SOMMAIRE
- L’arianisme et les premiers schismes
- La naissance des Églises orthodoxes et orientales
- Encadré : la république monastique du Mont-Athos
- L’ère des hérésies
- L’avènement des « protestantismes »
- Dissidences catholiques et syncrétismes chrétiens
L’arianisme et les premiers schismes
A peine séparé du judaïsme et établi à Rome (cf. Judaïsmes et sionisme), le christianisme[1] connait ses premières dissidences. Prêché par un chrétien originaire d’Asie Mineure, le marcionisme est une croyance dualiste – issue du gnosticisme – selon laquelle l’évangile du Christ est un évangile de pur Amour, à la différence de l’Ancien Testament qui doit donc être rejeté. En vogue aux IIe et IIIe siècles dans l’Empire romain, les doctrines gnostiques considèrent que les âmes divines des humains sont emprisonnées dans un monde matériel créé par un dieu inférieur mauvais, à l’opposé duquel existe un dieu parfait, mais plus éloigné, qui possède la connaissance (gnose). Jugé hérétique, Marcion est excommunié en 144.
Au début du IVe, c’est un prêtre d’Alexandrie qui secoue le dogme chrétien de la sainte Trinité (un seul Dieu ayant trois représentations, Père, Fils et Saint-Esprit) : dans sa doctrine, Arius affirme que si Jésus-Christ a bien une nature divine, il n’en est pas moins subordonné à Dieu le Père, puisqu’il a été engendré par lui. L’arianisme est condamné en 325 au concile de Nicée, sans que la nouvelle position adoptée – la consubstantialité entre Père et Fils – ne fasse pleinement l’unanimité au sein de l’Empire romain, dont la capitale est transférée à Constantinople cinq ans plus tard. La ville nouvelle de l’empereur Constantin est placée au second rang de la chrétienté, derrière Rome, mais devant les autres trois cités de la « pentarchie » (Alexandrie, Antioche et Jérusalem). Pour tenter de restaurer l’unité des chrétiens, l’empereur Constance II propose une synthèse, l’homéisme, en vertu de laquelle le Fils est semblable au Père. Mais cet épisode est sans lendemain. En 380-381, Théodose rétablit le dogme énoncé à Nicée comme religion officielle de l’Empire, ce qui n’empêche pas la doctrine arienne de prospérer un moment, en particulier chez les « barbares » frontaliers de l’Empire ; l’arianisme disparaitra en même temps que disparaitront les États érigés par ces peuples en Italie (Ostrogoths et Lombards), en Hispanie (Wisigoths et Suèves) et en Afrique du Nord (Vandales).
Aux IVe et Ve siècles, une autre doctrine – qui sera également jugée hérétique – prend son essor dans le diocèse d’Afrique romaine : le donatisme. Mouvement autant théologique que social, il tire son nom de l’évêque de Casae Nigrae en Numidie, Donat le Grand, qui juge invalides les sacrements délivrés par les évêques s’étant compromis lors de la persécution des chrétiens par l’empereur Dioclétien, en 304-305. Dans cette même région, les conciles de Carthage condamnent, en 411 et 418, le pélagianisme : il est l’œuvre d’un ascète et moine britton, parti à Rome puis en Orient, qui rejette le péché originel et soutient que l’homme peut assurer son salut par ses seuls mérites. Cette doctrine est ardemment combattue par Augustin, théologien et évêque d’Hippone (nord de l’Algérie actuelle), qui considère Pelage comme un disciple du manichéisme de Perse.
D’autres turbulences surviennent au Ve siècle. La première émane du patriarche de Constantinople, Nestorius : à l’encontre du dogme officiel qui fait coexister les natures divine et humaine du Christ, il considère qu’une distinction doit être faite entre les deux. Condamné en 431 au Concile d’Éphèse (qui proclame par ailleurs Marie « mère de Dieu »), le nestorianisme se diffuse néanmoins en Syrie et en Perse, puis en Inde, en Chine et jusqu’au sein de l’Empire mongol.
En 451, un nouveau concile se tient à Chalcédoine (aujourd’hui banlieue d’Istanbul, sur la mer de Marmara) pour condamner le monophysisme du patriarche d’Alexandrie, Cyrille : selon lui, la nature divine du Christ l’aurait emporté sur sa nature humaine alors que, selon la doctrine officielle, les deux natures du Christ coexistent pour ne former qu’une seule personne. Mais le dogme « chalcédonien » (ou dyophysite) ne fait pas l’unanimité : il demeure contesté par les communautés monophysites (ou myaphysites) qui se répandent en Arménie, en Égypte et en Éthiopie (coptes), ainsi que dans la région d’Edesse, sous la conduite du métropolite Jacques Baradée. Ces jacobites syriaques et les coptes donnent à leurs adversaires dyophysites le nom de melkites (du syriaque « malka » signifiant roi, en l’occurrence l’empereur de Constantinople).
Une nouvelle crise survient en 482, quand le patriarche de Constantinople, poussé par l’empereur Zénon, promulgue l’Henotikon, un texte qui est censé réconcilier les monophysites et les dyophysites, mais qui n’a pas été soumis à la lecture préalable du pape. La crise, qui gagne les patriarcats d’Antioche et de Jérusalem, ne prend fin qu’en 519, lorsque le nouvel empereur s’aligne sur la papauté. Un siècle plus tard, les autorités de Constantinople font une nouvelle tentative de réconciliation avec les Églises d’inspiration nestorienne ou monophysite : tout en restant calé sur le dyophysisme, le monothélisme stipule qu’une seule volonté, divine, dicte les actions du Christ. Mais cette tentative n’est pas plus concluante que les précédentes : elle n’inspirera que les maronites de Syrie et du Liban (cf. Liban).
A la fin du VIIe siècle, le pouvoir byzantin est contesté par une doctrine dualiste qui se répand dans ses possessions anatoliennes, sans doute à l’initiative d’un prédicateur arménien : comme le manichéisme, le paulicianisme oppose l’esprit divin à la matière, considérée comme l’œuvre du diable. Rejetant tout clergé et tout sacrement, les pauliciens prônent une appropriation personnelle des saintes Écritures par la méditation et la prière. Considéré comme hérétique et pourchassé, le mouvement se militarise : du milieu des années 830 à la fin des années 870, il se transforme en quasi-Etat, qui depuis ses bases d’Anatolie centrale, mène des raids contre les Byzantins, notamment à Nicée ou Ephèse.
[1] Le nom vient de celui donné à Jésus, fils de Dieu : Christ, qui signifie « oint » en grec et latin (« personne consacrée par une onction de Dieu ») et qui est aussi la traduction de l’hébreu « messie ».
La naissance des Églises orthodoxes et orientales
A Constantinople, une nouvelle crise est provoquée en 726 par l’empereur Léon III : désireux de réduire la place des moines dans la religion populaire, il interdit le culte des reliques et des images, dont ces religieux sont particulièrement friands. Devenu doctrine officielle, l’iconoclasme provoque une révolte du clergé qui ne prend fin qu’en 843 : les icônes sont de nouveau reconnues, à condition qu’elles soient exécutées dans un cadre théologique rigoureux. Si la crise a rapproché les clergés grecs et latins, elle n’empêche pas l’apparition de nouvelles tensions une douzaine d’années plus tard, lors de l’éviction de l’impératrice-régente Théodora et du patriarche qui lui était fidèle (cf. Balkans). Son successeur, le laïc Photios, entre en conflit avec Rome au sujet de la langue utilisée pour évangéliser les Slaves, le latin ou le slavon. Le choix du khan bulgare de se faire baptiser par le pape – parce-que Photios lui a refusé un patriarcat propre – déclenche les hostilités : en 867, le patriarche de Constantinople excommunie le pape, jugeant l’Église latine hérétique sur plusieurs points tels que l’exclusion des hommes mariés du sacerdoce, le jeûne du samedi, l’usage de pain azyme pour l’eucharistie… Le point majeur de divergence est l’ajout du « filioque » au credo latin, autrement dit l’affirmation que l’Esprit saint émane du Père et du Fils, alors que, dans la doctrine de Nicée, il ne procède que du Père.
L’union est rétablie par le nouvel empereur byzantin, en 869, mais les germes de la division sont toujours là, notamment au sujet de la place du pape : pour Constantinople, qui lui dénie les titres de pontife et de Primum inter pares, l’Église chrétienne ne saurait avoir d’autre chef que le Christ. De plus en plus éloignés, théologiquement et politiquement, la plupart des Églises d’Orient rompent avec la Papauté en 1054. A la suite de ce schisme, elles prennent le nom d’orthodoxes (« croyance juste » en grec), afin de bien marquer leur fidélité aux préceptes des sept conciles du premier millénaire. Un concile tenu à Florence (en 1439) réaffirmera l’unité des églises chrétiennes, tout en laissant une liberté liturgique aux chrétiens orientaux. Mais cet état de grâce se dissipera dès la prise de Constantinople par les Ottomans, quatorze ans plus tard : estimant ne pas avoir été assez soutenues contre les Turcs, la plupart des Églises chrétiennes d’Orient se détacheront définitivement de Rome, siège de la papauté et des États de l’Église (cf. La formation de l’Italie). Tout en gardant leurs propres rites liturgiques, quelques-unes resteront toutefois fidèles au pape et à ce qu’on appelle alors le christianisme romain (de rite latin), le terme « catholique » n’étant appelé à se généraliser qu’un peu plus tard[1].
De ce fait, le terme de christianisme « oriental » utilisé par les historiens depuis le grand schisme de 1054, regroupe trois grandes obédiences, deux orthodoxes et une catholique (de rite non latin) :
- Les Églises « antéchalcédoniennes » (ou orthodoxes orientales) qui ne reconnaissent que les conciles œcuméniques antérieurs à celui de Chalcédoine : les deux premiers (Nicée et Constantinople) pour les quelques dizaines de milliers d’héritiers du nestorianisme et les trois premiers (avec Éphèse) pour la soixantaine de millions d’adeptes des Églises issues du monophysisme (copte et éthiopienne, jacobite, apostolique arménienne, syro-malabare du Kerala en Inde…).
- L’Église orthodoxe chalcédonienne, dite aussi des sept conciles (les sept premiers, dont celui de Chalcédoine, jusqu’à Nicée II en 787, quand les catholiques en reconnaissent vingt-et-un) : elle réunit quelque 280 millions de fidèles, vivant pour la plupart en Russie et en Europe de l’Est.
- Les Églises catholiques orientales (parfois nommées « uniates ») qui sont liées à Rome, mais pratiquent des liturgies non latines (essentiellement byzantine, mais aussi copte, guèze, arménienne, maronite, syriaque occidentale et syriaque orientale ou chaldéenne). Comptant un peu moins de 20 millions d’adeptes, ces vingt-trois Églises autonomes co-existent souvent avec des Églises orthodoxes, en Éthiopie, au Moyen-Orient, au Kerala indien, dans les Balkans… Les plus connues sont les Maronites du Liban et les différentes Églises grecques-catholiques.
Contrairement au monde catholique, structuré autour du Saint-Siège papal (cf. Vatican), l’Église orthodoxe chalcédonienne est constituée d’Églises indépendantes[2]. Le Patriarcat œcuménique de Constantinople est censé disposer d’une autorité morale sur ses pairs, car il est le plus ancien, mais cette primauté a été contestée par les princes de Moscovie dès le milieu du XVe : ils ont accompagné leur montée en puissance politique d’un discours faisant de leur capitale la « troisième Rome », après Rome et Constantinople (cf. Russie historique et encadré sur les Églises dans Ukraine). En 1666, l’orthodoxie russe a elle-même été traversée par la dissidence des Vieux Croyants (ou vieux ritualistes), communauté refusant que le patriarche de Moscou réaligne le rituel russe sur la liturgie byzantine[3].
D’un point de vue théologique, la communauté orthodoxe suit les mêmes sept sacrements que les catholiques et refuse le mariage des moines et des évêques (des hommes déjà mariés pouvant toutefois devenir prêtres). En revanche, elle ne reconnait pas l’Immaculée Conception de la Vierge (qui n’est d’ailleurs devenu dogme catholique qu’en 1854), tout en célébrant sa montée au Ciel (la « Dormition »). Les différences avec le catholicisme sont surtout d’ordre liturgique : vénération des icônes, baptême par triple immersion, communion sous deux formes (du vin et du pain, par ailleurs levé et non azyme).
Les Églises ont aussi des calendriers différents : la grande majorité des orthodoxes et une partie des grecs-catholiques ont conservé le calendrier dit « julien » : introduit par Jules César, en 46 AEC, il compte 365 jours plus le quart d’une journée, avec une rallonge d’un jour tous les 128 ans pour tenir compte du décalage de 11 minutes et 14 secondes existant chaque année entre l’année calendaire et l’année solaire. C’est pour abolir ce différentiel que, en 1582, le pape Grégoire XIII a instauré un nouveau calendrier, dit « grégorien », qui a introduit des années bissextiles tous les quatre ans.
[1] Apparu dès les premières divergences dans la chrétienté, le terme « catholique » (universel en grec) ne se généralisera qu’au XVIe siècle, pour distinguer la Papauté des Églises protestantes naissantes.
[2] Au XXIe siècle, l’orthodoxie chalcédonienne compte quinze Églises autocéphales et une vingtaine d’Églises autonomes (dépendant plus ou moins d’une Église autocéphale).
[3] Persécutés par tous les régimes russes, les Vieux-Croyants (un peu plus d’un million dans le monde) ont eux-mêmes éclaté en plusieurs tendances.
La « république monastique » du Mont Athos
A la fin du Xe siècle, Athanase l’Athonite fonde un monastère au pied du mont Athos (2030 m), situé à l’extrémité de l’Aktè, l’une des trois péninsules méridionales de la région de Chalcidique, au sud de Thessalonique. Dix-neuf autres monastères vont suivre, pour constituer ce que les orthodoxes grecs appellent Aghion Oros (la « Montagne sainte »). Contiguë de la municipalité grecque de Stagira-Akanthos, dont elle est séparée par une clôture de 9 km, la communauté monastique du Mont Athos est dirigée par un higoumène, sous l’autorité du patriarche de Constantinople. Depuis 1913, elle jouit d’une autonomie relative au sein de la République hellénique. Elle applique notamment des lois particulières, compatibles avec l’abaton, la règle interdisant l’accès au territoire des enfants mineurs et de « toute créature femelle » : non seulement pour ne pas tenter les moines (une loi identique s’applique sur l’île d’Okinoshima, site sacré du shintoïsme au nord-ouest de l’île japonaise de Kyushu), mais aussi parce-qu’une légende fait du Mont Athos le « jardin » de la seule Vierge-Marie. La petite « république monastique » (335 km², 50 kilomètres de long sur 12 kilomètres de large) est peuplée d’environ deux mille personnes, majoritairement grecques, dont un peu moins de deux cents laïcs vivant dans son chef-lieu, Karyès.
L’ère des hérésies
Entretemps, le paulicianisme, le manichéisme et le gnosticisme des débuts du christianisme ont nourri une nouvelle école hétérodoxe chrétienne : le bogomilisme qui voit le jour au Xe siècle, à l’instigation du prêtre bulgare Bogomil ou Théophile (« aimé de Dieu »). Opposant elle aussi le Bien et le Mal, cette doctrine considère que seule l’âme est l’œuvre de Dieu, ce qui conduit ses adeptes à mener une vie ascétique, sous la direction de guides spirituels qualifiés de « Parfaits ». N’étudiant que les Évangiles et rejetant toutes les autorités constituées, politiques comme religieuses, le mouvement rencontre un fort écho populaire en Thrace bulgare, puis en Bulgarie occidentale, où il est pourchassé par l’Empire byzantin. Les bogomiles migrent alors vers la Serbie, dont ils sont chassés, avant d’être accueillis par le ban de Bosnie : ils y prospèrent aux XIIIe et XIVe siècles, jusqu’à leur disparition. Le pape ayant jugé hérétique le soutien apporté aux bogomiles par les catholiques bosniens, ces derniers sont placés sous juridiction hongroise, ce qui entraîne la scission de l’Église bosnienne au milieu du XIIIe. Elle disparait deux siècles plus tard, en même temps que le royaume de Bosnie.
Les Bogomiles et les Pauliciens vont avoir une influence sur d’autres « hérétiques », dont le mouvement va se répandre du nord de l’Italie à la Flandre et à l’Occitanie : les Cathares[1]. Auto-désignés « purs » ou « parfaits », ils ne reconnaissent que le nouveau Testament, nient la nature humaine du Christ, rejettent la suprématie de Rome comme de Constantinople et sont proches de religions indo-iraniennes : dualistes comme les zoroastriens et les manichéens (cf. Les religions iraniennes), ils croient en la réincarnation et sont végétalistes (comme les hindous et les bouddhistes notamment). Ils rejettent surtout la corruption du clergé, ainsi que le port des armes, ce qui leur vaudra d’être pourchassés et vaincus par le roi de France, lors de la « croisade des Albigeois » (1209-1229, cf. La formation de la France). Trop orientaliste, leur doctrine n’aura pas d’influence sur la Réforme protestante, à la différence du mouvement vaudois qui se diffuse à la même époque (cf. infra).
Les mouvements qui apparaissent à partir du XIe siècle sont moins théologiques et politiques que sociaux, comme celui des patarins de Milan : le bas-clergé et la population de la ville contestent ouvertement l’enrichissement éhonté du haut-clergé (dont fait partie la simonie, c’est-à-dire la vente et l’achat de biens spirituels ou de charges ecclésiastiques) et les pratiques nicolaïtes de certains de ses membres (en particulier une vie sexuelle dissolue, à une époque où le concubinage vient tout juste d’être interdit et où le mariage des prêtres est encore autorisé[2]). En 1215, un autre mouvement est déclaré hérétique, celui des Vaudois ou « Humiliés » : tirant son nom d’un riche marchand lyonnais (Pierre Valdès ou Valdo), il prône le retour du christianisme à la pauvreté originelle de Jésus et de ses apôtres, ainsi que le refus de la violence et des sentences institutionnelles (juridiques et militaires). Pire encore, il revendique le sacerdoce universel, c’est-à-dire le droit de prêcher pour tous, y compris pour les femmes. L’idéal de pauvreté vaudois, qui essaimera dans le nord de l’Italie, le sud de la France et la Bohême, inspirera d’autres mouvements italiens qui seront déclarés hérétiques (comme les fraticelles et les dolciniens au XIVe) ou reconnus par l’Église catholique (comme l’ordre des frères mineurs, les franciscains, fondé en 1209 par saint François d’Assise). Aujourd’hui encore, l’Église évangélique vaudoise est la principale église de tradition réformée du protestantisme italien ; elle compte quelques milliers d’adeptes, essentiellement dans le Piémont.
[1] Au sens péjoratif « d’adorateurs du chat », considéré comme un animal diabolique.
[2] La débauche est telle que la première moitié du Xe siècle sera qualifiée, ultérieurement, de « pornographie pontificale » ou « gouvernement romain des putains ». Bien que déconseillé, le mariage des prêtres n’est formellement interdit qu’à partir de 1059.
L’avènement des « protestantismes »
En Angleterre, à la fin du XIVe, la monarchie doit réprimer la révolte des « lollards », partisans de John Wyclif, un théologien qui remet en cause le pouvoir de la hiérarchie et des sacrements, considérant que tous les hommes sont prédestinés, soit au salut, soit à la damnation. Pourchassée en Angleterre, cette doctrine et celle de Valdo vont nourrir la prédication de Jan Hus : au début du XVe, ce théologien de Bohême prêche un retour à une Église apostolique, spirituelle et pauvre, demande la nationalisation des biens du clergé, refuse la valeur de tous les sacrements (sauf le baptême) et prône une réforme ecclésiastique passant par le pouvoir laïc. Hus ayant été condamné au bûcher, ses partisans se rebellent ; les hussites les plus radicaux (les taborites, en référence à une forteresse naturelle des tribus d’Israël) sont éliminés en 1434. Les uraquistes, plus modérés, accèdent en revanche aux coulisses du pouvoir à Prague, avant d’être persécutés au XVIIe siècle. Les héritiers contemporains de l’Église hussite forment l’Unité des Frères (Frères Moraves, très impliqués dans les activités missionnaires), ainsi que l’Église évangélique des frères tchèques.
Ces différents mouvements sont les précurseurs de la Réforme protestante, qui gagne l’Europe à partir du XVIe siècle : à la différence des doctrines des premiers siècles du christianisme, elle n’entend pas en donner une nouvelle vision, mais seulement réformer ce qu’elle considère comme des erreurs de l’Église romaine. En Allemagne, la Réforme est incarnée par le prêtre et théologien Martin Luther qui s’élève en 1517 contre les abus de l’Église, en particulier contre le marchandage des indulgences religieuses et qui écrit notamment que « un chrétien est le maître de toutes choses et n’est le sujet de personne ». La vigueur sociale de ce message – dont la diffusion est favorisée par son écriture en langue allemande, et non en latin, et par l’invention de l’imprimerie quelques décennies plus tôt – va déclencher des révoltes de paysans à travers tout l’Empire germanique. Mais il rencontre aussi l’adhésion de nombreux princes qui, dénonçant le refus de l’Empereur de leur octroyer la liberté religieuse, profitent de la situation pour confisquer les possessions de l’Église dans leurs États. Face à ce « protestantisme » naissant, les églises restant fidèles à Rome et à la papauté vont prendre progressivement le nom de « catholiques » (« universel » en grec).
Aussi réformateur soit-il, le discours de Luther est cependant contesté par des mouvements qui considèrent que la Réforme luthérienne est trop conservatrice sur le plan social et ne va pas assez loin dans la séparation entre la religion et l’État. Les principaux représentants de cette Réforme radicale sont l’Allemand Thomas Müntzer (fervent défenseur du partage des biens, qui finira décapité en 1525, cf. A l’origine des pays germanophones), ainsi que les anabaptistes : apparus aux Pays-Bas, en Suisse et dans l’Empire germanique, ces adeptes d’une lecture stricte de la Bible professent que seuls les adultes peuvent être baptisés[1]. En 1534, certains de leurs chefs comme Jean de Leyde, autoproclamé « roi de Sion », établissent une « république » théocratique et « communiste » dans la ville de Münster (Westphalie). Vaincus dès l’année suivante, ils sont activement pourchassés et contraints à l’exil en Amérique du Nord. Leurs héritiers sont les baptistes modernes, plus modérés (cf. infra), ainsi que des sectes telles que les Mennonites (mouvement né aux Pays-Bas au XVIe) et les Amish, descendants d’anabaptistes suisses expulsés d’Alsace au début du XVIIIe. Un autre mouvement prendra la direction de l’exil pour échapper aux persécutions[2] : les Huttérites du Tyrol et de Moravie, des anabaptistes qui prônent la mise en commun des biens.
Combattu dans l’Empire germanique, le baptême des seuls adultes l’est aussi dans la Confédération helvétique, en particulier par Ulrich Zwingli, qui instaure la Réforme dans son canton de Zurich en 1524. Ancien curé catholique, il est lui aussi adepte d’une stricte lecture de la Bible, d’une pratique liturgique en langue vernaculaire – et non plus en latin[3] – et du rejet du culte des saints et de la Vierge Marie[4], de sorte que le fidèle s’adresse à Dieu sans intermédiaire. Mais Zwingli va plus loin que Luther en rejetant de nombreuses pratiques telles que le jeûne pendant le Carême, l’Eucharistie et la Messe. Très engagé, il sert comme aumônier militaire lors des guerres qui opposent les cantons réformés et catholiques et meurt en 1531 à la bataille de Kappel.
Les idées de la Réforme luthérienne gagnent également le Genevois qui, dans la seconde moitié des années 1530, s’érige en république de Genève, l’évêque abandonnant à la ville ses droits régaliens et son pouvoir seigneurial sur les habitants des villages environnants. Le protestantisme y est développé par un théologien originaire de Picardie, Jean Calvin, qui publie, en 1541, l’un des premiers livres de théologie protestante en français. Comme Wyclif avant lui, Calvin défend la doctrine de la prédestination, ce qui entraîne que le salut ne peut être ni perdu ni gagné, alors que chez les luthériens il peut s’acquérir par la foi et les bonnes actions. Toutes ces doctrines ont en revanche des points communs, tels que la sobriété des lieux de culte (les temples) et des offices, ainsi que le laïcisme des officiants (les pasteurs), qui peuvent être des femmes et être mariés. Depuis Genève, le calvinisme (ou protestantisme réformé) gagne la France – qui sera le théâtre de graves guerres de religion – ainsi que les îles britanniques, où des protestants d’obédience calviniste fondent l’Église presbytérienne[5] d’Écosse.
En Hongrie et Transylvanie, la Réforme prend une forme particulière : l’unitarisme qui rejette le dogme de la Trinité et affirme, comme l’arianisme antique, que Dieu est un seul et même esprit, Jésus n’étant pas son fils mais un prophète et messie.
[1] Anabaptistes ou rebaptiseurs (étymologiquement, le mot signifie « second baptême »). A la recherche de la perfection morale, ils sont aussi millénaristes, annonçant l’imminence de la fin du monde.
[2] Quelques dizaines de milliers de huttérites vivent encore, surtout au Canada, au sein de communautés agricoles fermées. Ils parlent encore le huttérien, un dialecte haut-allemand.
[3] Le Nouveau Testament a été traduit en allemand en 1522.
[4] Même chez les catholiques, le dogme de l’Immaculée Conception n’a été proclamé qu’en 1854.
[5] Presbytérien signifie que le pouvoir est exercé par des assemblées de laïcs et de pasteurs.
En Angleterre, la Réforme s’impose pour des raisons plus politiques que théologiques. Le pape ayant refusé d’annuler son mariage avec une femme qui ne lui donne pas de fils, le roi Henry VIII rompt avec Rome. Adopté en 1534, l’acte de Suprématie fait du souverain anglais le chef des Églises d’Angleterre (puis d’Irlande). Les biens des monastères – qui représentaient un tiers du territoire – sont redistribués, sans que ces épisodes ne dégénèrent en guerre de religion : dans l’ensemble, la population adhère à ce qui est d’abord ressenti comme un acte de souveraineté nationale. Ce n’est d’ailleurs que sous le règne d’Elizabeth 1ère, à partir de 1553, que l’Église « anglicane » (terme apparu au XIXe siècle) adopte une doctrine proche du calvinisme, tout en conservant un certain nombre de rites catholiques, ainsi que des prêtres et des évêques. Son primat est l’archevêque de Cantorbéry, dans le Kent[1].
Le positionnement modéré adopté par l’Église anglicane lui vaut de subir les critiques des puritains, des calvinistes qui reprochent à la monarchie de ne pas s’être suffisamment engagée dans la voie de la Réforme protestante. La répression exercée à l’encontre du puritanisme contraint certains de ses adeptes à s’exiler, notamment dans les Provinces-Unies : la première Église baptiste, distincte de l’anabaptisme, est fondée en 1609 à Amsterdam. Basé lui aussi sur le baptême – par immersion – du croyant à l’âge adulte[2], le baptisme professe l’autonomie locale des églises, ainsi que la séparation de l’Église et de l’État, et considère que le vrai culte doit venir du cœur, mais pas nécessairement de la lecture de la Bible lors des offices. D’autres puritains prennent le chemin de la Nouvelle Angleterre nord-américaine, à l’image des « Pères pèlerins » du Mayflower, débarqués en 1620 au Massachusetts, et des Quakers[3] : fondée en 1648, cette Société religieuse des Amis prône un retour au christianisme primitif et rejette le clergé professionnel ainsi que la seule autorité de la Bible.
D’autres courants d’inspiration piétiste apparaissent à partir du XVIIIe siècle et se diffusent largement dans les colonies anglaises d’Amérique du Nord. C’est le cas du méthodisme, fondé par les frères Wesley au sein de l’Église anglicane : marqué par une recherche de la perfection personnelle et de la rigueur morale, il tient son nom de la « méthode » consistant à aller prêcher jusque sur les lieux de travail ou aux domiciles. Ce rôle dévolu à la prédication et aux œuvres caritatives se traduit, notamment, par la création de l’Armée du Salut en 1865. Les colonies nord-américaines étant devenues indépendantes, pour former les États-Unis d’Amérique, les anglicans locaux se séparent de l’Église d’Angleterre en 1789, afin de ne pas faire allégeance au monarque britannique : ils prennent le nom d’épiscopaliens, en raison de leur organisation interne (cf. infra)[4].
Dans la première moitié du XIXe, un autre mouvement nait aux États-Unis, sous l’égide d’un ancien pasteur baptiste, William Miller : son nom, l’adventisme[5], fait référence à la doctrine de la deuxième venue de Jésus-Christ sur Terre. Un peu plus tard, au début du XXe siècle, apparaît le pentecôtisme qui, comme son nom l’indique, accorde une place prééminente aux manifestations de l’Esprit Saint (guérisons etc.) ; parmi ses Églises les plus anciennes figurent les Assemblées de Dieu.
Ces différentes chapelles, ainsi que le baptisme, sont regroupées sous l’appellation générique d’Églises évangéliques, en raison de la place centrale qu’y occupe l’Évangile. Considérant qu’on ne nait pas chrétien mais qu’on le devient, elles accordent une forte dimension à la prédication et au prosélytisme, et se montrent très actives au Brésil et en Afrique subsaharienne.
[1] L’anglicanisme actuel compte trois tendances : High Church (proche du catholicisme), Low Church (puritaine, proche du calvinisme) et Broad Church (libérale).
[2] La plus ancienne religion baptiste existante est celle des Mandéens (Sabéens) d’Iran et d’Irak : ces disciples de Jean le Baptiste considèrent Jésus comme un faux prophète.
[3] Un Quaker, William Penn, fonde la Pennsylvanie en 1682, avec une constitution qui servira de base à celle des États-Unis.
[4] Au XXIe siècle, les épiscopaliens connaissent d’importantes scissions, provoquées par les divergences sociétales entre conservateurs et libéraux, sans que les dissidents ne rejoignent pour autant l’Église anglicane officielle.
[5] La composante la plus importante est l’Église adventiste du septième jour, en référence à la célébration du sabbat le samedi.

Les différents courants du protestantisme représentent un peu moins de 900 millions de personnes à travers le monde, soit plus d’un tiers des chrétiens. Plus de 600 millions appartiennent à la mouvance évangélique. Le reste des protestants se répartit en quatre familles d’importance à peu près égale : la communion anglicane (anglicans et épiscopaliens, 85 millions d’adeptes), les Églises réformées (calvinistes ou zwingliennes, environ 80 millions), les méthodistes (à peu près autant) et les Églises luthériennes (un peu moins de 80 millions). 41 % des protestants vivent en Afrique, essentiellement sub-saharienne (Nigeria…), 33 % en Amérique (États-Unis, Brésil, Mexique), 13 % en Europe et le reste en Océanie et en Asie (Chine, Corée du Sud).
Toutes les Églises protestantes se caractérisent par la place primordiale accordée au pasteur, chargé de la prédication et de l’administration des sacrements, lesquels sont réduits à deux : le baptême et l’eucharistie. Mais leur organisation peut varier. Celles qui ont conservé des évêques (comme les anglicans, les luthériens et les méthodistes) sont dites épiscopaliennes. Dans les Églises presbytériennes, le pouvoir est exercé par des assemblées élues de laïcs et de pasteurs, les synodes. Enfin, chez les congrégationalistes – inspirés des thèses égalitaristes de Müntzer – les paroissiens sont indépendants de toute structure et propriétaires de leur église. C’est le cas dans le baptisme, dont la cinquantaine de millions de membres professent des opinions extrêmement diverses : majoritaires chez les Noirs d’Harlem, ils sont également très nombreux dans les milieux conservateurs, voire racistes, du Sud des États-Unis.
D’autres courants se sont développés en marge du protestantisme au XIXe siècle, à l’époque du second réveil religieux de l’Amérique du Nord, en proie à la ferveur des prédicateurs. C’est le cas de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, fondée par Joseph Smith dans les années 1820. Tout en se référant à la Bible, ces Mormons rejettent l’idée du péché originel et affirment que les hommes ayant une vie vertueuse peuvent accéder à la divinité. Dans les années 1870 est également né, sous la direction de Charles Russell, le mouvement des Témoins de Jéhovah, qui pratique une lecture fondamentaliste de la Bible et professe l’intervention imminente de Dieu dans les affaires humaines, lors de la bataille d’Armageddon, et l’établissement du Royaume de Dieu sur Terre. Ces religions sont dites millénaristes car elles affirment que ce royaume correspondra à mille ans de bonheur.

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Dissidences catholiques et syncrétismes chrétiens
La religion catholique a connu d’autres dissidences que le protestantisme, à l’image des Églises dites « vieilles catholiques » (ou catholiques-chrétiennes), qui se sont séparées de Rome à différentes époques. La première est née à Utrecht en 1724, à l’initiative de jansénistes chassés de France par le roi Louis XIV, à propos d’une nomination refusée par le pape. Elle a été suivie d’Églises qui ont rejeté le dogme de l’Infaillibilité pontificale, établi en 1870 lors de la suppression des États pontificaux ; le pape était alors censé gagner en autorité spirituelle ce qu’il perdait en pouvoir temporel. Entre autres spécificités, les Vieux-Catholiques – proches à certains égards de la communion anglicane – rejettent le dogme de l’Immaculée Conception et de l’Assomption de Marie, acceptent le mariage du clergé, ainsi que la célébration des offices par les femmes. Regroupée dans une Union d’Utrecht, cette mouvance compte un demi-million de membres dans une vingtaine de pays. La dernière Église à s’en être rapprochée (en 1965) est l’Église indépendante des Philippines.
D’autres scissions sont apparues dans la seconde moitié du XXe siècle, certaines communautés catholiques ayant rejeté les réformes du concile Vatican II (1962-1965) relatives à l’organisation de la messe, à la liberté religieuse, à l’œcuménisme et à la collégialité. Parmi elles figurent la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (fondée en Suisse en 1970 et réunissant un demi-million d’adeptes dans le monde) et le sédévacantisme (mouvement né au Mexique qui rejette l’autorité des papes depuis Paul VI).
Des cultes syncrétiques, mêlant christianisme et religions locales, sont par ailleurs apparus dans les pays du Sud, parfois en lien avec des luttes pour l’indépendance. La seule Afrique compterait ainsi plusieurs milliers d’Églises indépendantes (ou Églises d’institution africaine). La plus ancienne serait le mouvement antonien, fondé au XVIIIe siècle par la prophétesse Kimpa Vita qui, mêlant christianisme et religions traditionnelles, défendait l’idée d’un Christ noir dont la terre sainte était le Kongo. D’autres sont nées entre les deux guerres mondiales, sur fond de revendications anti-colonialistes. C’est le cas du kimbanguisme (Église de Jésus-Christ sur Terre par le prophète Simon Kimbangu) qui a essaimé dans les communautés de la diaspora africaine à partir du Congo-Kinshasa, de l’Église harrite en Côte d’Ivoire, du tocoïsme en Angola, du mouvement Aladura né parmi les Yoruba du Nigeria, des sectes apostoliques très présentes au Zimbabwe et des églises de la mouvance zioniste, très active en Afrique australe. Dans cette catégorie figurent aussi le caodaïsme au Vietnam et des cultes afro-américains comme la santeria à Cuba, le vaudou à Haïti, le rastafarisme (basé sur une lecture africaniste de la Bible) en Jamaïque, l’umbanda et le candomblé au Brésil et en Amérique latine… La plupart consistent en un syncrétisme du catholicisme, de cultes amérindiens, de vénérations de divinités africaines (comme les orishas yorubas) et de spiritisme, mêlant un panthéon de saints catholiques et d’entités associées aux « forces de la nature ».
Plusieurs centaines de nouveaux mouvements religieux se réclamant également de l’Évangile chrétien en Asie orientale (notamment en Corée du sud) : c’est le cas de l’Église de l’unification (du révérend Moon), de l’Église pentecôtiste du Plein Évangile ou encore de la secte Shincheonji (« nouveau monde ») de Jésus. Nombre d’entre eux se sont développés après la partition de la Corée et se présentent comme des remparts contre la propagation du communisme.
POUR EN SAVOIR PLUS
Sur le christianisme oriental : Le who’s who des Eglises d’Orient / La religion orthodoxe / https://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/LES-5-SITUATIONS-DIFFERENTES-DE-L-EGLISE-ORTHODOXE_a5463.html
Sur le protestantisme : https://museeprotestant.org/notice/les-protestants/ https://www.radiofrance.fr/franceculture/le-protestantisme-a-la-conquete-du-monde-5414795
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