Mexique

Mexique

Des grandes civilisations précolombiennes à la naissance d’un quasi narco-Etat

1 963 475 km²

République fédérale[1] présidentielle

Capitale : Mexico

Monnaie : peso mexicain

131 millions de Mexicains

[1] Les États-Unis mexicains (nom officiel du pays) comptent 31 « États libres et souverains » et la ville-capitale.

Le pays compte 4 389 km de frontières terrestres, avec les États-Unis au nord (3 155), le Guatemala (958) et le Belize (276) au sud-sud-est. Il est bordé par 9 300 km de côtes : sur la mer des Caraïbes à l’est et le golfe du Mexique au nord-est (séparés par la péninsule du Yucatán), par l’océan Pacifique à l’ouest et le golfe de Californie au nord-ouest.

Le Mexique est traversé par deux grandes chaînes de montagne : la Sierra Madre occidentale (prolongement de la Sierra Nevada californienne) et la Sierra Madre orientale (prolongement des montagnes Rocheuses). Séparées par le plateau mexicain, elles sont bordées au sud par la cordillère Néovolcanique (où culmine le pic d’Orizaba, à 5 675 m). Le Mexique compte d’autres reliefs montagneux comme la chaîne californienne, la sierra Madre del Sur, la sierra Madre de Oaxaca, la sierra Madre de Chiapas, et la Meseta Central de Chiapas. Situé de part et d’autre du tropique du Cancer, le pays présente trois grands types de climats : plutôt tempéré (subtropical humide et méditerranéen), tropical ou semi-aride, voire désertique.


En l’absence de données ethniques dans les recensements, la répartition de la population – dont un quart vit dans le grand Mexico – est estimée à 62 % de Métis, 28 % qui se considèrent comme indigènes (membres d’une soixantaine de peuples) et 10 % d’étrangers divers (majoritairement européens). Pays le plus hispanophone du monde, le Mexique compte également environ 10 % de locuteurs de langues amérindiennes. Parmi les soixante-quatre que reconnait une loi de 2002, les plus importantes sont, dans l’ordre, les parlers mayas (yucatèque, tseltal, tzotzil, ch’ol, huaxtèque), les langues otomangues (mixtèque, zapotèque, otomi, tlapanèque..), les langues nahua, le totonaque, le mixe-zoque et le tarasque. Le pourcentage d’indigènes dépasse un quart de la population totale dans plusieurs États (Oaxaca, Yucatán, Chiapas, Puebla, Guerrero, Veracruz, Morelos, Michoacán, Tabasco et Tlaxcala). Curiosité linguistique : le vénitien est encore utilisé dans la ville de Chipilo (Puebla). Des langues mayas sont également parlées au Belize (par environ 10 % des habitants) ainsi qu’au Guatemala (une vingtaine de langues, telles que le q’eqchi’, le quiché et le cakchiquel, employées par un peu moins de 30 % de la population).

Les 89 % de Mexicains déclarant une religion sont à 78 % catholiques et à 11 % protestants, dont des communautés mennonites utilisant encore le bas-saxon.

SOMMAIRE


Olmèques et Mayas, les premières civilisations

Le premier Mexicain identifié est une paléo-Indienne, la femme de Naharon, dont le squelette est daté d’environ 13600 AEC. Entre -5200 et -3400, de premières communautés de chasseurs-cueilleurs se sédentarisent au centre du Mexique. Les premiers villages apparaissent, liés essentiellement à la culture du maïs, dont la domestication a eu lieu aux alentours du Ve millénaire AEC.

Vers 2400 AEC apparaît la civilisation des Olmèques, nom donné à un ensemble sans doute pluriethnique et multi-linguistique dont l’origine est incertaine. Son nom, « peuple du pays du caoutchouc », lui a été donné par les Mayas. Les sites Olmèques les plus anciens ont été découverts près d’Acapulco, sur le Pacifique, et à La Venta, sur le golfe du Mexique, dans les États actuels de Tabasco et Veracruz. Leurs sites successifs majeurs se situent de ce côté-là, à San Lorenzo, La Venta (célèbre pour ses têtes géantes de pierre sculptée) et Tres Zapotes. Vouant un culte au dieu-jaguar et pratiquant un calendrier de deux cent soixante jours, la culture Olmèque se diffuse à partir de -1200 vers l’Anahuac, l’actuel plateau des environs de Mexico (avec le village de Tlatilco sur les bords du lac Texcoco) et même jusqu’au Costa-Rica. Contemporain des grandes cités olmèques des basses terres, le premier grand centre civil et religieux des hautes terres est Cuicuilco, situé sur la rive sud du lac Texcoco dans la vallée de Mexico ; célèbre pour sa pyramide de forme circulaire, la ville aurait été édifiée à partir de -800.

En parallèle, à partir de -2000, s’est développée la culture des Mayas, « ceux qui cultivent le maïs », depuis le golfe du Mexique jusqu’aux rivages du Pacifique, via les forêts d’altitude du Petén, au nord du Guatemala. Vers -1600, le proto-Maya éclate en cinq langues distinctes, écrites en hiéroglyphes, dont le yucatèque et le huaxtèque sur la côte Atlantique, ainsi que le quiché au Guatemala. Dans cette zone, ainsi qu’au Chiapas, se répandent par ailleurs des descendants des Olmèques, les Mixe-Zoque, vers -1500, puis les Zapotèques, vers -750. Ces derniers sont de langue otomangue, comme les Mixtèques qui se sont établis sur le rio Panuco, le plus long fleuve du Mexique s’écoulant de la vallée de Mexico jusqu’au golfe du Mexique. Au nord-est, dans le nord de l’Etat de Veracruz, règnent des principautés Totonaques.

Vers -600 débute le déclin des Olmèques, qui va favoriser l’expansion des Mixe-Zoque vers la côte Atlantique deux siècles plus tard. C’est également vers -600 que, à l’inverse, les Mayas érigent leurs premiers temples-pyramides : celui d’El Mirador, dans le Petén, est plus volumineux que la pyramide égyptienne de Gizeh. Au centre-ouest, la culture non Olmèque de Chupicuaro s’épanouit dans les États actuels de Guanajuato et du Michoacan.

Vers -300, les Olmèques donnent leurs derniers feux, en débutant la construction de la Grande Pyramide de Cholula, une ville fondée par les Epatlan dans la vallée de Tlaxcala, au pied du volcan Popocatepetl. Elle sera complétée et utilisée par les Toltèques et les Aztèques comme lieu de rituel religieux et de sacrifice humain. C’est la plus grande pyramide faite par l’homme en termes de volume déplacé (4,45 millions de m3). Dans le même temps, des cités-Etats Mayas se développent dans les « basses terres du sud« , les plaines forestières du Petén : elles sont une vingtaine, regroupées en deux ligues rivales conduites par Tikal et Calakmul. La cité de Palenque, dans le Chiapas, voit le jour un peu plus tard, vers -100.

Ascension et chute de Teotihucan

Sur le haut plateau du Mexique, les Totonaques (ou peut-être les Otomis) fondent, vers -200, la ville de Teotihuacan (« la plaine du précieux sacrifice »), au nord du lac Texcoco. Son expansion va être favorisée par le déclin de Cuicuilco, ensevelie sous la lave du volcan voisin. Vénérant Tlaloc comme dieu principal, Teotihuacan va ériger de grandes constructions, telles que la pyramide du Soleil édifiée vers 150-200 EC. Au 1er siècle EC, les Totonaques bâtissent une autre cité, El Tajin, au nord de l’État de Veracruz, tandis que les Mayas poursuivent leur expansion : à partir de 100, ils sont à Copán, dans l’ouest du Honduras. La cité-Etat Maya qui devient la plus puissante, à partir de 200, est celle de Tikal. A son apogée, la civilisation Maya classique couvre près de 325 000 km², du Yucatan au Chiapas, avec le Guatemala et le Belize, l’ouest du Honduras et le Salvador. Au sud-ouest, dans les vallées de l’Oaxaca, les Zapotèques donnent son lustre à la cité de Monte Alban, fondée vers -500 par les Olmèques : ils y construisent notamment de grands bâtiments en terrasse. Plus au nord, vivent des Mayas Huaxtèques et des Totonaques.

Entre 200 et 650, Tikal entre en concurrence avec Teotihuacan qui étend son influence aux hautes terres du Guatemala et à l’Oaxaca, au détriment de Monte Alban. Son territoire compte 200 000 habitants, de toutes origines ethniques : Zapotèques, Mixtèques, Mixes, Huaxtèques, Chatinos et Mayas. En 378, Teotihuacan s’empare de Tikal, ouvrant deux siècles de guerres contre les cités Mayas de Copán et Palenque au Chiapas ou Uxmal dans le Yucatan. C’est dans cette région que les Mayas fondent, vers 400, la ville de Chichén Itza, qu’ils abandonneront un siècle plus tard.

Au VIe siècle, les hauts plateaux voient arriver des peuples nomades, originaires des régions alors en voie de désertification du nord du Mexique et du Sud-Ouest des États-Unis. Parmi eux figurent les Toltèques, ainsi que les Tenochca, qui seront ultérieurement appelés Mexicas ou Aztèques, en référence à la terre légendaire dont ils sont censés provenir : Āztlán (la « Terre des hérons »). Adorateurs du « sorcier colibri » Huitzilopochtli, les Technoca ont migré avec d’autres tribus semi-nomades appartenant, comme eux et les Toltèques, au groupe linguistique uto-aztèque qui comprend les langues nahuas en Mésoamérique et les langues utes de l’ouest américain. Les peuples ne s’étant pas sédentarisés – à l’inverse des Aztèques et des Toltèques – seront désignés rétrospectivement du terme générique de Chichimèques (« lignée du chien »), au sens de « sauvage », voire de « barbares ». Les plus connus sont les Otomis.

Vers 650, leurs attaques amorcent le déclin de Teotihuacan. La ville est abandonnée un siècle plus tard, à la suite d’un incendie. Sa disparition favorise la multiplication de cités-Etats, ainsi que l’ascension de Cholula et la prospérité d’El Tajin, tandis que des Chichimèques et des « Nonoalca » (« parlant mal le nahuatl ») se répandent dans la « vallée de Mexico ».

Aux alentours des VIe et VIIe siècles, les Pipils (proches des Toltèques) migrent depuis le centre du Mexique vers le sud, à travers l’isthme de Tehuantepec, puis longent la plaine côtière du Pacifique jusqu’au Guatemala et au Salvador. D’autres locuteurs du nahua ont continué encore plus au sud, jusqu’au Nicaragua et au Costa Rica, où ils sont devenus connus sous le nom de Nicaraos.

Dans le Petén, Tikal connait son apogée vers 750. Mais cinquante ans plus tard, les cités mayas du Petén amorcent leur déclin, pour des raisons inconnues : surexploitation forestière, épuisement du sol avec la culture sur brûlis, épidémies, révoltes paysannes ? Elles sont abandonnées vers 900, les Mayas se redéployant vers le Yucatan et les hauteurs du Guatemala.


A partir de 850, les Toltèques se défont des tribus Nahua qui étaient déjà installées dans les actuels États de Morelos et de Guerrero. Dirigés par un roi-prêtre, qui incarne le dieu Quetzalcóatl (le Serpent à plumes), ils établissent leur capitale à Tula (sur le rio Panuco), au nord de Teotihuacan. De là, ils progressent vers le Guatemala et le Yucatan et absorbent progressivement la civilisation Maya classique. Il en découle une civilisation mixte Maya-Toltèque dans le Yucatan qui favorise la renaissance de Chichén-Itzá, vers 889, au détriment de Tikal. Une seconde dynastie toltèque y prend le pouvoir à la fin du Xe siècle, la première restant maîtresse de Tula. A partir des années 1000, la domination politique sur les cités-États du Yucatan est exercée par la Ligue de Mayapán, formée par la ville homonyme, Uxmal et Chichén-Itzá.

Dans l’Oaxaca, les Mixtèques supplantent les Zapotèques et saccagent Monte Alban, en 940. Évincés, les Zapotèques se dotent d’un nouveau centre, Mitla. Au Nord-Est subsistent les Huaxtèques, tandis que le Michoacán (au centre ouest) est le domaine des Purépechas, que les Espagnols appelleront Tarasques.

Au début du XIe, la théocratie Toltèque est renversée par une caste militaire, qui finit par succomber aux guerres incessantes avec ses voisins. En 1098, Tula est saccagée par un ensemble de tribus Chichimèques. Les Toltèques sont contraints de se soumettre aux Aztèques, tandis que d’autres peuples de langue nahua s’installent dans la vallée lacustre de la future Mexico, comme les Tépanèques et les Acolhuas. Ils fondent plusieurs cités-Etats, telles que Colhuacán et Texcoco. Dans la seconde moitié du XIIe siècle, les Aztèques essaient d’étendre leur influence dans la « vallée de Mexico » mais ils sont vaincus et beaucoup doivent s’exiler dans la lande stérile de Tizapan, au centre-ouest.

En 1194, la ligue de Mayapán se disloque, à la suite de guerres intestines. La population de Chichén-Itzá, vaincue, est réduite en esclavage par Mayapán, qui domine tout le Yucatan et expulse les Toltèques en 1221. Sur le plateau guatémaltèque, un nouvel État Maya émerge au XIIIe siècle : celui des Quichue et de leurs alliés Cakchiquel. Ils sont les auteurs du Popol Vüh, le guide de la religion des Mayas. Ceux-ci sont en effet le seul peuple méso-américain dont les langues soient écrites (sous la forme de manuscrits qui seront appelés codex).

Dans l’Oaxaca, au cours du XIIIe siècle, les Mixtèques prennent Mitla aux Zapotèques et commencent un processus expansionniste qui les conduit à occuper les vallées centrales où vivaient les vaincus.

L’empire Aztèque

En 1325 (ou 1370), les Aztèques s’installent sur une île du lac Texcoco, peut-être déjà occupée par des Otomis. Ayant vu un aigle dévorer un serpent sur un cactus, ils y voient le signe (annoncé) qu’ils doivent cesser de nomadiser et choisissent de s’établir au milieu des roseaux. Ils donnent à leur cité le nom de Tenochtitlan (renvoyant, probablement, au nom du figuier de barbarie en langue nahua). Lorsque les Espagnols s’empareront de la ville, elle porte aussi le nom accolé de Mexico, qui pourrait signifier « la ville au milieu (du lac) de la lune ». Tenochtitlan est sous la tutelle des Tépanèques qui sont alors en pleine expansion ; sous le règne de Tezozomochtli, ils vassalisent Colhuacán, jusqu’alors dominante, et établissent leur pouvoir à Azcapotzalco. Au nord de Tenochtitlan, dans la vallée de Puebla, d’autres populations Nahua fondent, au XIVe siècle, la Confédération du Tlaxcala, ce qui leur vaut le nom de Tlaxcalèques.

En 1428, Tenochtitlan et les cités lacustres alliées de Texcoco et de Tlacopān battent leur suzerain Tépanèque, qui s’était engagé dans une politique répressive vis-à-vis des Aztèques. En Triple alliance (dénommée le « tribunal des trois sièges »), elles conquièrent toute la vallée de Mexico et, à partir de 1440, s’étendent au Nord-Est contre les Huaxtèques et au centre contre les Otomis, les Mixtèques et leurs alliés Chochos. En 1471, elles soumettent les Totonaques. Sous le règne de Moctezuma 1er et de ses successeurs, nommés sans ligne dynastique, « l’Empire aztèque (ou Mexica) » s’étend sur la majeure partie du Mexique central, entre la côte pacifique et la côte du Golfe du Mexique. Les territoires soumis au paiement d’un tribut régulier au huey tlatoani, le souverain aztèque, s’étendent sur 250 000 km² et comptent dix millions d’habitants, dont un demi-million dans leur capitale. Cultivateurs de maïs, haricots, melon, vanille, tomates, coton et tabac, les Aztèques cultivent aussi du cacao dont ils font une bouillie nommée chocolatl. Adorateurs du Soleil, les Aztèques se livrent à des guerres incessantes contre les peuples voisins (tels que les Tépanèques et les Chalcas) et à des razzias de prisonniers qu’ils sacrifient à leurs dieux. Seuls résistent quelques États indépendants, des Tlaxcaltèques, des Tarasques au Michoacan, des Chichimèques au Nord-Est, des Mixtèques au sud et à Monte Alban.

En 1441, Chichén-Itzá se révolte contre Mayapán. La désorganisation politique qui en résulte entraîne une migration de Mayas vers le Guatemala, où les Cakchiquel fondent leur propre État dans les années 1470, ce qui déclenche des guerres avec les Quichué sur le plateau guatémaltèque. Entre 1500 et 1515, ces deux peuples doivent faire face à une offensive des Aztèques qui s’attaquent également à une Triple Alliance concurrente, associant Tlaxcala et Cholula.


La conquête espagnole

C’est peu après, en 1519, que Hernán Cortés débarque sur le littoral du golfe du Mexique à la tête d’une expédition espagnole venue de Cuba. Après avoir fondé l’actuelle Veracruz, il se dirige aussitôt vers le haut plateau. Ayant sollicité une rencontre avec Moctezuma II, il le garde en otage, ce qui entraîne une révolte Aztèque rapidement matée. En 1521, les Espagnols prennent et détruisent Tenochtitlan, aidés par plusieurs des peuples razziés par les Aztèques : les Totonaques, les Tlaxcaltèques et Texcoco, qui fournissent 100 000 hommes. C’est la fin de l’Empire Aztèque (le dernier des souverains est pendu vers 1523), ainsi que des États Quichue, Cakchiquel (1524-1525) et Tarasque en 1530, sans combat. A posteriori, les Aztèques justifieront leur capitulation en affirmant qu’ils ont vu en Cortés sur son cheval une réincarnation de Quetzalcoatl. Avec leurs vassaux (« Empire » Tarasque, « République » de Tlaxcala et une douzaine de principautés), les Espagnols règnent sur environ un million de km², qu’ils dotent d’une nouvelle capitale, Mexico, érigée sur les ruines de Tenochtitlan. Leur vice-royauté de Nouvelle-Espagne a autorité sur la capitainerie générale du Guatemala, qui couvre tout l’isthme centraméricain jusqu’au Costa-Rica (le Panama relevant de la Colombie).

L’évangélisation des populations commence dès 1523, accompagnée d’une exploitation intensive des indigènes, défendus par quelques rares religieux comme Las Casas. Les seuls à résister aux Espagnols sont quelques Mayas épars et les Chichimèques au Nord. Rebellés au début des années 1540, les seconds sont soumis au terme des guerres chichimèques (1550-1590). A la même époque, les Espagnols colonisent la Californie et le Texas. Quant au dernier État Maya – le royaume de Tayasal, dans la jungle de Petén – il disparaît en 1697. Les rares à échapper au contrôle espagnol sont les Mayas Lacandons, qui vivent dans de petites communautés fermières au cœur de la jungle du Chiapas et du département de Petén, ainsi que les Arahumara (ou Raramuri), des Uto-Aztèques habitant les montagnes septentrionales du Chihuahua. Entre la période précédant l’arrivée des Espagnols et 1650, la population amérindienne va chuter de 80 %, principalement à cause des épidémies : celle du Mexique central passe de vingt-cinq à un million d’habitants.

La découverte et l’exploitation de mines d’argent parmi les plus riches du monde vont contribuer à l’enrichissement de l’Espagne, qui implante aussi la culture de la canne à sucre et du café. Démographiquement, les Espagnols nés en métropole, les peninsulares (ou gachupines), ne sont que quelques dizaines de milliers, mais détiennent l’essentiel du pouvoir politique et économique, au détriment des indigènes (3,6 millions) des métis et mulâtres (1,3 million) et même des créoles, descendants d’Espagnols et d’Européens nés hors d’Espagne (1 million). Ces derniers vont être le fer de lance de l’indépendance mexicaine, proclamée en 1821 sous la forme d’un Empire. Trois ans plus tard, une nouvelle Constitution en fait une république représentative populaire fédérale. Les Espagnols nés au Mexique deviennent les maîtres du pays après l’expulsion, en 1829, de la plupart des « peninsulares ». La même année, Madrid effectue une tentative de reconquête, en faisant débarquer des troupes à Tampico. Mais elles sont repoussées par les forces du général Santa Anna qui, auréolé de ce succès, dirigera le pays à plusieurs reprises à partir de 1835. L’Espagne ne reconnaîtra l’indépendance du Mexique qu’à la fin de l’année suivante. A la faveur de l’émancipation mexicaine, la capitainerie générale du Guatemala se déclare, elle aussi indépendante, sous le nom de Provinces-Unies de l’Amérique centrale. Celles-ci se désagrègent en 1839, pour donner naissance à cinq pays (Guatemala, Honduras, Salvador, Nicaragua et Costa-Rica), tandis que la côte sud-est du Yucatan est passée sous influence britannique (et deviendra le Belize).

Une indépendance tumultueuse

La même année 1836, le Texas proclame son indépendance du Mexique, avec la volonté de rejoindre les États-Unis d’Amérique qui l’incorporent, de fait, en 1845. Considérant qu’il s’agit d’une violation des accords passés neuf ans plus tôt, Mexico revendique que sa frontière avec le Texas soit établie non pas sur le Rio Bravo (ou Rio Grande) mais sur le Rio Nueces, 300 km plus au nord. La guerre ayant été déclarée, le Mexique est envahi par les Américains. Vaincu, il doit signer en 1848 un traité qui impose le rio Bravo comme frontière et l’oblige à céder plus de 40 % de son territoire aux États-Unis, soit près de deux millions de km² comprenant les États actuels de Californie, du Nouveau-Mexique, d’Arizona, du Nevada, d’Utah, ainsi que la majeure partie du Colorado et le sud-ouest du Wyoming.

En 1857, deux ans après le renversement du régime autoritaire de Santa Anna, une nouvelle Constitution est promulguée. D’esprit libéral, elle établit une République fédérale composée de vingt-cinq États, d’un « territoire » (la Basse-Californie) et du district fédéral de Mexico. Les réformes les plus controversées sont celles qui concernent le statut de l’Église catholique : l’interdiction de l’acquisition de propriétés par les corporations ecclésiastiques, l’exclusion des prêtres de la fonction publique, l’imposition de l’enseignement laïque, la liberté de cultes… Ceci déclenche la rébellion des conservateurs et la scission du pays : les États de Jalisco, Guanajuato, Querétaro, Michoacán, Nuevo León, Coahuila, Tamaulipas, Colima et Veracruz soutiennent la Constitution de 1957 et le gouvernement de Benito Juárez ; à l’opposé, les États de Mexico, Puebla, San Luis Potosí, Chihuahua, Durango, Tabasco, Tlaxcala, Chiapas, Sonora, Sinaloa, Oaxaca et Yucatán appuient le gouvernement conservateur de Félix Zuloága.

Les libéraux finissent par l’emporter en 1860, après deux ans de « Guerre de réforme ». Mais lorsque, l’année suivante, Juárez décide de suspendre le paiement de sa dette extérieure, la France, qui est l’un des créanciers du Mexique, en profite pour intervenir militairement, avec la bénédiction du pape. L’objectif de l’empereur français Napoléon III est d’instaurer un nouveau régime catholique qui soit son allié contre l’influence grandissante des États-Unis. Victorieuses, les troupes françaises entrent à Mexico en 1863 et installent sur le trône de l’Empire du Mexique un frère de l’empereur autrichien. Mais la situation de Maximilien est précaire. Elle le devient encore plus quand Juárez retrouve un soutien nord-américain, une fois la guerre de Sécession terminée, et quand Napoléon III doit rapatrier ses troupes, alors que la guerre menace en Europe. Abandonné par son principal allié, Maximilien est fusillé en 1867 par les révolutionnaires mexicains, qui rétablissent la république.


La révolution mexicaine, acte fondateur

Après le décès de Juárez, la présidence échoit à Porfiro Diaz qui la conserve, élection après élection. Ses mandats, connus sous le nom de Porfiriat, sont notamment caractérisés par des lois qui, au motif de moderniser l’économie, permettent aux étrangers de posséder le sous-sol et d’investir dans les infrastructures, les mines, le pétrole, les plantations, l’industrie… L’une des conséquences de cette politique est la concentration des terres aux mains d’une minorité de propriétaires, au détriment des paysans : en 1856, une loi nationalisé non seulement les terres de l’Église, mais aussi les terres collectives créées durant la période coloniale. Leur récupération va nourrir des mouvements de villageois, tel celui qu’anime Emiliano Zapata dans l’État central de Morelos et celui voisin du Guerrero.

C’est aussi un des déclencheurs de la révolution mexicaine qui éclate en 1910, lorsque Diaz se présente pour un nouveau mandat. Refusant d’admettre sa défaite, en partie liée à des irrégularités, son riche adversaire Madero entre en rébellion et finance, notamment, un ancien hors-la-loi du Chihuahua, « Pancho » Villa, qui s’empare de Ciudad Juarez en 1911. Voulant éviter une guerre civile, Porfirio Diaz s’exile, laissant Madero accéder à la Présidence. Mais le nouveau chef d’État est rapidement confronté à la désillusion de certains de ses partisans, dont Zapata, ainsi qu’à l’opposition des conservateurs et d’anciens porfiristes. En février 1913, il est assassiné après un coup d’État militaire orchestré par le général Huerta. Devenu Président, le putschiste est à son tour contesté par plusieurs forces : la División del Norte de Pancho Vila au Chihuahua, l’Ejército Libertador del Sur (Armée libératrice du Sud) de Zapata au Morelos et l’Armée constitutionnaliste de Venustiano Carranza, gouverneur porfiriste de l’État de Coahuila. Après plusieurs défaites de l’armée fédérale au printemps 1914, Huerta s’enfuit dès le mois de juillet, abandonnant le pays aux factions révolutionnaires qui vont se déchirer entre elles. Le meilleur entre villistes, zapatistes et carrancistes va être pris par ces derniers, sous le commandement du général Obregón, originaire de l’État de Sonora. Replié dans le Morelos, où il a entrepris de mener à bien sa révolution agraire, Zapata est militairement battu en 1916. De son côté, Pancho Villa est affaibli, mais il parvient quand même à mener un raid contre une ville frontière des États-Unis, qui ont pris parti pour Carranza. Les troupes américaines du général Pershing entrent alors au Mexique pour l’arrêter, mais n’y parviennent pas et rencontrent l’hostilité de la population.

Débarrassé de toute opposition sérieuse, Carranza devient Président, en mai 1917, dans le cadre d’une nouvelle Constitution qui prévoit, notamment, le suffrage universel, la réforme agraire et une nouvelle restriction des privilèges de l’Église (sécularisation de l’enseignement, interdiction des ordres monastiques et du droit de vote des ecclésiastiques…). Deux ans plus tard, il fait assassiner Zapata pour mettre définitivement fin aux troubles du Morelos. Mais son pouvoir est contesté par son ancien chef militaire Obregón, qui se présente à la présidentielle de 1920. Ne pouvant se représenter, Carranza essaie de promouvoir un dauphin. En vain. Il meurt assassiné au mois de mai. Quatre mois plus tard, Obregón est élu à la Présidence mais doit, lui aussi, faire face à l’hostilité d’un de ses anciens partisans, Adolfo de la Huerta, qui avait convaincu Villa de déposer les armes en 1920. Redoutant que l’ancien guérillero ne reprenne le combat, Obregón le fait exécuter en 1923. Le bilan de la révolution mexicaine est estimé à deux millions de morts (sur un peu plus de 15 millions d’habitants), mais le Mexique n’en a pas fini avec la violence.

Dans l’impossibilité de briguer un second mandat en 1924, le chef de l’État promeut un de ses seconds, l’ancien général révolutionnaire Calles. Devenu le Jefe máximo de la Revolución (chef suprême de la révolution), il lance de grands travaux d’infrastructure et mène d’importantes réformes à caractère social. Profondément athée et inspiré par le marxisme, il décide de mettre complètement en œuvre les mesures de laïcisation de la Constitution de 1917, dont l’application était jusqu’alors timide. Cette décision déclenche la guerre des Cristeros (ou de Cristiada). D’abord locale, la rébellion des milieux populaires catholiques se transforme en soulèvement à partir de janvier 1927, en particulier dans les États de Jalisco et Guanajuato au centre-ouest. A son apogée, le mouvement compte 50 000 combattants bien entraînés, dont la moitié de femmes, qui affrontent des milices rurales et l’armée fédérale au cri de « Vive le Christ-Roi ! Vive la Vierge de Guadalupe ! ». En 1928, un étudiant extrémiste catholique assassine Obregón, qui venait de faire son retour à la Présidence.

Un accord entre le gouvernement et l’Église est finalement signé l’année suivante, à l’initiative des États-Unis : sans annuler les dispositions de 1917, il stipule qu’elles ne seront pas appliquées, ce qui permet au clergé catholique de retrouver un certain nombre de droits. La démobilisation des Cristeros n’est pas immédiate et s’accompagnera de purges, contraignant à l’exil plusieurs milliers de leurs membres. Le conflit aurait fait 150 000 morts parmi les civils et 90 000 parmi les combattants (dont les deux tiers dans l’armée fédérale). La situation ne s’apaisera vraiment qu’en 1940, avec l’élection du Président Camacho, un catholique pratiquant. Comme ses prédécesseurs, il appartient au Parti national révolutionnaire (fondé en 1919), qui va intensifier l’hispanisation du pays.

Guérillas et narcotrafic

Devenue Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) en 1946, la formation gouvernementale va dominer le pays sans partage, en oubliant peu à peu ses origines socialistes. Poussées dans une paranoïa anticommuniste par les Américains, alors en pleine guerre froide avec l’URSS et son allié cubain, les autorités tirent, en octobre 1968, sur des étudiants d’extrême gauche qui manifestaient dans le quartier de Tlatelolco, dix jours avant l’ouverture des Jeux olympiques à Mexico. Bien que désarmés, plus de trois cents manifestants sont tués et des centaines disparaissent.

Le gouvernement doit également faire face à des guérillas dans quelques États du pays, comme celle du parti ouvrier clandestin Union du Peuple – Parti des pauvres (PROCUP-PDLP) dans les années 1970 et celle des Forces de libération nationale (FLN), fondées en 1969 au Nuevo Leon. D’inspiration castro-guévariste, le mouvement va essaimer dans plusieurs États, y compris au Chiapas, l’un des plus pauvres du pays. C’est là, dans la forêt Lacandone, que quelques militants de l’ELN fondent l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) pour défendre les populations indigènes. D’abord confidentielle, l’organisation prend son essor à la faveur de la corruption du régime (en 1988, le Président Gortari n’est élu que grâce à une fraude massive) et de la libéralisation effrénée de l’économie : en 1992, une réforme met ainsi fin au caractère inaliénable des terres indiennes. Les néo-zapatistes finissent par déclarer la guerre au gouvernement le 1er janvier 1994, jour de l’entrée en vigueur de l’Alena, le traité de libre-échange associant le Mexique aux États-Unis et au Canada. Les combats, qui ne durent qu’une douzaine de jours et font entre 150 et 200 morts, sont suivis d’un accord de paix.

Mais le gouvernement ne l’applique pas, bien au contraire : il fonde une unité de contre-insurrection (dont une partie des effectifs formera plus tard le groupe criminel des Zetas) et arme des groupes paramilitaires, pour lutter contre l’EZLN, mais aussi contre l’Armée populaire révolutionnaire (EPR), apparue en 1996 dans les montagnes du Guerrero, un an après le massacre d’une quinzaine de paysans par la police. C’est l’une de ces milices, formées de partisans du PRI et d’anciens maoïstes, qui assassine quarante-cinq hommes, femmes et enfants en pleine prière, fin 1997 : ils étaient membres d’une association chrétienne tzotzil, liée aux zapatistes. Bien que prévenue, la police locale, qui arme les miliciens, n’a pas bougé. Ce massacre d’Acteal fait descendre des centaines de milliers de manifestants dans les rues de Mexico et de grandes villes, à l’appel de l’opposition de gauche, conduite par le Parti de la révolution démocratique (une scission de centre-gauche du PRI). Mais rien ne change. Faute d’accord national sur l’autonomie des communautés indigènes, l’EZLN crée ses propres municipalités autonomes, les « caracoles », dans lesquelles elle met en œuvre ses réformes. En parallèle, des affrontements de basse intensité continuent à opposer zapatistes et anti-zapatistes, propriétaires terriens mais aussi indigènes : la guérilla a en effet rallumé de vieilles querelles ethniques pour le contrôle des terres. En juin 2023, sept personnes sont tuées par balles dans le Chiapas, à la suite d’un conflit foncier entre communautés indigènes : les victimes sont des Tzotzils qui avaient été déplacés depuis le centre du Mexique, pour fuir un conflit agraire !

Dans un pays où 15 % de la population pense que seule la lutte armée peut faire bouger les choses, certaines situations demeurent insurrectionnelles, dans la région de Mexico et les États méridionaux d’Oaxaca et du Guerrero. En 2006, des violences opposent la police de Texcoco, dirigée par le PRD, au Front du peuple en défense de la terre (FPDT), apparu en 2001 pour empêcher la construction d’un deuxième aéroport à Mexico. A Oaxaca, la répression violente d’une manifestation d’enseignants – exigeant la revalorisation de leur salaire – fait plusieurs morts : les meurtriers sont des individus cagoulés, suspectés d’être des policiers aux ordres du gouverneur PRI local. A l’été 2007, l’EPR – bien que traversée par les scissions – refait parler d’elle en faisant sauter des gazoducs de la compagnie nationale Pemex, provoquant la paralysie de milliers d’entreprises pendant une semaine. En juin 2016, la répression par la police d’une manifestation d’enseignants radicaux, hostiles à une réforme sur l’évaluation des professeurs, fait encore huit morts.

Depuis 2006, le pays connait aussi une violence endémique due au trafic de drogue. Fin 2023, le bilan des victimes s’élevait à 400 000 morts, avec un pic en 2019 (plus de 35 500 morts). La criminalité est favorisée par l’impunité (seuls 10 % des délits généraux dénoncés dans le pays font l’objet d’un jugement), par la corruption (qui touche tous les échelons de la classe politique et de l’appareil sécuritaire) et par la pauvreté (qui frappe notamment sept Indiens sur dix, soit deux fois plus que la moyenne de la population).

La perte inédite du pouvoir par le PRI en 2000 – avec l’élection d’un candidat du Parti d’action nationale (conservateur) – n’a rien changé à la gouvernance générale du pays, d’autant que le PRI a repris les rênes douze ans plus tard. En 2018, le Mexique a toutefois enregistré un changement politique majeur, avec l’élection d’un Président de gauche : après deux échecs comme candidat du PRD, Andrés Manuel López Obrador a remporté le scrutin à la tête de sa propre formation, le Mouvement de régénération nationale (Morena). Ne pouvant se représenter en 2024, « Amlo » met en avant sa dauphine, Claudia Sheinbaum, une scientifique descendant de Juifs venus d’Europe : ancienne maire de Mexico, elle devient la première Présidente du Mexique, avec près de 60 % des voix, presque deux fois plus que sa principale concurrente, pourtant investie par les trois grands partis d’opposition.

En octobre, un semaine après son entrée en fonctions et quelques jours après la décapitation du maire de la capitale du Guerrero, la Présidente annonce le contenu de son programme de lutte contre la drogue (cf. Les cartels mexicains).

Photo de « une » : Chichen Itza / Crédit : Any Chancel