Des royaumes Bakongo aux États modernes

Les royaumes des baKongo et de leurs voisins ont donné naissance aux deux Congo, ainsi qu’à l’Angola et au Gabon.

Arrivées du nord, à partir du VIe siècle, des populations bantoues créent des petits États, d’abord sur la rive droite du fleuve Congo, à proximité de son embouchure : c’est le cas des royaumes Loango, Kakongo, Ngoyo fondés par différentes tribus du groupe Bakongo. D’autres ne s’arrêtent pas là : ayant franchi le cours d’eau, elles fondent sur sa rive gauche le royaume du Kongo, aux alentours du XIIIe siècle. Celui-ci se présente sous la forme d’une confédération très organisée, qui associe plusieurs petits royaumes au Zita-Dya-Nza (le « nœud du monde »), dans lequel se trouve la capitale Mbanza-Kongo, où siège le Mwene (ou Manikongo), dirigeant suprême des Bakongo. Dans son expansion maximale, la confédération s’étend sur au moins 300 000 km², depuis le nord de l’Angola jusqu’au sud-ouest du Gabon, en passant par le sud du Congo-Brazzaville et l’extrémité occidentale de la république démocratique du Congo.

Le royaume entretient un commerce fructueux avec les Portugais qui séjournent dans sa capitale dès les années 1480 et envoient des missionnaires et des artisans la décennie suivante. S’étant fait baptiser, le roi Nzinga Nkuwu obtient du Portugal qu’il lui envoie des arquebusiers, afin de défaire de riches voisins eux aussi Bantous, les Téké, qui exploitent des mines de fer et de cuivre au nord du Kongo. Installées sans doute depuis le VIIe siècle sur les hauts plateaux de la région, les tribus Téké se sont coalisées, entre le XVe et le XVIe siècle, pour former le royaume Tio (ou encore Batéké ou Anzico), centré sur le lac Pool Malebo (sur le cours inférieur du fleuve Congo). Durant tout le XVIIe siècle, il se heurte au Kongo qui convoite ses mines.

Pour se concilier les bonnes grâces portugaises, l’un des fils Nzinga Nkuwu reconstruit sa capitale en pierres et la rebaptise Sao Salvador. A l’inverse, il tente de s’opposer à la capture massive d’esclaves à laquelle se livrent les Lusitaniens, d’abord pour peupler leur île de Sao Tomé, puis pour faire tourner les exploitations sucrières de leur colonie du Brésil. Mais, le Portugal passe outre cette opposition et traite directement avec l’aristocratie et les vassaux du Kongo ou bien avec des voisins tels que le Loango des Vili (sous-groupe des Kongo). Environ quatre millions de personnes seront razziées dans la région pour alimenter la traite transatlantique. Affaibli, le royaume perd même sa capitale, qui est conquise, en 1568, par les Yaka, des ennemis bantous installés plus à l’est, sur le cours inférieur du fleuve Kwango. Acculé, le Manikongo n’a pas d’autre ressource que de faire appel à l’aide portugaise.


A la même période, les Portugais commencent à s’intéresser au voisin méridional, et principal rival, du Kongo : le royaume du Ndongo, peuplé de Mbundu, dont le roi porte le titre de ngola (d’où viendra le nom d’Angola). Après que des colons de Sao Tomé se soient installés sur l’île de Loanda, les Portugais construisent un forteresse sur la terre ferme qui sera à l’origine de la future capitale angolaise (à partir de 1627). La recherche toujours croissante d’esclaves conduit des trafiquants européens et métis, les pombeiros, à attaquer le royaume. A partir de 1624, la résistance est conduite par une reine, « Ana » Nzinga. Adeptes de pratiques rituelles – telles que l’infanticide et le cannibalisme – elle dirige personnellement les opérations militaires contre les Portugais, tout en se livrant à une intense activité diplomatique vis-à-vis des Hollandais, qui occupent temporairement Luanda en 1641. Dans l’incapacité de vaincre le Portugal, elle se replie dans le royaume du Matamba (au nord-est de l’actuel Angola), un vassal du Kongo qu’elle avait annexé en 1631. Au sud de Luanda, les Portugais fondent la ville de Benguela, mais ne s’avancent pas dans l’arrière-pays peuplé d’Ovimbundu.

La situation régionale se stabilise dans les années 1650. A l’est de l’Angola, deux États conservent leur indépendance, tout en participant aux razzias d’esclaves de plus en plus loin à l’intérieur des terres : le Matamba et le royaume Kasanje (fondé vers 1613, sur le cours supérieur de la rivière Kwango, par un chef Lunda exilé). A l’inverse, la tutelle portugaise s’accroît sur le Kongo, à la suite d’une expédition montée par des colons portugais d’Angola (en 1655) pour s’emparer de ses mines. Vaincu, le mwene est décapité. Son successeur se retrouve à la tête d’un État fantoche, à la merci de Lisbonne. En revanche, d’autres royaumes sont fondés, au début du XVIIe, par des tribus du groupe Myéné, dans l’actuel Gabon : les Orungu dans le delta du fleuve Ogoué et les Mpongwe un peu plus au nord, jusqu’à l’estuaire du Komo.

L’interdiction de la traite par les Portugais (en 1836) provoque la chute des royaumes (Yaka, Matamba, Kasenje) qui en étaient les principaux bénéficiaires. En déclin depuis les années 1840, du fait de l’émigration des Ovimbundu vers le nord et vers le royaume Lunda, le Kasenje est annexé par le Portugal en 1852. Les bénéficiaires de la nouvelle donne sont ceux qui se livrent au trafic d’ivoire : la demi-douzaine de petits États Ovimbundu (tel celui de Bihe) et les Tchokwé, de culture lunda, installés dans la région reculée des sources de la rivière Kasaï et de son affluent Kwango. Ces chasseurs mènent des raids de plus en plus lointains à l’Est, dans l’Empire Lunda, le royaume Kazembe et chez les Lozi de la haute vallée du Zambèze.


En 1884-1885 se tient la Conférence de Berlin, qui partage l’Afrique entre pays européens. Elle reconnait entre autres les droits revendiqués par le Portugal sur l’Angola, le Mozambique et même l’Afrique centrale : l’explorateur Serpa Pinto n’a-t’il pas « découvert » le lac Nyasa en 1877-1879, avant le Britannique Livingstone ? Mais Lisbonne n’a pas les moyens de ses ambitions et doit abandonner la future Rhodésie à Londres (cf. Les pays du Zambèze). De même, une partie des royaumes peuplés de Kongo échoit au roi de Belgique qui gouverne, à titre privé, l’immense État indépendant du Congo, s’étendant de l’estuaire du fleuve Congo jusqu’aux Grands lacs d’Afrique orientale.

Une autre partie des territoires Kongo est attribuée à la France, dont la pénétration dans la région a débuté avec l’explorateur italo-français Savorgnan de Brazza. C’est lui qui, en 1880, a signé avec le makoko (souverain) des Tékés un traité plaçant le royaume Tio sous suzeraineté française ; Brazza établit un poste dans un village, qui sera l’embryon de la future Brazzaville. Sur le littoral, le lieutenant de vaisseau Cordier fonde Pointe-Noire, après avoir fait reconnaître la souveraineté de la France sur le royaume de Loango. Incluant le Gabon, la colonie française du Congo est créée en 1891. L’exploitation de ses ressources (caoutchouc, sucre, bois précieux, ivoire) débute quelques années plus tard.

De leur côté, les Portugais renforcent leur emprise sur ce qui reste du royaume Kongo : indirectement en 1888, quand le roi Pedro V demande leur assistance militaire en échange de sa vassalité ; puis définitivement en 1914, après avoir maté une révolte. Entre 1883 et 1885, d’autres territoires peuplés de tribus Kongo sont passés sous protectorat portugais, après la signature d’accords entre leurs rois et le souverain lusitanien : c’est le cas du Ngoyo et du Cabinda, partiellement issu des royaumes Kakongo et Loango (dont la majeure partie est passée au Congo français). Surnommé le « Congo portugais », le protectorat de Cabinda est distinct de la colonie que le Portugal a fondée en Angola : il en est séparé par un corridor que Lisbonne a laissé au Congo belge, afin que ce dernier ait un accès à l’Atlantique. A la fin du XIXe siècle, le Portugal achève son œuvre colonisatrice par l’annexion du Matamba et la soumission des Ovimbundu (1890-1904), puis des Lunda (1894-1926).


D’abord réduite aux zones côtières, la colonisation portugaise de l’Angola s’intensifie après l’arrivée au pouvoir de Salazar à Lisbonne, en 1926. L’exploitation des diamants et du café provoque l’arrivée de dizaines de milliers de colons, tandis que la quasi-totalité des Africains est soumise (comme au Mozambique) au régime particulier de l’indigénat, qui favorise notamment le travail forcé.

Au Congo français, la construction d’une ligne de chemin de fer entre Pointe-Noire et Brazzaville provoque les premières révoltes autochtones. Elles sont dues au recrutement forcé de travailleurs (jusqu’au Cameroun et en Oubangui-Chari) et aux conditions de travail qui feront 15 000 à 20 000 victimes entre 1921 et 1934. En 1930, l’administration coloniale arrête et déporte André Matsowa, fondateur d’une amicale d’anciens tirailleurs africains devenue mouvement de protestation. Le leader congolais mourra en prison. Les premiers mouvements nationalistes apparaissent après la deuxième Guerre mondiale sur des bases ethniques : le Mouvement socialiste africain (MSA) recrute principalement chez les Mbochi du nord, quand l’Union démocratique de défense des intérêts africains (UDDIA) de l’abbé Fulbert Youlou s’appuie principalement sur les Kongo. Vainqueur des élections territoriales, le second prend la tête d’un gouvernement provisoire dont la capitale passe de Pointe-Noire à Brazzaville (jusqu’alors capitale de toute l’Afrique équatoriale française). Mais la nomination de l’abbé ne fait pas l’unanimité et, en janvier 1959, des affrontements opposent ses opposants et ses partisans. Larmée française intervient pour empêcher une guerre civile et consolider le pouvoir de Youlou, qui remporte les élections et parvient à rallier le MSA. Il devient Président quand le Congo-Brazzaville accède à l’indépendance en août 1960.

Devenu une colonie à part entière en 1904, le Gabon devient indépendant à la même époque, mais dans des conditions pacifiques : son Premier ministre (et nouveau Président) Léon Mba avait même demandé, en vain, qu’il devienne un département français d’outre-mer.

Dans l’État indépendant du Congo – passé, en 1908, du statut de possession personnelle du roi de Belgique à celui de colonie belge – les mouvements anti-coloniaux s’expriment principalement sous une forme religieuse. En 1921, le guérisseur Simon Kimbangu a créé l’Église de Jésus-Christ sur la terre, qui rencontre un fort retentissement chez les Bakongo. Emprisonné dès 1923, il meurt en détention vingt-huit ans plus tard, mais le kimbanguisme lui survit. Dans les années 1940, l’extension du travail forcé (pour soutenir l’effort de guerre des Occidentaux contre les nazis) provoque des troubles à Matadi, près de l’estuaire du Congo, et dans la province centrale du Kasaï. Des émeutes indépendantistes ayant éclaté dans la capitale Léopoldville, en 1959, le Congo belge accède à l’indépendance en juin 1960, avec une capitale qui prendra, en 1966, le nom de Kinshasa (« Marché au sel » en kikongo).

En Angola, les premiers mouvements indépendantistes apparaissent dans la seconde moitié des années 1950, en ordre dispersé et sur des bases ethniques. Marxiste, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) est animé par des métis et soutenu par les populations citadines du littoral et les Mbundu de l’arrière-pays de Luanda ; de son côté, le précurseur du Front national de libération (FNLA) recrute principalement chez les Kongo du nord. En 1966, il est victime d’une scission qui conduit à la formation de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), à forte composition Ovimbundu et populaire parmi les populations intérieures qui dénoncent l’omniprésence des gens du littoral. Une insurrection naît également en 1960 à Cabinda, après la découverte de pétrole au large des côtes cabindaises et le rattachement du protectorat à la colonie angolaise, en dépit de leur discontinuité territoriale. En 1963, les mouvements séparatistes s’unissent au sein du Front de libération de l’enclave de Cabinda (FLEC).

Déclenchées en 1961, les insurrections nationalistes aboutissent en 1975 à l’indépendance de l’Angola, Cabinda compris, après le retour d’un pouvoir démocratique à Lisbonne.