1 284 000 km2
République autoritaire
Capitale : N’Djamena
Monnaie : franc CFA
18,5 millions de Tchadiens
Ancien siège des royaumes du Kanem-Bornou, du Ouaddaï et du Baguirmi (cf. Sahel historique), le Tchad tient son nom du lac éponyme (« tsad » signifiant lac en langue kanouri). Totalement enclavé, il partage plus de 6 400 km de frontières terrestres avec six pays : au nord 1 050 km avec la Libye, à l’est 1 400 km avec le Soudan, au sud près de 1 560 km avec la République centrafricaine et à l’ouest près de 1 120 km avec le Cameroun, 85 km avec le Nigeria et près de 1 200 km avec le Niger. La Libye a contesté au Tchad la bande d’Aouzou située à leur frontière.
D’une altitude moyenne légèrement supérieure à 500 mètres, le Tchad alterne des reliefs extrêmement divers. Dans la partie septentrionale, le Sahara tchadien est délimité à l’est par le plateau de l’Ennedi et au nord par les montagnes du Tibesti, massif volcanique de quelque 75 000 km² dont le principal sommet (un volcan éteint) culmine à plus de 3 400 mètres. Au Centre se trouve la steppe sahélienne, avec le massif montagneux du Ouaddaï, les étendues sableuses du Mortcha, les dunes du Kanem et le lac Tchad, dans lequel se jettent les deux principaux cours d’eau du pays, le Chari et la rivière Logone, arrivant du Cameroun et de République centrafricaine ; la capitale est située au confluent des deux. Enfin, le Sud est une région de savanes et de marécages à la saison des pluies. Désertique et aride dans la partie septentrionale, le climat est de type tropical au sud.
L’immensité tchadienne compte environ cent trente ethnies et presque autant de langues. Comme le Mali, le pays associe deux ensembles très différents : un Nord peuplé de nomades et un Sud habité par les descendants des populations noires razziées par les musulmans.
Le Sud-Ouest, où vit la moitié de la population, est composé de Négro-africains appartenant aux groupes linguistiques tchadique et soudanien central : Sara, Ngambaye et ethnies voisines (30 % de la population), Toupouri, Kotoko (descendant des Sao soumis par le Kanem), Baguirmi, Massa et autres (plus de 10 %). Le Nord et le Centre sont peuplés de populations négro-africaines et sahariennes, appartenant aux groupes linguistiques saharien, ainsi que soudanien oriental et central : Mayo-Kebbi (12 %), Kanembou et voisins (10 %, parlant le kanouri), Maba et Massalit (7 %, de langues mabanes, dans le Ouaddaï), Toubou (6 %, divisés en Téda et Daza ou Gorane), Zaghawa (ou Béri, Bideyat en arabe 1 %)[1] … S’y ajoutent 10 % d’Arabes (de souche, mais aussi métissés et négro-africains arabisés) habitant le Centre, 7 % de Hadjaraï (nom désignant des groupes disparates, majoritairement musulmans, peuplant le centre et le centre-ouest) et 2 % de Peul... Les langues officielles sont le français et l’arabe tchadien.
[1] Certaines de ces ethnies sont présentes dans les pays limitrophes, à l’image des Toubou en Libye et au Niger et de leurs cousins Zaghawa dans le Darfour soudanais.
Un peu plus de la moitié de la population (52 %) est musulmane, très majoritairement sunnite. Les chrétiens, essentiellement présents au Sud, sont environ 44 % (24 % de protestants et 20% de catholiques) et les animistes moins de 1 %.
SOMMAIRE
- Les Sudistes au pouvoir au Tchad
- Habré victorieux des querelles entre Toubou
- Déby et la prise de pouvoir des Zaghawa
- Multiplication des rébellions du Tchad
- Une situation instable
- De Déby père à Déby fils
- LES LABYRINTHES DU LAC TCHAD
Les Sudistes au pouvoir au Tchad
Constituée autour de l’ancien royaume médiéval du Kanem, la colonie française du Tchad associe des populations très diverses : au Nord, que la France a administré de façon militaire, vivent des nomades musulmans, trafiquants de tous produits (humains compris) et perpétuellement insoumis ; au Sud, majoritairement chrétien ou animiste, habitent les descendants de populations victimes de raids esclavagistes, où Paris a favorisé les missions d’évangélisation, la scolarisation et la culture du coton. C’est un membre d’une de ces ethnies méridionales, le Sara protestant François Tombalbaye, qui conduit la colonie du Tchad à l’indépendance, en août 1960. Candidat du Parti progressiste tchadien (PPT) – section locale du Rassemblement démocratique africain – il devient Président de la jeune république après avoir évincé le fondateur du mouvement, un métis antillais que beaucoup de Tchadiens, notamment du Nord, considéraient comme un étranger.
Peu après son installation, le chef de l’État fait du PPT le parti unique du pays et nomme dans le Nord des fonctionnaires originaires du Sud, qui s’aliènent rapidement les populations septentrionales. Pourtant, ce n’est pas au Nord mais dans deux régions du Centre-Sud peuplées d’Arabes et de Hadjaraï, le Guéra et son voisin du Salamat, que les premières révoltes, d’origine paysanne, éclatent à l’automne 1965. Le régime y ayant répondu par la force, le mouvement prend de l’ampleur et se structure, en 1966, dans un mouvement politico-militaire : le Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), dirigé par un Ouaddaïen. En 1968, la rébellion gagne les trois grandes régions du Nord (dites BET) : le Borkou, l’Ennedi, le long de la frontière avec le Soudan et le Tibesti, aux confins du Niger et de la Libye. La pression des rebelles est telle que Tombalbaye fait appel à la France, dans le cadre des accords de défense signés entre les deux pays en 1960. Le déploiement de centaines de soldats français est un succès, puisqu’il permet de repousser le Frolinat jusqu’en Libye, où le nouveau chef de l’État Mouammar Kadhafi lui offre son soutien.
Les militaires français se retirent à l’été 1972, laissant le pouvoir à un Président de plus en plus autoritaire. Ayant accaparé la plupart des postes régaliens et échappé à une tentative de coup d’État fomenté par la Libye, il entreprend une grande opération de « tchadisation du pays » : la capitale, Fort-Lamy, devient N’Djamena, du nom d’un village arabe voisin (Am Djamena signifiant « le lieu où l’on se repose ») ; lui-même adopte le prénom de Ngarta. Ayant rompu avec Paris, il se rapproche des régimes soudanais et libyen, afin qu’ils cessent de soutenir le Frolinat. C’est dans ce cadre qu’il autorise l’armée libyenne à investir, en 1973, la bande d’Aouzou, territoire de 114 000 km² que la France avait cédé à la Libye italienne en 1935, avant que la Libye indépendante ne le restitue à Paris vingt ans plus tard.
Ajouté aux critiques de Tombalbaye contre l’inefficacité de son armée, et aux purges qu’il pratique régulièrement en son sein, cet abandon de souveraineté accroit le ressentiment des militaires qui renversent le Président et le blessent mortellement en avril 1975. Il est remplacé par un Conseil supérieur militaire majoritairement composé de Sudistes, dont le Sara Félix Malloum, ancien commandant en chef de l’armée incarcéré le mois précédent. Dès son entrée en fonctions, le nouveau chef d’État dénonce l’accord passé avec la Libye.
Habré victorieux des querelles entre Toubou
Mais la rébellion musulmane n’a pas dit son dernier mot et reprend ses activités en 1977, sous la direction de deux chefs Toubou : Goukouni Oueddei (ou Weddeye), un Teda du Tibesti qui entretient de bonnes relations avec le pouvoir libyen, et Hissène Habré, un Daza (ou Gorane) hostile à Tripoli, qui a fondé sa propre faction, les Forces armées du Nord (FAN). Après avoir conquis l’ensemble du BET, appuyée par l’aviation et l’armée libyennes, la rébellion se rapproche de N’Djamena en février 1978. Une nouvelle fois, les forces françaises interviennent et repoussent les assaillants à plus de 400 km de la capitale, sans pour autant aider le régime tchadien à reconquérir le nord de son territoire. Cet échec consomme la rupture entre Goukouni et Habré qui, sous l’égide du Soudan, se rapproche de Malloum : il en devient le Premier ministre à l’été 1978. Mais la cohabitation est de courte durée, l’ancien rebelle réclamant, en vain, une meilleure représentation des Nordistes au sein du commandement de l’armée tchadienne.
En février 1979, un incident mineur entre les FAN et l’armée régulière met le feu aux poudres. Habré s’empare du pouvoir, grâce à l’aide que lui apportent les Forces armées populaires (FAP), le nouveau mouvement que Goukouni a constitué en regroupant plusieurs factions du Frolinat et d’autres groupes insurgés. Contraint à l’exil, Malloum abandonne le pouvoir à un Gouvernement d’union nationale de transition (GUNT) formé par les FAN, les FAP et des reliquats de l’armée tchadienne. Goukouni en est le Président, avec le général sudiste Kamougué comme vice-Président et Habré comme ministre de la Défense, jusqu’à leur nouvelle rupture l’année suivante. Des accrochages entre les FAN et les FAP ayant dégénéré dans la capitale, des combats fratricides gagnent tout le pays. Goukouni fait alors appel au colonel Kadhafi, qui fait intervenir ses avions et ses blindés depuis la base que la Libye a implantée à Aouzou. Mises en déroute, en décembre 1980, les forces d’Habré se réfugient au Darfour soudanais.
Goukouni pousse alors pour une union entre le Tchad et la Libye mais Kadhafi, qui brigue la présidence de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ne donne pas suite et replie ses forces dans la bande d’Aouzou, laissant un contingent de l’OUA se déployer comme force d’interposition dans le reste du pays. Habré en profite pour repartir à l’offensive, à la tête d’une coalition réunissant des Goranes du Borkou, des Bideyat (Zaghawa de l’Ennedi) et des Hadjeraï du Guera. Après s’être emparé d’Abéché, la grande ville du Ouaddaï, Habré entre dans N’Djaména en juin 1982 et devient Président de la république. En fuite, Goukouni se replie au Tibesti. Un an plus tard, il reprend la route de la capitale tchadienne, une nouvelle fois appuyé par les forces armées libyennes. De nouveau, Paris intervient et déploie l’opération Manta, le plus important dispositif déployé par la France à l’étranger depuis la fin de la guerre d’Algérie, ce qui permet d’enrayer l’offensive rebelle. En 1987, les Forces armées nationales tchadiennes (FANT) décident d’en finir avec la présence militaire libyenne dans le pays. Bénéficiant de l’appui de Goukouni – qui a rompu avec Tripoli – et de l’aide de plusieurs services de renseignement, notamment américains, elles remportent « la guerre des Toyota » (du nom des pick-up utilisés comme véhicules de combat) en s’emparant temporairement d’Aouzou et en bombardant même une base aérienne dans le sud de la Libye à l’été 1987. En mars suivant, Kadhafi se résout à signer un cessez-le-feu et à reconnaître Habré. Le différend sur la bande d’Aouzou est porté devant la Cour internationale de justice qui, en 1994, reconnait la souveraineté du Tchad sur ce territoire.
Malgré ses succès, Habré instaure un régime extrêmement autoritaire, qui va faire des milliers de morts, victimes d’exécutions sommaires et de tortures de la part de la Sécurité présidentielle et de la Direction de la documentation et de la sécurité. Entre 1982 et 1985, l’armée réprime sévèrement la demi-douzaine de mouvements de rebelles nés dans le Sud, avec le soutien de la Libye et du GUNT, les « codos » (pour commandos) : des villages entiers sont pillés et incendiés lors du « septembre noir » de 1984. Pour en savoir plus : https://shs.cairn.info/revue-politique-africaine-2003-3-page-51?lang=fr En 1987, une rébellion Hadjaraï dans le Guéra est écrasée dans le sang. Le Tchad étant considéré comme « pacifié », une Constitution est adoptée par référendum fin 1989 et des élections législatives, relativement libres, organisées l’été suivant.
Déby et la prise de pouvoir des Zaghawa
Habré va être abandonné par une partie de ses soutiens, en particulier les Zaghawa de l’Ennedi. L’un des leurs, le chef d’État-major de l’armée Idriss Deby, entre en dissidence : en 1989, il fonde au Soudan un groupe rebelle, le Mouvement patriotique du salut (MPS), dont les troupes se lancent l’année suivante à l’assaut de N’Djamena. La France ayant refusé d’intervenir, Habré prend la fuite[1] et Deby entre sans combattre dans la capitale. Il forme un gouvernement d’ouverture, libère des prisonniers politiques et prépare une transition démocratique qui se matérialise pat un référendum constitutionnel suivi d’une élection présidentielle au suffrage universel en 1996. Déby est élu président avec près de 70 % des voix, mais des oppositions demeurent : chez certains musulmans, hostiles à la laïcité proclamée par la Constitution, et dans le Sud, partisan du fédéralisme et opposé à la promotion de l’arabe comme langue officielle. Poussés par la découverte de pétrole dans leur région, les plus extrémistes des fédéralistes fondent les Forces armées pour une République fédérale (FARF) en 1994. Ils déposent totalement les armes en 1999, après avoir négocié leur reddition contre une amnistie, puis fusionnent avec le MPS.
Fin 1998, une nouvelle organisation rebelle fait son apparition dans le Tibesti : le Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT) de l’ex-ministre de la Défense Youssouf Togoïmi, un Toubou qui s’était autrefois rallié à Habré et qui dénonce la surreprésentation des Zaghawa au sein du régime tchadien. Entre 2002 et 2005, trois accords de réconciliation sont signés entre le gouvernement et les rebelles, chaque accord prévoyant, en vain, leur intégration politique et militaire. Affaibli par la mort de son chef, tué par l’explosion d’une mine, le MDJT rallie une coalition plus large fondée en 2004, l’Union des forces pour le changement.
Les relations de N’Djamena sont par ailleurs tendues avec la République centrafricaine (RCA), au point qu’un incident frontalier entre les deux armées fait une vingtaine de morts en août 2002. Les tensions sont avivées par le fait que le Tchad héberge l’ex-général putschiste Bozizé, tandis que le régime de Bangui, allié de la Libye, recourt aux services du chef de guerre tchado-centrafricain Abdoulaye Miskine (qui dirige une milice anti-Bozizé et fondera une rébellion quand ce dernier s’emparera du pouvoir en RCA). La dégradation de la situation au Sud préoccupe d’autant plus N’Djamena qu’elle pourrait compromettre le projet pétrolier de Doba (dont la production doit être évacuée par oléoduc vers le Cameroun).
Réélu en 2001, à l’issue d’un scrutin entaché de nombreuses fraudes, Déby s’engage à ne pas briguer un troisième mandat. Mais, en 2004, l’Assemblée nationale – largement dominée par le MPS et ses alliés – adopte une réforme constitutionnelle qui ne fixe plus de limite au nombre de mandats du président de la République. La révision est adoptée par référendum en juin 2005. La même année, pour faire à l’accroissement des dépenses militaires dû à la lutte contre les rebelles, le chef de l’État renégocie avec la Banque mondiale le financement international du pipeline entre les champs pétrolifères de Doba et le sud camerounais : ce ne sont plus 90 % des revenus pétroliers mais 70 % qui seront investis dans l’aide au développement et la croissance à long terme du Tchad.
[1] Réfugié au Sénégal, où il mourra, Habré sera condamné à la perpétuité pour crimes contre l’humanité, viols, exécutions, esclavage et enlèvements. Une commission d’enquête tchadienne a estimé à 40 000 le nombre de morts dues à son régime.
Multiplication des rébellions au Tchad
L’éclatement d’une guerre civile dans la région soudanaise du Darfour, frontalière du Tchad, conduit à l’afflux de 250 000 réfugiés soudanais dans le pays et à l’apparition de nouveaux mouvements rebelles. Plutôt enclin à soutenir la révolte des Zaghawa du Darfour, qui sont de la même ethnie que lui, Déby doit y renoncer, à la fois par reconnaissance vis-à-vis du Soudan (qui l’avait aidé à lancer sa propre rébellion victorieuse), mais aussi parce-que Khartoum a menacé de lui envoyer ses milices « janjawid », si l’armée tchadienne soutenait les insurgés Darfouris. En faisant ce choix, le chef d’État tchadien s’aliène de nombreux cadres Zaghawa de son armée, y compris au sein de sa Garde présidentielle ; pour compenser ces défections, il recrute au sein des ethnies Sara et Hadjaraï. De leur côté, les mécontents se regroupent, en 2005, derrière deux neveux du Président, les frères Erdimi. Retranchés dans le massif montagneux du djebel Marra, au-delà de la frontière soudanaise, ils forment le Socle pour le changement, l’unité nationale et la démocratie (SCUD). A la fin de la même année, le mouvement s’allie au Rassemblement pour la démocratie et la liberté (RDL) de Nour Abdelkrim, un ancien ministre de la Défense pourtant fermement opposé aux Zaghawa, puisque ce Tama (une ethnie de l’Est) combat les rebelles du Darfour aux côtés du gouvernement soudanais et de ses milices arabes. En avril 2006, leur Front uni pour le changement démocratique (FUC) lance une attaque sur N’Djamena, qui est finalement repoussée, au prix de centaines de morts.
Réélu en 2006, avec près de 65 % des voix mais une participation inférieure à 55 %, le « fennec » Déby doit faire face à la fin de l’année à l’offensive, sur Abéché, d’une nouvelle rébellion : dirigée par le Gorane Mahamat Nouri, un ancien compagnon d’armes d’Habré, l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) regroupe divers mouvements armés tchadiens (comme le FUC) et centrafricains. Une nouvelle fois, l’attaque a suivi l’itinéraire Darfour – nord Centrafrique – sud Tchad, ce qui conduit N’Djamena à intervenir militairement en République centrafricaine et à se déclarer en état de guerre avec le Soudan. Dans cette même région sudiste du Salamat, des affrontements ethniques entre Arabes et Noirs (sur le modèle de ce qui se pratique au Darfour) font au moins trois cents morts en novembre 2006. Plus au nord, une autre coalition entre au Tchad : elle est composée de miliciens du Rassemblement des forces démocratiques (RaFD) et de la Concorde nationale tchadienne (CNT, dissidence du FUC). Réarmée par la Libye, et renseignée par les avions de surveillance français, l’armée de N’Djamena parvient une nouvelle fois à enrayer ces diverses offensives. En avril 2007, en poursuivant des véhicules de la CNT sur le sol soudanais, elle entre en confrontation directe avec son homologue soudanaise, à proximité du camp où Khartoum a entraîné les rebelles tchadiens.
Sous l’égide de la Libye, un « accord de paix définitif » est signé en octobre 2007 avec les quatre principaux groupes rebelles inféodés au Soudan (CNT, RaFD et les deux factions de l’UFDD), mais les affrontements reprennent dès le mois suivant. Arrivés jusqu’aux portes du palais présidentiel, en février 2008, les insurgés en sont finalement chassés, grâce à un nouveau soutien de la France et de la Libye, qui ne souhaite pas voir le régime soudanais développer son discours islamiste au Tchad. Le mois suivant, sous la pression internationale, Déby et son homologue du Soudan signent un accord, en vertu duquel chaque pays s’engage à empêcher l’utilisation de son pour déstabiliser leur voisin. Sur le plan intérieur, un certain nombre d’opposants ont disparu durant l’offensive rebelle, victimes des services de sécurité tchadiens : c’est le cas du porte-parole du principal mouvement de l’opposition non armée, la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC). En signe de réconciliation, le régime lui accorde quatre ministères, dont ceux de la Justice et de la Défense.
En mars 2009, l’ONU déploie une force de 5 000 militaires, la mission des Nations unies en République Centrafricaine et au Tchad (Minurcat), avant que le Tchad et le Soudan ne signent un nouvel accord de réconciliation sous l’égide du Qatar et de la Libye. Le texte est à peine paraphé que la rébellion lance une nouvelle offensive, sous le nom d’Union des forces de la résistance (UFR, dirigée par Timane Erdimi et regroupant depuis janvier 2009 huit mouvements, dont l’UFDD), mais elle est repoussée par les forces loyalistes. Un accord de normalisation entre le Tchad et le Soudan est finalement signé début 2010 : il se traduit par le départ du Soudan des chefs rebelles tchadiens et par l’expulsion du Tchad du chef du Mouvement pour la Justice et l’Égalité Darfouri. La frontière entre les deux pays est rouverte et l’UFR progressivement désarmée, ce qui entraîne le retrait de la Minurcat.
Une situation instable
Cette stabilisation conduit à une relative libéralisation, avec l’adoption d’une nouvelle loi sur la presse en 2010 (supprimant notamment le délit d’offense au chef de l’État et les peines de prison pour diffamation) et l’organisation d’élections législatives début 2011, les premières depuis 2002. Bien que le scrutin ait été surveillé par une mission d’observation de l’Union européenne, la large victoire de la coalition présidentielle, l’Alliance pour la renaissance du Tchad, est contestée par les partis d’opposition qui boycottent la présidentielle d’avril. Sans opposant réel, Déby est réélu pour un quatrième mandat, avec plus de 83 % dès le premier tour (et une participation de plus de 55 %). La France et les pays occidentaux ne font pas de commentaires, le régime tchadien jouant un rôle majeur contre la propagation du djihadisme dans le Sahel et le Nord-Est du Nigeria, aux abords du lac Tchad. Ceci lui vaut de subir les foudres de la secte nigériane Boko Haram : en juin 2015, un double attentat-suicide fait une trentaine de morts à N’Djamena, à proximité de la direction de la Sécurité publique, du commissariat central et de l’école de police.
Malgré la dégradation de la situation économique, due à la volatilité des prix du pétrole et aux coûts des dépenses militaires, Idriss Deby Itno (son nom officiel depuis 2006) est réélu pour un cinquième mandat en avril 2016, avec plus de 61 % des suffrages, devant une douzaine de candidats. La même année, l’UFDD (qui a quitté l’UFR) connait une énième scission, avec la fondation du Front pour l’alternance et la concorde (FACT). Basé dans le Fezzan – au sud de la Libye – le FACT est à son tour ébranlé par la dissidence du Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR), replié dans la bande d’Aouzou. Tout en luttant contre le régime tchadien, les deux mouvements servent de supplétifs aux frères ennemis libyens (cf. Libye) : les milices de Misrata, puis l’armée du général Haftar pour le FACT (majoritairement Gorane), les factions islamistes pour le CCMSR, composé de Gorane, mais aussi de Zaghawa, Arabes et Ouaddaïens. Le second ayant tué une douzaine de soldats tchadiens en 2017, N’Djamena rompt ses relations avec le Qatar – accusé de vouloir déstabiliser le Tchad – à l’instar de ce qu’ont déjà fait l’Arabie Saoudite et ses alliés ; Doha héberge notamment le leader de l’UFR (coalition dont s’est retiré Mahamat Nour, qui a pu rentrer dans son pays en 2014).
A l’été 2018, une nouvelle source de tension apparaît, au sujet du contrôle des mines d’or du Tibesti, exploitées illégalement par des centaines d’orpailleurs. Les rebelles du CCSMR s’en emparent au prix de dizaines de morts, avant d’être eux-mêmes délogés de la zone aurifère de Kouri Bougoudi en janvier 2019 : l’attaque est menée par les combattants du Rassemblement des forces pour la libération du Soudan, l’alliance à forte composante Zaghawa qui réunit les trois principales organisations armées du Darfour ; dotée d’une base militaire dans le sud libyen, elle intervient comme auxiliaire de l’armée tchadienne, mais aussi de l’Armée nationale libyenne d’Haftar. Des combats opposent aussi des militaires tchadiens et des milices villageoises, largement composées de Toubou, qui sont opposées au redécoupage administratif des régions nordistes du « BET » et à la mainmise du clan présidentiel sur l’exploitation des mines. En 2019, l’état d’urgence est également déclaré dans les régions du Sila et du Ouaddaï, frontalières du Soudan et de la RCA, après des affrontements meurtriers entre éleveurs Arabes et agriculteurs Maba, pour le contrôle des terres. Les premiers bénéficieraient du soutien d’officiers ayant investi leur argent dans le bétail.
La région du lac Tchad, proche de N’Djamena, reste par ailleurs sous la menace des Nigérians de Boko Haram. Près de cent soldats tchadiens y sont tués en mars 2020, ce qui conduit Déby à annoncer que, à l’avenir, ses troupes ne combattront plus les islamistes en dehors des frontières du Tchad, ceci afin de marquer sa lassitude vis-à-vis de l’inaction de la Force multinationale au Nigeria et de celle du G5 au Sahel.
En août 2020, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance, Déby est nommé maréchal, renforçant ainsi ses pouvoirs après avoir fait supprimer le Conseil constitutionnel, la Haute Cour de justice et le poste de Premier ministre, généralement dévolu à un Sudiste. Le Tchad est alors classé parmi les pays les plus répressifs de la planète et son Indice de développement humain (IDH) est le troisième plus faible au monde. Son armée est pléthorique et clanique : elle compte quatre-cents généraux grassement rémunérés (davantage que l’immense Nigeria), dont trois cents issus de la même région. En février 2021, alors qu’approchent les élections, une tentative d’arrestation de l’opposant Yaya Dillo, neveu critique de Déby, tourne au drame : trois personnes sont tuées, dont sa mère. Dans ce contexte, tout rassemblement est interdit dans le pays, officiellement pour des raisons sécuritaires.
De Déby père à Déby fils
Sans véritable challenger, le Président sortant remporte l’élection avec plus de 79 % des suffrages et une participation voisine de 65 %, malgré l’appel au boycott lancé par la majeure partie de l’opposition. Mais il ne profite pas de ce sixième succès : à peine réélu, Idriss Déby est mortellement blessé dans la province de Kanem, alors qu’il était venu soutenir ses troupes confrontées à une offensive du FACT. Il est aussitôt remplacé un groupe de militaires conduits par son fils, Mahamat Idriss. Sous le nom de Conseil militaire de transition, la junte dissout l’Assemblée nationale et suspend la Constitution, tout en promettant d’organiser des élections à l’automne 2022. Le soin d’initier un « dialogue national » est confié à l’ancien Président Goukouni, qui est débarqué juste avant l’ouverture de pourparlers au Qatar, en présence de quarante-sept groupes politico-militaires répartis en trois délégations. Ils aboutissent, en août 2022, à la signature d’un accord de cessez-le-feu avec une majorité des groupes présents à Doha, à l’exception d’une quinzaine dont le FACT, le CCMSR, le Front de la nation pour la démocratie et la justice au Tchad (FNDJT)… Pour en savoir plus : https://information.tv5monde.com/afrique/tchad-qui-sont-les-principaux-groupes-rebelles-448249.
L’accord permet l’ouverture d’un dialogue national inclusif et souverain ouvert à l’opposition politique et syndicale, mais sans les mouvements n’ayant pas signé l’accord de Doha, ni la plateforme de la société civile Wakit Tamma (qui juge que l’iniative n’est pas assez démocratique), ni les Transformateurs, un des principaux partis d’opposition. Au bout de quelques jours, l’Église catholique se retire d’un dialogue dont la principale conclusion est de consacrer Déby fils comme Président de transition pour vingt-quatre mois supplémentaires, avec possibilité de se présenter aux prochaines présidentielles. Cette annonce provoque, en octobre, des manifestations de l’opposition à N’Djamena et dans trois autres villes ; leur répression fait plus de cent-trente morts et entraîne la condamnation de plus de 250 manifestants à des peines de deux à trois ans de prison, au terme d’un procès tenu à huis-clos dans une prison en plein désert.
Le Tchad reste par ailleurs en proie à des heurts intracommunautaires croissants : 400 morts en 2021 et plus de 500 sur les neuf premiers mois de 2022. Dans la moitié des cas, ils mettent en cause des agriculteurs et des éleveurs (entre Arabes d’un côté, Boulala ou Hadjaraï de l’autre), les affrontements à caractère purement ethnique n’en représentant qu’un quart. Au printemps 2023, des mouvements rebelles sudistes reprennent également de l’activité, notamment dans la province méridionale du Logone oriental, à partir de bases situées au nord-ouest d’une Centrafrique où l’État central ne contrôle plus tout le territoire.
Lors d’un référendum organisé en décembre 2023, une nouvelle Constitution est approuvée par 86 % des votants (près de 63% de participation). Consacrant la forme centralisée du pays, elle réhabilite le Sénat, la Haute cour de justice ou encore la Cour suprême. En outre, tout candidat à la présidence de la République devra être âgé d’au moins 35 ans et être né Tchadien, de parents Tchadiens. Rentré au pays après un an d’exil, le chef des Transformateurs, Succès Masra, est nommé Premier ministre : l’économiste sudiste (il est d’ethnie Ngambaye) est chargé de préparer les élections devant mettre fin à la transition. Un autre opposant connait un sort très différent : trois ans jour pour jour après avoir échappé à son arrestation, Yaya Dillio est tué en février 2024 au siège de son Parti socialiste sans frontière, dont les militants sont accusés d’avoir essayé de prendre d’assaut les locaux de l’Agence nationale de sécurité. En mai, Déby fils est élu dès le premier tour de la présidentielle avec 61 % des voix (près de 76 % de participation), loin devant Masra qui conteste des résultats dont la nature est d’autant plus suspecte qu’ils ont été proclamés très rapidement. Pour diriger le gouvernement, le Président choisit un diplomate, lui aussi sudiste mais membre fidèle du MPS.
Sur le plan sécuritaire, le Tchad diversifie ses partenariats, en signant des accords avec la Turquie, la Hongrie et surtout les Émirats arabes unis, qui lui fournissent un soutien matériel et financier conséquent, en se servant du territoire tchadien pour soutenir les paramilitaires des FSR en guerre contre l’armée soudanaise : les EAU accordent notamment au Tchad un prêt équivalent à 15 % de son PIB. En janvier 2024, après une visite de Déby à Moscou, N’Djamena obtient le départ des soldats américains de son territoire en avril. En novembre suivant, elle annonce mettre fin à l’accord de coopération en matière de défense signé avec la France et révisé en 2019. Faite le jour anniversaire de l’indépendance, l’annonce intervient un mois avant les élections législatives, alors que l’opinion publique tchadienne est de plus en plus défavorable à la présence française dans le pays.
Cratère volcanique dans le Tibesti. Crédit : usgs / Unsplash
LES LABYRINTHES DU LAC TCHAD
Peu profond et endoréique, le lac Tchad appartient pour plus de la moitié au Tchad, le reste au Niger, au Nigeria et au Cameroun. Constitué de marécages plus ou moins permanents, d’un labyrinthe de chenaux et de quelque cent-cinquante îles (dont certaines sont éphémères), il occupe une superficie de plus en plus faible : du fait des sécheresses des années 1970, sa superficie a diminué de plus de 90 % pour se réduire à un « petit lac Tchad » de 2 000 à 14 000 km², selon la vigueur des crues, contre 300 000 km2 il y a 7 000 ans. Dans le même temps, la population riveraine a plus que triplé, d’où la relance, en 2017 (avec l’aide de la Chine), d’un vieux projet colonial : le creusement d’un canal de 2 400 km qui amènerait des eaux de l’Oubangui (à la frontière entre la République centrafricaine et la RD du Congo) jusqu’au Chari qui, avec la rivière Logone, alimente la cuvette sud du lac. Considéré par les pouvoirs régionaux comme un outil majeur de développement – et par ricochet de lutte contre le terrorisme ambiant – ce projet est toutefois controversé car très coûteux (14 millions $) et susceptible de noyer les terres fertiles que le retrait du lac a découvertes.