A peine séparé du judaïsme et établi à Rome (cf. Judaïsmes et sionisme), le christianisme connait ses premières dissidences. Prêché par un chrétien originaire d’Asie Mineure, le marcionisme est une croyance dualiste – issue du gnosticisme – selon laquelle l’évangile du Christ est un évangile de pur Amour, à la différence de l’Ancien Testament qui doit donc être rejeté. En vogue aux IIe et IIIe siècles dans l’Empire romain, les doctrines gnostiques considèrent que les âmes divines des humains sont emprisonnées dans un monde matériel créé par un dieu inférieur mauvais, à l’opposé duquel existe un dieu parfait, mais plus éloigné, qui possède la connaissance (gnose). Jugé hérétique, Marcion est excommunié en 144.
Au début du IVe, c’est un prêtre d’Alexandrie qui secoue le dogme chrétien de la sainte Trinité (un seul Dieu ayant trois représentations, Père, Fils et Saint-Esprit) : dans sa doctrine, Arius affirme que si Jésus-Christ a bien une nature divine, il n’en est pas moins subordonné à Dieu le Père, puisqu’il a été engendré par lui. L’arianisme est condamné en 325 au concile de Nicée, sans que la nouvelle position adoptée – la consubstantialité entre Père et Fils – ne fasse pleinement l’unanimité au sein de l’Empire romain, dont la capitale est transférée à Constantinople cinq ans plus tard. La ville nouvelle de l’empereur Constantin est placée au second rang de la chrétienté, derrière Rome, mais devant les autres trois cités de la « pentarchie » (Alexandrie, Antioche et Jérusalem). Pour tenter de restaurer l’unité des chrétiens, l’empereur Constance II propose une synthèse, l’homéisme, en vertu de laquelle le Fils est semblable au Père. Mais cet épisode est sans lendemain. En 380-381, Théodose rétablit le dogme énoncé à Nicée comme religion officielle de l’Empire, ce qui n’empêche pas la doctrine arienne de prospérer un moment, en particulier chez les « barbares » frontaliers de l’Empire ; l’arianisme disparaitra en même temps que disparaitront les États érigés par ces peuples en Italie (Ostrogoths et Lombards), en Hispanie (Wisigoths et Suèves) et en Afrique du Nord (Vandales).
Aux IVe et Ve siècles, une autre doctrine – qui sera également jugée hérétique – prend son essor dans le diocèse d’Afrique romaine : le donatisme. Mouvement autant théologique que social, il tire son nom de l’évêque de Casae Nigrae en Numidie, Donat le Grand, qui juge invalides les sacrements délivrés par les évêques s’étant compromis lors de la persécution des chrétiens par l’empereur Dioclétien, en 304-305. Dans cette même région, les conciles de Carthage condamnent, en 411 et 418, le pélagianisme : il est l’œuvre d’un ascète et moine britton, parti à Rome puis en Orient, qui rejette le péché originel et soutient que l’homme peut assurer son salut par ses seuls mérites. Cette doctrine est ardemment combattue par Augustin, théologien et évêque d’Hippone, qui considère Pelage comme un disciple du manichéisme.
D’autres turbulences surviennent au Ve siècle. La première émane du patriarche de Constantinople, Nestorius : à l’encontre du dogme officiel qui fait coexister les natures divine et humaine du Christ, il considère qu’une distinction doit être faite entre les deux. Condamné en 431 au Concile d’Éphèse (qui proclame par ailleurs Marie « mère de Dieu »), le nestorianisme se diffuse néanmoins en Syrie et en Perse, puis en Inde, en Chine et jusqu’au sein de l’Empire mongol.
En 451, un nouveau concile se tient à Chalcédoine (aujourd’hui banlieue d’Istanbul, sur la mer de Marmara) pour condamner le monophysisme du patriarche d’Alexandrie, Cyrille : selon lui, la nature divine du Christ l’aurait emporté sur sa nature humaine alors que, selon la doctrine officielle, les deux natures du Christ coexistent pour ne former qu’une seule personne. Mais le dogme « chalcédonien » (ou dyophysite) ne fait pas l’unanimité : il demeure contesté par les communautés monophysites (ou myaphysites) qui se répandent en Arménie, en Égypte et en Éthiopie (coptes), ainsi que dans la région d’Edesse, sous la conduite du métropolite Jacques Baradée (d’où le nom de jacobite donné à cette église syriaque). Coptes et jacobites donnent à leurs adversaires dyophysites le nom de melkites (du syriaque « malka » signifiant roi, en l’occurrence l’empereur de Constantinople).
Une nouvelle crise survient en 482, quand le patriarche de Constantinople, poussé par l’empereur Zénon, promulgue l’Henotikon : censé réconcilier les monophysites et les dyophysites, ce texte présente le défaut majeur de pas avoir été soumis à la lecture préalable du pape. La crise, qui gagne les patriarcats d’Antioche et de Jérusalem, ne prend fin qu’en 519, lorsque le nouvel empereur s’aligne sur la papauté. Un siècle plus tard, les autorités de Constantinople font une nouvelle tentative de réconciliation avec les Églises d’inspiration nestorienne ou monophysite : tout en restant calé sur le dyophysisme, le monothélisme stipule qu’une seule volonté, divine, dicte les actions du Christ. Mais cette tentative n’est pas plus concluante que les précédentes : elle n’inspirera que les maronites de Syrie et du Liban (cf. Liban).
A la fin du VIIe, le pouvoir byzantin est contesté par une doctrine dualiste qui se répand dans ses possessions anatoliennes, sans doute à l’initiative d’un prédicateur arménien : comme le manichéisme de Perse, le paulicianisme oppose l’esprit divin à la matière, considérée comme l’œuvre du diable. Rejetant tout clergé et tout sacrement, les pauliciens prônent une appropriation personnelle des saintes Écritures par la méditation et la prière. Considéré comme hérétique et pourchassé, le mouvement se militarise : du milieu des années 830 à la fin des années 870, il se transforme en quasi-Etat, qui depuis ses bases d’Anatolie centrale, mène des raids contre les Byzantins, notamment à Nicée ou Ephèse.
A Constantinople, une nouvelle crise est provoquée en 726 par l’empereur Léon III : désireux de réduire la place des moines dans la religion populaire, il interdit le culte des reliques et des images, dont ces religieux sont particulièrement friands. Devenu doctrine officielle, l’iconoclasme provoque une révolte du clergé qui ne prend fin qu’en 843 : les icônes sont de nouveau reconnues, à condition qu’elles soient exécutées dans un cadre théologique rigoureux. Si la crise a rapproché les clergés grecs et latins, elle n’empêche pas l’apparition de nouvelles tensions une douzaine d’années plus tard, lors de l’éviction de l’impératrice-régente Théodora et du patriarche qui lui était fidèle (cf. Balkans). Son successeur, le laïc Photios, entre en conflit avec Rome au sujet de la langue utilisée pour évangéliser les Slaves, le latin ou le slavon. Le choix du khan bulgare de se faire baptiser par le pape – parce-que Photios lui a refusé un patriarcat propre – déclenche les hostilités : en 867, le patriarche de Constantinople excommunie le pape, jugeant l’Église latine hérétique sur plusieurs points tels que l’exclusion des hommes mariés du sacerdoce, le jeûne du samedi, l’usage de pain azyme pour l’eucharistie… Le point majeur de divergence est l’ajout du « filioque » au credo latin, autrement dit l’affirmation que l’Esprit saint émane du Père et du Fils, alors que, dans la doctrine de Nicée, il ne procède que du Père.
L’union est rétablie par le nouvel empereur byzantin, en 869, mais les germes de la division sont toujours là, notamment au sujet de la place du pape : pour Constantinople, qui lui dénie les titres de pontife et de « Primum inter pares », l’Église chrétienne ne saurait avoir d’autre chef que le Christ. De plus en plus éloignés, théologiquement et politiquement, la plupart des Églises d’Orient rompent avec la Papauté en 1054. A la suite de ce schisme, elles prennent le nom d’orthodoxes (« croyance juste » en grec), afin de bien marquer leur fidélité aux préceptes des sept conciles du premier millénaire. Tout en s’affirmant aussi respectueuses de la doctrine, des Églises d’Orient restent fidèles au pape et à l’Église de Rome : l’ensemble sera progressivement qualifié de catholique[1].
Entretemps, le paulicianisme, le manichéisme et le gnosticisme des débuts du christianisme ont nourri une nouvelle école hétérodoxe chrétienne : le bogomilisme qui voit le jour au Xe siècle, à l’instigation du prêtre bulgare Bogomil ou Théophile (« aimé de Dieu »). Opposant elle aussi le Bien et le Mal, cette doctrine considère que seule l’âme est l’œuvre de Dieu, ce qui conduit ses adeptes à mener une vie ascétique, sous la direction de guides spirituels qualifiés de « Parfaits ». N’étudiant que les Évangiles et rejetant toutes les autorités constituées, politiques comme religieuses, le mouvement rencontre un fort écho populaire en Thrace bulgare, puis en Bulgarie occidentale, où il est pourchassé par l’Empire byzantin. Les bogomiles migrent alors vers la Serbie, dont ils sont chassés, avant d’être accueillis par le ban de Bosnie : ils y prospèrent aux XIIIe et XIVe siècles, jusqu’à leur disparition. Le pape ayant jugé hérétique le soutien apporté aux bogomiles par les catholiques bosniens, ces derniers sont placés sous juridiction hongroise, ce qui entraîne la scission de l’Église bosnienne au milieu du XIIIe. Elle disparait deux siècles plus tard, en même temps que le royaume de Bosnie.
Les Bogomiles et les Pauliciens vont avoir une influence sur d’autres « hérétiques », dont le mouvement va se répandre du nord de l’Italie à la Flandre et à l’Occitanie : les Cathares[2]. Auto-désignés « purs » ou « parfaits », ils ne reconnaissent que le nouveau Testament, nient la nature humaine du Christ, rejettent la suprématie de Rome comme de Constantinople et sont proches de religions indo-iraniennes : dualistes comme les zoroastriens et les manichéens (cf. Les religions iraniennes), ils croient en la réincarnation et sont végétalistes (comme les hindous et les bouddhistes notamment). Ils rejettent surtout la corruption du clergé, ainsi que le port des armes, ce qui leur vaudra d’être pourchassés et vaincus par le roi de France, lors de la « croisade des Albigeois » (1209-1229, cf. La formation de la France). Trop orientaliste, leur doctrine n’aura pas d’influence sur la Réforme protestante, à la différence du mouvement vaudois qui se diffuse à la même époque (cf. Les protestantismes).
[1] Le terme « catholique » (universel en grec) apparaît dès les premières divergences dans la chrétienté, mais il ne se généralise qu’au XVIe siècle, pour distinguer la Papauté des Églises protestantes naissantes.
[2] Au sens péjoratif « d’adorateurs du chat », considéré comme un animal diabolique.
En 1439, un concile tenu à Florence réaffirme l’unité des églises chrétiennes, une liberté liturgique étant laissée aux chrétiens orientaux. Mais cet état de grâce se dissipe dès la prise de Constantinople par les Ottomans, quatorze ans plus tard : estimant ne pas avoir été assez soutenus contre les Turcs, ils se détachent de nouveau de Rome, cette fois définitivement.
Le terme de christianisme « oriental », utilisé par les historiens depuis le grand schisme de 1054 (par opposition au christianisme latin « occidental »), regroupe trois grandes obédiences, deux orthodoxes et une catholique :
- Les Églises « antéchalcédoniennes » (ou orthodoxes orientales) qui ne reconnaissent que les conciles œcuméniques antérieurs à celui de Chalcédoine : les deux premiers (Nicée et Constantinople) pour les quelques dizaines de milliers d’héritiers du nestorianisme et les trois premiers (avec Éphèse) pour la soixantaine de millions d’adeptes des Églises descendants du monophysisme (copte et éthiopienne, jacobite, apostolique arménienne, syro-malabare du Kerala en Inde…).
- L’Église orthodoxe chalcédonienne, dite aussi des sept conciles (les sept premiers, dont celui de Chalcédoine, jusqu’à Nicée II en 787, quand les catholiques en reconnaissent vingt-et-un) : elle réunit quelque 280 millions de fidèles, vivant pour la plupart en Russie et en Europe de l’Est.
- Les Églises catholiques orientales (parfois nommées « uniates ») qui sont liées à Rome, mais pratiquent des liturgies non latines (essentiellement byzantine, mais aussi les rites copte, guèze, arménien, maronite, syriaque occidental et syriaque oriental ou chaldéen). Comptant un peu moins de 20 millions d’adeptes, ces vingt-trois Églises autonomes co-existent souvent avec des Églises orthodoxes, en Éthiopie, au Moyen-Orient, au Kerala indien, dans les Balkans… Les plus connues sont les Maronites du Liban et les différentes Églises grecques-catholiques.
Contrairement au monde catholique, structuré autour du Saint-Siège, l’Église orthodoxe chalcédonienne est constituée d’Églises indépendantes[3]. Le Patriarcat œcuménique de Constantinople est censé disposer d’une autorité morale sur ses pairs, car historiquement le plus ancien, mais cette primauté a été contestée par les princes de Moscovie dès le milieu du XVe : ils ont accompagné leur montée en puissance politique d’un discours faisant de leur capitale la « troisième Rome », après Rome et Constantinople (cf. Russie historique et encadré sur les Églises dans Ukraine). En 1666, l’orthodoxie russe a elle-même été traversée par la dissidence des Vieux Croyants (ou vieux ritualistes), communauté refusant que le patriarche de Moscou réaligne le rituel russe sur la liturgie byzantine[4].
D’un point de vue théologique, la communauté orthodoxe suit les mêmes sept sacrements que les catholiques et refuse le mariage des moines et des évêques (des hommes déjà mariés peuvent toutefois devenir prêtres). En revanche, elle ne reconnait pas l’Immaculée Conception de la Vierge (qui n’est d’ailleurs devenu dogme catholique qu’en 1854), tout en célébrant sa montée au Ciel (la « Dormition »). Les différences avec le catholicisme sont surtout présentes dans le domaine liturgique : vénération des icônes, baptême par triple immersion, communion sous deux formes (du vin et du pain, par ailleurs levé et non azyme).
[3] Au XXIe siècle, l’orthodoxie chalcédonienne compte quinze Églises autocéphales et une vingtaine d’Églises autonomes, dépendant plus ou moins d’une Église autocéphale.
[4] Persécutés par tous les régimes russes, les Vieux-Croyants (un peu plus d’un million dans le monde) ont eux-même éclaté en plusieurs tendances.
DES CALENDRIERS DIFFÉRENTS La grande majorité des orthodoxes et une partie des grecs-catholiques ont conservé le calendrier dit "julien" : introduit par Jules César, en 46 AEC, il compte 365 jours plus le quart d’une journée, avec une rallonge d'un jour tous les 128 ans pour tenir compte du décalage de 11 minutes et 14 secondes existant chaque année entre l’année calendaire et l’année solaire. C'est pour abolir ce différentiel que, en 1582, le pape Grégoire XIII a instauré un nouveau calendrier, dit "grégorien", qui a introduit des années bissextiles tous les quatre ans.
La « république monastique » du Mont Athos
A la fin du Xe siècle, Athanase l’Athonite fonde un monastère au pied du mont Athos (2030 m), situé à l’extrémité de l’Aktè, l’une des trois péninsules méridionales de la région de Chalcidique, au sud de Thessalonique. Dix-neuf autres monastères vont suivre, pour constituer ce que les orthodoxes appellent la « Sainte Montagne ». Contiguë de la municipalité grecque de Stagira-Akanthos, dont elle est séparée par une clôture de 9 km, la communauté monastique du Mont Athos est rattachée directement au patriarche de Constantinople et jouit d’une autonomie relative au sein de la République hellénique. Elle applique notamment des lois particulières, compatibles avec l’abaton, la règle interdisant l’accès au territoire des enfants mineurs et de « toute créature femelle » : non seulement pour ne pas tenter les moines (une loi identique s’applique sur l’île d’Okinoshima, site sacré du shintoïsme au nord-ouest de l’île japonaise de Kyushu), mais aussi parce-qu’une légende fait du Mont Athos le « jardin » de la seule Vierge-Marie. La petite « république monastique » (335 km², 50 kilomètres de long sur 12 kilomètres de large) est peuplée d’environ deux mille personnes, majoritairement grecques, dont un peu moins de deux cents laïcs vivant dans son chef-lieu, Karyès.
Pour en savoir plus sur le christianisme oriental :
Le who’s who des Eglises d’Orient / La religion orthodoxe / https://www.egliserusse.eu/blogdiscussion/LES-5-SITUATIONS-DIFFERENTES-DE-L-EGLISE-ORTHODOXE_a5463.html
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