des Moghols

En 1290, les dirigeants turcs de Delhi sont évincés par un de leurs généraux afghans, dont la dynastie des Khalji accroît l’emprise territoriale du sultanat : elle conquiert de grandes étendues du Bengale (aux mains de la dynastie hindoue des Sena), annexe le Royaume Chaulukya du Gujarat[1] – s’ouvrant ainsi une fenêtre maritime – bat les clans Rajputs, puis les rajahs Yadava (1311), après avoir infligé une cuisante défaite aux troupes du khanat mongol de Djaghataï. En 1320, une nouvelle dynastie turque, les Tughluq, s’empare du pouvoir à Delhi. Le sultanat étend alors son pouvoir vers le sud – vassalisant les Hoysala, Kakatiya et autres rajahs du sud Deccan – mais cette politique s’avère coûteuse, d’autant plus Delhi est obligée de verser un tribut aux Mongols.

Des chefs militaires hindou, d’origine Telugu, profitent de cet affaiblissement pour créer l’Empire de Vijayanagar (du nom de leur capitale, « ville de la victoire ») dans le Karnataka (1336). Leur suprématie est toutefois contestée, dans le nord Deccan, par le gouverneur des sultans de Delhi qui fonde la dynastie musulmane des Bahmanides (1347) : celle-ci s’étend au sud dans la seconde moitié du XIVème. De son côté, le sultanat de Delhi continue de se déliter et doit accepter coup sur coup l’émancipation du sultanat du Bengale (1339) et de l’Etat rajput du Marwar, qui va dominer le Rajasthan avec son voisin du Mewar. En 1346, c’est au tour du Cachemire[2], passé aux mains d’une dynastie musulmane au début du XIVe siècle. La litanie des sécessions se poursuit après les ravages que cause Tamerlan, nouveau maître turco-mongol de l’Asie centrale et de l’Iran : s’il épargne les régions orientales d’Afghanistan, le conquérant se montre en revanche sans pitié pour le sultanat de Delhi et pille la ville en 1398. Entre 1399 et 1403, le Jaunpur hindou (au centre de la plaine du Gange) prend son indépendance, suivi des gouverneurs musulmans du Malwa (qui avait perdu son indépendance vers 1200) et du Gujarat, dont l’État prospère[3] grâce au commerce maritime que favorise son port de Cambay.

A Ceylan, le XIVe siècle voit les Tamouls établir un royaume unifié à Jaffna, dans le nord d’une île affaiblie depuis le XIIIe : la dégradation du système d’irrigation a conduit les populations à migrer du nord-est vers le centre et les zones plus humides du sud-ouest, tandis que les divisions politiques entre Cinghalais ont conduit à la naissance de plusieurs royaumes, dont les plus importants ont pour capitales Senkadagala (Kandy, dans les montagnes du centre) et Kotte (près de l’actuelle Colombo au sud-ouest).

A la mort de Tamerlan, le gouverneur qu’il avait nommé à Multan s’empare du pouvoir à Delhi, mais sa dynastie Sayyid le conserve moins d’un demi-siècle : au milieu du XVème, un nouveau clan afghan, les Lodi, s’installe à la tête du sultanat et lui redonne un peu de lustre, en reprenant notamment le Jaunpur.

L’Inde n’en a pas fini pour autant avec les héritiers de Tamerlan, les Timourides. Au début du XVIe, l’un d’eux – devenu roi de Kaboul après avoir été chassé de la vallée de Ferghana – est appelé à l’aide par des chefs afghans du Pendjab, révoltés contre les Lodi. S’étant emparé de Lahore (1524), le dénommé Babur (« Tigre ») bat le sultan deux ans plus tard et entre à Delhi, où il fonde l’Empire du Grand « Moghol », État musulman de culture persane, mais ouvert aux influences indiennes. Sa capitale est établie à Agra, ville fondée par le dernier sultan Lodi, dans l’actuel Uttar-Pradesh. A la disparition de Babur, l’autorité de son fils et successeur est contestée par un chef pachtoune, Sher Khan, qui s’empare de l’Empire (1540), conforte son administration et en accroît les dimensions : il s’étend alors des contreforts de l’Himalaya aux monts Vindhya (qui séparent la plaine du Gange du Deccan) et de l’Indus au Bengale, dirigé depuis deux siècles par des dynasties de sultans et des seigneurs féodaux. Mais cette expansion est sans lendemain et quand le petit-fils de Babur récupère le trône (en 1562), l’État Moghol s’est réduit comme peau de chagrin. Pourtant, le nouveau souverain parvient à réaffirmer la domination de sa dynastie sur l’Inde. Ayant obtenu le soutien des Rajputs dans les années 1560, Akbar prend le Gujarat (1572), le Sind et l’Orissa, met fin à l’indépendance du Bengale qui était passé aux mains d’un sultan afghan (1576), récupère le Cachemire (1586) et s’empare de sultanats du centre-ouest du Deccan.

Sur le plateau central de l’Inde, le domaine des Bahmanides s’est progressivement fractionné, à partir de 1490, en cinq sultanats rivaux, représentatifs des divisions entre élites dirigeantes : Dekkani sunnites d’un côté, Pardeshi turco-iraniens chiites de l’autre. Malgré leurs différends, ces Etats parviennent à s’entendre, en 1565, pour éliminer le Vijayanagar, dont l’Empire se retrouve éclaté entre États hindous – tels que le royaume de Mysore, fondé au Karnataka par une dynastie jusqu’alors vassale, les Wodeyar – et sultanats chiites : parmi eux figurent le Golconde (sud-ouest), émancipé des Bahmanides en 1512 et célèbre pour ses mines de diamants[4] ou encore le Bijapur (sud-est) qui va s’étendre en pays kannada dans la première moitié du XVIIe. La prospérité de certains de ces États musulmans est toutefois éphémère puisque : à partir de 1600, ils tombent les uns après les autres dans l’orbite des Grands Moghols, dont l’Empire inclut aussi l’est et le sud afghans, ainsi que le Baloutchistan, du moins jusqu’au début du XVIIe : un prince brahoui – une ethnie dravidienne peut-être autochtone – reprend alors sa liberté et fonde un khanat d’abord vassal du chah de Perse, puis de l’Afghanistan (cf. Baloutchistan).

La sécession du Baloutchistan n’empêche pas l’État Moghol de prospérer, au point de compter cent millions d’habitants et de se doter d’une nouvelle capitale[6], Fatehpur-Sikri (dans l’Uttar-Pradesh). Akbar y fait preuve d’une grande tolérance religieuse : en témoignent son mariage avec une princesse rajpute, la suppression de la taxe frappant les non-musulmans et même la création d’une nouvelle religion (sans lendemain), la « foi divine », supposée réunir les qualités de toutes les autres. Son règne, et ceux de ses successeurs, voient également l’épanouissement de l’art indo-musulman, représenté par la Grande Mosquée de Delhi, le Fort rouge d’Agra et surtout le Taj Mahal que Shah Jahan y fait construire pour son épouse défunte (1631-1641). Sur le plan militaire, l’expansion moghole se poursuit au Deccan. En revanche, elle est contrariée à l’est par les souverains Âhom d’Assam et à l’ouest par les Ouzbeks et surtout par les Perses Séfévides qui, en 1649, s’emparent définitivement de Kandahar (cf. Espace « afghan »).

Sur le plan religieux, l’esprit d’ouverture des Grands Moghols prend fin au milieu du XVIIe, à l’issue de la guerre qui oppose les fils de Shah Jahan. Celui qui en sort victorieux, Aurangzeb, met en pratique un sunnisme rigoriste, destiné à soumettre les rébellions des chiites du Deccan, des paysans Jats (révoltés en 1669 au sud de Delhi[7]), ainsi que des montagnards Marathes hindous qui ont fondé un royaume en 1674 dans la région actuelle de Bombay. La stratégie s’avère payante puisque l’Empire Moghol atteint son expansion maximale à la fin du XVIIe : le dernier sultanat du Deccan, Golconde, tombe en 1687, deux avant que les Marathes ne subissent une sévère défaite.

[1] Les Chaulukya de Patan (ou Solankis) avaient hérité des Chalukya de Badami la gouvernance du Gujarat vers 960

[2] C’est au cours du même XIVe siècle que les rois du Cachemire se convertissent à l’islam.

[3] En 1411, les sultans du Gujarat fondent une nouvelle capitale, Ahmadabad. En 1531, ils s’emparent du Malwa.

[4] Fondé par les Qutbshadides, issus de la confédération turkmène des Moutons Noirs, le sultanat de Golconde fait construire une nouvelle capitale, Hyderabad, en 1586.

[5] En pratique, le Baloutchistan sera souvent vassal des Perses Séfévides.

[6] De tradition nomade, les Moghols déplacent la Cour au gré des circonstances et vivent alors dans des camps.

[7] D’origine incertaine (Scythes, Huns, Rajputs…), les Jats sont des agriculteurs majoritairement installés au Pendjab et au Rajasthan, de confession hindoue ou sikh. Rebelles chroniques, ils se dotent de Républiques électives lors de la conquête musulmane.

Palais moghol / Crédit : Drakcode / Pixabay

Les débuts de la colonisation européenne

Au zénith dans les terres, la souveraineté indienne a en revanche commencé à se restreindre sur les côtes : les différents souverains hindous et musulmans y ont concédé aux Européens des comptoirs, qui vont progressivement se transformer en places fortes, au fur et à mesure que l’Inde s’affaiblit et que la concurrence commerciale augmente entre les pays. Le Portugal a été le premier à s’implanter au sud-ouest, quand Vasco de Gama a apporté son aide au rajah de Calicut, sur la côte de Malabar, contre les musulmans (1498). L’ambition première des Portugais est de mettre la main sur le commerce des épices, que le Gujarat pratique avec les Vénitiens. Pour contrecarrer ce plan, les sultans locaux font appel à la flotte turco-mamelouk du sultan d’Égypte, mais les Portugais la détruisent en 1509. L’année suivante, Albuquerque finalise la maîtrise lusitanienne sur l’océan Indien, du détroit d’Ormuz à celui de Malacca, en prenant au sultan de Bijapur la ville de Goa, qui devient la capitale des Indes portugaises.

En 1505, les Lusitaniens se sont également établis au sud-ouest de Ceylan pour y faire commerce de la cannelle. Après avoir fortifié le port de Colombo – déjà ouvert au commerce maritime avec le monde arabe – ils annexent les royaumes cinghalais de Kotte (fin XVe) et tamoul de Jaffna (1619). Seul résiste le royaume de Kandy qui finit même par provoquer le départ des Portugais (1658), grâce à l’aide des Hollandais : ceux-ci en profitent pour coloniser à leur tour le sud-ouest de l’île, puis pour mettre sous tutelle le sultanat des Maldives.

Le mouvement d’implantation européenne s’amplifie sous l’influence des Britanniques : en 1612, leur Compagnie des Indes orientales s’établit au Gujarat et y développe le commerce de cotonnades indiennes vers l’Europe. Sur sa lancée, elle s’implante à Madras, à Bombay (au Maharashtra) cédée par les Portugais et à Calcutta dans le delta du Gange (1690). Les Français créent aussi leur compagnie des Indes et se dotent de plusieurs implantations ; la première est Pondichéry, au sud-est (1674).

L’Empire Moghol est également affaibli par les incursions de ses voisins. En 1739, le turcoman Nadir Khan, qui s’est emparé du pouvoir en Perse, mène une expédition en Inde, avec le concours de nombreux supplétifs afghans : accompagné de terribles massacres, le sac de Delhi lui permet de rafler d’immenses trésors tels que le « trône du paon » (symbole de la puissance moghole) et le diamant Koh-i-Noor (« montagne de lumière », devenu depuis un des plus prestigieux joyaux de la Couronne anglaise). De 1747 à 1769, le pachtoun Ahmad Shah mène dix expéditions en Inde, dont l’une le conduit à annexer le Cachemire (1753) ; son Empire afghan englobe aussi le bassin de l’Indus, ainsi que le Baloutchistan, revenu à l’heure des rivalités tribales.

La violence des coups portés par les envahisseurs extérieurs est telle que le pouvoir des Moghols finit par se réduire à un petit État autour de Delhi. Tout le nord du Deccan a été abandonné aux Marathes, auxquels a été accordé le droit de prélever une partie de l’impôt impérial. Réputés pour leurs qualités guerrières, ils soumettent aussi des territoires rajputs, toujours aussi divisés, au milieu du XVIIIème, mais enregistrent une lourde défaite face aux Afghans à Panipat (1761). Les Marathes étant incapables de s’unir politiquement, leur chef doit concéder une zone d’influence à ses quatre plus grands sardar (commandants) : c’est l’origine de la Confédération Marathe. Autour d’elle gravitent les Etats de gouverneurs musulmans ayant pris leur indépendance (comme le nizam d’Hyderabad au Golconde, le sultan du Bengale ou le nabab d’Aoudh, à l’est de Delhi), ou encore l’État autonome des Jats au sud de Delhi. Quant au Pendjab, il passe des mains mogholes et afghanes à celles des Sikhs qui se dotent de leur propre État (1748), après avoir réussi à faire taire leurs dissensions internes.


La mainmise britannique sur les Indes

Dans la seconde moitié du XVIIIe, le renforcement de la présence britannique est illustré par le passage de la Compagnie des Indes orientales sous la tutelle directe du gouvernement de Londres. Auparavant, les Anglais ont nettement réduit la présence française en Inde, en contrepoint des guerres que les deux pays se livrent en Europe (guerre de succession d’Autriche, puis de Sept ans) : le traité de Paris (1763) ne laisse que cinq comptoirs indiens à la France. En 1796, les Hollandais sont expulsés de Ceylan par les Britanniques qui font de l’île une colonie (non-membre de l’Empire des Indes)[1] ; la résistance du royaume de Kandy prend fin dans la seconde moitié des années 1810. La langue anglaise se propage dans l’île mais, pour éviter les révoltes, les colonisateurs réfrènent l’activité des missionnaires protestants et associent les élites communautaires à la gouvernance locale, en particulier celles de la communauté tamoule.

Sur le sous-continent, les Britanniques jouent des divisions entre Indiens. Ayant mis sur le trône un Grand Moghol à leur dévotion, ils obtiennent le droit de collecter les revenus de certaines provinces, ce qui leur permet de s’introduire progressivement dans la gouvernance indienne et de financer leur armée, largement composée de supplétifs locaux, les Cipayes (du terme persan « sipahi » qui signifie soldat). Ce lent « grignotage » du pouvoir suscite des réactions, telle celle du nabab du Bengale qui s’empare de Fort William (Calcutta) en 1756, provoquant au passage la mort de prisonniers britanniques. Londres réagit vivement, en reprenant la ville perdue et en s’emparant du contrôle de l’administration du Bengale (1765). Une quinzaine d’années plus tard, le nabab d’Aoudh et le rajah de Bénarès passent à leur tour sous la tutelle anglaise. Les Marathes s’avèrent plus coriaces, mais leurs divisions persistantes – en l’occurrence entre les États de Sindhia et de Holkar au centre – vont avoir raison de leur résistance : au terme de trois guerres, entre 1772 et 1818, ce qui reste de la Confédération marathe doit se résoudre, comme les Rajputs, à signer des traités d’alliance subsidiaire avec Londres.

En vertu de ces accords, les États indiens conservent leurs institutions et leur autonomie interne, mais abandonnent au Royaume-Uni leur politique extérieure et militaire. A partir de 1780, les Britanniques doivent aussi faire face à la rébellion de l’État du Mysore, passé en 1761 sous gouvernance musulmane ; ils finissent par le démembrer à l’extrême fin du XVIIIe, en annexent une partie et rétablissent des rajahs hindous dans le reste. En 1801, ils conquièrent l’arrière-pays de Madras, le Carnatic, qu’ils administraient de fait depuis vingt ans. En 1818, la domination du Raj (« règne ») britannique s’exerce sur tout le sous-continent, soit directement, soit par le biais des traités signés avec tous les souverains, hindous et musulmans, jusqu’à la frontière himalayenne.

Les seules exceptions sont les régions de l’extrême-nord : elles sont laissées aux tribus locales, du moins jusqu’à ce que le royaume birman ne s’attaque au Manipur entre 1817 et 1824, après avoir vassalisé et pillé l’Assam en 1810. Les Britanniques déclarent alors la guerre à leur turbulent voisin : après deux ans de conflit avec les Birmans, l’Empire des Indes met la main sur les deux régions convoitées ; il va y développer la plantation de thé avec l’appoint d’une main d’œuvre, pour partie musulmane, venue du Bengale et du centre de l’Inde. Les Anglais s’emparent aussi de l’Arakan (au sud de Chittagong) et du Tenasserim, à l’extrême-sud de la Birmanie (cf. Indochine).

A l’autre extrémité de l’Empire, les troupes anglaises viennent à bout des Jats dont elles pillent, en 1825, la forteresse de Bharatpur au Rajasthan. En revanche, la couronne britannique laisse prospérer l’Empire sikh du Pendjab : agrandi du Jammu, du Multan et du Cachemire (1819), il est en effet considéré comme un rempart utile contre d’éventuels périls venus du nord-ouest. Mais la bienveillance de Londres prend fin une trentaine d’années plus tard, face à l’accroissement de la puissance militaire sikh. Après avoir conquis le Sind (1843), les Britanniques s’emparent en effet de Peshawar. Les dirigeants sikhs doivent également faire face aux prétentions des Dogras, des Rajputs qui se sont mis à leur service. La sécession d’un de ces vassaux hindous, le maharadjah du Jammu, est le prélude au morcellement de l’Empire Sikh : dans la seconde moitié de la décennie 1840, il perd coup sur coup le Cachemire et le Pendjab, « grenier de l’Inde », à l’issue de deux guerres menées par la Compagnie des Indes orientales. Inversement, l’État du Jammu est en plein essor au nord de l’actuel Pakistan (cf. Royaumes himalayens), grâce aux faveurs que lui accordent les Britanniques. A son autre extrémité, le « Raj » remporte une deuxième guerre contre la Birmanie en 1852 et élargit son emprise sur toute la basse-Birmanie, avec Rangoon et le delta de l’Irrawady[2].

Le gouverneur général de l’Empire introduit par ailleurs une nouvelle règle en vertu de laquelle, si un souverain lié par traité à Londres meurt sans héritier mâle, son État reviendra à la Couronne britannique. C’est le cas de l’Aoudh, qui est annexé en 1856. Cette décision, ajoutée à d’autres, provoque, dès l’année suivante, une révolte des Cipayes dans la plaine indo-gangétique. Comme une partie croissante de la population, ces soldats de la Compagnie des Indes orientales dénoncent le manque de respect anglais pour les coutumes locales : ainsi, les cartouches de leur nouveau fusil portent des traces de graisse animale, de porc ou de vache, animaux impurs pour les musulmans ou les hindous. La révolte, qui gagne Delhi et se propage en Inde du nord, puis en Inde centrale, prend fin en 1859, après avoir fait quelques centaines de milliers de morts et deux victimes collatérales : l’Empire Moghol – dont le dernier souverain est déposé en 1857 – et la Compagnie des Indes orientales qui doit céder l’administration directe de toute la zone à la Couronne britannique. L’Empire des Indes couvre alors 75 % du pays, le reste étant laissé aux mains de plus de cinq cents Etats princiers, de taille extrêmement variable, tous obligés de Londres. La reine d’Angleterre, Victoria, prend le titre d’impératrice des Indes, représentée dans le pays par un vice-roi. L’armée impériale cesse de recruter à Aoudh et dans la plaine du Gange : elle choisit désormais ses troupes parmi les Sikhs, les Gurkhas Népalais (principalement d’ethnie Gurung), les Pathans et les Rajputs. En 1911, la capitale de l’Empire est transférée de Calcutta à Delhi, où les Anglais construisent une nouvelle ville : New-Delhi.

Entretemps, à la faveur des différends entre Afghans et Persans et de la première guerre anglo-afghane, Londres a progressivement établi sa domination sur la partie orientale du Baloutchistan (cf. Baloutchistan). En 1879, à l’issue d’une deuxième guerre anglo-afghane, les Britanniques récupèrent également le contrôle de la passe de Khyber, séparant l’Afghanistan de ses confins pachtouns du nord-est afghan. Un dernier découpage intervient en novembre 1893, à l’occasion de la délimitation des quelque 2 400 km de frontière séparant les Indes britanniques de l’Afghanistan. Cette « ligne Durand », que Kaboul dénoncera en 1949 au lendemain de l’indépendance du Pakistan[3], divise de facto les villages et tribus des Pachtouns : à l’époque, cinq millions d’entre eux demeurent Afghans, tandis que six autres millions (qui se dénomment Pathans) passent sous la tutelle des Britanniques[4], dans ce qui constituera les futures « zones tribales » pakistanaises. Parmi elles figure le territoire des Waziri, dont la réputation de « nid de frelons » n’est pas usurpée : ses tribus se révoltent dès que Londres entreprend d’occuper réellement le terrain en 1897. Les Anglais en tiennent compte et, pour diminuer les raids et les embuscades de ces montagnards turbulents[5], ils laissent à leurs chefs traditionnels le soin de gérer largement ces zones. Pour les Pachtouns des plaines, parfois rétifs eux aussi à l’autorité, c’est une autre voie qui est choisie : la création, en 1901, d’une entité spécifique distincte du Pendjab, la Province frontalière du nord-ouest (NWFP).

Dans l’Himalaya, l’Empire des Indes stabilise ses relations avec le Népal au milieu du XIXe, puis impose son protectorat au royaume du Sikkim et en partie au Bhoutan (cf. Les royaumes himalayens). En 1914, la « ligne Mac Mahon » délimite la frontière du nord de l’Assam, mais la Chine refuse de reconnaître ce tracé, arrêté par les seuls Britanniques et Tibétains (cf. Tibet[6].

A Ceylan, l’effondrement du commerce de la cannelle entraîne une profonde transformation de l’économie et de la démographie locales. Dans les années 1830-1840, les Britanniques développent la culture du caféier, puis du théier et de l’hévéa, sur les hautes terres de Kandy : ces plantations nécessitant une importante main d’œuvre, des Tamouls hindouistes d’Inde viennent s’installer au centre de l’île, à telle enseigne que, au début du XXe, ils y sont plus nombreux que les descendants des Tamouls arrivés depuis des siècles. Réclamant des droits équivalents à ceux des Cinghalais, bien qu’étant nettement moins nombreux qu’eux, les Tamouls adoptent progressivement une voie politique différente de celle de la majorité de l’île. En 1921, ils quittent le Congrès national qui avait été fondé, deux ans plus tôt, après la sévère répression, par les Britanniques, de heurts survenus entre bouddhistes et musulmans descendant des commerçants arabes venus à la fin du Moyen-Age. La décennie suivante, les Tamouls boycottent les élections, instituées par la Constitution octroyée à Ceylan en 1931. De leur côté, les Cinghalais s’organisent en divers mouvements politiques, dont le marxiste Lanka Sama Samaja Party.

[1] Les Maldives passent sous tutelle puis sous protectorat anglais (1887), jusqu’à leur indépendance en 1965.

[2] La haute-Birmanie sera conquise et intégrée à l’Empire des Indes en 1885. Le royaume birman retrouvera son indépendance en 1948.

[3] Malgré la reconnaissance formelle de l’Afghanistan par Londres, Kaboul n’a jamais reconnu la frontière élaborée par Sir Mortimer Durand, la qualifiant de « ligne imaginaire ». L’Afghanistan mettra ainsi en avant ses revendications sur le Pachtounistan oriental pour voter contre l’adhésion du Pakistan à l’ONU.

[4] Le différentiel s’est fortement accru puisque, en 2019, 30 millions de Pachtouns vivent au Pakistan contre 20 millions en Afghanistan.

[5] Leur opposition frontale à tout pouvoir central vaut aux territoires de ces tribus (Mohmand, Afridi, Orakzai, Wazir ou encore Mahsud) d’être parfois qualifiés de « yaghistan » (terre rebelle).

[6] Depuis, cette zone (devenue l’Etat indien de l’Arunachal Pradesh), ainsi que le Sikkim, sont revendiqués par la Chine qui les qualifie de « Tibet du sud ».

Gandhi (à gauche). Crédit : Wikilmages / Pixabay

La montée en puissance des nationalismes

Un discours politique nationaliste émerge en 1885, avec la formation du Congrès national indien. Dirigé par des élites hindoues anglophones, il avance des propositions globalement modérées, telles qu’un accès accru des Indiens à la haute administration de l’Empire. Le nouveau parti essaie de rallier l’élite musulmane à sa cause, mais celle-ci va poursuivre ses propres voies : les plus modernistes fondent un collège universitaire en 1875 à Aligarh, au sud-est de Delhi, neuf ans après que les fondamentalistes ont créé l’école islamique de Deoband, au nord de la ville. La divergence de vue entre les deux courants musulmans apparait clairement, au début du XXème siècle, à propos du découpage du Bengale par les Britanniques : autant la division en deux de l’immense province mécontente fortement les Bengalais hindous – qui se retrouvent minoritaires au Bengale occidental (formé en intégrant le Bihar et l’Orissa) comme au Bengale oriental (face aux musulmans) – autant elle satisfait la Ligue musulmane (All India Muslim League), née en 1906. Après plusieurs années de troubles, Londres rétablit l’unité du Bengale en 1911 et crée deux nouvelles provinces, Bihar-Orissa et Assam.

Lors de la première guerre mondiale, les nationalistes indiens se montrent loyalistes vis-à-vis du Royaume-Uni, avec l’espoir que cet engagement sera récompensé par une autonomie accrue, une fois le conflit terminé. En 1916, le Congrès national et la Ligue musulmane s’accordent, dans un pacte signé à Lucknow, pour exiger davantage d’autonomie dès la fin de la guerre, tout en reconnaissant la place des musulmans. En 1919, Londres fait un pas dans cette direction et ouvre une partie de la gouvernance aux Indiens (via l’India act) ; en revanche, les restrictions apportées aux libertés individuelles durant la guerre sont maintenues, au nom de la lutte contre la « subversion ». Un appel à une grève générale nationale est alors lancé par Mohandas Karamchand Gandhi, un jeune avocat natif du Gujarat, mais ayant fait ses premiers pas professionnels en Afrique du sud. C’est là-bas que, pour défendre la communauté indienne locale, il a élaboré la doctrine d’action non violente au service de la vérité qu’il va mettre en œuvre en Inde et qui lui vaudra le qualificatif de Mahatma (« grande âme » en sanskrit).

Le mécontentement contre les Britanniques est particulièrement fort au Pendjab, qui a fourni le tiers de l’armée indienne durant la guerre. Loin de négocier, les Anglais tirent sur une foule pacifique à Amritsar, tuant près de quatre cents personnes, dont des femmes et des enfants. Le mouvement de protestation prend alors une forme violente qui conduit Gandhi à y mettre fin en 1922, ce qui n’empêche pas son arrestation. Libéré de prison, il reprend en mains le Congrès en 1929 et fait élire à sa tête Jawaharlal Nehru. Le parti se prononce en faveur de l’indépendance et, pour y parvenir, décide de lancer un mouvement de désobéissance civile qui commence par une « marche du sel » de 390 km, contre le monopole que les Britanniques détiennent sur l’exploitation de ce produit.

Les musulmans – qui ont obtenu d’avoir leur propre collège électoral – se tiennent à l’écart d’un mouvement qu’ils jugent exclusivement hindouiste et sourd aux revendications de leur leader Muhammad Jinnah. Tenant d’une ligne modérée, ce dernier est concurrencé par l’apparition d’une organisation panislamique, le Mouvement califat, à laquelle Gandhi lui-même accorde un temps ses faveurs. Par ricochet, la scène hindoue se radicalise aussi en 1925, avec la naissance du Sangh Parivar, un mouvement qui prône la renaissance et la primauté de « l’hindouité » (hindutva), concept développé deux ans par l’activiste indien Savarkar. Cette famille (sens du mot « parivar » en hindi), qui œuvre pour l’avènement d’un Etat hindou (l’Hindu Rashtra), va s’enrichir de nombreux enfants au fil des décennies : fondée dès 1925, l’organisation-mère paramilitaire du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, association nationale des volontaires) se double, au fil des décennies, de diverses branches socio-culturelles et politiques qui investissent dans des programmes d’aide aux plus pauvres, dans l’éducation et dans le syndicalisme.

Tout en se réjouissant de ces multiples divisions communautaires, et en procédant à des arrestations massives dans les rangs du parti du Congrès, Londres se résout à engager des discussions qui achoppent sur les exigences particulières des musulmans, mais aussi des Sikhs et même des intouchables. Ces pourparlers aboutissent néanmoins, en 1935, à un nouvel India act qui élargit le corps électoral indien et instaure des gouvernements provinciaux. La participation du Congrès aux élections provinciales de 1937 se traduit par un succès ; c’est en revanche un échec pour la Ligue musulmane qui dénonce alors le clientélisme des nouveaux élus et leur volonté d’ériger un « Hindoustan ». Chez certains commence alors à émerger l’idée d’un Etat musulman séparé au nord-ouest de l’Inde, le Pakistan (« pays des purs » en ourdou[1]) qui préserverait les intérêts des disciples de Mahomet, soit environ un tiers de la population indienne.

C’est dans cette optique tactique que la Ligue musulmane se place clairement derrière les Britanniques lors de la seconde Guerre mondiale, tout en appelant à la création d’États indépendants pour les musulmans du nord-ouest et de l’est de l’Inde britannique (déclaration de Lahore, mars 1940). Le Congrès est en revanche divisé, Londres n’ayant pas apporté de réponse claire à ses propositions de soutien contre une promesse d’indépendance : Nehru est hostile au discours porté par les puissances de l’Axe, mais d’autres dirigeants se rangent derrière les Japonais. Ceux-ci libèrent des Indiens capturés par les Anglais à Singapour pour constituer une Armée nationale indienne qui combat l’armée des Indes au Manipur. Face à la menace nippone, les Britanniques proposent des réformes dès 1942, mais sans succès. La plupart des dirigeants du Congrès sont alors emprisonnés.

Au lendemain de la guerre, l’arrivée au pouvoir des travaillistes à Londres conduit à de nouvelles négociations. Fin 1945, les élections confirment le poids prépondérant du Congrès et de la Ligue dans leur communauté respective. L’année suivante, un comité de sages préconise donc la constitution d’une Confédération de deux Etats – une partie du Bengale et du Pendjab étant attribuée à chacun d’eux – le gouvernement central ne gérant que la défense et la diplomatie. Les deux partis rivaux acceptent le plan, mais ne parviennent pas à former de gouvernement intérimaire. Pour renforcer son poids dans les négociations, Jinnah appelle alors les musulmans à un « Direct action day » en août ; c’est le début de massacres communautaires, les premiers faisant 10 000 morts à Calcutta.

Des violences endeuillent aussi le Pendjab où, face à la prise du pouvoir provincial par la Ligue musulmane, l’Akali Dal, créé en 1920, réclame un Etat pour les Sikhs. Londres ayant annoncé que le pouvoir serait transféré à une autorité indienne au plus tard en juin 1948, les parties rivales finissent par trouver une solution : Nehru se range à l’idée de création du Pakistan, tandis que Jinnah consent à une partition du Pendjab et que les Etats princiers auront le choix d’adhérer à l’un des deux Etats créés par l’India Indépendance Act de juillet 1947. L’idée d’un gouvernement central a disparu, les dirigeants hindous n’étant pas disposés à accorder des pouvoirs importants à leurs homologues musulmans.

[1] « Pakstan » est aussi un acronyme qui apparait au début des années 1930, sous la plume de trois intellectuels musulmans indiens de Cambridge (synthèse des provinces Pendjab + Afghanistan + Kashmir + Sind + BaloutchisTAN)


Les plaies de la partition

La « vivisection » de l’Inde – selon le mot de Gandhi – peut commencer. Elle se traduit par le partage en deux des provinces du Pendjab et du Bengale et par le déplacement de 14 millions de personnes entre 1947 et 1950. Tandis qu’1 million d’Hindous quittent le Sind pakistanais, 1,5 million de musulmans de la plaine du Gange rejoignent le Pakistan, essentiellement le port de Karachi, où ils forment la communauté des Mohajir (terme d’origine arabe signifiant « immigrant »). Au Bengale, dont les deux tiers forment la province du Pakistan oriental (et l’autre tiers l’Etat indien du Bengale occidental), l’exode concerne 3 millions d’hindous et 1 million de musulmans. La situation la plus dramatique est celle du Pendjab, qui passe à plus de 60 % au Pakistan[1] : 8 millions de personnes s’y livrent à un chassé-croisé, accompagné de massacres (200 000 morts), hindous et sikhs d’un côté contre musulmans de l’autre.

S’agissant des 565 Etats princiers, la quasi-totalité se prononce en faveur du rattachement à l’Inde, à trois exceptions près. Deux des « récalcitrants » sont majoritairement peuplés d’hindous, mais dirigés par des musulmans. Au Junadagh, dans le Gujarat, les Indiens favorisent une révolte populaire qui conduit au rattachement de l’Etat à l’Inde, alors que le nabab souhaitait l’intégrer au Pakistan. A Hyderabad, le nizam réclame, lui, une indépendance pure et simple de son prospère Etat. New-Delhi réplique en envoyant des troupes l’annexer en septembre 1948. Les choses s’avèrent beaucoup plus compliquées dans le vaste Etat du Jammu et Cachemire (220 000 km²) qui est peuplé aux trois-quarts de musulmans, mais reste dirigé, de manière autocratique, par un maharadjah de confession hindoue. C’est d’ailleurs pour réclamer un meilleur traitement des adeptes de l’islam que cheikh Abdullah a créé, en 1932, une Conférence musulmane. Après avoir brièvement caressé un rêve d’indépendance, le souverain opte finalement pour une adhésion à l’Union indienne : effectué à l’automne 1947, ce choix sera lourd de conséquences, puisqu’il va alimenter une série de guerres ouvertes entre l’Inde et le Pakistan (cf. Cachemire).

Au Baloutchistan, le khan de Kalat choisit la voie de l’indépendance, mais doit y renoncer après le déploiement de l’armée pakistanaise, au printemps 1948 (cf. Balouchistan). Les choses se passent mieux avec le royaume de Chitral, fondé au XIVème à l’extrême-nord des zones pachtounes : bien qu’allié du maharajah du Cachemire, il adhère au Pakistan, en échange d’un statut d’autonomie interne, parachevant ainsi la composition des deux nouveaux pays.

De son côté, Ceylan accède à l’indépendance en février 1948. Le droit de vote y est dénié aux descendants des Tamouls venus d’Inde au XIXème siècle.

[1] La partie indienne (un peu moins de 40 % du Pendjab historique) est partagée entre trois Etats de l’Union : le Pendjab (des Sikhs), l’Haryana et l’Himachal Pradesh.

You might also like

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *