Triple frontière : les « Nations-unies du crime »

Longtemps délaissée, tant par les colonisateurs que par les autorités des pays devenus indépendants, la Triple frontière est une zone d’environ 2500 km² située à l’intersection du Brésil, de l’Argentine et du Paraguay, près des chutes d’Iguaçu (le plus grand ensemble de cascades du monde). Des dizaines de nationalités s’y côtoient depuis la construction du grand barrage et de la centrale hydroélectrique d’Itaipu qui, dans les années 1970-1980, a fixé dans la région des personnes venues des régions pauvres voisines du Paraguay (notamment le Chaco) et des pays plus au nord, Bolivie et Pérou. Deuxième ville paraguayenne, Ciudad del Este (fondée en 1957) est une zone franche où des milliers de consommateurs, notamment brésiliens, viennent s’approvisionner en produits électroniques ou vestimentaires, dont beaucoup sont des contrefaçons venues d’Asie. Ce commerce est facilité par les ponts qui relient la zone paraguayenne à ses voisines brésilienne (Foz do Iguazu) et argentine (Puerto Iguazo).

Cette situation géographique autorise aussi la prolifération de très nombreux trafics, en particulier de faux papiers, de fausse monnaie, de voitures volées, d’armes, d’êtres humains, de métaux issus de mines illégales… et de drogue. Au cannabis traditionnellement produit au Paraguay s’est ajoutée la cocaïne venue des pays andins : transitant par les routes et le labyrinthe de cours d’eau qui traversent la Triple frontière, elle gagne ensuite les grands ports brésilien, argentin et uruguayen pour être embarquée dans des porte-conteneurs en direction du marché européen. Ces multiples activités frauduleuses valent à la région le surnom de « Nations unies du crime », toutes les organisations criminelles de la planète y étant représentées : cartels colombiens et mexicains, gangs brésiliens (Primer Comando da Capital, Familia do Norte, Comando vermelho), clans familiaux argentins, mafias italiennes, turques, ukrainiennes et japonaises, triades chinoises… Même le Hezbollah libanais y est présent via le clan Barakat, dont les activités frauduleuses (drogue, piratage de DVD, contrefaçon, racket, jeux d’argent etc.) rapportent plusieurs millions de dollars, transférés chaque année au Liban.

Les autorités nationales ferment les yeux, notamment celles du Brésil où vivent entre sept et dix millions de Libanais, arrivés après la désintégration de l’Empire ottoman, puis durant la guerre civile dans leur pays. D’une manière générale, les autorités locales sont dépourvues de moyens et largement corrompues, comme en témoigne l’assassinat, en 2022, du procureur paraguayen qui enquêtait de trop près sur ces dossiers. Mais la situation évolue. Proche des conservateurs au pouvoir à Washington, le président libertarien d’Argentine a décidé, en 2024, d’intensifier la répression du crime dans la zone, en partenariat avec les services de renseignement américains. Début 2025, l’Argentine et le Paraguay ont également relancé leur coopération en matière de sécurité.

Lire : https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20250625-drogue-triple-fronti%C3%A8re-route-sud-coca%C3%AFne-europe-bresil-argentine-paraguay?utm_slink=rfi.my%2FBmw9