527 968 km2
République
Capitale : Sanaa
Monnaie : riyal yéménite
30 millions de Yéménites
Situé au sud-ouest de la péninsule arabique, le Yémen (droite en arabe) possède 1 900 km de côtes, le long du golfe d’Aden et de la mer d’Oman au sud et de la mer Rouge à l’ouest (dont il commande l’entrée, le détroit de Bab el Mandeb, à quelques kilomètres des côtes africaines de Djibouti et de l’Érythrée[1]). Il compte plus de 1 450 km de frontières avec l’Arabie saoudite au nord et un peu moins de 290 km avec Oman au sud-est.
Son relief est caractérisé, à l’ouest, par les plus hautes montagnes de la péninsule (plus de 3 600 mètres pour le Jabal an Nabi Shu’ayb, au sud des monts Sarawat). Le climat est largement désertique, en particulier dans la région la plus orientale, l’Hadramaout. Il est très chaud et humide le long de la côte ouest et même tempéré dans les montagnes occidentales qui peuvent être affectées par les moussons.
[1] La « porte des pleurs » en arabe commande l’accès au canal de Suez et voit passer un tiers du transport mondial d’hydrocarbures.
L’essentiel de la population est arabe, mais compte des minorités afro-arabes, ainsi que des immigrés. L’arabe est langue officielle, tandis que subsistent quelques langues sud-arabiques en voie de disparition : le mehri et le hobyot à la frontière avec Oman et le soqotri sur l’île méridionale de Socotra (3 800 km²).
La quasi-totalité de la population est musulmane, sunnite à environ 55 % et zaydite à 45 %. La proportion est inversée dans le nord. Bien que classé dans la mouvance chiite, le zaydisme est considéré comme plus proche, doctrinalement, de certaines écoles sunnites que du chiisme iranien (cf. L’islam et ses chapelles).
SOMMAIRE
- La naissance de deux États
- Une unification dans la douleur
- La montée en puissance du tribalisme islamiste
- Le retour des rebelles zaydites
- La chute du Président Saleh
- Le retour de la guerre civile
- Famine et tensions dans les deux camps
- Le retour en force du séparatisme sudiste
- Une accalmie précaire
La naissance de deux États
Vaincue par les Ottomans, à la fin du XIXe siècle, la rébellion zaydite reprend en 1904 dans le nord du pays. Quatorze ans plus tard, elle profite de la défaite des Ottomans lors de la première Guerre mondiale, pour rétablir l’ancien imamat zaydite, sous le nom de Royaume mutawakkilite, avec Taez pour capitale. Si elle parvient à mater les révoltes tribales, la monarchie ne réussit pas étendre son territoire : au nord, après plusieurs conflits avec l’Arabie saoudite, elle doit lui céder en 1934 la province d’Asir qui demeure un sujet de contentieux entre les deux pays, malgré la signature d’un accord en 2000[1] ; au sud, les Britanniques s’opposent à toute intégration de leurs protectorats au sein d’un Yémen unifié par les nordistes.
Le souverain zaydite ayant été assassiné, son fils lui succède en 1948. Pour tenter de mener à bien ses projets d’unification, il se rapproche du bloc soviétique, ainsi que des régimes de gauche de la région, Égypte et Syrie, avec lesquels il fonde une éphémère République arabe unie en 1958. Mais ces tentatives ne donnent rien, pas plus que celle des Britanniques de réunir leurs deux protectorats méridionaux au sein d’une Fédération unique (comme ils le feront avec les Émirats arabes unis et en Malaisie). Certains chefs locaux s’opposant à un tel regroupement, Londres forme deux embryons d’État au début des années 1960 : une Fédération d’Arabie du Sud autour d’Aden et un Protectorat d’Arabie du Sud dans l’Hadramaout, davantage tourné vers l’Arabie saoudite.
Au nord, la royauté vit ses derniers instants. Après être venu à bout d’une tentative de coup d’État commise par deux de ses frères, en 1955, le souverain mutawwakilite est grièvement blessé dans un attentat, en 1962. A peine arrivé au pouvoir, son fils est évincé du trône par un coup d’État militaire qui proclame la République. S’ensuit une guerre civile entre les républicains, majoritairement citadins et sunnites, qui reçoivent l’aide de l’Égypte nassérienne, et les royalistes qui, eux, sont soutenus par les tribus zaydites et par l’Arabie saoudite.
Le conflit déborde sur le sud, où une rébellion anti-britannique éclate en 1963. La guérilla menée par ce Front de libération nationale, avec le soutien des républicains du nord et de l’armée égyptienne, conduit le Royaume-Uni à annoncer son retrait, sans avoir réussi à consolider son projet de Fédération. Au contraire, c’est le FLN qui a progressivement mis au pas les différents émirats et sultanats locaux et c’est donc à lui que Londres doit remettre le pouvoir en novembre 1967. La République populaire du Yémen du sud est née. Elle regroupe 2,6 millions d’habitants sur environ 333 000 km², avec Aden comme capitale.
Au nord, le conflit entre républicains et royalistes se prolonge jusqu’en 1970, date à laquelle des zaydites modérés de chaque camp s’accordent pour que la nouvelle République arabe du Yémen, basée à Sanaa, préserve la liberté d’action des responsables tribaux.
[1] En juin 2000, le traité de Djeddah a globalement défini les 1450 km de frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite et reconnu la souveraineté de cette dernière sur les provinces de l’Asir ainsi que de Jizan et de Najran.
Une unification dans la douleur
Officiellement, les deux Etats sont favorables à leur unification… à condition que cela soit à l’avantage du clan qui les dirige : l’armée au nord et le Parti socialiste yéménite (PSY) en République démocratique et populaire du Yémen (nouveau nom du sud depuis 1970). Un premier conflit éclate en 1972 : rapidement arrêté, il ne fait pas taire pour autant les divergences entre les deux pays, divergences d’autant plus grandes que les dirigeants d’Aden ont accentué leur orientation marxiste-léniniste, instaurant un parti unique, soutenant la rébellion du Dhofar contre le sultanat d’Oman[1] ou signant un traité de coopération avec l’URSS en 1979. La radicalisation idéologique du régime est telle que, en 1986, elle débouche sur des purges internes qui font quelque 13 000 morts. Ajouté à la baisse de l’aide soviétique, cet épisode fragilise la RDPY qui, en 1990, accepte finalement d’intégrer une République du Yémen unifiée, ayant Sanaa pour capitale. En pratique, le pouvoir est partagé entre le Congrès général populaire (CPG) nordiste et le PSY sudiste, le poste de chef d’État étant attribué à Ali Abdallah Saleh, un militaire au pouvoir au nord depuis 1978.
L’espoir d’une unification sans nuage va voler en éclats dès 1991, quand Sanaa refuse de condamner l’invasion du Koweït par l’Irak. La réponse de l’Arabie saoudite, alliée des Koweïtiens, est immédiate : dans les mois qui suivent, elle expulse les deux tiers des Yéménites qui travaillaient sur son territoire, créant une grave crise économique chez son voisin, bien que ce dernier se soit lancé dans l’exploitation pétrolière (d’ailleurs sujet de contentieux supplémentaire avec Riyad, puisque le pétrole a été découvert dans des zones désertiques contestées). En 1998, des combats meurtriers opposent soldats yéménites et saoudiens dans la petite île d’Al-Douwaima en Mer Rouge. La même année, le Yémen voit en revanche reconnue sa souveraineté sur les îles Hanish, trois ans après de violents affrontements sur place avec l’armée érythréenne. Un différend entre les deux pays demeure au sujet de l’archipel érythréen de Dahlak.
Entretemps, les sudistes ont repris les armes en 1994, accusant le gouvernement central de piller les richesses locales au profit d’un nord beaucoup plus peuplé. Cette tentative de sécession est écrasée dans le sang (7 000 morts), l’armée de Sanaa bénéficiant du renfort de groupes islamistes, constitués de combattants antisoviétiques revenus d’Afghanistan et ravis d’en découdre avec les communistes locaux.
[1] La frontière avec Oman sera arrêtée en 1992.
La montée en puissance du tribalisme islamiste
Le pays, qui compte plus d’armes que d’habitants, connait par ailleurs une violence tribale parfois liée aux différends politiques : ainsi, une même tribu peut être aussi bien en affaires avec les islamistes qu’avec les séparatistes sudistes, en fonction de ses intérêts du moment. Appartenant principalement à deux grandes confédérations rivales, les Bakil et les Hached (celle de Saleh), les tribus se livrent notamment à des enlèvements réguliers d’étrangers, en échange de rançons, d’indemnisations ou d’emplois publics pour leurs membres. En échange de leur allégeance, le pouvoir a laissé des cheikhs locaux se doter de micro-Etats dans lesquels ils lèvent leurs impôts, entretiennent leur milice et remplissent leurs propres prisons. C’est particulièrement le cas dans le très excentré Hadramaout, où la présence de l’Etat central est des plus théoriques, bien que la province fournisse la moitié du pétrole yéménite. Pour autant, les notables tribaux sont capables, si besoin est, de rompre avec ce modus vivendi : en 1991, les chefs des Hached ont créé, avec les Frères musulmans et la bourgeoisie commerçante des villes, un parti-milice, al-Islah, capable aussi bien de gouverner avec le CPG que de s’y opposer.
Parfois issus de cette matrice, les extrémistes musulmans vont rompre encore plus nettement avec le pouvoir. Un temps utilisés par le pouvoir contre les sudistes socialistes, ou contre la minorité zaydite, le Djihad yéménite – proche du Soudanais al-Tourabi et sans doute entrainé dans les camps djihadistes de ben Laden – et les autres mouvements islamistes se sont retournés contre les autorités, après que leurs bailleurs occidentaux les aient incités à se débarrasser des nombreux « Afghans » ayant élu domicile au Yémen : en 1998, l’arrestation et l’expulsion de milliers de ces combattants vont déclencher une campagne d’attentats islamistes meurtriers (y compris, à l’automne 2000, contre un destroyer américain, l’USS Cole, dans le port d’Aden) et contribuer à la naissance de l’Armée islamique d’Aden-Abyan. En 2009, ce mouvement fusionnera avec d’autres groupes yéménites et saoudiens pour fonder Al-Qaida dans la Péninsule arabique (AQPA), considéré comme la branche la plus puissante de la mouvance inféodée à Ben Laden et largement ouvert à des djihadistes étrangers (tels ceux qui commettront des attentats meurtriers en 2015 en France). Ses bases sont implantées dans le « triangle du diable » que constituent les gouvernorats de Chabwa, Abyan et Marib, au sud et à l’est du Yémen.
Le retour des rebelles zaydites
A ce panorama déjà complexe, côté sunnite, va s’ajouter la résurgence d’une rébellion zaydite dans les provinces montagneuses (Saada et Amran), voisines de l’Arabie Saoudite à l’extrême-nord. Issu, au milieu des années 1990, de la tribu des Houthi – d’où sa qualification de « houthiste » – le mouvement des « Jeunes croyants » n’est au départ qu’une association de jeunesse prêchant un « réveil zaydite » face à la montée du salafisme sunnite. Mais son discours de plus en plus radical vis-à-vis de la présence américaine dans la péninsule arabique va conduire le pouvoir de Sanaa à essayer de le faire taire. L’arrestation meurtrière, de son chef, en 2004, fait basculer Ansarullah (« les partisans de Dieu »), dans la lutte armée, contre l’armée yéménite, mais aussi contre ses supplétifs (tribus sunnites, miliciens salafistes et d’al-Islah). En 2009, les affrontements ont déjà fait 10 000 morts et plus de 150 000 déplacés. C’est que, progressivement, l’objectif de rétablir l’imamat zaydite a laissé place à une ambition plus vaste : assurer la prééminence de l’extrême-nord dans la gouvernance de tout le pays, ambition qui séduit même certaines tribus et élites sunnites, lassées d’une trop longue confiscation du pouvoir par les Hached[1].
L’attitude du Président Saleh, lui-même zaydite, est ambigüe : non seulement la résurgence d’un mouvement anti-salafiste conforte son image de « rempart » contre l’extrémisme musulman, mais elle met aussi en difficulté le chef de son armée dans le nord, son cousin et ancien bras droit Ali-Mohsen, le seul qui puisse empêcher son fils de lui succéder au pouvoir. Pour autant, Saleh ne peut laisser prospérer une rébellion qui bénéficie d’un soutien, même modeste, de l’Iran, alléché par la perspective de construire une enclave à sa solde, sur les bords de la mer Rouge, comme il l’a fait au sud-Liban. Du coup, le régime yéménite bénéficie de la bienveillance de l’Arabie saoudite qui, par exemple, l’autorise à utiliser son espace aérien afin de prendre les rebelles à revers… quand elle ne frappe pas elle-même : en novembre 2009, elle bombarde des positions zaydites au Yémen, après la mort d’un de ses garde-frontières dans la province de Jizan… et quelques jours après la saisie, en Mer Rouge, d’un navire iranien chargé d’armes.
[1] Dans l’ancien imamat zaydite, l’aristocratie était largement constituée de sunnites, tels que les Hachémites.
La chute du Président Saleh
Pour Saleh, la situation ne cesse de se dégrader : au plan national, al-Islah et le PSY se sont fédérés dans une plateforme d’opposition inédite et, dans le sud, les manifestations ont repris dès 2007, alimentées par le non-paiement des pensions des milliers de militaires et de fonctionnaires limogés en 1994, ainsi que par la confiscation de terres au profit de nordistes. La situation conflictuelle s’emballe début 2011 quand le Yémen est à son tour touché par la crise des « printemps arabes ». Fortement contesté dans la rue, Saleh promet qu’il n’ira pas au-delà de la fin de son mandat en 2013 (alors qu’il faisait tout pour modifier la Constitution en vue d’une réélection… et qu’il avait déjà fait deux fois cette promesse, sans la tenir, en 1999 et 2006), qu’il ne favorisera aucune succession héréditaire et qu’il soumettra une nouvelle Constitution à référendum. Mais rien n’y fait : la contestation populaire ne faiblit pas, encouragée par la chute de Moubarak de l’autre côté de la mer Rouge, en Egypte. Les premiers morts tombent, victimes, notamment, des « Comités populaires » créés par le CPG. L’état d’urgence est instauré, mais le bain de sang qui en résulte ne fait que multiplier les défections parmi les soutiens religieux et tribaux du régime : alors que les Bakil sont partagés entre soutien traditionnel au Président et passage à l’opposition, les Hached prennent clairement partie pour les opposants. L’armée, elle, se divise, dans certaines régions, entre troupes régulières et forces spéciales, généralement mieux armées.
A Sanaa, les combats entre la Garde républicaine, dirigée par un des fils Saleh, et les milices des Hached (renforcées par des centaines de combattants venus des tribus de l’arrière-pays) font des centaines de morts. De son côté, le général Mohsen déploie dans la capitale sa division blindée qui, sans participer aux combats, protège les manifestants non armés ; c’est aussi de son QG qu’est proclamée « l’Alliance des tribus du Yémen » qui apporte soutien officiel aux manifestations. Après plusieurs volte-face, Saleh est contraint d’accepter, en novembre 2011, le plan de transition élaboré quelques mois plus tôt par le Conseil de coopération du Golfe (dont le Yémen n’est accessoirement pas membre), bien qu’il ne satisfasse pas toute l’opposition : en effet, il accorde l’immunité à Saleh, maintient ses fils et neveux dans leurs fonctions de commandement et prévoit que seuls des candidats indépendants pourront briguer l’investiture présidentielle face à Mansour Hadi, le vice-Président chargé d’assurer l’intérim. In fine, ce sudiste membre du CPG est élu en février 2012, avec une relative légitimité puisque la participation a atteint 60 %.
Le retour de la guerre civile
Le nouvel élu se retrouve à la tête d’un régime plus affaibli que jamais, les troubles de 2011 ayant favorisé la reprise des mouvements centrifuges, dont certains parient sur la transformation du Yémen en Etat fédéral d’une demi-douzaine de provinces : au nord, les zaydites se sont emparés de la ville de Saada (sans que les troupes d’Ali Mohsen ne soient intervenues pour les en empêcher) et livrent des combats acharnés aux fondamentalistes sunnites pour le contrôle des provinces alentour ; dans la région d’Aden, le Mouvement du Sud (Al-Hirak) intensifie sa propagande, bien qu’il soit divisé entre partisans de l’indépendance pure et simple et supporters d’un fédéralisme accru ; dans le sud, des tribus hostiles au pouvoir, ainsi que des combattants d’Ansar-al-Sharia (« Partisans de la charia », liés à Al Qaida) se sont emparés de villes dans les provinces de Chabwa et d’Abyane, où ils mettent en place un émirat. L’armée les reprendra, quelques mois plus tard, au prix de très lourdes pertes. Des attentats sont même commis dans certaines de ses garnisons, sans doute grâce à des complicités internes dans les réseaux de Saleh : resté chef du CPG, l’ancien Président est également accusé d’entraver le Dialogue national qui s’installe mais qui s’enlise, ce qui n’est pas le cas de la rébellion houthiste.
Celle-ci met en effet à profit le départ de certaines unités de l’armée, redéployées au sud contre AQPA, pour relancer ses actions et s’emparer de la région d’Amran, fief de la Confédération des Hashed, au nord de Sanaa. Le même été 2014, le chef des rebelles fait manifester des dizaines de milliers de personnes, en plein centre de Sanaa, pour demander la chute du gouvernement et protester contre la hausse vertigineuse des prix du carburant. Mi-septembre, la rébellion zaydite règne sur la quasi-totalité de la capitale, avec l’aide des réseaux et des forces spéciales de l’ancien Pdt Saleh, prêt à tout pour retrouver le pouvoir, y compris à s’allier avec un mouvement contre lequel il a mené six guerres successives dans les années 2000. Un accord de cessation des hostilités est signé sous l’égide de l’ONU, mais reste lettre morte. A l’automne, les houthistes s’emparent d’Hodeïda, le deuxième port du pays, s’ouvrant ainsi l’accès à la Mer Rouge qu’ils réclamaient depuis des années. Au printemps 2015, les rebelles zaydites et leurs alliés sunnites sont aux portes d’Aden, où le Président Hadi s’est réfugié et qu’il doit fuir pour Riyad. Ils s’emparent dans la foulée d’une partie de la troisième ville du pays, Taëz (centre sud), s’ouvrant ainsi une voie vers le détroit de Bab el-Mandeb.
Face au risque de chute imminente d’Aden, l’Arabie Saoudite accède à la demande d’intervention du gouvernement Hadi (toujours reconnu comme légitime par la communauté internationale). Elle lance l’opération « Tempête décisive », avec l’aide d’une dizaine de pays sunnites (du Golfe, mais aussi de l’Egypte, du Maroc et du Soudan). D’une trentaine par jour au début, les bombardements arabo-sunnites atteignent la centaine mi-avril et les combats terrestres entre houthistes et armée saoudienne gagnent la frontière saoudo-yéménite du nord.
C’est le moment que choisissent les djihadistes pour tenter de marquer de nouveaux points. En mars 2015, la « wilayat de Sanaa » (branche yéménite de l’organisation Etat islamique, issue d’une scission d’AQPA) revendique les attentats-suicides commis contre des mosquées chiites de Sanaa (plus de 140 morts) et de Saada. Le mois suivant, AQPA s’empare de Moukalla, la capitale de l’Hadramaout, avec l’appui de tribus locales. Le mouvement qaediste essaie de ne pas reproduire les erreurs qui avaient provoqué la fin de son « Emirat d’Abyan » en 2012 : il pratique la stratégie de « la main invisible », en entretenant de bonnes relations avec les structures tribales locales, en investissant en matière économique et sociale et en s’efforçant de pratiquer une politique religieuse moins rigoriste.
Dans ce contexte, même le CPG et Saleh appellent les Houthis à se ranger aux trêves que tente de négocier l’ONU, en échange de l’arrêt des frappes de la coalition. Mais aucune trêve n’intervient et le camp loyal à Hadi reprend la totalité d’Aden, à la tête d’une alliance hétéroclite réunissant des soldats yéménites, des troupes au sol de la coalition, mais aussi des séparatistes sudistes et même des milices islamistes : le drapeau d’AQPA flotte en effet dans Aden et même l’EI dit avoir participé aux combats. Faute de troupes suffisamment nombreuses, le gouvernement loyaliste doit en effet s’appuyer sur une « Résistance populaire » composée de milices séparatistes et islamistes, au risque que certaines récupèrent ainsi des armes supplémentaires, telles que des blindés légers ou des missiles antichars : de fait, l’Arabie saoudite et ses alliés émiratis sont accusés de fournir, à leurs supplétifs locaux, certaines des armes qu’ils ont achetées à des pays occidentaux. Pour recruter des alliés islamistes, le camp Hadi a bénéficié du ralliement d’un expert, en la personne d’ali-Mohsen : c’est lui qui avait été chargé de recruter des Yéménites pour alimenter les rangs d’Al-Qaida en Afghanistan dans les années 1980, puis de les réintégrer dans les forces gouvernementales afin d’éradiquer la rébellion sudiste de 1994.
C’est dans cet attelage hétéroclite – où seuls les salafistes et al-Islah ont une vision nationale, alors que les sudistes et les tribus n’ont aucune envie de mourir pour reconquérir le nord – que la coalition pousse son avantage à l’été 2014 : après avoir repris aux houthistes la plus importante base aérienne du pays, au nord d’Aden, ainsi que les provinces d’Abyane, de Lahj et de Chabwa, elle concentre ses forces disparates sur Taëz ; les branches locales d’AQPA et de l’EI, pourtant pourchassées par les loyalistes à Aden, y combattent les rebelles zaydites aux côtés de soldats de l’armée régulière, de miliciens d’al-Islah et autres groupes liés aux Frères musulmans (soutenus par les Saoudiens), de factions salafistes (soutenus par les Emirats arabes unis, pour concurrencer la mouvance « frériste »), de marxistes et de séparatistes sudistes… La coalition pro-Hadi se lance aussi à l’assaut de Hodeïda, par où passent 70 % de l’aide humanitaire… mais sans doute aussi des armes iraniennes.
Famine et tensions dans les deux camps
Comme les Ottomans et l’Egypte de Nasser avant eux, les Saoudiens et leurs alliés s’enlisent au Yémen, ne bénéficiant que d’un soutien mitigé des tribus, face à des houthistes qui ne plient pas : outre les armes spécifiques (telles que des missiles ou des drones) que leur fournit l’Iran, par voie maritime ou via Oman, ils bénéficient des énormes stocks d’armes récupérés dans l’armée de Saleh quand il est passé dans leur camp. Du coup, les forces pro-Hadi piétinent dans la région de Marib et ne parviennent pas à passer les contreforts montagneux qui mènent jusqu’à Sanaa. Pire, leur aviation multiplie les bavures, poussant autant de populations touchées dans les rangs islamistes : cérémonies de mariage ou d’enterrement, hôpitaux, marchés, bus scolaire, prison, rien n’échappe à l’imprécision des pilotes saoudiens, mal entraînés, volant haut pour éviter les missiles et manquant d’appuis au sol. Selon le Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, Riyad et ses alliés sont responsables « de deux fois plus de victimes civiles que toutes les autres forces réunies », lesquelles ne sont pourtant pas en reste ; les attentats djihadistes visent, eux aussi, des transports de civil et même une maison de retraite ! Signe du piétinement de la coalition, les Emirats remplacent partiellement leurs soldats, en novembre 2015, par des mercenaires colombiens, tandis que l’Arabie demande au Soudan d’intensifier l’envoi de miliciens et recrute aussi dans les rangs du mercenariat en Ouganda, au Tchad, au Pakistan…
Au sud, les loyalistes, renforcés par des troupes spéciales saoudiennes et émiraties, reprennent Moukalla à AQPA en avril 2016, mais ces succès sont fragiles : en février suivant, les djihadistes s’emparent de villages dans la province d’Abyane, mettant à profit le retrait des forces pro-gouvernementales, pour cause de retard dans le paiement de leurs salaires… Pour se prémunir de tels retournements, et concentrer toutes ses forces sur les seuls houhistes, Riyad est suspecté de négocier des accords avec les djihadistes pour qu’ils se retirent, sans combattre, de villes sous leur contrôle.
Car aucune avancée n’intervient sur le front houthiste, malgré l’ouverture de négociations, en décembre 2015 à Genève, sous l’égide de l’ONU. Dix mois plus tard, les houthistes portent même le conflit en mer Rouge, en tirant deux missiles sur des navires émirati et américain, ce qui leur vaut une réplique des Etats-Unis. Le blocus du port houthiste d’Hodeïda et le siège de Taëz par les rebelles zaydites précipitent la crise humanitaire que connait le pays : début 2017, la famine menace de plus en plus sérieusement un tiers des Yéménites (dont plus de deux millions de déplacés), tandis qu’une épidémie de choléra se répand en mai suivant. En février 2018, le camp loyaliste s’empare du port de Moka, à l’extrême sud-ouest, et reprend le contrôle du détroit de Bab el-Mandeb, dans le cadre d’une opération de reconquête des 450 km de côtes yéménites sur la Mer Rouge.
Mais deux mois plus tard, un incident vient rappeler les divergences tactiques existant entre alliés de la coalition. Prétextant que les EAU favorisent le séparatisme méridional, Hadi limoge deux importants dirigeants sudistes qui leur sont proches : le chef de la « Ceinture de sécurité », la milice qui mène l’essentiel des combats contre les houthistes sur la Mer rouge et contre AQPA dans la province d’Abyane, ainsi que le gouverneur d’Aden. Celui-ci se voit alors chargé, par Al-Hirak, d’administrer le sud-yéménite en vue de le mener à l’indépendance. Réunissant les gouverneurs de toutes les provinces méridionales, un Conseil de transition du Sud (CTS) est créé à cette fin.
En novembre 2017, le camp rebelle vole à son tour en éclats, après que des houthistes, voulant célébrer la naissance de Mahomet, ont été tués dans une mosquée de Sanaa gardée par des fidèles de Saleh. Les affrontements dégénèrent en guerre ouverte pour le contrôle de quartiers et de sites stratégiques de la capitale. Saleh est même éliminé par ses anciens alliés, après avoir proposé à l’Arabie Saoudite de négocier et appelé la population et les tribus à se révolter contre les rebelles. Du coup, certains partisans de l’ancien Président rallient le camp loyaliste et lui permettent, notamment, de reprendre les derniers territoires qui étaient encore aux mains de la rébellion dans la province de Chabwa. Pour autant, ce ralliement est loin de satisfaire la composante sudiste du camp « loyaliste » qui refuse toute collaboration avec le fils et le neveu de Saleh, eu égard à leur implication passée dans la répression des séparatistes. Une partie des tribus préfère plutôt fournir des hommes à la « force d’élite de Chabwa » que financent les Emirats arabes unis.
Le retour en force du séparatisme sudiste
De plus en plus prononcées, les tensions dans le camp pro-Hadi s’exacerbent en janvier 2018 : mécontents que leur demande de remplacement du gouvernement – notoirement corrompu – n’ait pas été entendue, les séparatistes sudistes s’emparent d’Aden, ignorant l’appel au cessez-le-feu lancé par l’Arabie saoudite, laquelle n’a pas besoin de ce souci supplémentaire. En effet, Ryad doit interrompre ses exportations de brut via la mer Rouge, après l’attaque par les houthistes de deux pétroliers saoudiens dans le détroit de Bab al-Mandab, en juillet.
Alors que la crise sanitaire s’amplifie (21 millions de personnes en sous-alimentation et 1 million de cas de choléra déclarés fin 2017), l’ONU rend son premier rapport sur le conflit, en août 2018, et conclut à l’existence de crimes de guerre commis par les deux camps (frappes aveugles, tortures, enrôlement d’enfants soldats…). Depuis son démarrage, le conflit aurait fait 50 000 morts directes, dont de très nombreux civils. Pour beaucoup d’observateurs, le bilan est sans doute bien plus lourd, la coalition ayant procédé à quelque 90 000 raids aériens). Le conflit aurait par ailleurs provoqué la mort indirecte de 85 000 enfants de moins de 5 ans.
Une lueur d’espoir apparaît en décembre, quand l’ONU parvient à réunir en Suède des délégations gouvernementale et houthiste qui se mettent d’accord sur la libération de prisonniers, le retrait conjoint d’Hodeïda et de deux ports périphériques, une trêve à Taëf… Problème : l’accord n’engage pas les parties qui n’avaient pas été invitées (séparatistes sudistes ou tribus proches d’al-Islah dominant notamment Taëz), pas plus que certaines zones de l’est et du sud qui se sont fortement autonomisées, à la faveur d’accords avec tel ou tel membre de la coalition ; c’est le cas de l’Hadramaout (où, pour concurrencer AQPA, les EAU ont recruté des milliers de combattants tribaux au sein d’une milice supplétive), de Marib (fortement influencée par les Frères musulmans), d’Al-Mahra (où le sultanat d’Oman soutient des groupes qui s’opposent à l’influence saoudienne, notamment au projet de Riyad d’y faire passer un oléoduc)…
L’application de l’accord est de toute façon violée par les houthistes qui, non seulement ne quittent pas vraiment Hodeïda mais qui profitent aussi des dissensions dans le camp loyaliste pour reprendre leur progression dans d’autres secteurs du pays. En mai, les rebelles zaydites frappent une nouvelle fois les intérêts saoudiens, en revendiquant le tir de drones sur les équipements d’un oléoduc, près de Riyad… confirmant l’accroissement de leurs capacités balistiques : ils semblent devenus capables de fabriquer eux-mêmes des drones chargés d’explosifs et de transformer des roquettes en missiles, même si le guidage terminal des engins semble encore aléatoire, et plus seulement d’assembler des équipements dérivés de ceux que les Iraniens et le Hezbollah libanais leur fournissaient jusqu’alors. A la même période, l’Iran ne fait plus mystère de son soutien aux insurgés zaydites en leur permettant d’ouvrir une représentation à Téhéran. L’un des principaux paradoxes de ce conflit est en effet d’avoir précipité les zaydites dans les bras de l’Iran (alors qu’ils étaient plutôt éloignés du chiisme iranien et restent d’ailleurs divisés à ce sujet) et nettement renforcé, en sens inverse, le poids du fondamentalisme sunnite au Yémen.
La relative accalmie sur le front d’Hodeïda conduit en tout cas les Emirats (EAU) à alléger leur dispositif militaire, notamment dans la région de Marib, pour se désengager d’une situation militaire et politique de plus en plus délicate. Convaincus, à la différence des Saoudiens, qu’un Yémen unitaire n’est plus viable, les EAU préfèrent renforcer leur présence sur leur quasi-protectorat du sud et sur le littoral sud-ouest de la mer Rouge, ce qui n’arrange pas les relations au sein du camp « loyaliste ». En août 2019, des affrontements éclatent à Aden entre les forces de la Ceinture de sécurité, liées au CTS, et la garde présidentielle. Accusant al-Islah de connivences avec les houthistes pour empêcher toute partition du sud, les séparatistes s’emparent de casernes et du palais présidentiel, ainsi que de positions gouvernementales dans la province d’Abyane (celle du Président Hadi). Celle de Chabwa reste en revanche aux mains des loyalistes, notamment grâce au « retournement » de troupes séparatistes et de tribus qui avaient fait allégeance aux Emiratis. Ce n’est qu’en novembre que Riyad et Abu Dhabi obtiennent de leurs protégés qu’ils signent un accord : celui-ci prévoit le retour à Aden du gouvernement de Hadi, élargi à des ministres du CTS, ainsi que l’intégration des milices séparatistes dans l’armée loyaliste. Chassé de la quasi-totalité du « pays utile », le gouvernement officiel exerce en revanche sa mainmise sur une vaste zone désertique, allant des villes de Marib et de Seyoun, au nord, jusqu’à Chabwa : un désert qui contient quasiment toutes les ressources en pétrole et en gaz du Yémen.
A la même époque, Riyad brise un tabou en reconnaissant l’existence de « contacts » avec les houthistes et annonce la libération de dizaines de détenus rebelles, deux mois après que la direction du mouvement zaydite a proposé une initiative de paix aux belligérants et libéré trois-cents prisonniers de la coalition. Mais la situation reste précaire, dans un contexte de forte tension irano-américaine au Moyen-Orient. En janvier 2020, une centaine de soldats gouvernementaux sont tués par une frappe houthiste sur la mosquée de leur camp, dans la province de Marib, tandis que les combats reprennent à l’est de Sanaa. En juin, le CTS chasse de l’île de Socotra les troupes loyalistes liées à al-Islah, après avoir proclamé l’autonomie du sud en avril, estimant que le gouvernement légitime n’a pas rempli ses obligations. Toutefois, le pouvoir des séparatistes est contesté par les groupes locaux de plusieurs provinces, en particulier celles de l’Hadramaout (au Sud) et de Mahra à l’est. Amoindri, notamment par la perte des champs gaziers et pétroliers du désert, le CTS cède aux pressions de Ryad : en juillet, il revient sur sa proclamation d’autonomie, contre la promesse que l’accord de partage du pouvoir signé en novembre 2019 sera respecté. Le nouveau gouvernement d’union entre en fonctions à la fin de l’année 2020, après avoir échappé à un attentat meurtrier commis juste après son atterrissage à l’aéroport d’Aden.
Une accalmie précaire
En février 2021, un changement de cap majeur survient du côté américain : la nouvelle administration démocrate arrivée au pouvoir à Washington annonce la fin de son soutien, logistique et armé, aux opérations « offensives » de l’Arabie saoudite et décide de ne plus considérer les Houthis comme une organisation terroriste. Au même moment, ces derniers relancent leur offensive sur Marib, la dernière grande ville du nord tenue par les loyalistes, à 120 kilomètres à l’est de Sanaa, dont les champs d’hydrocarbures fournissent 90 % du GPL que consomment largement les Yéménites. A la fin du mois de mars, Riyad propose un « cessez-le-feu global » supervisé par l’ONU, aussitôt rejeté par la rébellion qui exige, en préalable, la levée du blocus aérien et maritime des zones qu’elle contrôle. Malgré de très lourdes pertes, les rebelles progressent dans leur encerclement de Marib, contre la coalition des loyalistes et des milices tribales, tout en continuant d’envoyer des drones sur des installations énergétiques saoudiennes. Les combats sont d’une violence inouïe, faisant près de 15 000 morts dans les rangs houthistes en six mois, dix fois plus que dans le camp loyaliste. Fin 2021, le bilan des victimes de la guerre dépasse les 370 000 morts, dont 60 % à cause du manque d’eau potable, de la faim et des maladies. Vont s’y ajouter, selon l’ONU et certaines ONG, des centaines de migrants éthiopiens abattus par les garde-frontières saoudiens en essayant d’entrer en Arabie saoudite depuis le Yémen.
En janvier 2022, les Houthis s’attaquent pour la première fois aux intérêts des Émirats arabes unis, revenus en force sur le terrain yéménite pour aider leurs protégés de la brigade des Géants à reconquérir le terrain perdu dans la province pétrolière de Chabwa. Après avoir capturé un navire émirati croisant au large d’Hodeïda, ils envoient des drones qui provoquent l’explosion de camions citernes à Abou Dhabi, à proximité des installations de stockage de la société pétrolière nationale : l’attaque tue trois travailleurs indiens et pakistanais. La coalition réplique par une série de bombardements, notamment sur une prison de Saada (plusieurs dizaines de morts). Dans l’impasse, les deux camps décrètent une trêve pour la durée du ramadan, en avril. En parallèle, Riyad pousse Hadi à céder le pouvoir à un Conseil présidentiel censé être plus représentatif des forces yéménites et moins dépendant du parrainage saoudien : dirigé par un ancien ministre de l’Intérieur, il comprend huit membres, dont des représentants du CTS, de la Résistance nationale (dirigée par un neveu de Saleh) et de la brigade des Géants, ainsi que des chefs tribaux comme l’ancien gouverneur de Marib. Vaille que vaille, la trêve est reconduite en juin, puis en août, mais pas en octobre. En outre, elle ne concerne pas l’Aqpa qui dispute à la Ceinture de sécurité le contrôle de la province d’Abyan.
Malgré tout, un calme relatif s’instaure dans le pays. Affaibli par des problèmes internes, l’Iran a poussé ses alliés à modérer leurs ardeurs offensives, ce qui convient aux Saoudiens, désireux de sortir du bourbier yéménite : trop hétéroclite, le Conseil présidentiel est inopérant et ne tient guère compte de forces comme al-Islah, bras armé des loyalistes à Marib, et comme la « Résistance nationale », active dans la région du port de Moka. En avril 2023, après la reprise de relations diplomatiques entre Riyad et Téhéran, une délégation saoudienne se rend à Sanaa pour négocier, sous médiation omanaise, une reconduction de la trêve et la recherche d’un processus de paix. Sur place, la situation est catastrophique : une distribution d’aide financière par un riche homme d’affaires – en dehors des circuits contrôlés et autorisés par les Houthis – se transforme en bousculade qui cause la mort de plus de quatre-vingt personnes. En août, alors que les pourparlers en cours piétinent, une dizaine de soldats yéménites sont tués lors d’une « attaque surprise » de Houthis contre un site des forces séparatistes du Sud, à la frontière entre les provinces de Lahij et Al-Bayda. Toutefois, en septembre, une délégation houthiste se rend à Riyad même pour discuter des modalités d’un cessez-le-feu permanent.
Le front yéménite s’étant apaisé, les Houthis tirent des missiles et des drones sur le sud d’Israël, distant de 2000 km, lors de la guerre qui oppose l’État hébreu au Hamas, à partir de l’automne 2023 : membre de la « résistance islamique » mise en place par l’Iran, le mouvement trouve ainsi le moyen de « redorer son blason » auprès d’une population (les deux-tiers des Yéménites) qui peine à subvenir à ses besoins, en plus de la férule à laquelle elle est soumise. En décembre, les Houthis vont encore plus loin et tirent sur des navires croisant en mer Rouge, voire les arraisonnent, en les accusant d’être liés aux Israéliens. Pour stopper ces attaques et sécuriser une zone par laquelle passe plus de 10 % du commerce mondial, les États-Unis mettent en place une coalition internationale, « Gardiens de la prospérité », à partir des dispositifs existant déjà dans la région… coalition dont ne font partie ni l’Égypte, ni l’Arabie saoudite, pourtant riverains de la mer Rouge. Le même mois, les belligérants yéménites s’accordent pour renouveler leur trêve, avec l’objectif de mettre fin à la guerre civile.
Les attaques houthistes en mer Rouge devenant de plus en plus nombreuses et complexes (avec l’emploi de drones navals et de sous-marins autonomes), les Américains et les Britanniques bombardent un certain nombre de leurs infrastructures militaires (radars et rampes de lancement de drones et de missiles) sur le sol même du Yémen. Ceci n’empêche pas le trafic en mer Rouge de chuter de moitié. En juillet 2024, les Houthis apportent une nouvelle preuve de leurs progrès technologiques, en envoyant un drone de grande taille frapper Tel-Aviv, sans que la défense anti-aérienne israélienne ne parvienne à l’intercepter. L’aviation de l’État hébreu réplique par des frappes sur la ville et le port de Hodeida, par où arrivent les livraisons d’armes iraniennes, mais aussi l’aide humanitaire.
En novembre, un rapport de l’ONU affirme que, à la faveur de la trêve avec les gouvernementaux, les Houthis se sont considérablement renforcés. Plus que jamais encadrés et armés par l’Iran et le Hezbollah libanais, ils compteraient 350 000 combattants, soit dix fois plus que dix ans plus tôt, à la faveur de l’enrôlement de jeunes, de recrutements forcés parmi les migrants éthiopiens et de renforts de tribus éthiopiennes. Ils auraient par ailleurs renforcé leur coopération militaire avec Aqpa et avec les shebabs somaliens.