Après avoir implanté des comptoirs commerciaux sur les bords du golfe de Guinée, dans les années 1860, l’Allemagne hisse son drapeau à Lomé (Togo) puis à Douala en 1884 et signe un accord de protectorat avec des chefs de tribus locaux. L’année suivante, le traité de Berlin qui entreprend le partage de l’Afrique entre grandes puissances européennes entérine la situation et accorde au Reich un territoire de 465 000 km², voisin du Nigeria sous protectorat britannique : le Kamerun. Cette dépendance s’agrandit en 1911, à l’occasion du traité de Fès qui met fin à la rivalité de l’Allemagne et de la France au sujet du Maroc : Paris cède à Berlin quelque 300 000 km² de terres prises sur ses colonies limitrophes du Kamerun (Tchad, Oubangui-Chari, Congo et Gabon), en échange d’une reconnaissance allemande des droits de la France sur le Maroc, ainsi que de l’obtention de la partie orientale du « Bec de Canard » (dans le nord-est du Cameroun entre les fleuves Logone et Chari). Agrandi de ce « Neu Kamerun », la colonie allemande atteint près de 760 000 km², même si sa partie la plus septentrionale n’est pas totalement pacifiée.
Les Français et les Anglais reprennent le contrôle de la région en 1916, au cours de la Première Guerre mondiale. Tandis que les territoires du Neu Kamerun sont réintégrés aux colonies françaises qui en avaient été dépossédées, le reste (l’Altkamerun) est partagé en 1919 en deux territoires distincts, placés sous mandat de la Société des Nations (SDN) : plus de 80 % forment le Cameroun français et un peu moins de 20 % le Cameroon britannique (en rouge).
Ce dernier forme une bande étroite qui s’étend sur environ un millier de kilomètres, depuis la baie du Biafra jusqu’au lac Tchad, en longeant le Nigeria britannique. Les 85 000 km² du Cameroon britannique sont divisés en deux régions : le Northern Cameroon (Cameroun du Nord) à majorité musulmane et le Southern Cameroon (Cameroun méridional), majoritairement animiste et chrétien, au pied du plus haut massif d’Afrique occidentale, le volcanique Mont Cameroun (la « Montagne des Dieux » en langue bakweri, une des ethnies locales). Habitées par des populations parfois similaires à celles du Nigeria voisin (Ewik, Chamba, peuples de langues Adamaoua, Peuls…), chacune des deux régions dépend d’une des entités instaurées au sein de la Fédération britannique du Nigeria : le Cameroun septentrional est administré par le Nigeria du Nord (lui aussi majoritairement musulman) et le Cameroun méridional par le Nigeria du Sud (à majorité chrétienne et animiste).
Après la deuxième Guerre mondiale, Northern et Southern Cameroon demeurent britanniques, sous la tutelle de l’ONU qui a remplacé la SDN. Mais de premiers craquements apparaissent. Mécontents de la domination croissante qu’exercent les politiciens nigérians, souvent musulmans, les représentants du Cameroun méridional obtiennent, en 1953, la création d’une région autonome. Au milieu des années 1950, le Cameroon anglophone devient aussi la base arrière de l’Union des populations du Cameroun (UPC). Fondé par des syndicalistes à la fin des années 1940, ce mouvement revendique l’indépendance du Cameroun et sa réunification. Interdit dans la partie française, il déclenche une insurrection armée en pays bassa et bamiléké.
Finalement, le Cameroun français devient la première des colonies d’Afrique à laquelle Paris accorde l’indépendance, en janvier 1960. L’année suivante, l’ONU décide de consulter les habitants des régions britanniques sur leur devenir. Le choix de l’indépendance étant exclu, il leur est proposé d’être rattaché à la jeune république du Cameroun ou bien au Nigeria qui est, lui aussi, devenu un pays souverain. Au Northern Cameroon, 60 % des électeurs votent en faveur d’une adhésion à la Fédération nigériane, politiquement dominée par les musulmans du Nord. A contrario, 70,5 % des votants du Southern Cameroon optent pour le rattachement au Cameroun francophone, majoritairement chrétien. Celui-ci devient alors une République fédérale associant le « Cameroun occidental » (l’ex-Cameroun méridional anglophone) sur moins de 10 % du territoire et le « Cameroun oriental » (l’ex-partie française) sur plus de 90 %.
La rébellion de l’UPC ayant été défaite, un référendum constitutionnel met fin au fédéralisme en 1972 et le Président Ahidjo instaure la « République unie du Cameroun ». L’ex-Southern Cameroon est divisé en deux provinces, du Nord-Ouest (17 800 km², chef-lieu Bamenda) et du Sud-Ouest (24 571 km², chef-lieu Buea).
La question du fédéralisme refait surface au début des années 1990, lorsque le pays revient au multipartisme. Ainsi, le mouvement All Anglophone Congress (AAC) comme le Social democratic front (SDF, le principal parti d’opposition), proposent le retour à un État fédéral, dans lequel les droits des anglophones seraient mieux respectés par les dirigeants et fonctionnaires francophones. Officiellement, le Cameroun est un pays bilingue (membre de la Francophonie et du Commonwealth), mais l’essentiel du pouvoir est détenu par les élites de l’ancien Cameroun français, où se trouvent les capitales politique (Yaoundé) et économique (Douala). En pratique, les populations parlent le français, mais aussi leurs langues nationales (entre deux cent cinquante et trois cents), ainsi que le « pidgin camerounais » (ou kamtok), en usage dans les deux régions anglophones, mais aussi dans les régions francophones limitrophes et dans les grandes métropoles commerçantes.
En 1997, 2001, 2011, des mouvements de contestation agitent les zones anglophones et sont sévèrement réprimés. A la fin de l’année 2016, une poussée de fièvre fait au moins un mort à Bamenda. Initié par les enseignants et les avocats, qui estiment que la langue anglaise est menacée dans leurs domaines, le mouvement gagne les commerçants, les étudiants et de larges franges de la population. Porté par le Southern Cameroon National Council (SCNC), il est réprimé comme les précédents ce qui, ajouté à l’arrestation de leaders modérés, conduit à sa radicalisation.
De nouvelles violences mortelles ont lieu le 1er octobre 2017, date anniversaire de l’unification des deux Cameroun que les indépendantistes utilisent pour proclamer leur République indépendante d’Ambazonie (en référence à Ambozes, le nom donné localement à la baie d’Ambas, au sud du Mont Cameroun).
Un gouvernement intérimaire est formé, mais son « Président » est expulsé du Nigeria et condamné à la perpétuité début 2018.
La rébellion n’est d’ailleurs pas unifiée mais fractionnée en mouvements divers, disposant d’une large autonomie sur le terrain, leurs directions étant souvent basées à l’étranger : Ambazonia Defence Forces, Red Dragons, Manyu Ghost Warriors, 7 Kata… La plupart des rebelles, les « Amba boys », en profitent pour se livrer à des activités liées au banditisme (racket, enlèvements, instauration de journées « villes mortes » obligatoires chaque lundi…) qui servent aussi à renforcer leurs effectifs et leur armement et ne fait que renforcer le rejet de tout dialogue par le pouvoir. Les violences, qui touchent les forces de l’ordre et les infrastructures économiques (plantations, usines, bureaux, moyens de transport, commerces), ciblent plus particulièrement le système d’enseignement francophone : quiconque ne respecte pas le boycott instauré par les séparatistes ou bien les journées villes mortes du lundi s’expose à de sévères représailles (enlèvement, torture, amputations…). En mai 2019, un professeur de lycée est décapité et sa tête déposée sur une avenue de Bamenda. Même les caciques anglophones ne sont pas épargnés : en avril et en juin 2019, le chef historique du SDF, John Fru Ndi, est brièvement enlevé pour avoir refusé de retirer ses élus du Parlement.
A l’automne suivant, le régime du Président Biya ouvre un « grand dialogue national » à Yaoundé, mais sans les organisations séparatistes, dont une dizaine se sont regroupées dans une Ambazonia Coalition Team (ACT) qui mène des discussions parallèles en Suisse. Sans aller jusqu’au retour du fédéralisme, le « dialogue national » préconise l’application des lois de décentralisation, jamais appliquées depuis leur instauration en 1996, avec l’octroi d’un statut spécial aux deux régions anglophones, ainsi que plusieurs autres mesures : le transfert de 10 à 15 % des recettes de l’État aux collectivités locales, le renforcement de l’anglais dans les services publics, la création d’une commission « Vérité, Justice et Réconciliation ».
Mais ces dispositions étant restées lettres mortes, les violences s’exacerbent à l’approche des élections législatives et municipales de février 2020. Elles mettent aux prises l’armée, les séparatistes (qui empêchent le SDF de mener campagne et s’affrontent même entre eux) et des milices d’auto-défense villageoises. Une vingtaine de civils, majoritairement des femmes et des enfants, sont ainsi tués dans un village du Nord-Ouest. Malgré ses démentis, l’armée est impliquée dans ce massacre, de même que des civils, membres de « comités de vigilance » mis en place par les autorités : ceux-ci recruteraient notamment parmi les éleveurs peuls – dont certains venus du Nigeria – au risque d’aggraver les tensions avec les agriculteurs locaux. En mars, les sécessionnistes portent même le conflit en région francophone, en attaquant la gendarmerie et le commissariat d’une ville de la province de l’Ouest, frontalière du Nord-Ouest anglophone. Six mois plus tard, une demi-douzaine d’enfants sont tués par balles ou à la machette dans une école du Sud-Ouest. En juin 2022, des « Amba boys » sont sollicités pour défendre un village du Sud-Ouest, impliqué dans un conflit foncier avec une ethnie rivale : les affrontements font une trentaine de morts.
Fin 2022, le bilan des violences est de 6 000 morts et 600 000 personnes déplacées vers les régions francophones ou le Nigeria. Les discussions ouvertes en Suisse ayant échoué, le Canada – pays bilingue anglais / français – annonce en janvier 2023 que de nouveaux pourparlers se sont ouverts sur son sol. Ils associent le pouvoir camerounais à un certain nombre de groupes sécessionnistes affaiblis par les dissensions et la contre-guérilla des forces gouvernementales (le Conseil de gouvernement et son bras armé, les Forces de défense de l’Ambazonie, ainsi que le Mouvement populaire de libération de l’Afrique, les Forces de défense du Sud-Cameroun et l’ACT). Bien qu’en baisse, les violences continuent, frappant en priorité élus et fonctionnaires locaux. En mai 2024, un attentat à la grenade fait deux morts dans un bar de Bamenda.