Composé de trois grandes chaînes parallèles, l’Himalaya (« lieu des neiges » en sanskrit) s’étend sur environ 3 000 km de long et 140 km de large en moyenne. Massif le plus haut du monde, il est couramment divisé en trois zones géographiques et culturelles. Aux confins des massifs du Karakorum et de l’Hindou-Kouch, l’Himalaya occidental regroupe le Cachemire et les territoires avoisinants qui sont aujourd’hui administrés, non sans tensions, par le Pakistan (districts de Gilgit et de Hunza, Baltistan, « Dardistan »), l’Union indienne (Ladakh, Zanskar, Himachal Pradesh), voire la Chine (Aksaï chin). Plus à l’est, l’Himalaya central comprend le Népal ainsi que la partie septentrionale de l’Uttar Pradesh indien sur son versant sud et la partie méridionale du Tibet sur son versant nord. Enfin, l’Himalaya oriental regroupe le Bhoutan, ainsi que le Sikkim et le nord des états indiens de l’Arunachal Pradesh et de l’Assam.
SOMMAIRE
- Une très forte mixité ethnique et religieuse
- Unifications étatiques et influences étrangères
- Du protectorat britannique aux indépendances
Une très forte mixité ethnique et religieuse
Majoritairement peuplé d’ethnies tibéto-birmanes, le massif himalayen a également été occupé par des Aryens venus d’Inde et des Iraniens arrivés d’Asie centrale. Ces montagnards indo-européens ont reçu le nom générique de « Dardes » ou encore de « Mons » : ce qualificatif, sans lien avec les Môns d’Indochine, a été attribué aux Kouchans (cf. Sous-continent indien) qui, entre le Ier siècle AEC et le IIIème siècle, ont converti au bouddhisme le Zanskar, la plus haute vallée peuplée de l’Himalaya située au sud du Ladakh.
La vallée de Katmandou présente la même mixité ethnique. Au milieu du XIIIème AEC, elle est colonisée par les Kirati, des populations apparentées aux Tibétains qui vont également adopter le bouddhisme. C’est d’ailleurs dans une principauté aujourd’hui située au Népal qu’est né, vers -563, le prince qui va devenir connu sous le nom de Bouddha. Vers 300 EC, le royaume des Kirati est supplanté par la dynastie indo-aryenne des Licchavi, de confession hindoue, à laquelle succède celle des Thakuri : elle est fondée, au début du VIIème, par les Newars, eux aussi proches des Tibétains. A la même époque, l’ouest du Népal devient également le refuge des Khas, des Indo-Aryens fuyant l’avancée des musulmans au nord de l’Inde.
C’est à la même période que le puissant royaume formé par les Tibétains étend ses ramifications vers l’ouest : vers 625, il conquiert le Zhang Zhung (Xiangxiong en chinois), une confédération de royaumes apparue vers -500 au Tibet occidental. L’Empire du Tibet exerce également sa domination sur le Bhoutan, peuplé depuis 600 à 500 AEC par les Monpa [1], une ethnie proche des Tibétains.
Mais, après l’assassinat du dernier empereur tibétain par un ermite bouddhiste, en 842, une guerre éclate entre ses deux fils. L’Empire tibétain se retrouve fragmenté : d’un côté l’Ü-Tsang d’un côté, de l’autre le Ngari qui, dans les années 912-925, s’étend à tout le Tibet occidental et combat les tribus vivant sur l’autre versant himalayen. Entre 925 et 950, le domaine est partagé entre les trois fils du souverain : l’un reçoit le Gugé-Purang, l’autre le Zanskar et le troisième le Maryul (l’actuel Ladakh). C’est ainsi que se forme la première dynastie tibétaine ladakhie, les Lhachens. Quant au Gugé, il devient au XIème siècle la « tête de pont » du retour en force du bouddhisme au Tibet, sous la houlette du moine indien Atisha. De son côté, le Bhoutan passe dans l’orbite de chefs de guerre tibéto-mongols, dont les fiefs se retrouvent au cœur des luttes d’influence que se livrent les différents ordres religieux du bouddhisme tibétain (cf. Tibet).
A son apogée au XIIIème siècle, le royaume népalais des Thakuri se fracture ensuite en une quarantaine d’Etats indépendants, de religion bouddhiste ou fondés par des guerriers Rajputs de confession hindouiste. Ils sont réunifiés à la fin du XIVème par un souverain d’origine indienne, Jayasthiti Malla, puis se retrouvent de nouveau divisés pour deux siècles.
À la charnière des XVème et XVIème siècles, le pouvoir change de mains au Ladakh : il est exercé par la dynastie Namgyal, une branche cousine des Lhachens . Le « pays des hauts cols » (ou « haut Tibet ») devient le royaume dominant du Tibet occidental, en vassalisant le Zanskar au XVIème siècle, puis en s’emparant du Gugé en 1630.
Dans les années 1620-1630, les principautés bhoutanaises sont unifiées par un chef militaire et lama de l’école tibétaine des Drukpa ayant fui des ennemis politiques au Tibet. Shabdrung Ngawang Namgyal lance un vaste programme de construction de forteresses, les dzongs, qui permettent au royaume bhoutanais de s’affirmer.
[1] Entre 500 AEC et 600 EC, les Monpa (ou Monba) dirigèrent un royaume nomade connu sous le nom de Monyul (ou Lhomon) dans le nord des actuels Assam et Sikkim. Ils sont encore 60 000 en Inde, Tibet et Bhoutan.
Unifications étatiques et influences étrangères
A la même période, le dalaï-lama tibétain décide de vassaliser le Sikkim, où certains de ses compatriotes se sont installés au XVème siècle : en 1641, il nomme comme souverain le descendant d’un prince Tangut (une ethnie proche des Tibétains, cf. Monde sino-mongol), membre d’une branche de la dynastie Namgyal. Passé sous la protection des Mongols en 1642, le Tibet mène une politique expansionniste qui le conduit à déclarer la guerre au Ladakh en 1681, tant pour des raisons religieuses (les querelles entre écoles bouddhistes) que commerciales (le Ladakh étant la plaque tournante du commerce de la laine du Tibet en direction du Cachemire). Après trois ans de conflits, interrompus pendant l’hiver, le Ladakh parvient à conserver sa souveraineté. En revanche, il doit céder le Ngari au Tibet et lui verser tribut, ainsi qu’au sultan du Cachemire qui l’a aidé à repousser l’ennemi tibétain.
En 1700, les Tibétains interviennent au Sikkim, envahi par les Bhoutanais. Rétabli sur son trône, le souverain sikkimais – le chogyal – doit faire face à de nouvelles incursions du Bhoutan à l’est, mais aussi des Népalais à l’ouest, entre 1717 et 1733. Le royaume bhoutanais est alors devenu suffisamment fort pour commencer une guerre contre l’Empire Moghol, résister à une tentative de reconquête de la part des Tibétains et même s’emparer de l’Etat princier de Cooch Behar au Bengale. Appelés à l’aide par le souverain déposé, les Britanniques expulsent les Bhoutanais, puis les attaquent : en 1774, le Bhoutan est obligé de signer un traité de paix le ramenant à ses frontières antérieures.
Au Népal, un rajah des Gurkhali – nom d’un regroupement de tribus Kha – réussit à réunir en 1768 les différentes principautés Mallas et Newars de la vallée [1], telles que le Népal Mandala autour de Katmandou. Ayant installé leur capitale dans cette ville, les nouveaux dirigeants imposent l’usage officiel de leur langue kha (ou népali) et accroissent leur territoire vers l’actuel Himachal Pradesh à l’ouest, le Sikkim à l’est et le Tibet au nord [2]. Le Népal est alors deux fois plus vaste qu’il ne l’est aujourd’hui. Ainsi, en 1788, les Gurkhali entrent en guerre avec le Tibet avant de se retirer, à condition qu’un tribut leur soit versé. Mais la somme n’ayant pas été entièrement acquittée, ils reviennent trois ans plus tard. L’Empereur de Chine prend alors les choses en main : son armée repousse les Gurkhali jusqu’à Katmandou et leur impose la signature d’un traité de paix ainsi que le versement d’une rente annuelle, dont le paiement ne s’achèvera qu’en 1908. Les Chinois en profitent aussi pour exercer un contrôle sur le Sikkim.
Lorsque, en 1814, ce dernier décide de s’allier à l’Empire britannique des Indes, il est aussitôt envahi par les Népalais. Les Anglais entrent alors en jeu et, après deux ans de guerre, contraignent le Népal à leur céder sa plaine méridionale du Teraï et à évacuer le Sikkim. C’est dans ce contexte d’affaiblissement du pouvoir que, en 1846, un jeune noble kha, Jung Bahadur, mène un coup d’Etat au Népal ; il prend le titre de Premier ministre du roi, fonction qui va devenir héréditaire dans sa famille des Rana. Le pays se ferme alors largement au monde extérieur, tout en entretenant de bonnes relations avec les Britanniques : à partir de 1815, il fournit à Londres des soldats, les « Gurkha », dont la bravoure et l’art du maniement d’un long couteau (le khukri) vont leur valoir d’être engagés sur de très nombreux fronts[3]. Ils sont notamment utilisés notamment pour réprimer la révolte des Cipayes indiens. En récompense, la reine Victoria restitue au Népal une partie de la vallée du Teraï, en 1858, au nord de la rivière Kali.
Au printemps 1841, le Tibet occidental est attaqué par les troupes du Jammu, un Etat hindou du nord de l’Inde qui est dirigé par des maharadjahs indo-aryens d’ethnie Dogra, vassaux de l’Empire sikh (cf. Sous-continent indien). Comme un siècle et demi plus tôt, le commerce de la laine est au centre du conflit. S’étant rapidement maîtres du Ladakh et du Baltistan voisin, les envahisseurs poursuivent leur offensive en direction du Tibet. Mais ils y subissent une telle défaite qu’ils doivent se replier et faire face à une contre-attaque des Tibétains et des troupes de leur suzerain chinois. Ceux-ci ayant été défaits à l’été 1842, un traité est signé à Leh entre les Dogras et les Tibétains, mais pas par les Chinois : le texte entérine les positions antérieures des deux principaux belligérants, tout en consacrant le passage du Ladakh sous la suzeraineté du Jammu. Dix ans plus tard, un accord commercial vient compléter ces dispositions.
[1] L’ensemble du Népal compte alors cinquante-six royaumes indépendants.
[2] En 1795, les Népalais vassalisent le très fermé royaume de Lo (ou Mustang), fondé dans la seconde moitié du XIVème, entre Népal et Tibet.
[3]Les Gurkhas sont mobilisés en Afghanistan (1878) et au XXème siècle en Europe (50 000 morts lors des deux guerres mondiales), en Malaisie, à Brunei, à Hong-Kong, aux Malouines…
Du protectorat britannique aux indépendances
L’Etat princier du Jammu (et Cachemire) est alors en plein développement, avec l’aval des Britanniques qui souhaitent réduire l’influence de l’Empire sikh (cf. Sous-continent indien). Émancipé de son suzerain, le maharadjah du Jammu obtient de sa part le petit royaume du Poonch (fondé vers 850). La même année 1846, il se voit attribuer le Cachemire, à l’issue de la première guerre anglo-sikh. Dans les années 1860-1870, le Jammu poursuit son expansion en se faisant octroyer le petit royaume ismaélien du Hunza (fondé neuf cents ans plus tôt autour de la ville de Baltit) ainsi que le royaume voisin du Nagar (fondé au XIVème) et celui de la vallée voisine de Gilgit, dans lesquels les Russes essayaient de prendre pied.
Au Sikkim, le chogyal a dû céder aux prétentions croissantes des Anglais : à la fin de la première moitié du XIXème siècle, il a dû leur céder Dorjeling, « la vallée de la foudre » [1], ainsi que des territoires méridionaux. En 1861, tout le royaume devient un protectorat de Londres, sans être pour autant rattaché à l’Empire des Indes. Agissant comme protecteurs du chogyal, les Tibétains interviennent en 1886, ce qui conduit les Britanniques à mener une expédition punitive contre Lhassa deux ans plus tard, avec d’autant plus de conviction que Londres redoute une implantation de son ennemi russe au Tibet. Les Anglais interviennent de nouveau en 1903-1904. L’année suivante, ils signent avec le régent tibétain – le dalaï-lama étant en exil – une convention qui entérine les frontières du Sikkim. Mais le texte n’est pas reconnu par le pouvoir impérial chinois, tuteur du Tibet, pas plus que ne le sera le tracé de la « ligne Mac Mahon » qui, en 1914, officialise la mainmise britannique sur le petit royaume et sur le nord himalayen de l’Assam [2].
En 1865, les troupes anglaises ont également dû mener une nouvelle guerre contre le Bhoutan qui s’est terminée comme la précédente : une défaite bhoutanaise et la perte de ses territoires méridionaux, les plus fertiles. Dans la décennie suivante, le pays connait une guerre civile qui s’achève par la victoire d’un des gouverneurs de province (ou penlop), soutenu par les Britanniques. Ayant réunifié le Bhoutan, alors partagé en une dizaine de royaumes indépendants, Ugyen Wangchuck résiste à plusieurs rébellions de ses adversaires dans les années 1880 et instaure sa dynastie royale en 1907. Reconnue par le Royaume-Uni, la monarchie se place trois ans plus tard sous son protectorat, afin de se prémunir des visées expansionnistes de la Chine : le statut prévoit que Londres s’occupe des relations internationales du Bhoutan, mais s’abstient de toute intervention dans ses affaires intérieures. Protecteurs de Bhoutan et du Sikkim, les Britanniques reconnaissent en revanche, en 1923, la pleine souveraineté du Népal.
Après la disparition de l’Empire des Indes, le rôle de protecteur de la monarchie bhoutanaise est brièvement repris par l’Union indienne, le Bhoutan devenant pleinement indépendant dès 1949. Deux ans plus tôt, un référendum a exprimé le refus des Sikkimais de rejoindre l’Inde indépendante. De protectorat britannique, le royaume devient alors protectorat indien. Mais l’impopularité croissante du chogyal, de même que les revendications de la communauté népalaise en faveur d’une meilleure représentation politique, conduisent à des émeutes. En 1975, le Premier ministre saisit le Parlement indien pour modifier le statut du Sikkim et en faire un État à part entière de l’Union. L’armée indienne ayant pris le contrôle de la capitale, Gangtok, et désarmé les gardes du palais, un nouveau référendum est organisé : plus de 97 % des votants (59 % de participation) approuvent l’union avec l’Inde. En mai 1975, la monarchie est abolie et le Sikkim devient le vingt-deuxième État de l’Union indienne.
[1] Située au nord du Bengale, Darjeeling deviendra au XIXème un haut lieu de culture du thé.
[2] Ces accords n’ayant pas été signés par la Chine, Pékin revendique ces territoires comme « tibétains du sud », donc chinois.