Le monde sino-mongol avant les indépendances modernes

Le monde sino-mongol avant les indépendances modernes

La formation de la Chine est un processus plurimillénaire ayant associé de nombreux peuples et fait alterner périodes d’unité et de fragmentation.

Du fait de son immensité, le territoire sino-mongol présente une très grande variété de paysages et de climats : de grandes plaines très peuplées à l’est (où se concentre la majorité de la population), des collines et de petits reliefs de climat subtropical au sud et dans les régions littorales, elles aussi propices à l’agriculture et aux fortes densités humaines. Le reste est constitué de hauteurs : 40 % du territoire de la Chine se trouve à plus de 2 000 mètres d’altitude. A l’ouest s’élève le plus haut plateau du monde : le Tibet, dominé par la chaîne de l’Himalaya et le sommet le plus élevé de la planète, l’Everest (8 848 m), situé à la frontière sino-népalaise. Le nord-ouest est occupé par deux bassins largement désertiques, séparés par la chaîne des Tian Shan[1] : au nord la Dzoungarie et au sud le riche bassin géologique du Tarim (bordé par les hauteurs du Pamir à l’ouest et les monts Kunlun au sud et incluant les 270 000 km² du désert du Takla-Makan[2]). Au nord, la chaîne de l’Altaï et le désert de Gobi (1,3 million de km² qui s’étendent au nord des monts Qinling) marquent la frontière avec le plateau de Mongolie. Ils marquent aussi une discontinuité entre les deux parties de l’immense steppe eurasienne qui se développe vers l’ouest jusqu’au delta du Danube et à la côte nord de la mer Noire et vers l’est jusqu’en Extrême-Orient, en Mongolie et au nord de la Chine. Le plateau mongol fait quant à lui partie de l’ensemble de moyennes montagnes, plateaux, collines et bassins qui se succèdent du nord au sud du sol chinois : l’immense plateau de dépôts sédimentaires des provinces de Shaanxi, Gansu et Shanxi (600 000 km²), les plaines fluviales du Yangzi Jiang avec le bassin du Sichuan en amont, le plateau Yunnan-Guizhou et les reliefs karstiques du Yunnan. Cet environnement est propice aux migrations et au nomadisme de certains peuples, notamment d’éleveurs.

Les principaux fleuves chinois coulent d’ouest en est. C’est le cas du Yangzi Jiang (« long fleuve », 6 300 km) au centre et du fleuve Jaune (ou Huang He, 5 464 km), avec son principal affluent la rivière Wei, plus au nord : c’est là que se situent une grande partie des terres arables du pays. D’autres fleuves s’écoulent vers le sud comme le Mékong et le Brahmapoutre. La plupart de ces cours d’eau se jettent dans les mers de Chine méridionale et orientale sous la forme de deltas, tel celui de la « rivière des Perles », assemblage de fleuves se rejoignant près de Guangzhou (Canton).

[1] Longue de 2 500 km d’est en ouest, la chaîne des Tian Shan (Montagnes célestes) culmine à plus de 7 400 m. Elle s’articule au sud avec l’Alaï et le Pamir.

[2] Le Takla-Makan est surnommé « la mer de la mort ».

SOMMAIRE

Premières civilisations et dynasties

les premières communautés agricoles émergent vers -7 500 au sud, ainsi que dans les riches terres en loess du Nord et du Nord-est : la Chine passe progressivement d’une économie de chasse et de cueillette à une économie de production agricole reposant sur le millet, le porc et le poulet. La culture néolithique la plus connue est celle de Yangshao, au confluent de la rivière Wei et du fleuve Jaune (Huang He) : datée de 4 500 à 3 000 avant l’ère commune, elle s’est développée dans la plaine centrale, au Henan, au Shanxi et au Shaanxi, avant de s’étendre au sud vers le Yangzi et à l’ouest vers le Gansu et le Qinghai (au nord-est du Tibet). Plus à l’est, au Shandong (sur la côte de la mer Jaune), se trouve la culture à peu près contemporaine de Dawenkou, surtout connue grâce à ses sépultures. Toutes deux reposent sur la culture du millet alors que, dans les provinces maritimes du bassin du Yangzi (Jiangsu et Zhejiang), c’est le riz qui est cultivé dès le VIIème millénaire ; le buffle y est domestiqué vers -4 500. Certaines des populations de cette région vont migrer au milieu du IVème millénaire vers Taïwan et s’y diversifier, donnant naissance aux peuples de langues formosanes ; d’autres ne resteront pas dans l’île et partiront, vers – 3000, peupler l’espace « malayo-polynésien » (des Philippines jusqu’à la Malaisie, l’Indonésie et la Nouvelle-Guinée).

Au néolithique tardif (-2 900 / -1 900) s’épanouissent « les cultures de Long shan » : l’une au Shandong, au Liaodong et l’autre dans le bassin inférieur et moyen du Fleuve Jaune, d’autres au Henan, Shanxi, Shaanxi, Hebei, Jiangsu et Hubei. Elles sont notamment caractérisées par des villages souvent protégés d’enceintes en terre et par une hiérarchisation sociale poussée : des principautés, dirigées par une élite, commencent à se former. L’élevage du mouton et du bœuf y fait son apparition, ainsi que la culture du blé et de l’orge. Ces cultures correspondent peut-être à la période des « Dix mille royaumes » que mentionnent des textes chinois. Au début de l’âge du bronze, leur succède la culture d’Erlitou (1 900 à 1 500 avant l’ère commune). C’est à l’intersection des périodes de Long shan et d’Erlitou que serait née vers -2 200, dans cette zone du cours moyen du fleuve Jaune, la première dynastie chinoise : les Xia, dont l’existence n’est pas avérée de façon certaine et que certains textes rattachent aux peuples habitant alors l’Asie centrale.

Venus des steppes de la région de la Volga et de l’Oural, des proto-Indo-Européens sont en effet arrivés vers -3 500 au pied de l’Altaï : ils y ont fondé la culture d’Afanasievo, connue pour ses sépultures en tumulus ronds (kourganes), similaires à celles de la culture de Yamna (au nord de la mer Noire). Vers -2 000, certains de ces « Tokhariens » (ou Agno-Koutchéens) migrent vers le sud, franchissent les monts Tian Shan et s’installent dans les oasis du nord du Tarim, autour du désert du Takla-Makan. D’autres Indo-Européens, mais ceux-là de langues iraniennes, arrivent un peu plus tardivement : leur famille des cultures d’Andronovo s’étend de -1 800 à -1 200 entre les chaînes de l’Oural et de de l’Altaï. Ces Indo-Iraniens fondent des royaumes indépendants dans les oasis : les Sogdiens depuis la région de Kachgar (à l’ouest du Tarim) jusqu’en Sogdiane (sur la rive nord de l’actuel Amou Daria) et les Khotanais au sud-ouest du Takla-Makan.

Plus au nord, dans les steppes de Mongolie et de Sibérie, nomadisent des populations de langue altaïque (Turcs, Mongols et Toungouses) ou proto-sibérienne (comme les Tingling, possibles locuteurs d’un parler « iénisséïen »).

La première dynastie chinoise totalement avérée est celle des Shang fondée dans la vallée du Fleuve jaune, vers -1766. C’est durant son règne que nait l’écriture pictographique chinoise[1]. Les Shang disparaissent vers -1045, victimes des Zhou, un peuple vassal de la frontière nord-est. Alliés à des tribus du nord-ouest, familières de l’élevage du cheval, les fondateurs de la nouvelle dynastie développent l’usage du char et étendent leur domaine en direction du sud de la Mongolie et de la côte orientale, avant de faire entrer dans leur sphère le bassin du Yangzi (au centre-sud), peuplé de populations apparentées aux Chinois. C’est la dynastie Zhou qui introduit la notion de « mandat du ciel » confié à leur empereur. Celui-ci règne à Fenghao (près de l’actuelle Xi’an au Shaanxi), mais son pouvoir réel est amoindri par l’instauration d’un régime féodal qui l’amène à concéder de vastes domaines à des seigneuries de plus en plus autonomes.

[1] Les plus anciens caractères chinois (ou « hanzi ») découverts sont datés d’environ 1200 AEC, mais leur élaboration laisse penser à une origine bien plus ancienne des premiers signes.


Des « printemps et automnes » aux royaumes combattants

En -771, le souverain Zhou est assassiné par des pasteurs mongols hostiles à sa politique de sinisation. Les troubles qui en résultent conduisent à l’éclatement du royaume en une douzaine de principautés indépendantes : c’est le début de la période des Printemps et des Automnes (Chunqiu). Le royaume résiduel des Zhou dits orientaux [1] et les territoires de leurs voisins immédiats, censés porter les valeurs traditionnelles chinoises, forment le Zhongguo (« pays central »), un terme que les Chinois utilisent toujours pour nommer leur pays[2]. En périphérie, se situent des Etats plus vastes qui assurent la protection de la Maison royale et se partagent le pouvoir sans heurts majeurs (d’où le surnom de période des Hégémons également donné à cette époque) : ce sont les Principautés des Jin au nord (dans la vallée de la Fen), des Qi et des Yan sur la mer de Bohai au nord-est, des Chu au sud (dans le moyen bassin du Yangzi, au Hubei), des Qin à l’ouest dans la vallée de la Wei… Ce sont ces derniers qui, vers -650, soumettent les Qiang, des nomades proto-Tibétains descendus des contreforts méridionaux du Tibet. Cette stabilité interétatique favorise la diffusion d’idées nouvelles, telles que le taoïsme et le confucianisme (cf. Encadré).

L’heure est aussi à une relative stabilité dans le bassin du Tarim. A partir de -500, certains peuples de langue tokharienne[3] se sédentarisent dans les oasis au nord  du Takla-Makan : adoptant l’agriculture irriguée, les « Koutchéens » y fondent le Royaume de Koutcha. D’autres peuplades indo-européennes, des Indo-Iraniens « scythiques », continuent en revanche à nomadiser, à l’image de celles que les Chinois appellent Saï (Sakas ou Saces), Yuezhi (ou Yueh-Chi) et Wusun.

L’équilibre au sein du pouvoir chinois est remis en question par l’apparition de nouveaux Etats au VIème, en particulier celui des Wu dans le delta du Yangzi et celui des Yue, des tribus non chinoises, plus au sud[4]. Débute alors, en -481, la période des Royaumes Combattants (Zhanguo), qui seront un moment au nombre de dix-sept. Le VIème siècle marque les débuts de l’âge du fer en Chine, bien avant son apparition en Europe : cela se traduit par le développement d’outils agricoles plus performants et par un accroissement de la population, utile pour mener de grands travaux (notamment d’irrigation) et pour mener des guerres. Celles-ci sont également favorisées par l’apparition de nouvelles armes (épées, cuirasses, catapultes et engins de siège) et par un usage croissant de la cavalerie, inspiré des pratiques des « barbares » du nord. C’est à cette période, entre la fin du Vème et le début du IVème qu’un stratège nommé Sun Zi écrit son manuel « L’Art de la guerre ».

Au IVème siècle, après plusieurs décennies d’affrontements, ne subsistent plus que sept Royaumes combattants majeurs : Zhao, Wei et Han[5] (tous issus du Jin), Qi, Chu, Qin et Yan. D’abord dominant, le Wei est vaincu par le Qi en -341, tandis que deux autres royaumes affirment leur puissance. Sur la côte orientale, le Chu conquiert le Yue dans les années -330 et pousse ses dirigeants à fonder un Etat encore plus au sud, le Minyue, dans la région actuelle du Fujian. C’est le royaume Qin (ou Chin) qui va finalement vaincre tous les autres : en -316, il absorbe le riche bassin agricole du Sichuan, dans la vallée de Wei au centre ouest, au pied des montagnes tibétaines. En -284, il défait le Qi (-284), puis s’empare six ans plus tard de la capitale du Chu et met fin à la dynastie des Zhou (-256). Le dernier royaume combattant à céder est celui des Yan en -221.

[1] La capitale des Zhou a été transférée dans le Henan, à l’emplacement de l’actuelle Luoyang.

[2] C’est de là que vient l’appellation « Empire du milieu » qui désigne parfois la Chine.

[3] Les « Koutchéens » parlent une langue (dite « tokharien B ») distincte de celle des « Agnéens » (« tokharien A »).

[4] Le mot Yue, traduit en vietnamien par Viêt, signifie « au-delà ». Il désignait alors pour les Chinois l’ensemble des peuples vivant au sud du Yangzi, en majorité membres des ethnies Muong et Tay.

[5] Cet Etat de Han est sans rapport avec la dynastie majeure qui suivra.

Confucianisme, taoïsme et bouddhisme

Né vers -550, dans la principauté de Lu ouverte sur la Mer Jaune, Kongzi (Confucius dans sa transcription latine) professe une philosophie morale dans laquelle l’homme est avant tout un être social, occupant une place précise dans une hiérarchie structurée par l’âge, le sexe et « l’état » : lettrés (shi), paysans (nong), artisans (gong) marchands (shang). Sans être aussi rigide et fermé que le système des castes hindou, le confucianisme implique le respect de l’ordre et de l’intérêt général, la loyauté envers les supérieurs (les fils vis-à-vis des pères, les cadets face aux aînés, les citoyens vis-à-vis du souverain), ainsi que l’exemplarité des dirigeants, en particulier de l’Empereur, titulaire d’un « mandat du ciel » révocable en cas d’échec ou de catastrophe. Les vertus cardinales sont l’humanité, la droiture, la correction, la sagesse, la fidélité et la sincérité. L’objectif n’est pas de créer une société parfaite mais de faire en sorte que le meilleur homme possible édifie la meilleure société possible. L’enseignement de Confucius, qui préconise également le culte des ancêtres, repose sur cinq Livres (ou King), probablement rédigés par ses successeurs. Il est prolongé par d’autres œuvres, en particulier celle de son disciple Mengzi (ou Mencius, IIIème siècle avant notre ère).

Apparu un peu plus tôt – Laozi serait né en -604 dans le royaume de Chu mais son existence historique reste sujette à discussion – le taoïsme fait au contraire l’éloge de l’individualisme. Il considère que la bonne marche de l’univers repose sur la poursuite individuelle d’une voie (dao) favorisant l’équilibre entre les cinq éléments (terre, eau, feu, métal et bois), ainsi qu’entre des énergies complémentaires : des qi (« souffles ») lourds et légers, des forces sombres (le yin lunaire) et claires (le yang solaire)... Les préceptes s’accompagnent de méthodes destinées à prolonger la vie, dans l’espoir d'atteindre  l’immortalité, qu’il s’agisse de pharmacopée ou d’exercices physiques (le qigong). Contenus dans le Daodejing (le Livre de la voie et de la vertu), les enseignements de Lao-Tseu sont prolongés trois siècles plus tard par le Zhuangzi, œuvre d'un philosophe éponyme. A partir du IIème siècle de l’ère commune se développe un taoïsme plus ésotérique et mystique (dit de la Voie des maîtres célestes) qui prend la forme d’un culte à part entière. Du fait même de son message, ainsi que de sa faculté à assimiler d’autres croyances, le taoïsme s’affirme dans les milieux populaires, quand le confucianisme apparait davantage comme le mode de pensée des classes dirigeantes et des élites intellectuelles.
 
Religion importée d’Inde, le bouddhisme arrive pour la première fois dans le Tarim au Ier siècle AEC, probablement véhiculé par des commerçants gréco-bactriens fréquentant la « route de la soie ». Mais son implantation réelle débute au IIème siècle de l’ère commune, à la suite de l'expansion de l'empire Kouchan dans le bassin du Tarim. A cette expansion militaire et politique s’ajoutent les efforts missionnaires d'un grand nombre de moines bouddhistes venus d'Asie centrale (Parthes, Sogdiens, Koutchéens). 

Du règne Qin à l’arrivée des Han

Ayant pris le titre de « premier Empereur » (Shi Huangdi), le roi Qin instaure le premier Etat féodal chinois centralisé, en dupliquant l’organisation mise en place dans son ancien royaume. L’Empire s’étend des plaines du Yangzi jusqu’à la Mongolie et à la Mandchourie, des routes impériales et des relais de poste reliant les principaux chefs-lieux à la capitale Xianyang (proche de l’actuelle Xi’an) ; il est divisé en commanderies et en districts, administrés par des fonctionnaires et non plus par des nobles. En vertu de cette vision centralisatrice ou « légiste », l’écriture chinoise est standardisée, de même que la monnaie et le système de mesures. Dans le même temps, l’Empereur s’efforce d’éradiquer les philosophies nées quelques siècles plus tôt. Sur le plan territorial, il accroit son domaine vers le nord-est, en Mandchourie et en Corée, ainsi que vers le sud : ses armées occupent le bassin du fleuve Rouge au Vietnam (-221), le Guangdong et le Fujian. Mort en -210, il est enterré dans un mausolée, entouré de milliers de soldats en argile peinte.

Avant de disparaître, il a lancé de grands travaux de défense dans le nord, prolongeant les murailles construites par les royaumes de Yan, Zhao et Qi pour se protéger des nomades. Durant des siècles, les Chinois vont affronter sans relâche les peuples des steppes pour le contrôle de deux voies stratégiques : la boucle de l’Ordos (sur le cours moyen du Fleuve jaune) et le corridor de Gansu, situé entre le plateau tibétain et le désert de Gobi, en direction du Tarim. Les plus actifs de ces peuples sont les Xiongnu, une confédération fondée à la fin du IIIème AEC par des tribus, sans doute proto-turques. Nomadisant entre le massif volcanique du Grand Khingan à l’extrême-est – où ils ont soumis les Tingling – et le lac Balkhach (dans l’actuel Kazakhstan) à l’ouest, en passant par le haut Ienisseï et le bassin de l’Orkhon (au sud du lac Baïkal), les Xiongnu s’emparent de l’Ordos en -209. En -201, ils signent un traité de paix avec les Han qui, l’année précédente, ont évincé les Qin[1], à l’issue de sept années d’insurrections régionales, menées par deux seigneurs de guerre du Chu et un chef d’origine paysanne, Liu Bang, fondateur de la nouvelle dynastie.

[1] Si les Qin disparaissent, leur nom va en revanche passer à la postérité : en Occident, le mot « Chine » fait en effet référence aux soieries réputées de la défunte dynastie.

Le long règne des Han

Ayant pris le nom de Gaozu (haut ancêtre), l’Empereur Han administre directement l’ouest de son Etat, depuis sa nouvelle capitale de Chang’an (l’actuelle Xi’an[1]), crée des colonies militaires dans les régions exposées aux incursions de nomades et abandonne l’est à des vassaux. Son fils restaure le confucianisme et en fait la base de l’éducation des fonctionnaires impériaux, en particulier des plus élevés. Dans le sud de l’Empire, un général Qin a pris les devants : avant même la disparition de ses maîtres, il a proclamé l’indépendance des Yue du sud en -208. Devenu plus ou moins vassal des Han, ce Royaume du Nan Yue (ou Nam Viêt) s’étend du nord de l’actuelle Canton (dans le Guangdong) jusqu’au col des Nuages, dans le centre du Vietnam actuel (cf. ce pays).

Dans les années -175 / -160, les Xiongnu étendent leurs territoires en Sibérie et dans le grand Khingan. Ils y mettent fin à la domination des Donghu, des proto-Mongols (et sans doute Toungouses) qui y étaient établis au moins depuis le VIIe AEC. Le peuple vaincu se divise en deux branches, les Wuhuan au sud-est et les Xianbei (ou Sien-Pei) au nord-ouest. Les Xiongnu se répandent aussi de la Mongolie jusqu’aux bassins du Tarim et de l’Ili, fleuve qui prend sa source dans les Tian Shan et se jette plus au nord, dans le lac Balkhach, aux confins de l’actuel Kazakhstan. Ce faisant, ils repoussent les Sakas plus à l’ouest, vers l’Asie centrale. Leur poussée contraint aussi les Yuezhi[2] à se scinder : une petite partie se fond au sein des nomades Qiang des montagnes du sud, tandis que la majorité fonde le Royaume d’Agni dans la région actuelle de Karachahr, entre Koutcha et Tourfan (au nord du désert du Takla-Makan). Mais ces « Agnéens » en sont chassés, dans le troisième quart du IIème siècle AEC, par un peuple qu’ils avaient précédemment évincés du Gansu : les Wusun. Tandis que ces derniers s’installent dans la vallée de l’Ili, les Yuezhi gagnent les rives nord de l’Oxus (Amou Daria)[3]. Entretemps, en -158, les hordes Xiongnu ont envahi la Chine septentrionale.

Fragilisés par ces incursions, les Han doivent également affronter, en -154, une rébellion de leurs vassaux connue sous le nom de « révolte des sept royaumes ». L’ayant matée, la dynastie centralise son pouvoir et adopte le confucianisme comme religion d’État (-136), tout en favorisant une effervescence intellectuelle ouverte aux apports étrangers. Disposant d’une masse abondante de forçats – le travail forcé ayant remplacé les mutilations comme sanction pénale – le régime réalise de grands travaux, en particulier d’’irrigation des terres sèches du nord et du nord-ouest, où sont installés près de deux millions de colons. Sous l’Empereur Wudi (-140 à -87), le pays poursuit son expansion vers le sud, avec la mise sous tutelle des royaumes non chinois du Min Yue et du Nan Yue autour de -110. Entre -128 et -108, des expéditions par terre et par mer sont également menées contre le nord et le centre de la Corée, où sont installées quatre commanderies.

Face à la menace que les Xiongnu font peser sur le nord-ouest de la Chine, les armées impériales mènent également une contre-offensive vers la « route de la soie », depuis le Gansu, le Tarim et les Tian-Shan jusqu’au Ferghana (-101) : 300 000 hommes infligent une telle défaite aux nomades qu’ils doivent refluer vers le nord (-119). Une soixantaine d’années plus tard, les Han vassalisent les royaumes iraniens et tokhariens des oasis du Tarim, auxquels ils imposent un protectorat. En parallèle, le régime mène des actions diplomatiques pour diviser les nomades de la steppe, les aborigènes de la Chine du sud et les montagnards des confins du Tibet. Vers -60, les hordes Xiongnu se divisent en deux camps : les Orientaux font allégeance aux Chinois quelques années plus tard, tandis que les Occidentaux s’enfuient vers l’ouest ; après avoir soumis les Wusun de l’Ili, ils fondent le royaume de Tsitki, sur les bords du Syr Daria, où ils sont finalement vaincus par les Han (-36)[4]. La même année, ceux-ci s’allient aux Xiongnu orientaux pour contenir les Yuezhi.

L’incorporation de contingents issus de ces différents groupes accroît la force de l’armée impériale, tout en accélérant leur sinisation. L’expansion militaire et le commerce (du fer, du sel, des soieries et des céréales) favorisent en effet une large diffusion des idées et technologies chinoises, à l’image de la technique du bronze en Indochine, ainsi que le développement des villes chinoises et la naissance d’une classe de riches marchands. Mais l’immense royaume chinois, qui compte soixante millions d’habitants en l’an 2 de notre ère (davantage que l’Empire romain à la même époque), reste soumis à des soubresauts internes. Ils sont dus notamment à la dégradation des conditions de vie des paysans, victimes en particulier des inondations provoquées par la déforestation menée dans le nord. Le centralisme du pouvoir est également de plus en plus contesté par les grandes familles.

LA ROUTE DE LA SOIE

Baptisée ainsi au XIXe siècle seulement, la « route de la soie » était sans doute pratiquée au moins deux mille ans avant l’ère commune. Elle n’apparait toutefois qu’au IIe siècle AEC dans la littérature chinoise, quand les Han – à la recherche d’alliés et de chevaux contre les invasions nomades – ouvrent au monde extérieur le commerce de la soie, monopole d’Etat. Depuis Xi'an, les convois de caravanes empruntent le corridor du Gansu, puis contournent le désert du Takla-Makan, par la voie du nord au pied des Tian Shan (de Tourfan à Kachgar, en passant par Ürümqi, Karachahr, Koutcha et Aksu) ou la voie du sud au pied des Kunlun (de Dunhuang, à Khotan et Yarkand). À partir de Kachgar et Yarkand, les pistes rejoignent la Perse, jusqu’au port méditerranéen d’Antioche, ou bien l'Inde en traversant les hautes montagnes de l'Asie centrale (Pamir, Hindou-Kouch et Karakoram), puis la Sogdiane (Samarcande, Boukhara) et la Margiane (Merv) ou la Bactriane (Balkh) et le Cachemire.

Dès la première décennie du premier siècle de l’ère commune, les Han sont concurrencés par une nouvelle dynastie, les Xin, fondée par un fonctionnaire impérial. Son passage au pouvoir dure cependant moins de quinze ans : elle est emportée par les révoltes paysannes déclenchées, en 17, par les Lulin dans le nord du Hubei et par les Sourcils rouges (ou Chimei, qui se peignent le visage pour avoir l’air de démons) dans les provinces côtières du nord-est. En 23, la dynastie des Han est finalement restaurée sous le nom de Han postérieurs ou orientaux (leur capitale est en effet établie à Luoyang, à l’est de Chang’an). Sur le plan extérieur, ils matent une succession de soulèvements en pays Viet, sur lesquels ils décident d’exercer un protectorat beaucoup plus direct, y favorisant la diffusion du confucianisme et du taoïsme. En revanche, la menace potentielle des vassaux Xiongnu s’estompe, du fait de la désintégration de leur confédération, au milieu du 1er siècle : les hordes méridionales, voisines de la Grande Muraille, se placent sous la protection des Han, tandis que les septentrionales rejoignent des tribus turques pour mener des campagnes de harcèlement infructueuses, au début du IIe siècle. Sur la scène intérieure, les Han orientaux engagent des réformes et une politique de décentralisation pour faire baisser les tensions mais, en dépit de réelles avancées technologiques[5], les révoltes populaires persistent. Le pouvoir impérial est également affaibli par les intrigues de palais et la prédominance croissante des eunuques, l’affirmation de chefs militaires rivaux et la réapparition de grands propriétaires terriens dans les provinces.

Ces multiples difficultés internes font perdre aux Chinois le contrôle des oasis du Tarim, qu’ils retrouvent toutefois dans la seconde moitié du 1er siècle, après avoir défait les Xiongnu, ainsi que les Kouchan. Mais cette branche des Yuezhi revient au siècle suivant, établit un royaume à Kachgar et contribue à répandre le bouddhisme (version Mahayana) dans la région. La puissance Han n’est en effet plus qu’un souvenir. Dans la seconde moitié du IIe siècle éclatent des révoltes d’inspiration taoïste, comme celle des Turbans jaunes qui prônent une redistribution des terres. Elles sont certes matées, mais les seigneurs de la guerre qui ont exercé la répression en profitent pour s’affranchir du pouvoir impérial. En 207, l’un de ces chefs, Cao Cao, élimine les tribus Wuhuan qui s’étaient réunifiées dans les années 190 et menaçaient le nord de la Chine[6]. Après trente ans d’agonie, la dynastie des Han finit par s’effondrer officiellement en 220. Mais elle a fait preuve d’une longévité et d’une fermeté telles dans l’exercice du pouvoir, que son nom va être définitivement adopté par les Chinois pour se désigner eux-mêmes.

[1] Ville principale de la province du Shaanxi sur la rivière Wei (voisine de celle, quasi-homophone, du Shanxi à l’ouest), Xi’an et ses environs ont abrité les capitales des Zhou (Feghao), des Qin (Xianyang), puis des Han et de leurs successeurs Sui et Tang (Chang’an).

[2] Depuis le Ferghana et la Bactriane, les Sakas formeront des Etats en Iran et en Inde.

[3] De là, les Yuezhi exerceront leur domination sur la Bactriane et fonderont l’Empire Kouchan (cf. Asie centrale).

[4] Des résidus des Xiongnu alimenteront sans doute les hordes Huns qui opèreront en Europe et en Asie centrale. Les premiers Huns sont mentionnés par les Chinois en 125, sous le nom de Hua vivant au sud de la Dzoungarie.

[5] En 105, la fabrication du papier avec des fibres végétales est découverte par un mandarin chinois.

[6] Les Wuhuan survivants sont assimilés par les populations qui les recueillent, en Chine du centre et du nord-est, ainsi qu’en Mandchourie et en Corée.


Troubles au nord et calme au sud

La Chine se retrouve à nouveau divisée, cette fois en trois royaumes : celui des Wei fondé autour de Luoyang par un descendant de Cao Cao, celui des Shu avec un prince Han au centre (capitale Chengdu) et celui des Wu au sud (capitale Jiankang, la future Nankin, sur le bas Yangzi). Après avoir pris le dessus sur le Shu en 263, le Wei rétablit un semblant d’unité en annexant le Wu en 280 et en fondant la nouvelle dynastie des Jin orientaux. Mais l’unité est de courte durée car, dès le début du IVème, le nord connait une nouvelle déferlante de nomades : les Xianbei. Née à la fin du 1er siècle dans la vallée du haut-Amour en Mandchourie, cette confédération a d’abord joué un rôle de supplétif des Han (par exemple pour éliminer définitivement les Xiongnu septentrionaux au milieu du IIe siècle, avant de soumettre dans la foulée les Wusun de l’Ili), puis a tenté de les envahir à plusieurs reprises, dans le dernier quart des IIe et IIIe siècles.

Affaiblis par les menaces « barbares », les Chinois doivent aussi quitter le Tarim, où se développe une civilisation indo-iranienne, majoritairement bouddhiste mais également ouverte au manichéisme et au nestorianisme chrétien qui se sont diffusés depuis la Sogdiane, via la « route de la soie ». Dans la première moitié des années 310, les Jin sont également battus par le royaume de Koguryo et doivent abandonner leurs commanderies de Corée, dont les garnisons avaient commencé à se retirer dès la fin du IIe siècle. Même les vassaux Xiongnu méridionaux, régulièrement révoltés, reviennent au premier plan : dès la première décennie du IVe, ils contraignent les Jin à se replier dans le bas Yangzi et toute la partie sud de la Chine (où ils fondent la dynastie des Jin méridionaux, capitale à Jiankang), tandis qu’eux-mêmes créent la dynastie des Zhao antérieurs[1] (ou Han du nord), introduisant ainsi une pratique qui sera reprise ultérieurement par d’autres « barbares » : s’attribuer un nom dynastique chinois.

Au milieu du IVe, les Xianbei établissent à leur tour leur royaume de Bei Wei, ouvrant la période mouvementée des Seize Royaumes des Cinq barbares[2] : elle est en effet marquée par les guerres incessantes que se livrent les dynasties du nord, dont celles des Murong[3] (Yan antérieurs puis postérieurs, qui supplantent les Xiongnu dans la seconde moitié du siècle), des Qiang (Qin postérieurs, capitale Chang’an), des Di (Qin antérieurs), des Jié et des Turcs bouddhistes Toba (ou Tabgatch). A partir de 360, une nouvelle menace apparait dans les steppes du nord : celle des Jouan-Jouan[4], un conglomérat de tribus mongoles et toungouses originaires de Mongolie et vassales des Xianbei. Fondé au tout début du Ve, par unification de leurs clans et soumission de la confédération turcophone des « Hauts chariots » (Gaoche), « l’Empire des Jouan-Jouan » court de la Mandchourie jusqu’à l’oasis de Tourfan, à l’est du Tarim. En revanche, ils ne s’aventurent pas au sud : gênés par les murailles chinoises, ils sont battus en 458 par les Toba qui, après avoir éliminé les derniers reliquats Xianbei entre 410 et 440, ont réunifié la Chine du nord et pris le nom de Wei du nord (capitale à Luoyang).

La grande agitation qui prévaut dans la partie septentrionale du pays entraîne le déplacement d’au moins un million d’habitants du nord vers le sud, où règne plutôt le calme. La capitale Jiankang est sans doute alors la plus vaste agglomération du monde. Cinq dynasties y exercent successivement le pouvoir, du IVe au VIe siècle : aux Jin succèdent les Song du sud en 420, puis les Qi du sud soixante ans plus tard, les Liang en 502 (qui offrent son âge d’or au bouddhisme chinois) et les Chen de 557 à 589. La paix, qui favorise le peuplement de zones jusqu’alors faiblement habitées, est notamment assurée par la grande autonomie que chaque dynastie, basée dans la future Nankin, laisse aux propriétaires terriens, ainsi qu’aux tribus autochtones et même aux régions très indépendantes comme le Sichuan.

[1] Lui succède, de 319 à 350, la dynastie des Zhao postérieurs, fondée par un général révolté.

[2] Outre les Xianbei, les cinq « Wu Hu » (barbares) comprennent les Xiongnu, les Qiang, le peuple Jié (sans doute de langue iénisséïenne) et les Di (des proto-Xiongnu qui vivaient aux frontières du Gansu, du Qinghai, du Sichuan et du Shaanxi, du VIIIème AEC au milieu du VIème EC, et ont été assimilés par les Han).

[3] Les Murong sont un clan de la confédération Xianbei.

[4] Jouan Jouan (ou Ruan Ruan : « insectes grouillants ») est l’appellation donnée par les Chinois à ce peuple dont le nom originel est inconnu, mais qui seraient des Avars (nom qu’usurperont ensuite les tribus arrivées en Europe au VIème).

La réunification par des « barbares »

Au-delà de ses conséquences politiques, la disparition du centralisme Han en a aussi sur le plan linguistique – le chinois populaire du nord se démarque progressivement du chinois littéraire, tandis que les dialectes méridionaux se multiplient – et dans le domaine de la pratique religieuse : le confucianisme est dominant au sud, alors que taoïsme et bouddhisme se mélangent au nord ; à partir du IIe siècle, le culte de Bouddha – venu d’Inde et d’Asie centrale via la « route de la soie » – se répand autant parmi les envahisseurs qu’au sein de populations chinoises désorientées par l’effondrement de l’Empire. L’influence de la religion d’origine indienne se traduit dans la vie culturelle, ainsi que dans l’apparition de sectes faisant la synthèse du bouddhisme et des croyances chinoises traditionnelles. Au VIe, le moine bouddhiste Bodhidharma introduit des méthodes de concentration qui vont se propager sous le nom chinois de chan (ou japonais de zen) et déboucheront, notamment, sur des « arts de la guerre » tels que le kung-fu (« effort méritoire »). Cette technique va être élaborée, à partir du VIIIe, par les pensionnaires du monastère de la Petite Forêt (Shaolinsi), dans la province centre-orientale du Henan, pour se défendre des pillards.

La religion est aussi au cœur de la guerre qui éclate, entre 523 et 534, chez les Toba, divisés entre partisans du bouddhisme et tenant des traditions nomades. Il en émerge deux dynasties rivales : les Wei orientaux (qui prennent le nom de Qi du nord) en Mongolie et les Wei occidentaux sinisés qui s’installent à Chang’an. Les choses bougent aussi dans les steppes septentrionales. Au milieu du VIe, le clan turc des Ashina – dénommé Türük[1] ou Tujue par les Chinois – supplante les Jouan-Jouan, qui deviennent garde-frontières des Wei ; issus de la vallée de l’Orkhon[2], ces Gögtürks (Turcs bleus, car ils revendiquent une origine céleste) soumettent les Turcs Karlouk, établis entre l’Altaï et le lac Balkach, ainsi que les tribus turques et peuples indo-européens vivant dans le Tarim, la Sogdiane et la Bactriane. Après avoir battu les Khitan (ou Khitaï[3]), des tribus semi-nomades mongoles implantées dans les forêts au sud du grand Khingan, les Göktürk s’allient aux Perses pour battre, en 563 à Boukhara, les Huns blancs d’Asie centrale qui, s’étaient établis dans des oasis du Tarim, au début des années 500 .

Mais leur avancée s’arrête là car la Chine va se réunifier une nouvelle fois. L’entreprise est amorcée par les Wei occidentaux qui, sous le nom de Zhou du nord, rassemblent les territoires septentrionaux, renforcent les fortifications contre les « barbares » des steppes (1 500 km de grandes murailles sont construits entre 552 et 556), annexent la région montagneuse du Sichuan, puis le domaine de leurs rivaux orientaux (577). Mais, quatre ans plus tard, ils sont eux-mêmes sont renversés par un chef militaire, d’origine nomade mais fortement sinisé. En 582, le nouvel Empereur Wendi, qui a fondé la dynastie Sui, commence par affaiblir les Göktürk en les poussant à se diviser en deux Khaganats (Türük occidental entre l’Altaï et la mer d’Aral, Türük oriental en Mandchourie et Mongolie). De cette division naîtra, à la fin du XIXe siècle, la distinction opérée entre le Turkestan occidental (l’Asie centrale russe) et le Turkestan oriental (composé des bassins du Tarim et de Dzoungarie sous domination chinoise). En 589, les Sui renversent les Chen méridionaux et s’emparent de toute la Chine méridionale, à l’exception du Yunnan à dominante fortement tribale. Ils instaurent le bouddhisme au sud et lancent de grands travaux, tels que la construction d’une capitale à Chang’An (dans la vallée de la Wei), la reconstruction de la Grande muraille et le creusement d’un grand canal reliant le Yangzi au fleuve Jaune, afin de nourrir en riz les nombreuses populations du nord. Mais ce développement à marche forcée n’est pas sans conséquence sur l’endurance de la population, puisque le fils et successeur de Wendi est assassiné en 618.

[1] Türük : « issu de » en vieux turc, langue (sans rapport avec le turc moderne) dont des inscriptions de type runique ont été trouvées dans la vallée de l’Orkhon.

[2] C’est dans cette région que se situe Ötüken, la montagne sacrée des Turcs.

[3] De Khitaï provient le nom de Catay, par lequel musulmans et Occidentaux désignent la Chine à l’époque.


Les Tang, de l’apogée à la chute

Une nouvelle révolte, menée elle aussi par un aristocrate sinisé d’origine nomade, conduit à la chute des Sui et à son remplacement par une nouvelle dynastie : les Tang. L’Empereur Tang Taizong et les nouveaux maîtres de Chang’An[1] commencent par soumettre les Türük orientaux de Mongolie dans les années 630, puis se lancent à l’attaque des Türüks occidentaux. Les premiers à succomber à leurs assauts sont les royaumes des oasis du Tarim qui, après avoir été vassaux des Chinois, avaient fait allégeance aux nouveaux maîtres de la région : Kachgar, Khotan, Yarkand, Karakhoja, Karachahr, Kucha tombent les uns après les autres, entre 632 et 649. En 657, les Türük occidentaux sont à leur tour vaincus, à proximité des monts Altaï : pour parvenir à ce succès, l’armée chinoise a bénéficié du renfort d’autres Turcs, en particulier des Ouïghours qu’elle avait aidés à se rebeller, une dizaine d’années plus tôt, contre la confédération turcophone des Xueyantuo. Dans ces « territoires de l’ouest » de nouveau annexés, les Tang instaurent un régime connu sous le nom de protectorat d’Anxi, reposant sur la présence de quatre garnisons permanentes[2]. Son influence politique s’exerce alors jusque dans le Ferghana, la Bactriane et la région afghane d’Herat.

Mais les positions chinoises sur la « route de la soie » restent fragiles, comme en témoigne l’ascension du royaume du Tibet qui, après sa fondation à la fin du VIe siècle, s’étend dans les années 660 à l’actuel Qinghai ainsi qu’au Turkestan oriental, au détriment des Tang (cf. Tibet). Il subit en revanche des revers une trentaine d’années plus tard, de sorte que les Chinois peuvent rétablir le protectorat d’Anxi auquel ils avaient dû renoncer.

De leur côté, les Türük orientaux ont reconstitué un kaghanat[3] unifié, en soumettant tour à tour les autres Turcs de la région : Ouïghours, Oghouz du sud du lac Baïkal et enfin Türük Occidentaux (699). Redevenus suffisamment forts, ils mènent des raids sur la Chine qui perd sa suzeraineté sur la haute Asie et ne parvient à s’y maintenir que sous la forme d’alliances ponctuelles avec des rois locaux, notamment au Pamir. Les tentatives de réinstallation des Chinois en Corée ne sont pas beaucoup plus concluantes : à la demande du royaume de Silla, ils interviennent pour battre ses rivaux de Paekche (allié aux Japonais) en 654 et de Koguryo en 668 ; mais, après avoir unifié la péninsule lors de la décennie suivante, le Silla résiste à la tentative d’annexion de ses protecteurs, auxquels il accepte néanmoins de payer tribut pour conserver son indépendance (cf. Monde coréo-mandchou).

Il est vrai qu’après un début de règne plutôt faste, marqué une grande ouverture aux cultures et religions d’Asie occidentale et centrale, les Tang sont entrés en décadence. En 683, la dénommée Wu Zetian, une bouddhsite fanatique ancienne concubine de l’Empereur, s’empare même du pouvoir. Bien qu’éphémère, sa dynastie des Zhou (690-705)[4], se distingue par le développement de concours destinés à recruter et à promouvoir des fonctionnaires, afin de former une classe d’administrateurs qui ne soient pas réservée aux élites de la vallée de la Wei. Revenus au pouvoir, les Tang s’efforcent de le conforter. En 721, une paix est conclue avec les Türük, dont l’unité aura été sans lendemain : en 744, l’Empire Türük cède sous les coups de plusieurs de ses vassaux turcophones, notamment les Karlouks et les Ouïghours, alors installés en Mongolie. Battus à l’issue de la guerre de succession qui s’en suit, les Karlouks choisissent de migrer vers l’ouest, comme l’ont déjà fait les Oghouz (cf. Asie centrale). De leur côté, les Ouïghours constituent un kaghanat qui s’étend de la Mandchourie jusqu’à l’Altaï et au désert de Gobi. Convertis au manichéisme[5] dans les années 760, leurs souverains deviennent de fidèles alliés des Tang.

Ceux-ci ont bien besoin de ce soutien car, ailleurs, leur domination est contestée : à l’est, par le royaume toungouse de Parhae, mais aussi à l’ouest. En 751, les Chinois sont battus à Talas, en Sogdiane, par une alliance constituée des Karlouks et des Arabes Abbassides, nouveaux maîtres de l’Asie centrale : avec cette défaite commence l’islamisation du Tarim. La même année, les Chinois sont vaincus, au sud-ouest, par le royaume de Nanzhao : fondé en 737 au Yunnan et parfois dirigé par des souverains Taïs, il est essentiellement peuplé de Tibéto-Birmans (Bai et Yi ou Lolo). D’abord sous protection du Tibet, le Nanzhao s’en affranchit et, au début du IXe, étend son territoire vers le Sichuan au nord et vers l’Indochine au sud.

L’édifice Tang est également fragilisé de l’intérieur, comme en témoigne la révolte, en 755, d’un des mercenaires commandant les troupes basées à Pékin : d’origine turco-sogdienne, An Lushan s’empare des capitales impériales. Malgré son assassinat deux ans plus tard, la rébellion se poursuit et ne s’achève qu’en 763, grâce à l’aide apportée par les Ouïghours. Ébranlés par cet épisode, les Tang abandonnent tout contrôle sur la route de la soie et le Tarim, principalement au profit de l’Empire tibétain, qui saccage la capitale chinoise (763) et met fin au protectorat d’Anxi à la fin du VIIIe, avant de disparaître dans les années 840, victime de tensions religieuses. En Mongolie, le khaganat ouïghour s’effondre : il tombe en 840 sous les coups des Kirghizes[6], venus du haut Ienisseï pour aider un rebelle local. Les vaincus vont fonder de nouveaux Etats au Gansu (« Ouïghours jaunes ») ou au nord du Tarim (le Royaume de Khotcho près de Tourfan) : ils y adoptent majoritairement le bouddhisme et leur présence entraîne la disparition des langues tokhariennes[7]. Quant au Nanzhao, son déclin commence dans le dernier quart du IXe, avec la récupération du Sichuan par les Chinois.

Ayant finalement repris le contrôle du bas Yangzi et du bassin du fleuve Jaune, le pouvoir Tang se raidit dans un sens ouvertement xénophobe. L’islam et le bouddhisme font l’objet de mesures répressives, tandis que des troubles sociaux prennent pour cibles des commerces arabes et hindous à la fin du IXème siècle. Le pouvoir Tang est alors affaibli par une nouvelle rébellion, menée par un contrebandier en sel : Huang Chao se proclame même empereur d’une dynastie Qi qui disparait dès sa mort en 884. L’Empereur officiel est rétabli, mais il n’a plus aucun pouvoir réel : celui-ci est passé aux mains des chefs militaires et des commissaires impériaux gouvernant les provinces.

[1] À l’apogée de la dynastie Tang, Chang-An abrite deux millions d’habitants, dix fois plus que Constantinople ou Cordoue, mille fois plus qu’Aix-la-Chapelle au temps de Charlemagne.

[2] Dans la première moitié du VIIème, des protectorats sont également établis par les Tang en Mongolie (Anbei et Chanyu), Mandchourie (Andong), Annam

[3] Dans les mondes turc et mongol, un kaghanat est une sorte d’Empire (dirigé par un kaghan ou grand Khan) réunissant plusieurs royaumes ou khanats dirigés par des khans.

[4] L’impératrice Wu est la seule femme de toute l’histoire chinoise à avoir pleinement exercé le pouvoir.

[5] Les Ouïghours sont convertis par des missionnaires sogdiens, dont ils empruntent aussi l’alphabet.

[6] Attestés depuis 540 dans le haut-Ienisseï, les Kirghizes sont de probables Indo-Européens turquisés. Les actuels Khakasses de Sibérie en descendraient. La plupart des autres Kirghizes migreront au XVIIème siècle vers l’Asie centrale (au Kirghizstan actuel).

[7] Les Ouïghours y adoptent certains traits de la culture des Tokhariens et deviennent la première civilisation turque sédentaire ; inversement, les Tokhariens abandonnent leur langue pour celle des envahisseurs.

Réunification au sud, dominations « barbares » au nord

La dynastie Tang disparait officiellement en 907, laissant place à une Chine de nouveau divisée. Une douzaine d’Etats se partagent le territoire au cours de cette période dite des Cinq dynasties et des Dix royaumes : cinq dynasties se succèdent au nord (avec comme capitales Luoyang ou Kaifeng, située un peu plus à l’est, au Henan), sans compter une partie du Shānxi où s’est établi le royaume indépendant des Turcs Shatuo[1]; quant au sud, il est divisé en une dizaine de royaumes tel celui des Han du sud (Nan Han), dont un général Viêt s’émancipe en 939 pour proclamer la quasi-indépendance du futur Viet Nam.

La nouvelle puissance de l’époque est alors au nord : elle résulte de l’unification, au début du Xème siècle, des Khitan. Emancipés des Chinois et des Ouïghours, ils fondent un Empire, en expulsant les Kirghizes de haute-Mongolie, en absorbant le Bohai toungouse (926) et en acquérant des territoires chinois jusqu’aux abords de la Grande Muraille, en particulier près de l’actuelle Pékin : c’est là qu’ils implantent une des capitales de leur dynastie Liao, fondée en 947. Leur Empire se distingue par une dualité inédite : les steppes du nord sont laissées à une armée de cavaliers, tandis que la partie plus peuplée est administrée par une bureaucratie similaire à celle des Tang.

Plus au sud, le pouvoir des Khitan est contesté par un général chinois qui, ayant fondé la dynastie des Song en 960, réunifie progressivement la Chine méridionale, s’emparant du Shu (Sichuan) en 965, de Nankin dix ans plus tard et du Royaume du Wu Yue (sur le bas Yangzi) en 978. Soucieux de ne pas s’entourer d’ennemis supplémentaires, les Song entretiennent également des relations cordiales avec le royaume de Dali, fondé en 937 au Yunnan par une famille originaire du Gansu, trente-cinq après la chute de la dynastie gouvernant le Nanzhao. Tout le nord et l’ouest de la Chine continuent en revanche à leur échapper, en particulier le corridor de Gansu et l’Ordos qui sont passés aux mains de nouveaux venus : les Tanguts, des éleveurs bouddhistes de l’actuel Qinghai ayant fui la domination de leurs cousins Tibétains aux VIIIe et IXe siècles. Fondateurs de la dynastie Xia (Xia occidentaux pour les Chinois), ils la font reconnaître par l’Empire Liao (989), puis par les Song (1043).

Après avoir enregistré une lourde défaite devant les Khitan en 986, au nord-est de Pékin, la dynastie chinoise a en effet dû se résoudre à acheter la paix avec ses différents voisins. Ce choix s’avère finalement payant, puisqu’il correspond à l’apogée du domaine des Song. Les innovations se bousculent tout au long du XIe siècle : création d’une variété de riz permettant deux récoltes par an, premiers billets de banque, développement des caractères mobiles de typographie, boussole et jonque de haute mer, travail industriel de l’acier et du plomb, projectiles à poudre (grenades, mortier en bambou…). Couplés au développement de la monnaie et à l’essor de l’agriculture, les progrès de la navigation favorisent une vaste expansion commerciale en Asie du Sud-Est et dans l’océan Indien, jusqu’aux côtes d’Afrique de l’Est. Particulièrement sensible dans le bassin du Yangzi, au Sichuan et sur les côtes sud-orientales, ce dynamisme provoque le développement de ports actifs sur les côtes du Fujian et du Zhejiang et de grandes villes dans l’intérieur des terres. La montée en puissance de la classe des marchands s’accompagne de l’accroissement du nombre de lettrés, favorisé par une large diffusion de l’imprimerie par xylographes (plus simple que l’emploi de caractères mobiles). Les concours de recrutement de fonctionnaires impériaux (les « mandarins » des Européens) se perfectionnent, fondés sur l’enseignement des principes du confucianisme : considérant que certaines des pratiques du taoïsme, et surtout du bouddhisme, sont étrangères voire néfastes à la société chinoise, les néo-confucéens remettent à l’honneur les vertus de Confucius (et de son disciple Mencius), mâtinées de références à la cosmologie traditionnelle, voire d’emprunts aux deux religions honnies.

Dans l’ouest du bassin du Tarim, un nouvel Etat a émergé vers 960 : le Khanat des Karakhanides[2], formé par des descendants de Türük occidentaux – principalement Karlouks – convertis à l’islam. S’ils s’étendent vers la Transoxiane à l’ouest, ils échouent en revanche à conclure victorieusement la « guerre sainte » qu’ils ont déclenchée contre les bouddhistes, manichéens et nestoriens du Royaume de Khotcho[3]. Si les Ouïghours du Tarim résistent, tel n’est pas le cas de ceux du Gansu : au milieu des années 1030, leur domaine tombe dans l’orbite du Royaume Tangut[4], alors en pleine expansion. En revanche, les Karakhanides sont en proie aux tensions et leur Empire se scinde en deux, en 1041 : sa partie orientale comprend Kachgar, devenu un pôle culturel majeur de l’islam[5], ainsi que l’est de la vallée de Ferghana ; quant à la partie occidentale, qui devient vassale des Perses Seldjoukides une quarantaine d’années plus tard, elle est formée de l’ouest du Ferghana et de la Transoxiane. Cette division des Karakhanides va leur être fatale, lorsqu’émergent les Djurtchet (ou Jurchen).

De 1115 à 1125, ces Toungouses de Mandchourie orientale se révoltent contre leurs suzerains Liao et les chassent du nord de la Chine, avec l’aide des Song, trop heureux de pouvoir prendre à revers leurs ennemis Khitan. Vaincus, ces derniers émigrent vers l’ouest : après avoir soumis les Ouïghours du Tarim, les Khitan fondent l’Empire bouddhiste des Kara-Khitaï[6] au sud du lac Balkhach. Ils y vassalisent les Karakhanides orientaux, qui les avaient appelés à l’aide pour mater une rébellion interne, ne leur laissant que la région de Kachgar[7] ; treize ans plus tard, en 1141, c’est au tour des Karakhanides Occidentaux de subir le même sort. L’Empire Kara-Khitaï s’étend alors du Tarim jusqu’à la mer d’Aral. Le reste des steppes est abandonné aux Mongols (implantés à l’ouest du Grand Khingan) et à leurs voisins turcs (ou « Tartares ») : les Kereit christianisés (dans la haute vallée de l’Orkhon), les Merkit (plus au nord, vers le lac Baïkal), les Tatars chamanistes (au sud), les Naïman nestoriens (à l’ouest, vers l’Altaï) et les Öngüt (au nord de la Grande Muraille).

Entretemps, l’alliance conjoncturelle constituée par les Chinois et les Djurtchet contre les Khitan a volé en éclats. Dominant désormais la Chine du nord, à la tête de leur dynastie Jin (Kin), les Djurtchet se retournent contre les Song qu’ils chassent de Kaifeng en 1126. Obligés de refluer en deçà du Yangzi, les Chinois adoptent le nouveau nom dynastique de Song du sud. En 1142, ils sont contraints de verser tribut à leurs anciens alliés pour conserver leurs territoires, dont le développement économique va croissant : le sud est devenu plus riche et plus peuplé que le nord (75 millions d’habitants contre 45 millions).

[1] Considérés comme descendant de la confédération Xueyantuo, les Shatuo jouent aussi un rôle dans plusieurs des dynasties dirigeant alors la Chine du nord (dont celle des Hou Jin ou Jin postérieurs 936-947).

[2] En vieux turc, le terme « kara » signifie noir, mais aussi courageux.

[3] La progression de l’islam en Chine a également été freinée par la tolérance religieuse des Tang qui ont permis l’implantation d’une Eglise chrétienne de tendance nestorienne au VIIème siècle, branche de la chrétienté d’Orient qui connait un second essor sous la dynastie mongole des Yuan aux XIIIème et XIVème siècles.

[4] En 1038, le royaume des Tanguts prend le nom d’Empire du Blanc et du Haut.

[5] Située à la sortie du désert de Taklamakan à l’est et des hautes montagnes du Pamir à l’ouest, Kachgar a été de tous temps un point de rencontre majeur sur les routes de la soie.

[6] Kara-Khitaï : « Khitan noirs ».

[7] La Kachgarie karakhanide sera brièvement annexée par les shahs du Khârezm en 1211, avant de passer dans l’orbite mongole.

Des khans sur le trône impérial

Dans les steppes du nord, une nouvelle puissance émerge au tournant des XIIe et XIIIe siècles, quand un chef Mongol, Temüjin, né dans une tribu nomadisant à l’est de l’Orkhon, fédère ou soumet les tribus turques et mongoles de la région, ainsi que les Kirghiz du Haut Ienisseï, avec l’ambition de rassembler « tous ceux qui vivent sous la tente ». Devenu Gengis Khan, « souverain universel » en 1206, il prend le dessus sur les Oïrats du lac Baïkal, rallie les Ouïghours de Khotcho, puis soumet la Mandchourie. Entre 1212 et 1215, il ravit une grande partie de Chine du nord aux Jin, qui sont obligés de transférer leur capitale proche de l’actuelle Pékin (totalement rasée) jusqu’à Kaifeng. En 1218, c’est l’Empire des Kara-Khitaï qui est soumis, quelques années avant l’annexion pure et simple de l’Empire Tangut[1]. Depuis sa capitale de Karakorum (« rocher noir », dans la vallée de l’Orkhon), d’où il édicte un code de lois morales et politiques (le Yassa), Gengis Khan lance des offensives éclairs en direction de l’Asie centrale, jusqu’au Proche-Orient et au sud de la Russie. En revanche, il disparait, en 1227, sans avoir pu conquérir le sud chinois. A sa mort, son immense Empire est partagé en quatre « ulus » (apanages) confiés à ses fils, voire petit-fils[2] : Djaghataï règne sur l’ancien domaine des Kara Khitaï jusqu’à la Transoxiane et à Kaboul, Tolui sur le « sanctuaire » de Mongolie orientale et la Mandchourie, tandis qu’Ogodeï reçoit la Mongolie occidentale, le domaine ouïghour et la Chine septentrionale, avec le titre de grand Khan (kaghan). Aidé par les Song du sud, il parachève la conquête du nord chinois et provoque la disparition définitive de l’Empire Jin en 1234. Battu, le peuple Djurchet se replie en Mandchourie et y reste indépendant. A la mort d’Ogodeï, en 1241, de profondes rivalités opposent les chefs mongols ; elles cessent dix ans plus tard avec l’élection comme grand Khan d’un des fils de Tolui. Dès son avènement, Möngke se lance à la conquête de la Chine méridionale, met fin au Royaume de Dali en 1253 et s’attaque au Tibet ; le plateau parvient à éviter le pire en acceptant de perdre sa souveraineté et de passer sous la protection des Mongols (cf. Tibet).

A la mort de Möngke, en 1259, de nouvelles rivalités entre Mongols surviennent. Elles opposent ses frères Kubilaï (allié au khan Djaghataïde et à l’Ilkhanat d’Iran[3]) et Arigh Bok, basé à Karakorum (et allié à la Horde d’Or des steppes russes). Sorti victorieux de cet affrontement, Kubilaï devient grand Khan et fonde la dynastie Yuan en 1271 : s’étant proclamé empereur d’une Chine devenue entièrement mongole, il fait construire une nouvelle capitale (Khanbalik, l’actuelle Pékin) et achève la conquête du sud de la Chine entre 1273 et 1279, date à laquelle se suicide le dernier empereur Song. En revanche, ses expéditions maritimes contre le Japon, le Viet Nam, le Champa et Java s’avèrent toutes infructueuses. Peu sensible aux influences des Chinois, qu’elle méprise, l’aristocratie mongole se montre plus réceptive à celles venues d’Asie centrale et du Tibet. Ainsi est-ce l’écriture ouïgoure, elle-même issue de l’écriture syriaque, qui est choisie pour transcrire la langue mongole. Ainsi encore, les nouveaux maîtres de la Chine se convertissent au lamaïsme tibétain dès des années 1260 et laissent son clergé gérer les affaires religieuses des bouddhistes et des taoïstes. Les Mongols favorisent en parallèle la création d’un archevêché nestorien à Pékin, ainsi que le développement de communautés musulmanes importantes au Turkestan, au Gansu et au Yunnan. Indifférents aux influences culturelles des Chinois, les nouveaux dirigeants s’inspirent en revanche de leurs institutions, qu’il s’agisse du prélèvement d’impôts ou de la construction d’un grand canal, aux environs de 1300, entre le bas Yangzi et la région de Pékin. Des voyageurs du monde entier arrivent en Chine : des moines franciscains dans les années 1250, le marchand vénitien Marco Polo (dans le dernier quart du XIIIe siècle, voyage au cours duquel il signale l’existence de lunettes de vue), l’explorateur nord-africain Ibn Battuta (aux environs de 1345) … Inversement, des colonies chinoises se forment jusqu’en Iran et en Russie et favorisent la diffusion au Proche-Orient et en Europe de savoirs aussi divers que l’imprimerie, la médecine et la poudre explosive.

Empereur de Chine, le grand Khan n’a en revanche plus autorité sur les autres khanats issus de l’Empire gengiskhanide[4] et son pouvoir se trouve fortement contesté. De 1275 à 1295, un petit-fils d’Ogodeï, Qaïdu, mène ainsi une révolte dans tout le Turkestan oriental, depuis son fief des Monts Tarbagataï, voisins de l’Altaï. Les rivalités se multiplient à partir de la mort de Kubilaï en 1294, au sein d’un camp mongol devenu minoritaire par rapport aux turcophones. Dans les années 1330, le khanat Djaghataïde se scinde en deux, avec d’un côté la Transoxiane musulmane dirigée par des émirs turcs et de l’autre le « Mogholistan » mongol (dans les steppes au nord des Tian Shan et les bassins du Tarim et de l’Ili) resté fidèle au bouddhisme et au chamanisme. Malgré huit expéditions lancées contre lui dans le dernier quart du XIVème siècle, le « Mogholistan » parviendra à échapper à l’influence de l’émirat musulman de Tamerlan (cf. Asie centrale). Les populations sédentaires du Tarim vont néanmoins s’islamiser de plus en plus et adopter le dialecte « djaghataï » du turc, ancêtre de l’ouzbek et du ouïghour modernes[5].

[1] L’ethnie actuelle des Qiang (nord du Sichuan) se considère comme descendant des Tanguts.

[2] Batu, fils de Djöchi (fils aîné de Gengis disparu avant son père) hérite des steppes de l’ouest (Khanat de la Horde d’Or), à l’exception de l’actuel Kazakhstan confié à son frère, et vassal, Orda (Khanat de la Horde blanche).

[3] Ce cinquième « ulus » a été fondé en 1256 par Hulagu, sur ordre de son frère Möngke.

[4] A son expansion maximale, le domaine Mongol – acquis au prix de 10 à 40 millions de morts – s’étend sur 20 % de la surface du globe.

[5] La langue ouïghoure moderne ne descend pas du vieil ouïghour. Quant aux Ouïghours actuels, ils descendent certes des anciens Ouïghours, mais avec des apports ouzbeks, iraniens orientaux et tokhariens.


Le retour des Chinois

En Chine même, le pouvoir des Mongols est contesté par la rébellion des Turbans rouges, une secte de la mouvance du Lotus blanc[1], qui éclate au milieu du XIVème dans le bas Yangzi (Hebei et Anhui). D’autres chefs rebelles s’étant déclarés dans d’autres régions, le conflit prend de l’ampleur. Il suscite aussi des vocations d’émancipation parmi certains généraux des Yuan qui se mettent à combattre davantage pour leur propre compte que pour celui de l’empereur. Celui qui sort finalement vainqueur de la mêlée, Zhu Yuanzhang, fonde en 1368 une nouvelle dynastie, les Ming, qui repousse les Yuan dans les steppes du nord. Le Tibet en profite pour s’affranchir. Implanté à Nankin, le nouveau pouvoir chinois lance une vaste politique « d’aménagement du territoire », incluant l’établissement d’un cadastre des terres, pour remettre sur pieds un pays appauvri par les guerres et par l’exploitation des Mongols. Le règne du nouvel Empereur, Hongwu, est marqué par un fort centralisme et un autoritarisme absolu, reposant sur la création de polices secrètes, contrôlées par la classe montante des eunuques.

Son deuxième successeur, Yongle, transfère la capitale à Pékin et poursuit la politique d’expansion entreprise, en direction de la Mongolie et de la Mandchourie, mais aussi vers le Viet Nam, brièvement repris entre 1406 et 1427. Il mène par ailleurs une diplomatie active auprès de ses voisins, ainsi qu’une ambitieuse politique commerciale. La qualité inégalée de la marine chinoise permet de mener de grandes expéditions, dont les plus fameuses sont celles du Grand eunuque musulman Zheng He (Cheng Ho) : entre 1405 et 1433, il s’aventure des Philippines jusqu’à la côte africaine des Somalis, en passant par les îles de la Sonde et l’Inde méridionale, y favorisant l’installation de communautés chinoises. Mais l’expérience n’est pas poursuivie car jugée trop coûteuse.

Au nord, les Ming reconstruisent la Grande Muraille (qui sera achevée en 1540) et la doublent même d’une enceinte intérieure, afin de se protéger de la pression que les Mongols continuent à exercer sur eux : les Oïrats (Mongols occidentaux) à la fin du XVe, puis les Dayanides (Mongols orientaux) au milieu du siècle suivant. Pour obtenir la paix, les Ming doivent se résoudre à signer un traité de commerce très avantageux pour les Mongols orientaux (cf. La galaxie mongole). Dans le Tarim, les Ouïghours ont profité de la disparition du khanat Djaghataï pour reprendre leur indépendance : leur khanat, fondé en 1514 autour de la ville de Yarkand, domine bientôt l’ensemble du bassin, du moins jusqu’au milieu du XVIe, date à laquelle le Tarim est livré aux rivalités entre principautés turques et djaghataïdes.

De murs en murailles

Du IIIe siècle avant l’ère commune jusqu’au milieu du XVIe, les différentes dynasties ayant dirigé la Chine ont construit quelque 21 200 km de murailles, d’inégale importance, pour se protéger des nomades des steppes. La construction de la première Grande Muraille s’achève aux environs de 221 AEC. Plus tard, les Qin relient entre elles les sections existantes, tout en agrandissant certains des murs érigés par leurs prédécesseurs. Des centaines de kilomètres de fortifications sont ensuite édifiés par les dynasties suivantes, Han, Liao et Yuan. Les derniers remparts, hauts de cinq à sept mètres, sont construits par les Ming, sur un tracé courant de la côte au nord de Pékin jusqu’au désert de Gobi.

Au début des années 1550, les Chinois doivent laisser les Portugais s’implanter à Macao, près de Canton : ils sont alors trop occupés à combattre la piraterie d’origine japonaise qui, de 1540 à 1565, ravage les riches régions côtières allant du Shandong (sur la mer Jaune) au nord, jusqu’à la région de Guangdong (Canton) et l’île de Hainan au sud. Le fléau est d’autant plus important que les pirates recrutent largement au sein d’une population chinoise en partie paupérisée : la détérioration des conditions de vie dans les campagnes pousse en effet des ruraux à chercher de nouveaux moyens de subsistance, piraterie comprise. Un prolétariat urbain se constitue dans les régions d’implantation du grand artisanat (tissage de cotonnades et de soieries, fabrique de porcelaines…), dont la prospérité est amplifiée par le développement des relations commerciale avec les Espagnols, installés aux Philippines depuis la fin des années 1560. L’essor d’une classe de riches marchands et d’hommes d’affaires, aux côtés des traditionnels fonctionnaires impériaux, a même des conséquences culturelles : la fin de la dynastie Ming voit se développer le roman de mœurs, ainsi que le conte et le théâtre en langue « vulgaire ».

Au milieu du XVIe, un calme relatif succède à la période de troubles créée par les attaques des Mongols et des pirates japonais. Le gouvernement de Zhang Juzheng remet de l’ordre dans les finances publiques mais à sa mort, en 1582, les eunuques reviennent au pouvoir et reprennent leur gouvernance faite de dépenses somptuaires et de corruption. Dix ans plus tard, des troupes japonaises envahissent la Corée : en 1595, la Chine décide d’intervenir pour défendre son tributaire coréen, mais il lui faudra trois années d’opérations coûteuses pour chasser les envahisseurs. Afin de restaurer le budget impérial, les taxes commerciales sont brutalement augmentées, au début du XVIIe siècle, ce qui provoque des émeutes d’artisans dans les villes, suivies de nombreuses autres révoltes, dans la paysannerie mais aussi au sein des armées du Nord-Ouest, confrontées à des problèmes de ravitaillement.


Les Mandchous au pouvoir

En 1643, un chef rebelle proclame une nouvelle dynastie à Xi’an et entre à Pékin l’année suivante. L’Empereur s’étant suicidé, un de ses généraux décide d’appeler à l’aide les Djurchets, auxquels les Ming ont dû céder leur souveraineté sur le sud de l’actuelle Mandchourie, au début des années 1620. Ayant rallié les tribus de Mongolie méridionale (l’actuelle Mongolie « intérieure ») puis soumis, dans les années 1630, les Mongols orientaux qui lui résistaient encore, le chef des Djurchets s’est décrété grand Khan des Mongols, après s’être emparé du sceau impérial détenu par les héritiers de Gengis Khan. Ayant fondé la dynastie Qing (« pur »), il s’est même proclamé Empereur de Chine. Appelées à l’aide, les troupes mandchoues (le nouveau nom donné à l’ensemble constitué par les Djurtchets et les Mongols) entrent donc à Pékin en 1644 mais, loin de se contenter de chasser les rebelles Xi’an, elles évincent aussi les Ming qui avaient sollicité leur intervention. Comme à chacune des invasions nomades survenues dans le passé, la dynastie chinoise détrônée se replie vers le sud : d’abord dans le bas Yangzi, puis au Fujian où elle bénéficie du soutien d’un puissant pirate ayant chassé les Hollandais de Taïwan[2], ensuite au Guangdong et enfin au Yunnan où elle est anéantie en 1661.

Au nord, une énième résurgence des Mongols occidentaux a abouti, dans les années 1630, à la formation d’un khanat Dzoungar. Dans les années 1670-1680, il annexe toute la région allant de Kachgar à Tourfan, en soumettant les Ouïghours de Yarkand et les autres peuples du « Turkestan » oriental, avant de s’attaquer aux princes qui se partagent la Mongolie (cf. Encadré). Pour échapper à cette domination, les Mongols orientaux n’ont pas d’autre choix que de demander l’aide des Qing et de leur faire allégeance. La soumission de la quasi-totalité des clans mongols permet aux Mandchous d’installer des garnisons le long de leur frontière avec la Russie, qui a atteint le bassin de l’Amour[3]. En 1689, la délimitation entre les deux Empires est négociée sur le cours du fleuve, tracé qui fait perdre à la Chine 2,5 millions de km² sur le Pacifique (traité de Nertchinsk).

C’est le seul frein dans l’expansion des Qing qui s’est poursuivie sous l’Empereur Kangxi : après avoir maîtrisé, en 1681, la rébellion des provinces méridionales (dirigées par des Chinois du nord, entrés en rébellion), ils se sont emparés de Taïwan (1683) et ont progressé vers l’ouest. Dans le premier quart du XVIIIe, la dynastie mandchoue intervient également au Tibet pour mettre fin à la tutelle qu’y exerçaient les Mongols et la remplacer par un régime de semi-autonomie (cf. Tibet). A la fin des années 1750, son armée anéantit ce qui restait du khanat Dzoungar, écrase une rébellion de Mongols orientaux et soumet les derniers roitelets turcs et ouïghours de Kachgarie. Entièrement annexés, le Tarim et la « Dzoungarie », au sud et au nord des Tian Shan, reçoivent le nom de Xinjiang (« nouveaux confins ») en 1768.

Cette suprématie politique s’accompagne d’un essor démographique et économique considérable : dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la population passe de moins de 150 millions de personnes à environ le double. Cette croissance repose sur la mise en valeur de terres supplémentaires, l’augmentation de la productivité et de nouvelles cultures, y compris celles importées d’Amérique au XVIe, comme l’arachide.

Sur le plan politique, les Mandchous se montrent plus respectueux que les Mongols d’un certain nombre d’institutions chinoises. Ils n’en imposent pas moins un certain nombre de leurs coutumes, telles que le port de la natte par les fonctionnaires. Pour préserver la pureté de leur peuple, ils proscrivent les mariages mixtes et interdisent aux Chinois l’accès à la Mandchourie, exception faite de la région méridionale de Liaodong, largement sinisée. Quant aux demandes de relations commerciales exprimées par les Européens, elles sont unanimement rejetées. Même la Compagnie des jésuites, qui avait été autorisée à travailler dans le pays, est interdite en 1724, faute d’avoir voulu laisser une place au culte des ancêtres dans la pratique du catholicisme en Chine.

[1] Le Lotus blanc désigne un ensemble de sectes syncrétiques, d’origine bouddhiste, impliquées dans quelque 80 soulèvements populaires entre le XIVe et le XXe siècle.

[2] Installés au sud de Taïwan dans les années 1620, les Hollandais en avaient chassé, en 1642, les Espagnols implantés au nord.

[3] A la fin du XVIe, les Cosaques ont soumis le Khanat tatar de Sibir et commencé à coloniser la Sibérie jusqu’au lac Baïkal, au détriment des Bouriates (1641-1652). Les Russes atteignent le Pacifique en 1643.

Des révoltes populaires aux incursions occidentales

Dans le dernier quart du XVIIIe, le développement de l’Empire atteint ses limites, l’économie ayant du mal à suivre l’accroissement de la population, et les révoltes se multiplient contre les Qing. Elles émanent des ethnies du Xinjiang, des musulmans chinois du Gansu (les Hui), des Chinois de Taïwan, des autochtones Miao expropriés de leurs terres du sud-ouest, ainsi que d’une secte de la mouvance taoïste du Lotus blanc : recrutant largement parmi les paysans pauvres, elle lance, dans les montagnes au sud de Xi’an, une insurrection qui va durer près de huit ans (1796-1804).

Les Qing sont également obligés de faire d’importantes concessions aux Britanniques, à l’issue de la guerre d’opium. En 1839, le commissaire impérial nommé à Canton décide d’en finir avec le commerce auquel se livrent une entente de marchands locaux et les Anglais, à partir des cultures de pavot que ces derniers ont développées au Bengale. Après la destruction de cargaisons d’opium par les autorités chinoises, Londres réagit : sa marine pilonne différents points de la côte et s’empare de Shangaï, dans le delta du Yangzi. Un traité est finalement signé à Nankin, en 1842 : il cède aux Britanniques l’île de Hong-Kong (Xianggang) voisine de Macao, ouvre cinq ports chinois au commerce international, diminue les droits de douane et autorise les commerçants étrangers à vivre dans des quartiers (ou concessions) échappant à la législation chinoise. Trois ans plus tard, des accords similaires sont signés avec les Etats-Unis et avec la France qui obtient, par ailleurs, la fin de l’interdiction du christianisme. Mais, dans les ports, les fonctionnaires locaux rechignent à appliquer pleinement les accords, de sorte que les Anglais déclenchent une seconde guerre de l’opium en 1856, aidés par les Français. Deux ans plus tard, les Chinois sont contraints de signer un nouveau traité à Tianjin : onze nouveaux ports sont ouverts au commerce avec les pays occidentaux, lesquels sont autorisés à ouvrir des légations à Pékin, la Chine ayant accepté d’entretenir de véritables relations diplomatiques avec les anciens « barbares ».

Le régime sort très amoindri de la mise en place de ces « traités inégaux » : ainsi, les canonnières étrangères ont obtenu le droit de remonter les cours d’eau chinois ; quant aux droits de douane dûs à Pékin, ils sont collectés par une administration ad ’hoc dirigée par des étrangers ! Quand les Qing essaient de se soustraire à ces obligations, en 1860, les Anglo-Français réagissent et saccagent le Palais d’été. La même année, la convention de Pékin entérine le traité de Tianjin, tout en attribuant aux Britanniques la péninsule de Kowloon (face à l’île de Hong-Kong) et en cédant à la Russie de vastes étendues au sud du fleuve Amour, jusqu’à la frontière avec la Corée. L’empire tsariste est déjà très présent aux frontières nord-orientales de la Chine : implanté dans l’espace kazakh au second quart du XIXe (cf. Asie centrale), il en a profité pour occuper brièvement le haut bassin de l’Ili qu’il n’a restitué aux Chinois qu’en échange d’avantages diplomatiques et commerciaux ; en 1860, il a également ouvert un consulat à Ourga, dans la Mongolie dite « extérieure », celle qui échappe largement à la domination des Qing.

C’est dans ce contexte que survient une très forte vague de soulèvements populaires, dont le plus important est celui des Taiping (Paix céleste) lancé, en 1850, par des Hakka, des migrants chinois du nord arrivés dans le sud aux environs du XIIe siècle. D’essence paysanne, le mouvement plaide en faveur de l’instauration du royaume céleste de « la grande harmonie » (taiping) qui se concrétise, notamment, par un partage plus égalitaire des terres. Il est aussi nationaliste : viscéralement « anti-Tartares » – le nom générique donné aux peuples des steppes il promeut l’avènement d’une nouvelle dynastie authentiquement chinoise. Mais les Taiping sont aussi fortement influencés par l’Occident : leur chef se proclame second fils de Dieu, égal au Christ, et le mouvement élabore un projet de réformes telles que la création de chemins de fer et de journaux de type occidental. La dynamique enclenchée est telle que les rebelles forment un Etat à part entière dans le sud de la Chine, avec Nankin pour capitale. Mais leurs dirigeants se montrent piètres administrateurs : non seulement ils n’appliquent guère la loi agraire promise, mais ils instaurent une nouvelle féodalité qui, le cas échéant, débouche sur des affrontements meurtriers entre les armées privées des différents rois (wang) se partageant le territoire.

Ces dissensions font l’affaire des Qing qui éliminent définitivement la rébellion Taping en 1864. Entretemps, ils ont dû faire face à d’autres mouvements insurrectionnels dans d’autres régions, tel celui des paysans Nian dans une demi-douzaine de provinces du nord entre 1853 et 1868. Dans les villes du littoral, ce sont les adhérents de la Triade, une société secrète anti-mandchoue, qui organisent l’agitation et restaurent même brièvement la dynastie Ming à Shangai, en 1853-1855. Dans le sud-ouest, le pouvoir est contesté entre 1855 et 1873 par les Miao au Guizhou, ainsi que par les musulmans chinois du Yunnan et du sud du Sichuan qui tentent d’établir un sultanat à Dali. D’autres adeptes de l’islam se révoltent : ceux du Shānxi et du Gansu tout au long des années 1860 et ceux du Tarim au tournant des années 1870-1880. Bien que menacée dans la quasi-totalité des dix-huit provinces du pays, l’autorité des Qing parvient à se maintenir, grâce à la désunion de leurs adversaires (seuls les Nian parvenant à une certaine coordination avec les Taiping), mais aussi à l’aide des pays occidentaux, soucieux de soutenir un pouvoir qui leur a accordé tellement d’avantages les années précédentes : l’armée impériale reçoit donc du matériel moderne, bénéficie des conseil d’officiers français et anglais, et utilise leurs bateaux pour acheminer des troupes le long du Yangzi. Les révoltes sont finalement matées au cours des années 1870, au prix de très lourdes pertes. De plus de 400 millions en 1850, la population chinoise passe à 350 au dernier quart du XIXe siècle.

Les différentes crises ont constitué des avertissements suffisamment sérieux pour que l’impératrice douairière Cixi, qui dirige le pays au nom d’empereurs mineurs, et les ultra-conservateurs acceptent de faire une place à un certain nombre de réformateurs ayant fait leurs preuves dans le commandement de milices locales : dans la plupart des régions, les armées privées des grands propriétaires se sont en effet montrées plus efficaces que l’armée mandchoue pour combattre les rebelles. Artisans de la restauration des valeurs confucéennes dans le pays, ces nouveaux dirigeants n’en sont pas moins adeptes d’une gestion économique « à la mode occidentale » (yangwu), pourvu qu’elle soit respectueuse des bases du système politique et social national, à l’image de ce qui a été mis en œuvre dans le Japon de l’ère Meiji. C’est dans ce cadre que sont fondées les premières usines textiles, les premières mines modernes et les premières sociétés chinoises de navigation à vapeur. Dans la plupart des cas, ces entreprises sont confiées à des marchands, sous la supervision administrative des mandarins. Mais ce programme vire à l’échec : trop ambitieux, compte-tenu du conservatisme ambiant et de l’ampleur du travail à réaliser, il se heurte de surcroit à la dégradation des relations avec les puissances occidentales.


La désintégration de l’Empire Qing

L’imposition, par la France, d’un protectorat sur le Viet Nam déclenche une guerre avec la Chine, celle-ci se considérant comme suzeraine de son voisin méridional. Après avoir occupé Taïwan et bombardé Fuzhou en 1884, la France obtient l’année suivante des avantages économiques dans le sud-ouest de la Chine. Neuf ans plus tard, un nouveau contentieux survient avec le Japon au sujet d’un autre pays « vassal », la Corée. Leur flotte ayant été détruite, les Chinois doivent signer, en 1895, un traité qui reconnait l’indépendance de la péninsule coréenne vis-à-vis des Qing et les contraints à verser une lourde indemnité aux Japonais : ils doivent aussi céder aux Nippons les péninsules voisines de Liaodong et du Guandong (avec Port-Arthur) au sud de la Mandchourie, ainsi que Taïwan et les îles Pescadores. Après une brève indépendance, les Taïwanais doivent accepter leur colonisation par Tokyo qui y met en œuvre une ambitieuse politique de développement économique, basée sur la promotion de l’enseignement, une réforme agraire, l’industrialisation et la construction d’infrastructures ferroviaires. L’issue du conflit sino-nippon incite les autres puissances à exiger des baux sur des territoires chinois, au besoin par la force. A l’extrême-fin du XIXe, les Allemands obtiennent des terrains sur la baie de Jiaozhou (sur la Mer jaune) et des avantages dans le Shandong voisin. Celui-ci fait face au Guandong que la Russie a finalement récupéré, comme le Liaodong, après avoir d’abord contraint les Japonais à les restituer à la Chine. Les Russes obtiennent aussi des concessions ferroviaires en Mandchourie[1], les Britanniques les « Nouveaux territoires » (face à Hong-Kong) pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans et les Français le Kouang-Tchéou-Wan, face à l’île d’Hainan[2]. Plus généralement, un certain nombre de pays se créent de véritables zones d’influence exclusive, la Grande-Bretagne dans le bassin du Yangzi, la France dans le sud-ouest et le Japon dans le Fujian, en face de Taïwan.

La mainmise croissante des étrangers sur le pays canalise le mécontentement qui monte dans la plaine du fleuve Jaune, à la fin des années 1890. Dans le nord du Shandong, la société secrète Yihequan « les poings de la justice et de la concorde » – commence à s’en prendre aux missionnaires et aux Chinois convertis au christianisme, religion qui est considérée comme contraire aux valeurs locales. Finalement soutenus par le pouvoir, les « Boxers » deviennent si puissants qu’ils entrent en 1900 à Pékin, où ils assiègent le quartier des légations étrangères. Un corps expéditionnaire international est alors formé à Tianjin et prend la direction de la capitale, qu’il met à sac. Cixi et sa cour s’enfuient à Xi’an. En 1901, le pouvoir mandchou doit une nouvelle fois s’incliner devant les étrangers : il promet de punir les responsables de l’insurrection et de verser une indemnité si lourde qu’elle achève de grever le budget chinois ; afin de sécuriser le paiement de cette dette, les revenus des douanes maritimes sont versés prioritairement sur les comptes de banques occidentales.

Le gouvernement impérial essaie alors d’engager des réformes, institutionnelles (élection d’assemblées provinciales consultatives), militaires, éducatives (suppression des examens confucéens au profit d’enseignement plus occidentalisés) et économiques (encadrement des activités par des chambres de commerce) mais il est trop tard. D’autant plus tard que des organisations d’essence démocratique se sont développées, comme la confédération Tongmenghui (Ligue unie) fondée en 1905 à Tokyo par plusieurs leaders républicains tels que Sun Yat-sen, un jeune médecin originaire du Guangdong, exilé au Japon. Ce pays bénéficie alors d’une aura certaine sur le continent asiatique, à la suite de sa victoire sur la Russie qui s’était octroyée un quasi-protectorat sur toute la Mandchourie. Déclenchée en 1904 par une attaque japonaise sur Port-Arthur, la guerre s’achève l’année suivante par le traité de Portsmouth qui rétablit l’autorité des Qing sur le sud de la Mandchourie et consacre la victoire du Japon : Tokyo reprend les péninsules de Liaodong-Guandong et hérite du contrôle du chemin de fer sud-mandchourien. Fort de cet exemple d’une victoire asiatique sur une armée européenne, le mouvement de Sun Yat-sen met en avant ses trois revendications : l’indépendance de la Chine, y compris vis-à-vis des Mandchous, ainsi que la souveraineté et le bien-être du peuple, via notamment une réforme agraire.

D’abord très populaires au sein de la seule diaspora chinoise, les idées de la Ligue unie pénètrent progressivement la Chine même : s’appuyant sur les sociétés secrètes, hostiles aux Qing, l’organisation lance des soulèvements locaux qui, toutefois, se terminent par autant d’échecs. Les choses basculent en 1911, trois ans après la disparition de Cixi et de l’empereur en titre, le trône étant passé à un enfant de trois ans, Puyi. A l’été, les autorités sont confrontées à de telles difficultés financières qu’elles essaient de confisquer, au profit d’intérêts amis, la construction de chemins de fer dans le centre du pays. La tentative provoque le basculement des modérés et de la bourgeoisie commerciale dans le camp des républicains. Lorsque ces derniers lancent un nouveau soulèvement à Wuchang (centre) en octobre, la quasi-totalité des assemblées provinciales retirent leur soutien au pouvoir impérial et rallient la révolution Xinhai (désignée ainsi du fait du système de datation du cycle sexagésimal chinois). Un gouvernement républicain est établi à Nankin, mais Sun Yat-sen n’en conserve pas longtemps la direction : dès février 1912, il doit céder sa place au général Yuan Shikai qui a convaincu les Qing d’abdiquer et a rallié les notables locaux et les réformateurs monarchistes, désireux de retrouver au plus vite une période de stabilité[3]. Une Constitution est bien adoptée et des élections organisées mais, dès sa victoire, le Kuomintang (KMT, nouveau nom du Tongmenghui[4]) est dissous, son leader parlementaire assassiné et ses autres dirigeants contraints à l’exil, après avoir mené une brève résistance dans le sud.

La révolution chinoise a également des conséquences sur les marges de l’Empire. Les Tibétains profitent des troubles pour s’émanciper de la tutelle croissante qu’exerçaient les Qing et pour retrouver une large indépendance. En Mongolie, les seigneurs féodaux du sud affirment leur fidélité au nouveau régime, mais ce n’est pas le cas des khans du nord qui proclament leur indépendance, sous la souveraineté du chef du lamaïsme tibétain en Mongolie. Les républicains chinois doivent accepter l’autonomie de la Mongolie « extérieure » qui, en pratique, devient un protectorat russe, de même que la partie nord-ouest de son territoire, le Tannu Uriankhai, peuplé de Touvains, des nomades turcophones. Au Xinjiang, plusieurs clans se disputent le pouvoir.

[1] En 1860 (traité de Pékin), la Chine abandonne à la Russie la région située à l’est de l’Oussouri et perd ainsi toute façade maritime sur la mer de l’Est (mer du Japon).

[2] Territoire que la France rétrocèdera à la Chine en 1945.

[3] Sur les 282 empereurs ayant régné en deux millénaires, 76 ont été évincés par leur entourage et 32 à l’occasion d’une guerre civile.

[4] Ou Guomindang, Parti national du peuple.

Le lent avènement de la République

Le nouveau pouvoir reçoit le soutien des pays étrangers qui lui octroient d’importants « prêts à la réorganisation », contre l’extension de leurs avantages, en particulier pour développer l’économie de leurs « zones d’influence » : chemins de fer, exploitation minière, industrie légère… Lourdement endettée, la Chine abandonne une large partie de ses recettes douanières et fiscales à ses débiteurs, tout en étant dépendante de l’industrie lourde étrangère.

Cette transformation a de profondes conséquences sur l’économie et la société chinoises. Les régions les plus dynamiques ne sont plus celles du sud, mais celles du nord et de l’est où se concentrent les grands ports et les grandes activités industrielles. La structure sociale confucéenne est également bouleversée par l’apparition d’une bourgeoisie capitaliste, souvent liée aux grandes familles rurales et commerçantes, et d’une nouvelle élite intellectuelle, formée d’enseignants, d’étudiants, de cadres… Tous réclament leur place au pouvoir. Dans le même temps, l’industrialisation accroît le nombre de pauvres : aux paysans, victimes des augmentations (des prix des terres et des fermages), s’ajoutent le prolétariat des villes développées (Shanghai, Wuhan, Canton ou Tianjin), ainsi que les artisans ruinés par l’essor de la production de masse. Ces transformations, accompagnées d’un sentiment de dépendance croissante aux intérêts étrangers, nourrissent le ressentiment populaire. Quand Yuan Shikai essaie de se faire investir comme empereur en 1915, il doit y renoncer, confronté à la sécession d’une demi-douzaine de provinces méridionales. Après son décès l’année suivante, ses successeurs continuent sa politique, en particulier en faveur du Japon, devenue la puissance majeure de la région pendant que les autres puissances se font la guerre en Europe.

Quand Pékin déclare la guerre au Reich en 1917, les Nippons en profitent pour récupérer les positions allemandes dans le pays, ainsi que le contrôle du sud de la Mandchourie, du Fujian… Le pouvoir chinois est quant à-lui de plus en plus affaibli : l’armée de Beiyang (nom de l’ancienne « nouvelle armée » créée par les Qing) a éclaté en cliques rivales qui dirigent un certain nombre de provinces et se livrent des guerres meurtrières pour le contrôle de Pékin, avec le soutien de différentes puissances internationales[1]. Refusant la domination des factions du nord, celles du sud font corps, en 1917, autour de Sun Yat-sen qui fait son retour à Canton et prend la tête d’un gouvernement régional hostile à celui de Pékin.

Mais le véritable changement n’aura lieu qu’à la fin à la première Guerre mondiale. L’arrivée des communistes au pouvoir en Russie, en octobre 1917, pousse les autres puissances à mener, dès l’année suivante, une offensive sur la Sibérie orientale, via le nord de la Mandchourie, où le chemin de fer est placé sous administration interalliée. La conférence qui se tient à Washington, en 1921-1922, attribue finalement le chemin de fer mandchourien à une commission mixte composée de Chinois et de Russes blancs, anciens partisans du tsar. Le Japon est également contraint de restituer à la Chine le nord de la Mandchourie et les anciennes possessions allemandes du Shandong, ce qui va nourrir le ressentiment de Tokyo vis-à-vis de la plupart des Occidentaux. Les Nippons conservent pourtant leur zone d’influence dans le sud mandchou, ce qui irrite d’autant plus les nationalistes chinois que les Alliés ont refusé d’accéder aux doléances de Pékin sur le retrait des troupes étrangères et la fin de l’extraterritorialité accordée aux étrangers.

Le 4 mai 1919 a débuté un vaste mouvement de manifestations étudiantes, soutenues par des grèves ouvrières et accompagnées du boycottage de produits nippons. Pour la première fois, les classes nées de la modernisation du pays se retrouvent unies autour d’un discours non seulement nationaliste, mais aussi à fort contenu culturel : adeptes du progrès et des nouvelles théoriques politiques (marxisme, anarchisme…), que relaient notamment la presse et les universités, les protestataires défendent l’émancipation des femmes et prônent le remplacement du chinois classique (wen yan) par la langue populaire (bai hua). Cette promotion d’idées neuves par les jeunes générations constitue un bouleversement dans un pays familiarisé avec le culte du passé et la vénération des anciens.

[1] La domination sur Pékin sera assurée de 1916 à 1920 par la clique pro-soviétique de l’Anhui, de 1920 à 1924 par la clique pro-britannique du Zhili et de 1924 à 1928 par la clique pro-japonaise du Fengtian (basée en Mandchourie et soutenue par le Guominjun, dissident pro-soviétique de la faction de Zhili).


De la dictature militariste à la guerre civile

Les Occidentaux continuant de soutenir la quinzaine de « seigneurs de la guerre » qui régentent le pays, les républicains chinois vont se tourner vers les nouveaux dirigeants russes. En 1922, Sun Yat-sen a de nouveau été chassé du sud par ses « alliés » militaristes qui ne partagent guère sa volonté de reconquérir la Chine et d’y rétablir la démocratie. Au nord, les troupes du parti Zhili pro-britannique brisent l’année suivante une grève déclenchée par des cheminots de la région de Pékin. Sun Yat-sen se tourne donc vers le Komintern, l’internationale que la Russie soviétique a créée pour promouvoir le communisme dans le monde, en particulier dans les pays colonisés, fût-ce en s’alliant avec les « nationalistes bourgeois ». C’est dans ce cadre que le Kuomintang s’associe début 1924 au Parti communiste chinois (PCC) fondé, trois ans plus tôt à Shanghai, par d’anciens leaders du mouvement du 4 mai. Un gouvernement nationaliste est formé à Canton et peut s’appuyer sur l’Académie militaire que les Soviétiques ont remise sur pied, afin que les républicains puissent s’affranchir de la pesante tutelle des « seigneurs de la guerre » du sud. Très restreint géographiquement, ce pouvoir survit un temps à la disparition de Sun Yat-sen, en 1925, et inspire d’autres mouvements : en mai de la même année, la répression d’une manifestation ouvrière par la police anglaise de Shanghai entraîne des actions de soutien dans tout le pays ; le mois suivant, Hong-Kong est soumis à un blocus populaire qui va durer seize mois.

En Mongolie « extérieure », le khanat mongol restauré après l’expulsion de l’occupant japonais se transforme, en novembre 1924, en République populaire de Mongolie, satellite de l’URSS. Sa capitale, Ourga, est rebaptisée Oulan-Bator, « la ville du héros rouge », en hommage au leader indépendantiste Sükhbaatar. Egalement tombé dans l’orbite bolchévique, le Tannu Uriankhai a proclamé la république en 1921. Renommée République populaire de Tannou-Touva cinq ans plus tard, elle essaie de maintenir ses distances vis-à-vis du parrain soviétique, en maintenant les traditions nomades et chamanistes et en faisant du lamaïsme la religion d’État. Mais cette évolution n’est pas du goût de Staline qui, après avoir purgé la direction communiste locale, nomme des commissaires extraordinaires chargés de mettre en œuvre la collectivisation et la laïcisation de la société. Touva est finalement purement et simplement annexée à l’URSS en 1944[1]. Fondée en 1920 à l’est du lac Baïkal, pour contenir l’avancée de l’Armée blanche et de ses alliés japonais, la République d’Extrême-Orient (basée à Tchita) a connu le même sort dès 1922, une fois les troupes anti-bolchéviques éliminées.

En juillet 1926 le beau-frère de Sun Yat-sen, le général Tchiang Kai-chek – auquel les Soviétiques avaient confié les rênes de l’Académie de Canton – lance une expédition de reconquête du nord. Aidée par des organisations paysannes et ouvrières proches du PCC, son Armée nationale révolutionnaire (ANR) s’empare de toute la vallée du Yangzi et installe un gouvernement provisoire à Wuhan. Mais la crise couve au sein du Kuomintang dont l’aile droite, celle des propriétaires terriens, s’inquiète de la montée des revendications communistes. Le divorce est consommé au printemps 1927 à Shanghai : loin d’attaquer les forces que les Occidentaux ont massées sur place, les troupes de l’ANR s’en prennent aux milices ouvrières qui les ont aidées à pénétrer dans la ville ; aidés par la pègre locale, les soldats de Tchiang Kai-chek liquident tous les syndicalistes et partisans du PCC. Le gouvernement de gauche établi à Wuhan s’effondre à l’été et le chef des nationalistes installe le sien à Nankin.

Considérablement renforcée par le ralliement de plusieurs seigneurs de la guerre, tels que les chefs du Guominjun et de la faction du Shanxi, l’ANR entre victorieuse à Pékin, en décembre 1928, au terme de son expédition du nord contre les cliques du Zhili et du Fengtian ; en échange de sa reddition, cette dernière obtient de conserver son autonomie dans son bastion de Mandchourie, au même titre que la clique du Shanxi[2]. Devant l’ampleur de ces succès, les Occidentaux accordent leur aide au nouveau régime qu’ils jugent plutôt moderniste, bien qu’il demeure très conservateur sur le plan des valeurs, afin de conserver le soutien des grands propriétaires et des chefs militaires qui gouvernent dans la plupart des provinces.

De leur côté, des communistes ayant échappé à la répression de 1927 ont abandonné l’idée de s’appuyer sur le prolétariat des villes pour conquérir le pouvoir. Ils ont essayé de reconstituer des bases arrière dans les zones rurales, à l’image d’un jeune instituteur, Mao Zedong, et d’un ancien seigneur de la guerre, Zhu De, dans les campagnes du Jiangxi (sur le moyen Yangzi). Ils y appliquent une vaste réforme agraire et fondent leur propre force militaire : l’Armée rouge, subordonnée au parti. En 1931, les délégués des différentes bases, qui contrôlent environ dix millions de personnes dans les provinces du sud, proclament l’avènement de la « République des Soviets chinois ». Mais leur légitimité est remise en cause par la majorité du Comité central communiste qui, avec l’appui de Moscou, continue à privilégier l’action auprès des classes ouvrières et écarte Mao. Ces dissensions sont fatales aux soviets chinois qui sont éliminés un à un par les nationalistes entre 1932 et 1934. C’est alors que commence la « Longue marche »[3] : d’abord dans la province montagneuse du Guizhou, où Mao s’impose avec Zhou Enlai comme second, puis vers le nord, après avoir été chassés du Yunnan par le seigneur de la guerre local. A la fin de l’année 1935, les communistes s’installent dans le Shaanxi, avec Mao comme Président du PCC.

Dans le Xinjiang, les suites de la révolution de 1911 ont été à ce point chaotiques que plusieurs pouvoirs s’affrontent au début des années 1930 : celui de Nankin bien-sûr, mais aussi des indépendantistes ouïghours (qui créent une République islamique du Turkestan oriental), un chef de guerre Hui qui entend reconstituer l’Empire de Tamerlan et un ancien dirigeant nationaliste. Bien qu’il soit soutenu par des Russes blancs réfugiés dans la région, c’est ce dernier que les Soviétiques choisissent d’appuyer : ils redoutent en effet que tout le Turkestan ne prenne une coloration islamique[4], ce qui menacerait leurs intérêts locaux.

[1] Aujourd’hui membre de la Fédération de Russie, la République de Touva (un peu plus de 300 000 habitants sur 168 000 km²) est encore peuplée à 75 % de Touvains (ou Touviniens).

[2] Le Guominjun et la clique du Shanxi se rebellent en 1930 contre Tchang, mais sont vaincus (guerre des plaines centrales) ; le Shanxi parvient toutefois à conserver son autonomie (jusqu’en 1949).

[3] Sur 100 000 Chinois ayant participé à la « Longue marche », seuls 8 000 la finiront vivants.

[4] Un émirat de Khotan, puis une République islamique turque du Turkestan oriental (RITTO ou république du Ouïghourstan) autour de Kachgar, connaîtront une indépendance d’un an en 1933-1934, avant de disparaitre sous les coups du Kuomintang, de milices hui et de « volontaires » soviétiques.

La résistance à l’occupation japonaise

La guerre civile va marquer un temps d’arrêt, du fait de la reprise de l’expansion japonaise. En septembre 1931, Tokyo occupe la Mandchourie : pour s’emparer des richesses minérales et agricoles de la province, le Japon prend prétexte de « l’incident de Moukden », un attentat commis contre le chemin de fer sud-mandchourien, mais en réalité perpétré par ses propres services. Le seigneur de la guerre local, issu de la clique du Fengtian, résiste mais ne reçoit aucun soutien du gouvernement de Nankin. Cinq mois plus tard, Tokyo y proclame l’indépendance, purement factice, du Mandchoukouo. En 1933, les Nippons y adjoignent la province chinoise de Johol – au nord de Pékin – qu’ils viennent de conquérir, puis confient le nouvel « Empire mandchou » à Puyi, le dernier souverain des Qing. La même année, ils créent un autre Etat fantoche dans l’est de la Mongolie chinoise, le Mengjiang, pour un prince qui s’est rallié à eux, puis récupèrent le chemin de fer de l’est chinois, en échange d’une indemnité versée à la Russie. A la fin de l’année 1935, les Nippons créent, dans la région d’Harbin, l’Unité 731, un laboratoire de développement d’armes bactériologiques et chimiques[1]. Les expérimentations, plus épouvantables les unes que les autres, sont menées sur des cobayes humains. 10 000 d’entre eux vont périr dans les locaux de l’Unité et plus de 500 000 Chinois vont être mortellement victimes du largage intentionnel, par l’aviation japonaise, d’agents infectieux. En pleine famine à Nankin, les soldats nippons distribueront aux enfants des bonbons et gâteaux contaminés par le bacille de la typhoïde.

Des pressions multiples, y compris de la bourgeoisie chinoise, s’exercent alors sur Tchiang pour qu’il cesse de combattre ses anciens alliés communistes et concentre toutes ses forces contre l’occupant, dont la progression s’exerce en Mongolie intérieure et aux abords de Pékin. Même le Komintern pousse à la reconstitution de fronts unis contre les Japonais, mais Mao y rechigne, comme Tchiang Kai-chek : la crise économique de 1929 ayant diminué l’intérêt des libéraux occidentaux pour la Chine, le chef nationaliste s’est en effet rapproché du modèle fasciste, fondant l’organisation des Chemises bleues et obtenant l’aide de conseillers militaires allemands. La réconciliation s’opère finalement en décembre 1936 à Xi’an, où Zhou Enlai obtient la libération de Tchiang Kai-chek, détenu par des militaires de Mandchourie qui lui reprochaient de ne pas avoir résisté en 1931. Lorsque le Japon se lance à l’attaque de l’ensemble de la Chine en 1937, il trouve face à lui des ennemis réunis : en échange de la conservation de ses forces dans le nord-ouest et de la promesse de réformes démocratiques, le PCC a mis de côté la question des luttes sociales et a promis de s’engager au sein de l’armée nationale. Les Nippons n’en accumulent pas moins les succès : en deux ans, ils s’emparent de Pékin, de Shanghai, de Nankin (dont le « sac » fait 100 000 morts en décembre 1937) et de la région de Canton.

Plusieurs Chine se font désormais face. Directement ou via un gouvernement « de collaboration » établi à Nankin, le Japon contrôle les plaines du nord et toutes les zones utiles, industrielles ou portuaires, avec l’objectif d’asphyxier économiquement le pouvoir nationaliste. Celui-ci est basé à Chongquing (au sud-ouest), mais ses troupes demeurent retranchées dans les zones montagneuses du Sichuan et se préoccupent davantage de combattre leurs supposés alliés communistes que les Japonais, jugés moins dangereux : le front uni vole en éclats quand les forces du Kuomintang massacrent l’état-major de l’armée communiste de l’Anhui, à l’ouest de Nankin, en janvier 1941. Il est vrai qu’en quelques années, les bases des partisans de Mao se sont considérablement étendues derrière les lignes japonaises, au point de rassembler près de cent millions d’habitants. Dans ces secteurs, les communistes mettent en place des administrations qui allient les ouvriers et les paysans, mais aussi la moyenne bourgeoisie et même les classes supérieures, pourvu qu’elles se montrent « éclairées ». Mao y élabore la doctrine chinoise du marxisme-léninisme (la pensée Mao Zedong ou futur maoïsme), incluant les méthodes permettant de maintenir l’unité du parti (autocritique, pressions…). Cette campagne idéologique de « rectification » – qui fait environ 10 000 morts entre 1942 et 1944 – met en avant les spécificités chinoises – même si le marxisme reste salué comme théorie universelle – et la primauté de la guérilla rurale sur la révolution urbaine prônée par les pro-soviétiques.

[1] Récupéré par les Etats-Unis en 1945, le chef de l’Unité 731 contribuera au programme américain sur les armes biologiques.


L’avènement de la République populaire et la sécession de Taïwan

L’entrée en guerre des Soviétiques contre le Japon, en août 1945, précipite la fin de l’occupation nippone en Chine continentale et insulaire[1]. Le pouvoir des nationalistes est reconnu sur l’intégralité du territoire chinois, Taïwan comprise. Moscou a toutefois posé ses conditions pour intervenir dans le conflit, en particulier que l’indépendance de son satellite mongol soit reconnue. Tchang Kaï-chek doit s’y résoudre et signer un traité d’amitié soviéto-chinois en août 1945 : le régime de Nankin obtient que la Mongolie intérieure demeure sous sa coupe, mais doit abandonner ses revendications sur la Mongolie-extérieure qui accède à la souveraineté (cf. Mongolie). Appuyée par ses supplétifs mongols, l’URSS chasse les Japonais de Mandchourie et y récupère ses privilèges économiques passés. En parallèle, Moscou reconnait le caractère chinois du Xinjiang, tout en y soutenant un Etat autonome satellite : formée un an plus tôt par des Ouïghours, des Kazakhs et des Dzoungars révoltés contre le pouvoir central, la seconde République du Turkestan oriental est établie dans trois districts de Dzoungarie. En effet, Staline ne se contente pas de relations avec le seul Tchiang : il joue aussi la carte des communistes chinois, qu’il laisse s’implanter dans les campagnes mandchoues.

Le soutien des Américains au régime nationaliste – qui devient, en octobre 1945, membre permanent de l’ONU – et les tentatives américaines de réconcilier les deux « frères ennemis » chinois n’y changent rien : les nationalistes rouvrent la guerre civile fin 1946, après le refus des communistes de rendre leurs armes tant qu’ils n’obtiendraient pas de solides garanties sur les pouvoirs d’un gouvernement de coalition. Après des succès initiaux, les forces de Tchiang s’avèrent incapables d’enrayer la progression de l’Armée populaire de libération (APL) dirigée par Lin Biao. C’est que les rapports de force ont changé : étant retourné aux bases de la société chinoise, le PCC y a gagné une aura que le Kuomintang, militariste, corrompu et trop passif face aux Japonais, a perdue. Le régime nationaliste pâtit aussi d’une image de brutalité, dont il donne un nouvel aperçu dans sa gouvernance de Taïwan. Largement spoliés par des Chinois venus du continent, au motif qu’ils auraient collaboré avec l’occupant nippon, les Taïwanais s’insurgent contre cette situation, avec le soutien des communistes : en février 1947, une banale dispute entre une vendeuse à la sauvette et des policiers déclenche de violentes émeutes contre tout ce qui vient de Nankin ; connue sous le nom de « terreur blanche », la répression du régime nationaliste fait entre 20 000 et 30 000 morts.

De leur côté, les idées communistes ont progressé dans les campagnes libérées, où une large réforme agraire est mise en œuvre dès 1947, mais aussi dans les villes : supportant mal la concurrence des produits américains, importés sans protection douanière, les capitalistes nationaux rejoignent les rangs des milieux ouvriers et intellectuels. Encerclées, les grandes villes (Moukden, Pékin, Nankin, Shanghai) tombent les unes après les autres aux mains des communistes, dont les effectifs grossissent au fur et à mesure des ralliements de régiments nationalistes. En mai 1947, les « maoïstes » instaurent un gouvernement autonome de Mongolie-Intérieure, avec les révolutionnaires locaux. Fin 1948, les troupes de l’APL, coordonnées par Deng Xiaoping, mettent en échec les blindés nationalistes au nord de Nankin et franchissent le Yangzi, à la conquête du sud. Le 1er octobre 1949, la République populaire de Chine est proclamée à Pékin par une Conférence populaire ouverte aux huit partis membres du Front uni, aux syndicats et autres mouvements de jeunesse. Deux mois plus tard, Tchiang Kai-chek et ce qui reste de son régime s’enfuient à Taïwan, accompagné de deux millions de personnes, tandis que l’APL a envahi le Turkestan oriental après le décès brutal de ses dirigeants[2].

De 1946 à 1950, la guerre civile a fait plus de six millions de morts. Le régime de Pékin adopte un nouveau drapeau : cinq étoiles sur fond rouge, la plus grande représentant le PCC et les quatre petites symbolisant les classes sociales constitutives de la démocratie populaire : travailleurs prolétaires, paysans, petite bourgeoisie et capitalistes patriotes.

[1] Reconquis en aout 1945 par l’Union soviétique, la péninsule du Guandong est placée sous administration commune soviétique et chinoise jusqu’à son retour à la Chine en 1955.

[2] Les dirigeants de la RTO meurent en août 1949 dans un accident d’avion, sans doute commandité par Staline, alors qu’ils partaient rencontrer des responsables du PCC.

Les multiples vies de Taïwan

Nées dans l’île à partir de 4 000 AEC, les cultures indonésiennes s’y développent sans ingérence extérieure jusqu’au début du XVIIe  siècle, y compris vis-à-vis de la Chine continentale située à environ 180 km.

Ce sont les Européens qui mettent fin à cet isolement. En 1542, des marins portugais aperçoivent pour la première fois l’île, à laquelle ils donnent le nom de Formosa (« la belle île »). Moins d’un siècle plus tard, le gouverneur général des Philippines, alors espagnoles, envoit une expédition qui s’installe au nord-est de Taïwan et y implante des missions chrétiennes. Mais la véritable colonisation est entreprise par les Hollandais qui, pour cultiver les terres locales, encouragent la migration de Chinois du continent. Les migrants étant essentiellement masculins, ils épousent des femmes autochtones, ce qui entraîne un métissage de la population.

L’île devient possession chinoise à partir de 1662, quand un pirate du sud de la Chine, connu des Européens sous le nom de Koxinga, en chasse les Hollandais. Il y fonde, au sud-ouest, le royaume de Tungning, qui sert de repli à la dynastie des Ming lorsqu’elle est chassée du pouvoir par les Mandchous. Ceux-ci finissent par s’emparer de Taïwan en 1863. La population y est alors formée d’environ 100 000 autochtones et autant de continentaux. L’île reste sous le contrôle des Qing jusqu’en 1895 date à laquelle, après une brève indépendance, elle devient colonie japonaise.

Elle ne revient dans le giron chinois qu’en 1945, une fois le Japon défait. Quatre ans plus tard, après la victoire des communistes en Chine, elle devient le refuge des nationalistes du Kuomintang, comme elle avait été celui des Ming.

Pékin et Nankin, capitales du nord et du sud

Située à une latitude de 40° nord, dans une plaine sablonneuse, Pékin est entourée à l’ouest, au nord et à l’est par les premiers contreforts des montagnes du Chan-si et du plateau mongol. Capitale de la République populaire depuis 1949, elle a occupé de tout temps un rôle politique important. A la place de la cité actuelle, se trouvait la ville de Ki (ou Ji), capitale du royaume de Yen (peut-être fondé au XIème siècle AEC). Conquise en -226 par les Qin, elle subsiste et retrouve même, au début du IIIème siècle EC, le statut de capitale d’un nouveau royaume de Yen, vassal des Han. Elle devient ensuite, sous le nom de Yeou tcheou, la résidence d’un gouverneur militaire de la dynastie Tang. Devenue l’une des capitales de la dynastie des Khitan Liao, elle prend alors le nom de Nanking ou Yanjing (« capitale du sud », appellation qui sera donnée un peu plus tard à Nankin). En 1125, la ville est acquise par les Djurtchets qui l’agrandissent vers le sud-ouest pour en faire la capitale centrale de leur dynastie Jin : Zhongdu (« capitale du centre »). Ravagée par les armées de Gengis Khan en 1215, la cité perd son statut, le cœur de l’Empire Mongol étant alors basé à Karakorum. Elle retrouve un rang de capitale en 1272, lorsque Khubilai Khan la fait agrandir vers le nord-est et lui donne le nom de Dadu (« grande ville ») ou Khanbalik (« ville du khan », la Cambaluc que décrit Marco Polo lors de ses voyages).

Elle perd ce rang près d’un siècle plus tard, quand le fondateur de la dynastie Ming choisit d’établir le siège de son royaume un millier de kilomètres plus au sud, aux abords immédiats du delta du Yangzi, dans une ville qui prend à son tour le nom de Nanking. Fondée vers – 495, l’actuelle Nankin a déjà été capitale par le passé, sous le nom de Jiankang : d’abord sous le royaume de Wu au IIIème siècle EC, puis à chaque fois que la Chine méridionale a été séparée du nord. Lors de la réunification de l’Empire chinois opérée par les Sui, la ville est détruite, mais elle est reconstruite sous les Tang. Elle redevient même capitale, sous l’éphémère dynastie des Tang du Sud (937-975) lors de la période des Cinq dynasties et des Dix royaumes. Restée une cité économique de premier plan les siècles suivants, notamment du fait de son industrie textile, Nankin retrouve un statut politique majeur à l’avènement des Ming : à l’époque, elle est même la plus grande ville du monde, lustre dont témoigne toujours son enceinte qui constitue la plus grande muraille urbaine encore en état sur la planète.

En parallèle, le premier souverain Ming rebaptise Khanbalik en Beiping (« paix du Nord »), tout en diminuant son étendue. L’ancienne capitale mongole est restaurée par le troisième empereur Ming qui y fait construire la Cité interdite et le Temple du ciel : en 1421, Yongle en fait sa capitale principale sous le nom de Jingshi ou Peiking (« capitale du nord »), nom que les premiers missionnaires chrétiens transformeront en Pékin. A partir de cette date, la ville ne perdra plus ce statut, à l’exception du bref intérim de nouveau exercé par Nankin, entre 1928 et 1949. Dans la transcription du mandarin en caractères romains (pin yin), Pékin est devenu Beijing.