L’ancien pays des Rus (ou Ruthénie, sa traduction latine médiévale) n’est connu sous le nom d’Ukraine que depuis le tournant des XVIe et XVIIe siècles : en russe, oukraïna sert à désigner des « marches » frontalières, situées en l’occurrence au sud de la Moscovie. Il est peuplé de Slaves orientaux dont la langue originelle aujourd’hui éteinte, le ruthénien ancien, a donné naissance à l’ukrainien, au biélorusse et au rusyn (carpato-ruthène) modernes.
Le pays s’est formé par adjonction successive de diverses régions historiques, dont certaines se prolongent d’ailleurs dans les pays voisins. C’est le cas de la Volhynie (au nord-ouest), de la Galicie (à cheval sur l’ouest de l’Ukraine et sur la région de Cracovie au sud de la Pologne), de la Bukovine (au nord de la Moldavie historique), du Boudjak et du Yedisan (à la frontière roumaine, près d’Odessa) et de la Méotide (les steppes situées à l’est et au nord de la mer d’Azov). D’autres régions sont intégralement ukrainiennes, comme la Podolie au centre-ouest (bordée au sud-ouest par le fleuve Dniestr) et la Zaporogue (dont l’appellation provient des rapides du Dniepr).
A Moscou, l’Ukraine n’a pas d’autre nom que « Petite Russie », puisque les Russes considèrent que le premier de leurs États a été fondé à Kiev (fût-ce par des Scandinaves), avant que le pouvoir ne bascule en Moscovie (cf. « Russie » historique). Lorsque l’État kiévien se fracture en principautés rivales, au XIIe siècle, l’une des plus importantes est celle de Galicie-Volhynie. Après avoir subi les destructions des Turco-Mongols (ou « Tatars ») au siècle suivant, elle passe au XIVe sous la domination des Polonais et de leurs alliés Lituaniens : les premiers prennent le contrôle de la Galicie (ou Ruthénie « rouge », avec Lviv comme chef-lieu et la principauté de Moldavie comme vassale) et les seconds règnent sur Kiev, la Volhynie et la Podolie. D’autres Ruthènes, fuyant les Mongols vers l’ouest, se réfugient en Ruthénie subcarpatique, sous domination hongroise.
Au tout début du XVe siècle, l’armée lituanienne s’avance jusqu’aux rives de la mer Noire, en prenant aux Tatars la région comprise entre le Dniepr à l’est et le Dniestr à l’ouest. Mais, en 1526, cette zone voisine de l’actuelle Odessa est reprise par les Turcs Ottomans (qui la rebaptisent Yedisan ou Jédisan), quelques années après leur reconquête de la partie méridionale de la Bessarabie moldave (rebaptisée Boudjak).
NB : le nom de Bessarabie a successivement qualifié la Valachie médiévale (en Roumanie actuelle, cf. Balkans et bas-Danube), puis uniquement le littoral de la mer Noire au Danube et enfin toute la partie orientale de toute la principauté de Moldavie.
L’Union de Lublin (1569) ayant consacré la suprématie de la Pologne sur son allié lituanien, celui-ci doit abandonner la plus grande partie de ses possessions ukrainiennes aux Polonais ; c’est de cette époque que date la frontière séparant l’Ukraine de la Biélorussie (qui, à l’époque, est encore lituanienne). De leur côté, les Russes construisent des fortifications aux marges de leur tsarat, notamment à Kharkov : c’est ce qui va valoir à cette région le nom d’Ukraine.
Au milieu du XVIIe, un État autonome s’émancipe des Polono-Lituaniens dans le bassin du Dniepr, au carrefour de la Russie, de la Crimée tatare et de la Pologne : l’Hetmanat des Cosaques Zaporogue, des paysans ruthènes orthodoxes qui se sont formés en communautés deux siècles plus tôt, afin d‘échapper à la servitude et au catholicisme imposés par les Polonais. Cet État perdure jusqu’en 1667, date de sa séparation en deux protectorats (l’un polonais, l’autre russe) qui disparaissent les décennies suivantes.
A l’occasion des partages de la Pologne effectués entre 1772 et 1795, la Galicie est récupérée par l’Autriche, tandis que tout le reste de la rive droite du Dniepr échoit à la Russie. Après avoir battu les Ottomans (en 1774, puis 1783), les tsars mettent également la main sur toutes les terres situées entre les embouchures du Dniestr et du Don, Crimée comprise. Les grandes steppes de cette « Nouvelle Russie » sont colonisées par des paysans venus de tout l’Empire. En 1812, la Russie parachève ses conquêtes en s’emparant du Boudjak.
Un siècle plus tard, la révolution russe et la défaite des puissances germaniques à l’issue de la première Guerre mondiale rebattent les cartes : une République démocratique est proclamée à Kiev et une République populaire d’Ukraine occidentale en Galicie (avant de fusionner avec la précédente), tandis que la Ruthénie subcarpatique passe dans l’orbite tchécoslovaque. Face à elles, les bolcheviks ont instauré des républiques socialistes à Kharkov et à Odessa. C’est pour éviter de subir l’emprise de cette dernière que la Moldavie orientale rejoint le royaume « frère » de Roumanie. En proie à des forces centrifuges, l’Ukraine devient un vaste champ de bataille, opposant notamment les nationalistes ukrainiens, les anarchistes, les bolcheviks (qui prennent Kiev et proclament une république socialiste soviétique d’Ukraine en mars 1919) et les Polonais (qui se sont emparés de Lviv).
En vertu du traité de paix signé à Riga, en 1921, la Pologne se voit accorder la Galicie et une grande partie de la Volhynie. En « compensation », la RSS d’Ukraine (soviétique) hérite dès l’année suivante de la région d’Odessa et du bassin industriel du Donbass, alors majoritairement peuplé d’Ukrainiens (cf. infra). Lui est également rattachée la République soviétique autonome moldave qui a été créée de toutes pièces dans la partie méridionale de la Podolie ukrainienne, sur la rive gauche du Dniestr, comme pendant à la Moldavie roumaine (cf. Moldavie).
Lorsque l’URSS et l’Allemagne nazie signent le pacte Molotov-Ribbentrop, en 1939, la quasi-intégralité de l’Ukraine repasse sous souveraineté soviétique, sauf la Ruthénie subcarpatique reprise par les Hongrois : la Volhynie et la Galicie orientale polonaises reviennent ainsi dans le giron de Moscou, de même que le nord de la Bukovine et le Boudjak roumains. Un fragment de ce dernier est ensuite rattaché à une partie de la république autonome moldave existante pour constituer une République socialiste soviétique de Moldavie à part entière (RSSM), tandis que le reste du Boudjak demeure ukrainien. Lorsque l’Allemagne attaque l’URSS, en 1941, l’essentiel de l’Ukraine passe sous le contrôle des Allemands, à l’exception de trois zones (ré)attribuées à leur allié roumain : la Bukovine du nord, la RSS de Moldavie et la rive gauche du Dniestr qui était restée ukrainienne.
Après la défaite nazie, Moscou se fait céder la Ruthénie subcarpatique (qui était brièvement redevenue tchécoslovaque). La RSS d’Ukraine réunit dès lors tous les territoires ukrainiens : la Volhynie, la Galicie, la Podolie, la Bukovine, le Boudjak, le Yedisan et la Méotide. Ce redécoupage s’accompagne d’importants mouvements de population entre l’Ukraine et la Pologne. En revanche, la Russie conserve la Crimée, qui n’a jamais été ukrainienne, jusqu’à ce que le numéro un soviétique la donne gracieusement à Kiev en 1954.
Resté intact lorsque l’Ukraine a divorcé de la Russie en 1991, le territoire ukrainien a en revanche connu de profonds bouleversements depuis 2014, date à laquelle les deux oblasts majoritairement russophones du Donbass, ont proclamé des républiques séparatistes inféodées à la Russie, puis envahies par elle, de même que la Crimée (cf. Ukraine).
Le Donbass entre Ukraine et Russie
Ce mot-valise soviétique – formé du toponyme « Donets » (affluent du Don) et d’un mot russe signifiant « bassin » – désigne une zone houillère de plus de 60 000 km², située au nord de la mer d’Azov. Recouvrant approximativement la portion de la steppe pontique qui était appelée Méotide dans l’Antiquité, elle s’étend sur une partie de l’Ukraine orientale (oblasts de Donetsk et de Louhansk) et sur l’ouest de la Russie (dans l’oblast de Rostov-sur-le-Don). Avant la deuxième moitié du XIXe siècle, l’Ukraine dans son ensemble ne compte presque aucune présence russe : elle est peuplée principalement d’Ukrainiens, de Juifs, de Polonais et de nombreuses minorités ethniques (Allemands, Tchèques, Bulgares, Grecs, Tatars, etc.). Le Donbass lui-même est peu habité et ne se peuple vraiment qu’après la découverte de gisements de charbon : leur exploitation provoque un afflux considérable de travailleurs venant de Russie, dont les pères de deux futurs secrétaires généraux du Parti communiste de l’Union soviétique, Khrouchtchev et Brejnev. Toutefois, quatre ans après que le Donbass a été rattaché à l’Ukraine (en 1922), les Russes ne représentent que 31 % de sa population, les deux tiers d’entre eux vivant en ville.
Mais la proportion des Russes, et surtout des russophones, s’amplifie les décennies suivantes, du fait de la diminution du nombre d’habitants parlant l’ukrainien. Celle-ci est due à deux facteurs : d’une part la famine (Holodomor), qui tue plusieurs millions de personnes, très majoritairement ukrainiennes, en 1932-1933 ; d’autre part la politique de russification massive mise en œuvre par Moscou. Déjà sous les tsars, la langue ukrainienne n’est considérée que comme un dialecte. Une ukrainisation de l’enseignement, de la culture et de la presse en 1923, mais cette libéralisation ne dure pas. Après la seconde Guerre mondiale, l’immigration russe est favorisée, en vue d’affaiblir le nationalisme ukrainien qui s’est réaffirmé lors du conflit : le nombre de Russes présents en Ukraine passe de 12% de la population en 1939 à 16 % en 1959 et 21 % en 1979.
Dans le Donbass, le nombre de Russes ethniques passe de 26 % en 1926 à plus de 43 % en 1979, tandis que celui des Ukrainiens diminue de 65 % à moins de 54 % durant la même période : ceux qui ne sont pas russophones ne sont d’ailleurs plus que 20 % alors que, en sens inverse, la part des Ukrainiens russifiés a augmenté pour atteindre 17 % (les autres étant bilingues, qu’ils soient de langue maternelle ukrainienne ou russe). Le recensement ukrainien de 2001 atteste que 87 % des habitants de l’oblast de Louhansk sont russophones, la situation étant identique dans celui de Donetsk ; la part des Russes ethniques y est toutefois inférieure à 40 % : après avoir culminé à 44 % en 1989, elle a reflué en raison du mouvement de retour en Russie qui a touché toutes les anciennes Républiques soviétiques. Les Russes représentent toutefois plus de 48 % de la population de la ville de Donetsk (contre un peu moins de 47 % d’Ukrainiens). Cette situation n’empêche pas 77% des habitants de la région de Donetsk et 84 % de ceux de celle de Louhansk de voter en faveur de l’indépendance de l’Ukraine en 1991.