Tirant son nom d’une population locale, les Caribes (cf. infra), ce groupement insulaire, que les anglophones dénomment Indes occidentales (West Indies), comporte trois sous-ensembles : au sud le chapelet des petites Antilles, qui s’étirent des côtes vénézuéliennes jusqu’aux quatre grandes Antilles centrales, lesquelles représentent près de 90 % des terres habitées (Porto-Rico, Hispaniola, Cuba et Jamaïque d’est en ouest) ; enfin, au nord l’archipel des Lucayes (Bahamas, Turks & Caicos) ouvert sur l’Atlantique, au large de la Floride nord-américaine. La plupart des pays appellent Îles sous le vent celles qui longent les côtes vénézuéliennes (sous la souveraineté du Venezuela et des Pays-Bas) et Îles du Vent celles qui remontent de Trinidad (Trinité) jusqu’à Sombrero (îlet au nord d’Anguilla) ; pour les Britanniques en revanche, les Îles du vent sont les Petites Antilles au nord de la Dominique et les Îles sous le vent toutes celles qui sont au sud.
Les premiers occupants amérindiens
Les traces les plus anciennes de présence humaine aux Antilles ont été découvertes à Trinidad, sur un site occupé entre 5100 et 3500 AEC, époque où l’île était probablement reliée au Continent. Les traces suivantes ont été trouvées à Cuba, sur le site de Levisa (entre -3000 et -2100). Elles ont été laissées par des occupants vraisemblablement arrivés d’Amérique centrale en suivant les cayes, les îles basses composées de sable et de corail qui émergeaient à cette période. Les premiers colons européens attestent de l’existence de ces différents peuples méso-américains : les Ciguayos dans le nord de l’actuelle Républicaine dominicaine[1], les Tekestas à l’ouest de Cuba (appelés aussi Guacanabibes) et à Porto Rico, ainsi que les Ciboneys (« ceux qui habitent des grottes » en arawak) dans les zones les plus reculées de Cuba et Hispaniola.
A partir de 560 AEC arrivent d’autres populations, appartenant à la grande famille des Arawak, probablement issue d’Amazonie péruvienne. Les premiers sont les Igneris qui, ayant franchi le delta de l’Orénoque, ont atteint la côte nord du Venezuela vers -1000 et y ont appris, auprès des autochtones, des techniques de navigation. Leurs grandes pirogues vont leur permettre de gagner Trinidad, alors peuplée de Warao (« gens des canots »), puis l’ensemble des Antilles. Ils repoussent ou assimilent les tribus déjà implantées, massacrant les hommes pour ne conserver que les femmes et les enfants. Eux-mêmes vont être supplantés par un autre peuple de langue arawak, les Taïnos, qui se répandent sur l’île d’Hispaniola, à Porto Rico et dans la partie orientale de Cuba. Entre 500 et 800, certains d’entre eux poursuivent leur migration plus au nord, en direction des Caïcos et des Bahamas. Ils vont y recevoir le nom de Lucayens (« gens des îles »).
Entre 650 et 950, tous ces peuples vont être repoussés ou éliminés par d’autres populations originaires du Nord du Venezuela : les Kalinagos (ou Kali’nas « hommes forts »), également connus sous le nom de Caribes (Karibs). Ils se répandent d’île en île, surtout dans les Petites Antilles, et mènent des raids meurtriers jusqu’à Porto-Rico, aux Bahamas et à Cuba.
[1] Le nom indigène d’Hispaniola , Kiskeya , est peut-être d’origine Ciguayo et pourrait signifier « un terrain très montagneux et densément boisé ».
Colonisation européenne et indépendances
En 1492, un marin génois, chargé par les rois d’Espagne trouver une nouvelle route maritime vers les Indes et la Chine, débarque à Guanahani, une île des Bahamas qu’il croit située en Asie et qu’il rebaptise San Salvador. C’est là que Christophe Colomb découvre l’existence des Caribes, que les Lucayens lui présentent comme des anthropophages, présentation sans doute erronée qui sera à l’origine du mot « cannibale »[1]. Poursuivant son périple, Colomb atteint Cuba, puis Hispaniola, Porto-Rico et la Jamaïque. Son frère fonde la ville de Saint-Domingue, au sud d’Hispaniola, en 1496. Quelques années plus tard arrivent les premiers esclaves noirs d’Afrique, destinés à remplacer les populations indigènes décimées par les maladies, l’esclavage, la répression et la destruction des cultures locales. A Porto-Rico, les Arawaks sont anéantis en 1511, après une révolte. Aux Bahamas, les Lucayens ont quasiment disparu en 1520. C’est aussi le cas des Taïnos d’Hispaniola (appelée Ayti en arawak) : trente ans après l’arrivée des Espagnols, il ne reste plus que 10 % des quelques centaines de milliers d’habitants que comptait l’île[2].
Au début du XVIIe siècle, les richesses antillaises commencent à attirer les autres puissances européennes, à l’exception du Portugal (qui est lié par le traité de Tordesillas ayant instauré un partage des zones d’influence des deux pays ibériques). Les rivaux de l’Espagne encouragent d’abord la flibuste, c’est-à-dire le pillage des navires et des villes espagnols par des bateaux de corsaires, boucaniers et autres « Frères de la côte » tels que Francis Drake. Leur principal repaire est l’île de la Tortue, située en face de la partie occidentale d’Hispaniola. Leur pouvoir de nuisance diminue quand les concurrents de l’Espagne commencent à s’implanter directement dans les Antilles : l’Angleterre (à Saint-Kitts et à la Barbade dans les années 1620, puis en 1655 à la Jamaïque dont elle chasse les Espagnols), les Provinces-Unies (en 1634 à Curaçao et en 1648 aux Îles Vierges orientales[3], dont elles sont chassées une vingtaine d’années plus tard par les Britanniques), la France (à partir de 1639 sur l’île de la Tortue et dans la partie occidentale d’Hispaniola, qui est baptisée colonie de Saint-Domingue), le Danemark (qui prend pied dans les Îles Vierges de Saint-Thomas, puis de Saint John et de Sainte Croix achetée à la France, à l’est de Porto-Rico), la Suède (à Saint-Barthélémy[4]) ou encore le Brandebourg allemand, champion de la traite négrière malgré son absence de colonie antillaise[5]. Même le petit duché balte de Courlande possède une colonie dans l’île de Tobago pendant quelques décennies.
Tous pratiquent le trafic transatlantique d’esclaves, grâce aux comptoirs que même les plus petits ont établis sur les côtes occidentales de l’Afrique (en Gambie pour la Courlande, sur la Côte-de-l’Or pour le Brandebourg, le Danemark et la Suède). Les Noirs importés pour cultiver la canne à sucre, le cacao et le café (jusqu’à 3,5 millions aux Antilles et dans les Guyanes), remplacent les derniers Arawaks et Caribes encore vivants. Seul le relief de la Dominique permet aux Caribes d’échapper aux forces coloniales.
En 1697, à l’occasion du traité de Ryswick qui met fin à la guerre (européenne) de la Ligue d’Augsbourg, l’Espagne reconnait la souveraineté de la France sur le tiers occidental d’Hispaniola. En revanche, en 1713, puis 1763, les traités d’Utrecht et de Paris font perdre au royaume français la plupart de ses possessions antillaises au profit de l’Angleterre.
L’irruption de la Révolution française provoque un bouleversement au sein de la colonie de Saint-Domingue, restée globalement royaliste. Les Noirs se soulèvent en 1791 dans le nord et les mulâtres s’opposent aux Blancs dans le centre et au sud. Lorsqu’elle entre en guerre contre la France révolutionnaire, en 1793, l’Espagne s’appuie sur des esclaves révoltés de la partie française, dirigés par Toussaint « Louverture ». Dès l’année suivante, cet ancien esclave affranchi change de camp et rejoint l’armée républicaine, au sein de laquelle il devient même général. Affaiblis, les Espagnols sont contraints d’abandonner la partie orientale d’Hispaniola aux Français, en 1795. Mais l’unification de l’île sera de courte durée, car la France n’a même plus la maîtrise de la partie occidentale. Toussaint Louverture y mate une révolte des mulâtres qui s’étaient emparés des biens des Blancs (partis en exil) et y proclame, en 1801, une Constitution qui lui attribue d’immenses pouvoirs. C’est le prélude à l’indépendance d’Haïti qui, en 1804, devient la première république noire du monde, faisant perdre à Paris le fleuron qui fournissait alors la moitié du coton et du café mondial et plus du tiers du sucre.
Les Français ayant été également chassés de la partie orientale d’Hispaniola, celle-ci repasse sous la tutelle de l’Espagne, avant d’être occupée par les Haïtiens pendant une vingtaine d’années, puis d’accéder à son tour à l’indépendance en deux temps (1844, puis 1865), sous le nom de République dominicaine. Dans le reste des Antilles, les Britanniques ont profité de la situation pour étendre leur domaine, avec la prise de Tobago et de Sainte-Lucie à la France (1793-1795) et de la Trinité à l’Espagne (1797).
En 1868, c’est Cuba qui se révolte contre la tutelle de Madrid. Voyant leur approvisionnement en sucre cubain menacé, les États-Unis interviennent et déclarent la guerre à l’Espagne en 1898. Battus, les Espagnols doivent reconnaître l’indépendance cubaine et céder Porto Rico aux Américains (qui, en 1917, rachètent aussi les Indes occidentales danoises, rebaptisées îles Vierges américaines). En 1903, les États-Unis acquièrent un bail incessible sur le camp de Guantánamo, au sud-est de Cuba, dont les 121 km² ont ensuite été transformés en prison de haute sécurité pour des « combattants illégaux » capturés par les Américains à travers le monde.
Pour organiser l’indépendance future de ses colonies antillaises, le Royaume-Uni les réunit en 1958 dans une Fédération des Indes occidentales qui disparait quatre ans plus tard, après le retrait de la Jamaïque, puis de Trinité-et-Tobago qui deviennent indépendants. En 1967, six des membres restants forment les États associés des Indes occidentales (fédération d’états autonomes en libre-association avec Londres), avant de devenir à leur tour indépendants entre 1974 et 1983. Cette évolution s’accompagne parfois de campagnes séparatistes : réussie à Anguilla (qui se sépare de Saint-Kitts en 1969 et demeure territoire britannique), mais infructueuses à Barbuda (qui reste dépendante d’Antigua) et à Nevis (qui forme finalement une fédération avec Saint-Kitts). Toutes les anciennes colonies demeurent membres du Commonwealth, la plupart sous la forme de royaumes ayant le monarque britannique comme souverain, mais pas toutes. La Barbade, la Dominique et Trinité-et-Tobago choisissent de devenir des républiques.
[1] « Cannibale » a pour origine le terme arawak, caniba, déformation de cariba, le nom que se donnaient les Caribes des Petites Antilles pour signifier « homme courageux ». En revanche, pour les Arawaks de Cuba, victimes des incursions répétées et sanglantes de leurs ennemis, le terme cariba comportait une connotation extrêmement négative.
[2] Au moins 750 000 Tainos sont éliminés dans les grandes Antilles.
[3] Iles Vierges, repère du pirate anglais « Barbe Noire » (1716-1718)
[4] Gouvernée par les Hospitaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem de 1651 à 1656, Saint-Barthélémy est vendue par la France à la Suède en 1784, puis rachetée en 1878.
[5] En 1693, les Brandebourgeois transporteront vers les Antilles deux fois plus d’esclaves que les Anglais et trois fois plus que les Hollandais.
Les États modernes
Regroupant aujourd’hui une quarantaine de millions d’habitants, les Antilles comptent treize États indépendants, dont deux des plus importants sont de langue espagnole : Cuba et la Républicaine dominicaine ; les autres sont de langue officielle française (Haïti, dans le tiers occidental d’Hispaniola) et anglaise (par ordre d’importance décroissante : Jamaïque, Trinité-et-Tobago, Bahamas, Barbade, Sainte-Lucie, Grenade, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Antigua-et-Barbuda, Dominique, Saint-Kitts-et-Nevis).
S’y ajoutent, en plus des îles appartenant aux pays riverains (comme l’île vénézuélienne d’Aves à l’ouest de la Dominique), une quinzaine d’entités non indépendantes, aux statuts divers : des collectivités françaises d’outre-mer (Martinique 1 128 km², Saint-Barthélémy ou Saint-Barth 24 km², Guadeloupe 1 628 km² et ses dépendances : Marie-Galante, Désirade, Saintes) et cinq territoires britanniques d’outre-mer[1] qui, pour la plupart, sont des paradis fiscaux ne suivant que très partiellement les directives de Londres en la matière. S’y ajoutent trois pays autonomes constitutifs du royaume des Pays-Bas[2], ainsi que deux territoires américains, dont le plus grand, Porto-Rico (de langues anglaise et espagnole) a le statut d’État associé aux États-Unis d’Amérique (cf. Particularismes étatiques). L’autre territoire dépendant des États-Unis sont les îles Vierges américaines ; elles représentent plus des deux tiers d’un archipel, dont l’autre tiers forme les îles Vierges britanniques (cf. Archipels divisés). Un peu plus au sud, l’île de Saint-Martin (96 km²) est partagée entre les Pays-Bas (un peu plus du tiers méridional) et la France.
La mer des Caraïbes fait l’objet de plusieurs différends territoriaux, le plus souvent pacifiques : entre les États-Unis et les Bahamas sur leur frontière maritime, entre les États-Unis et Haïti (qui revendique la souveraineté sur l’île américaine de la Navasse, proche de la Jamaïque), entre le Nicaragua et plusieurs de ses voisins latino-américains. Managua conteste notamment la décision de la Cour internationale de justice qui, en 2012, a confirmé la souveraineté de la Colombie sur l’île caraïbe de San Andres (ainsi qu’une demi-douzaine d’îlots et rochers avoisinants comme Providencia), tout en attribuant au Nicaragua plus de la moitié de l’espace maritime concerné, soit 75 000 km² riches en pétrole, minerais et poissons. De son côté, la Colombie revendique les îles vénézuéliennes de Monjes del Norte, Monjes del Este et Monjes del Sur.
[1] Îles Caïman (entre Cuba et Jamaïque, 264 km², 66 000 habitants), archipel d’Anguilla (102 km², 9 000 habitants), île de Montserrat (102 km², 5 000 habitants), îles Turques et Caïques (ou Turks-et-Caïcos à l’est des Bahamas, 948 km², 60 000 habitants), Îles Vierges britanniques (à l’est de Porto-Rico, 153 km², 40 000 habitants).
[2] Aruba, Curaçao et le tiers sud de Saint-Martin. Les îles Bonaire (à l’est de Curaçao), Saba et Saint-Eustache (au nord des Petites Antilles) sont des communes à statut particulier. Cf. Particularismes étatiques.
Langues et religions
Dans la plupart des cas, les langues réellement pratiquées dans les pays et territoires antillais sont des créoles : d’anglais, de français (à Haïti et à la Dominique) ou d’espagnol et de néerlandais (le papiamento). Les langues arawak et caribes – encore parlées en Amérique du sud, de la Colombie au Brésil – ont quasiment disparu des îles. Environ 3 000 Caribes peuplent la réserve de 15 km² que la Couronne britannique leur a accordée en 1903 au nord-est de la Dominique : le territoire Kalinago. S’y ajoutent quelques centaines de congénères à Trinidad et un nombre indéterminé à Saint-Vincent. Quant au karib insulaire (ou igneri), il est encore parlé dans quelques villages de Garifunas, sur les côtes Atlantique du Belize, du Guatemala, du Honduras et du Nicaragua : ces communautés descendent des Caraïbes « noirs » – métis d’esclaves africains évadés (les nègres marrons) et de Caraïbes « rouges » – que les Britanniques ont déportés de Saint-Vincent à l’île hondurienne de Roatán en 1797. L’héritage « indien » n’a toutefois pas totalement disparu des Antilles : des études génétiques ont démontré que l’ADN de 61 % des Portoricains et de 15 % des Dominicains comportait des traces de descendance taïno.
Comme aux États-Unis et au Brésil, les Africains conduits en esclavage dans les Antilles y ont amené leurs croyances et leurs rites, en les dissimulant parfois derrière un masque chrétien pour assurer leur survie. Opérant un syncrétisme avec les religions amérindiennes et européennes, ces cultes afro-américains sont nombreux dans les Antilles : le palo mayombe et la santería (d’origine yoruba) à Cuba, le vaudou (ou vodoun) à Haïti, le shangô dans les îles de la Trinité et de Grenade, le quimbois en Guyane et dans les petites Antilles, l’obeah des Antilles anglophones… Ces religions afro-américaines proviennent des Fanti et Ashanti de l’ancienne Côte-de-l’Or (l’actuel Ghana), des Yoruba (santeria) et des Efik du Nigeria, des Fon de l’ancien royaume du Dahomey, des Kongo (palo mayombe) et de l’Afrique bantoue ou encore de la corne de l’Afrique (comme le rastafarisme jamaïcain, qui considère le Négus d’Éthiopie comme le Messie). À Haïti, un vaudou entièrement créole (le vaudou Petro) s’est ajouté au vodoun originel, qui vénère des divinités fon et quelques divinités yoruba. Au cours du temps, un certain syncrétisme s’est opéré entre religions africaines et christianisme, certains dieux se retrouvant notamment identifiés à des saints catholiques : c’est le cas de la Yemanja, divinité aquatique de la santería au visage de Madone.
Des rites de religions africaines ancestrales ont également imprégné certaines pratiques chrétiennes, en particulier celles du revivalisme protestant, en Jamaïque et dans l’île de la Trinité (ainsi qu’en Amérique anglo-saxonne). Les discours anti-esclavagistes de certains chrétiens anglo-saxons, comme les frères Wesley – fondateurs du méthodisme – ont également rencontré un fort écho dans de nombreuses petites îles anglophones telles que la Jamaïque, la Barbade, Antigua, Saint-Kitts, Saint-Vincent… Les méthodistes et leurs avatars (Wesleyens, Nazaréens) y sont fortement représentés, aux côtés des Adventistes, Pentecôtistes, Baptistes et autres Anabaptistes (Frères Moraves, Église des Frères, cf. Protestantisme) : ils y sont généralement beaucoup plus nombreux que les anglicans et les catholiques.
Légende photo : la vieille ville espagnole de Saint-Domingue