Le Maghreb, des Berbères aux indépendances modernes

Le Maghreb, des Berbères aux indépendances modernes

Dans son acception la plus large, le Maghreb comprend les trois pays actuels du Maghreb central (Tunisie, Algérie, Maroc), ainsi que la Libye à l’est, la Mauritanie au sud-ouest et le territoire disputé du Sahara occidental. Il possède une façade maritime verdoyante, qui s’étend sur près de 5 000 km en bordure de la mer Méditerranée jusqu’à Tanger, et sur 700 km le long de l’Atlantique, de Tanger à Agadir. La côte devient ensuite désertique jusqu’à l’embouchure du Sénégal, limite méridionale de la Mauritanie, 1 500 km plus au sud.

L’espace maghrébin est dominé au nord-ouest par les massifs montagneux de l’Atlas, qui forment une barrière entre la côte méditerranéenne et le Sahara. Ils s’étendent sur 2 400 km depuis le cap Bon et le golfe de Gabès, dans le nord-est de la Tunisie, jusqu’à l’embouchure de l’oued Sous, qui se jette dans l’Atlantique au sud-ouest du Maroc. La chaîne la plus importante, le Haut-Atlas marocain, culmine au djebel Toubkal (4 165 m). Il est séparé du Moyen-Atlas au nord-est par l’oued Moulouya et de l’Anti-Atlas au sud-ouest par le Sous. L’Atlas tellien, incluant les monts du Rif, s’étend de Tanger à Bizerte. Au sud du Tell, l’Atlas saharien s’élève entre les hauts plateaux algériens et le Sahara. Il se prolonge à l’est par les Aurès et la Dorsale tunisienne. En Libye, l’étroite zone fertile en bordure méditerranéenne comprend au nord-ouest la Tripolitaine (surmontée des collines du djebel Nefousa), et au nord-est la Cyrénaïque, une série de plaines et de collines profondément découpées (djebel Akhdar).

Au sud de l’Atlas, le désert du Sahara occupe près de 80% du territoire. Il couvre la totalité du Sahara-Occidental, la majeure partie de la Mauritanie, de l’Algérie et de la Libye, ainsi que de nombreuses régions du Maroc et de la Tunisie. A l’est, il se poursuit jusqu’en Égypte et au Soudan et au sud, jusqu’aux zones semi-arides du Sahel (Tchad, Niger, Mali, Sénégal). Son relief comporte des cuvettes (comme celle du Tafilalet, au sud-est du Maroc) entrecoupées de plateaux et de quelques systèmes montagneux volcaniques isolés, dont les sommets les plus élevés ne dépassent pas 3 000 m : le Hoggar dans le Sud algérien et le Tibesti, de part et d’autre de la frontière de la Libye et du Tchad. Les ergs (dunes de sable) ne couvrent qu’un quart du plus grand désert du monde. Le reste est dominé par les regs, des espaces plats couverts de pierres et de graviers.

Aride dans la partie saharienne, le climat est de plus en plus tempéré, des zones continentales et montagneuses jusqu’à la bordure méditerranéenne. L’essentiel des terres arables se concentre dans la zone de transition, entre montagnes et désert, et sur la bande côtière qui sépare les montagnes de la mer. A l’exception des deux capitales historiques du Maroc (Fès et Marrakech) et de Constantine en Algérie, toutes les grandes villes du Maghreb sont concentrées sur les côtes : les cinq capitales (Nouakchott en Mauritanie, Rabat au Maroc, Alger, Tunis et Tripoli en Libye), ainsi que Casablanca (Maroc), la plus grande métropole de la région, mais aussi des centres régionaux tels qu’Agadir et Tanger (Maroc), Oran (Algérie) et Benghazi (Libye).


Premiers habitants du Maghreb, les Berbères y sont aujourd’hui minoritaires : ils sont entre vingt-cinq et trente millions (y compris les Touareg du Sahara et du Sahel), sur une population maghrébine dépassant les cent millions de personnes. La grande majorité des habitants du Maghreb est constituée d’Arabes, descendant des tribus arrivées dans la région à partir du VIIe siècle et des migrations suivantes (dont celles des musulmans ayant fui l’Espagne après sa reconquête par les chrétiens à la fin du XVe siècle). Écrivant et s’exprimant en arabe littéral (ou standard), les Maghrébins utilisent aussi comme langues vernaculaires une grande variété de dialectes arabes, plus ou moins inter-compréhensibles : ces formes dialectales sont en effet imprégnées d’emprunts aux langues berbères et à l’ancien phénicien, mais aussi à l’espagnol (au Maroc), au turc (en Algérie), à l’italique (en Tunisie)… En Mauritanie, le mélange de l’arabe des bédouins Beni Hassan et des parlers berbères a donné naissance à la langue hassaniya, parlée par les Maures (et leurs cousins Sahraouis du Sahara occidental) : si on y ajoute les Haratine (ou « Maures noirs »), ces Arabo-Berbères représentent 70 % de la population mauritanienne.

SOMMAIRE


Berbères : une galaxie de peuples

Les travaux paléontologiques et archéologiques font remonter à la préhistoire l’ancienneté de la présence « berbère » en Afrique du Nord, de l’Homme de Mechta el-Arbi (environ 12 000 ans AEC) aux « Proto-méditerranéens » de la civilisation Capsienne (7 000-5 000 ans AEC) et aux foyers néolithiques du Sahara et du Maghreb (6 500-2 000 ans AEC). Selon une étude de 2018, entre un quart et la moitié du patrimoine génétique des Maghrébins modernes proviendrait des Ibéromaurusiens, néologisme forgé au début du XXe siècle pour qualifier les populations occupant le littoral allant du nord de la Tunisie jusqu’au sud du Maroc actuels. Ces populations initiales se sont probablement mélangées à des Anatoliens (passés par l’Europe entre 6 500 et 3 000 AEC) et à des Natoufiens, civilisation issue des actuelles Cisjordanie et Galilée. Le métissage entre ces derniers et les proto-Berbères a donné naissance à la civilisation Capsienne, présente principalement dans l’actuelle Tunisie et l’est algérien.

Issu du grec et repris en latin et en arabe, le terme « berbère » désigne les « gens dont on ne comprend pas la langue », c’est-à-dire les étrangers, et par extension, les peuples « non-civilisés ». Eux-mêmes se désignent comme Imazighen, pluriel du nom Amazigh dont la signification est sujette à plusieurs interprétations : homme libre, noble, valeureux… Ils sont considérés comme les premiers occupants de l’Afrique du Nord, même si plusieurs hypothèses les font venir d’ailleurs, en particulier d’Anatolie et du Proche-Orient, du fait des caractéristiques de leurs langues : dites tamazight, elles appartiennent en effet à la vaste famille chamito-sémitique (ou afro-asiatique), dont font également partie l’arabe, l’égyptien ancien ou encore les langues tchadiques et couchitiques…

Les Berbères constituent des communautés dispersées, sédentaires ou semi-nomades, vivant dans une zone qui s’étend de l’oasis de Siwa, à l’ouest de l’Égypte, jusqu’au sud du Sahel et aux Canaries, dans l’Atlantique. Un peu moins de la moitié se trouvent au Maroc (où ils représentent plus de 30 % de la population), un tiers en Algérie (plus de 20 % de la population) et environ 5 % en France, pays d’émigration. Le plus souvent bilingues, principalement en arabe, ils s’expriment dans des parlers fortement distincts les uns des autres. La plus répandue des langues tamazight est le chleuh (tachelhit en berbère), parlé par environ 8 millions de personnes dans la plus grande partie de l’Atlas marocain : sud-ouest du Haut Atlas, Anti-Atlas et Souss. Dans l’ensemble du Moyen Atlas, ainsi que dans la partie centrale et orientale du Haut Atlas, 4 à 5 millions de personnes s’expriment en tamazight du Maroc central.

Viennent ensuite les dialectes « zénètes » tels que le rifain (tarifit) parlé par trois millions de personnes dans le nord-est du Maroc, ainsi que par les habitants d’un îlot situé entre la frontière marocaine et la ville algérienne de Tlemcen. A cette famille appartiennent aussi le chaouia (tacawit) et le mozabite (tumẓabt). Le second est en risque d’extinction (environ 200 000 locuteurs dans la vallée du Mzab, à 600 km au sud d’Alger), ce qui n’est pas le cas du premier : il est parlé par 2 millions de personnes vivant dans l’est algérien (Aurès et régions avoisinantes) et dans des zones dispersées d’Algérie centrale. Le groupe berbérophone algérien le plus important est celui des Kabyles. Parlant la langue éponyme (taqbaylit), ils sont 5 à 6 millions : 60 % en Kabylie même (région à l’est d’Alger) et 40 % dans les grandes villes, en particulier dans la capitale.

Les dialectes berbères sont beaucoup moins parlés dans les autres pays du Maghreb : par environ 600 000 personnes en Libye (dans le Djebel Nefousa au nord-ouest) et par moins de 100 000 en Tunisie (en particulier dans quelques villages de l’île de Djerba). Au sud-ouest de la Mauritanie, au Sahara occidental et dans quelques zones du nord du Sénégal subsistent également quelques milliers de locuteurs d’une langue en voie de disparition, le zenaga : elle a été largement remplacée par le hassaniya arabo-berbère. Aux Canaries, les Guanches berbérophones ont été assimilés par les Espagnols, mais n’ont pas totalement disparu : ils pèsent entre 15 et 30 % du patrimoine génétique des Canariens modernes et des traces d’eux ont été trouvées jusqu’à Porto-Rico et en République dominicaine, du fait de leur déportation au moment de la colonisation des Antilles par Madrid.

Restent les Touareg (ou Kel Tamasheq, « ceux de langue tamasheq ») qui vivent dans les immensités désertiques ou arides du Sahara et du Sahel, du sud de l’Algérie (Tamanrasset) et du sud-ouest de la Libye (Fezzan) jusqu’au nord du Burkina-Faso, en passant par les parties septentrionales du Mali et du Niger (cf. Les Touareg). Les parlers touareg ont conservé l’alphabet originel berbère, le tifinagh, inspiré de l’écriture punique. Dans le Maghreb, il a été modernisé en néo-tifinagh, concurremment à l’alphabet arabe.


Des « Libyques » aux Romains

A la fin du deuxième millénaire AEC, les Grecs mentionnent la présence de populations berbères qu’ils qualifient de « Libyques » depuis l’ouest de l’Égypte jusqu’à l’Atlantique. Aux XIIIe et XIIe siècles, leurs confédérations (les Libous et les Meshouesh ou Ma) se livrent à des incursions si fréquentes en Égypte, que les pharaons ne trouvent pas d’autre solution que de les fixer comme auxiliaires en Moyenne et Basse-Egypte, où elles constituent de puissantes chefferies. A l’aube du Xe siècle, l’Égypte connait même l’avènement d’un pharaon « libyen », suivi de deux dynasties de même origine.

A l’autre extrémité de la Méditerranée, les Phéniciens (des Sémites) implantent des comptoirs commerciaux entre le XIe et le IXe siècles, en Tunisie (Utique), puis sur les côtes marocaines et algériennes. En -814, des Phéniciens de Tyr fondent la ville de Carthage, voisine de l’actuelle Tunis. Plus à l’est, des Grecs créent la ville de Cyrène (en -631), mais le reste de la côte libyenne est colonisée au VIe siècle par les Phéniciens : ils y fondent les trois comptoirs de Sabratha, Oea et Leptis Magna, à l’origine de la ville de Tripoli. L’intérieur des terres reste en revanche aux mains de tribus berbères souvent rivales.

Vers -550, le Carthaginois Himilcon s’aventure jusqu’aux îles Britanniques ; un demi-siècle plus tard, il est suivi par Hannon, dont le périple le mène jusqu’au Golfe de Guinée. Carthage s’est également implantée dans le sud de l’Italie, mais doit s’incliner devant les Grecs de Sicile en -480. Avant de repartir à l’attaque en Méditerranée, les Carthaginois colonisent leur arrière-pays, ce qui va entraîner un métissage entre Phénicien et Berbères. Ils trouvent face à eux des fédérations de tribus berbères parfois organisées en royaumes : la Maurétanie des Maures dans le nord du Maroc actuel (Mauri étant le nom que leur ont donné les Romains), ainsi que les royaumes Numides des Masaesyles au nord de l’Algérie et des Massyles au voisinage de Carthage. D’autres tribus continuent à nomadiser, comme les Gétules dans le sud de l’Atlas et les Garamantes dans le Fezzan.

La situation évolue à la fin du IVe siècle AEC, quand la région de Cyrène (Cyrénaïque) passe dans l’orbite de la dynastie égyptienne des Lagides. Mais surtout au milieu du IIIe, avec le déclenchement de la première Guerre punique[1] (-264 à -241) entre Carthage et Rome, qui se disputent le contrôle de la Méditerranée occidentale. Battus en Afrique, les Romains affichent en revanche une supériorité sur mer qui contraint Carthage à leur céder la Sicile et la Sardaigne. A partir de -237, les Carthaginois se déploient au sud d’Espagne et, une dizaine d’années plus tard, fondent Carthagène, au voisinage de mines d’argent. La deuxième Guerre punique se déroule, entre -219 et -202, en Espagne et Italie, opposant Hannibal et Hasdrubal au Romain Scipion. Les troupes de ce dernier l’emportent à Zama, avec l’aide de Massinissa, roi des Massyles, qui reçoit en récompense le royaume des Masaesyles (allié de Carthage), ainsi que la Tripolitaine. Contrainte de signer la paix, Carthage paie un lourd tribut et devient dépendante de Rome pour sa politique extérieure. Les Carthaginois ayant été suspectés de se réarmer, une troisième Guerre punique se déroule de -149 à -146. Victorieux, les Romains récupèrent les colonies carthaginoises et créent la province d’Africa, en référence probable à une tribu (Afridi peut-être liée aux Banu Ifren, cf. infra) ou à une divinité berbère. Sa capitale est la cité d’Utique, qui a trahi Carthage pour se rallier à Rome. La romanisation est cependant limitée aux régions côtières et aux villes ; l’intérieur reste aux mains de tribus nomades ou semi-nomades, désignées sous le nom générique de Mazices (transcription du berbère Imazighen).

[1] Punique, c’est-à-dire phénicien.

Romanisation et christianisation

Dans le même temps, la mort de Massinissa (-148) engendre des troubles dynastiques et la partition de la Numidie. Le royaume est réunifié en -112 par son petit-fils Jugurtha qui, pour parvenir à ce résultat, a dû éliminer le protégé des Romains en Numidie orientale. Rome ne laisse pas le meurtre impuni et se venge avec l’aide de son vassal, le roi de Maurétanie Bocchus 1er, qui trahit son gendre Jugurtha et le livre aux Romains (-104). La Numidie se retrouve coupée en deux : la partie orientale est transformée en royaume client des Romains, tandis que la partie occidentale forme un royaume de Grande Maurétanie, comprenant le nord du Maroc, ainsi que le centre et l’ouest d’Algérie, avec l’actuelle Cherchell pour capitale. Les deux entités n’échappent pas à la partition dans les décennies suivantes : la Numidie orientale (en -88) et la Maurétanie entre les deux petits-fils de Bocchus 1er (-49). De son côté, Rome a occupé la Tripolitaine (-111) et s’est fait céder la Cyrénaïque par l’Égypte (-96).

Comme d’autres régions du bassin méditerranéen, le Maghreb devient un champ de bataille entre chefs romains. En -46, Jules César – allié au mercenaire Publius Sittius, soutenu par des Maures et des Gétules – l’emporte sur les partisans de son ennemi Pompée, appuyés par les deux rois de Numidie orientale. Les vaincus s’étant suicidé, leurs royaumes sont redécoupés : la partie la plus à l’est devient la province d’Africa Nova et la partie la plus à l’ouest est partagée entre la Maurétanie et la Principauté autonome que Sittius a constituée autour de Cirta (la future Constantine). En -33, l’extinction de la lignée des Bocchus entraîne le passage complet de la Maurétanie sous domination romaine. Six ans plus tard, la Numidie maurétanienne est regroupée avec l’Africa Nova, l’Africa Vetus (autour d’Utique, ancienne rivale de Carthage) et la Confédération Cirtéenne au sein d’une province d’Afrique proconsulaire (à laquelle la Tripolitaine sera adjointe au siècle suivant). Un royaume de Maurétanie, vassal de Rome, est en revanche restauré en -25, au profit du Numide Juba II.

Malgré ces différents épisodes, la domination romaine reste contestée. Par les Gétules, qui se révoltent en 17 EC, ce qui pousse les Romains à mener des expéditions dans le sud Saharien et le Fezzan. En 40, c’est la Maurétanie qui se soulève, après l’assassinat supposé de son roi par l’empereur Caligula. La révolte ayant finalement été matée, la Maurétanie est de nouveau annexée par Rome et découpée en deux provinces (en 47) : la Maurétanie césarienne (en Algérie centrale, occidentale et Kabylie, avec Césarée, Cherchell, comme capitale) et la Maurétanie tingitane (dans le nord Maroc, avec pour ville principale Tingis, future Tanger). En revanche, les Romains n’occupent ni le Rif ni l’Atlas, où opèrent des rebelles Maures. En 69, ils obtiennent toutefois une victoire sur les Garamantes. L’agitation berbère en Numidie et Maurétanie reprend au milieu du IIIe siècle. En 293, la Maurétanie césarienne est divisée en deux, la partie orientale devenant la Maurétanie sitifienne (centrée autour de l’actuelle ville algérienne de Sétif).

Aux IVe et Ve siècles, l’Afrique romaine – dans laquelle Rome a introduit le christianisme – est agitée par un mouvement théologique et social qui prend rapidement son essor chez les Berbères : le donatisme. Il émane de l’évêque de Casae Nigrae en Numidie, Donat le Grand, qui juge invalides les sacrements délivrés par les évêques s’étant compromis lors de la persécution des chrétiens par l’empereur Dioclétien, en 304-305. Dans cette même région, les conciles de Carthage condamnent, en 411 et 418, le pélagianisme : il est l’œuvre d’un ascète et moine britton qui rejette le péché originel et soutient que l’homme peut assurer son salut par ses seuls mérites. Ces doctrines, déclarées hérétiques, sont ardemment combattues par Augustin, théologien et évêque d’Hippone (l’actuelle Annaba en Algérie), lui-même partiellement Berbère.

De nouvelles révoltes maures éclatent dans les dernières décennies du IVe siècle contre l’Empire romain. Celle du prince Gildon est réprimée par le généralissime Stilicon, mais les soulèvements se répètent tellement que Constantinople – nouvelle capitale de l’Empire – finit par se désintéresser des deux Maurétanie, beaucoup moins importantes à ses yeux que l’Afrique proconsulaire.


La parenthèse Vandale

En 429, de nouveaux envahisseurs se présentent en Kabylie romaine, alors en proie à une guerre civile : les Vandales, des Germains repoussés d’Espagne par les Wisigoths (cf. La formation des pays ibériques). Leur pression est telle que, en 435, l’Empire romain doit leur concéder un foedus sur le nord de la Numidie, la Proconsulaire Occidentale et la Maurétanie sitifienne. Mais les Vandales ne s’arrêtent pas là : après avoir pillé Carthage, ils occupent la Tripolitaine et, surtout, débarquent en Sicile. Pour les arrêter, Constantinople leur confère, en 442, un nouveau statut de fédérés qui débouche sur la création d’un royaume Vandale sur toute la Proconsulaire, l’ouest de la Tripolitaine et l’est de la Numidie. Le reste demeure possession de l’Empire mais, dans la pratique, il est aux mains de royaumes berbères romanisés, que les Vandales doivent affronter aux Ve et VIe siècles. Parmi les plus célèbres figurent le vaste royaume des Maures et des Romains, basé autour d’Altava dans l’ouest de la Maurétanie césarienne, le royaume des Aurès et le royaume de l’Ouarsenis fondé dans les montagnes du nord-ouest de l’Algérie : ayant pour capitale Tahert (« la lionne », en référence aux lions de l’Atlas) au sud-est d’Oran, il se distingue par ses nécropoles royales, les djeddars. Un autre royaume fait parler de lui, celui des Laguatans (ou Lawâta) de Cyrénaïque et de Tripolitaine ; dans les années 520, leur chef Cabaon remporte une victoire qui lui permet de s’affranchir des Vandales.

Plus au sud, l’introduction au 1er siècle du dromadaire venu d’Arabie favorise le développement du commerce caravanier. Au Ve siècle, les Lemtouna – des Berbères Sanhadja – fondent la ville d’Aoudaghost, au sud-est de l’actuelle Mauritanie : elle constitue un « port terrestre » ouvert sur les richesses de l’ouest africain, telles que l’or et les esclaves.

En 533-534, une cinquantaine d’années après la disparition de l’Empire romain d’Occident, les troupes de l’Empire d’Orient, commandées par Bélisaire, s’emparent du royaume Vandale, qui est transformé en province d’Afrique, correspondant aujourd’hui à la Tunisie, au nord-est de l’Algérie et à la Tripolitaine. Réfugiés chez les Berbères nomadisant dans l’Atlas et le nord du Sahara, les derniers résistants Vandales sont éliminés quelques années plus tard. Constantinople ne contrôle pas pour autant l’hinterland : dans les décennies suivantes, elle doit affronter les révoltes de chefs berbères qui refusent de passer de la férule des Germains à celle des Romains d’Orient. C’est le cas du royaume des Maures et des Romains qui, battu en 578, éclate en petites principautés.

Dominations arabes et indépendances

A partir de 642, l’Afrique du Nord subit une demi-douzaine de vagues successives d’incursions arabes venues de l’est. Elles émanent des Omeyyades, la dynastie musulmane qui domine le Moyen-Orient. En un demi-siècle, ses troupes s’emparent de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine, puis de « l’Ifriqiya » (Africa en arabe) où elles fondent Kairouan, « la place d’armes », vers 670 et Tunis en 698, et enfin de l’Algérie. Les Byzantins ayant été chassés, les seuls à résister son des chefs Berbères : d’abord Koceïla, un roi Awerba, puis Dihya, une Zénète que les Arabes vont baptiser la Kahina (« la devineresse »). Après sa mort dans les Aurès, au tout début du VIIIe, les Omeyyades s’emparent du Maroc et dominent l’ensemble du Maghreb. Non seulement les principaux chefs berbères sont soumis, mais ils fournissent aussi des troupes aux envahisseurs, en particulier les Lawâta. Les contingents berbères forment le gros des forces de Tariq ibn Ziyad, lorsqu’il se lance en 711 à la conquête de la péninsule ibérique. Quarante-cinq ans plus tard, les trois quarts de l’Espagne et du Portugal sont unifiés dans un Émirat de Cordoue, dirigé par des descendants des Omeyyades.

Si la mixité des troupes ne s’accompagne pas forcément d’une diffusion rapide de l’arabe, elle favorise en revanche la propagation de l’islam, sous des formes parfois hétérodoxes : le soufisme – qui pratique le culte des saints – et le kharidjisme. Séparés des sunnites dès 657, les kharidjites sont partisans de l’élection de leur chef au mérite, et non par succession, et promettent un nouvel ordre politique dans lequel tous les musulmans seraient égaux. Ils comportent plusieurs tendances, dont les plus importantes sont les sufrites (ou kufrites) et les ibadites (cf. L’islam et ses chapelles). Ces deux variantes vont se propager parmi certaines tribus berbères qui, dans l’ensemble, sont méprisées par les Arabes aux côtés desquels elles combattent : souvent affectées aux tâches les plus ingrates, elles reçoivent aussi une part moindre des butins. A l’époque, les Berbères sont regroupés en trois grandes confédérations : les Zénètes (dont font partie les Maghrawa et les Banu Ifren ou Ifrénides), les Sanhadja ou Zenaga (dont les Lemtouna du sud Marocain et les Kutama d’Ifriqiya) et les Masmouda du « Maghreb extrême », le Maroc actuel (dont les Berghwâta et les Ghomara).

Sous la pression des Arabes, d’autres Berbères s’enfuient vers le Sud pour échapper à la soumission. Leur métissage avec les Noirs africains donne naissance, au VIIe siècle, à la dynastie Dia qui fonde l’Empire Songhaï, en aval de la boucle du Niger. Au siècle suivant se développe le royaume africain du Ghâna, qui profite de l’ouverture des pistes transsahariennes par les Berbères Sanhadja et les Touareg pour faire commerce de l’or des mines du Bambouk (haut Sénégal), en échange du sel saharien et d’autres marchandises.

De 739 à 743 – quelques années avant la chute des Omeyyades de Damas et leur remplacement par les Abbassides de Bagdad – les Berbères kharidjites fomentent des émeutes contre les taxes que leur imposent les gouverneurs arabes du Maghreb. Les différentes communautés du Maroc et de l’ouest algérien actuels profitent de cette « Grande révolte berbère » pour fonder des États indépendants et repousser les occupants arabes pour environ trois siècles : la domination des Abbassides ne subsiste plus qu’en Libye et en Tunisie. En 755, une tribu sufrite du sud tunisien s’empare même de Kairouan ; mais ses exactions sont telles qu’elle est évincée et massacrée par des ibadites de Tripolitaine, conduits par Ibn Rustom, un imam d’origine persane. Les gouverneurs abbassides ayant repris la ville en 761, ce dernier doit se replier vers l’ouest : élu imam par l’ensemble des tribus berbères ibadites locales, il fonde l’imamat Rustémide vers 776, et construit une ville nouvelle à Tahert pour en faire sa capitale.

Au nord du Maroc, les Banu Ifren et les Maghila, de rite sufrite, établissent le royaume de Tlemcen en 742. Mais, moins d’un demi-siècle plus tard, celui-ci doit faire allégeance aux Idrissides, une dynastie fondée par des chiites zaydites, chassés de Médine, qui ont reçu le soutien de multiples tribus berbères (Awraba, Zouagha, Luwata, Miknassa, Ghomara…). De 789 à 808, les Idrissides fondent la ville de Fès. Sur la côte atlantique du Maroc, dans l’actuelle région de Casablanca, dominent les Berghwâta. Sans être organisées en États, d’autres zones (telles que Djerba, Ouargla, Sétif, Tozeur, Gafsa et le Djebel Nafusa) sont également dirigées par des Kharidjites.

Les Berbères confirment aussi leur emprise sur les routes transsahariennes. En 757, des Zénètes de rite sufrite, les Meknassa, fondent le carrefour caravanier de Sijilmassa, dans l’oasis de Tafilalet, au sud-est du Maroc : il devient le siège de l’émirat des Midrarides. Vers 800, les Sanhadja instaurent l’Empire Amazigh ou royaume d’Aoudaghost dans le sud-est mauritanien. Durant des siècles, eux et les Touareg sont les maîtres du trafic caravanier transsaharien, assurant le transport d’or, de sel, mais aussi d’esclaves. Sur 17 millions de personnes razziées en Afrique par les trafiquants musulmans entre le VIIe et le XIXe siècle, environ 7,4 millions auraient été déportées à travers le Sahara (dont 4 millions entre 650 et le XVe siècle), 1,6 M seraient décédées au cours du voyage et 400 000 restées dans les oasis. Au fur et à mesure de leur progression vers le Sud sahélien, les tribus berbères se métissent, culturellement et ethniquement, avec les populations arabes et noires d’Afrique sub-saharienne (Peuls, Songhaï, Djerma…).

Dans le Maghreb, la puissance des Abbassides continue de se fragmenter tout au long du IXe siècle, fragmentation à laquelle n’échappe pas le royaume Idrisside. A Kairouan, un chef militaire du Khorasan fonde la dynastie des Aghlabides, sunnites melkites dont le rayonnement culturel et religieux s’exerce sur tout le Maghreb et dont la puissance navale met à mal la Sicile et les rivages méditerranéens (ce que les Européens appellent les raids des « Sarrasins »). En Tripolitaine dominent les Tulunides d’Égypte (868-905).


Parenthèse Fatimide et nouveaux royaumes berbères

Ce fragile édifice s’écroule au Xe siècle, à partir de la fondation de la dynastie des Fatimides par des chiites ismaéliens ayant dû fuir la Syrie. Alliés aux Kutama de Petite Kabylie, ils provoquent la chute des royaumes Aghlabide (en 910) et Rustémide (en 911). Pour leur échapper, les Ibadites majoritairement Zénètes des hauts plateaux s’enfuient vers une région du nord saharien, le Mzab , d’où vient leur surnom de Mozabites. En 913-914, les Fatimides s’emparent de la Tripolitaine, puis de la Cyrénaïque, mais échouent aux portes de l’Égypte. Ils mettent alors le cap à l’ouest, s’emparent de Fès et soumettent les souverains Idrissides[1] et de Sijilmassa (922). En 959, ils atteignent les côtes atlantiques du Maroc, ce qui leur permet de contrôler quasiment toute l’Ifriqiya et le Maghreb. Les seuls à avoir légèrement contrarié leur expansion sont les Omeyyades d’Espagne, qui ont réussi à prendre Tanger et Ceuta.

Ayant finalement réussi à s’emparer de l’Égypte, en 969, les Fatimides confient le Maghreb à un gouverneur Sanhadja qui s’émancipe d’eux et fonde sa propre dynastie Ziride, qu’il dote d’une nouvelle ville pour capitale : Alger (Al-Jazaïr, « les îles » en arabe). Suprême affront, il rompt avec le chiisme. Furieux, les Fatimides suscitent des révoltes de Kutama, mais sans succès. Au Maroc, les Banu Ifren et les Maghrawas profitent de la situation pour reprendre le contrôle du Royaume de Tlemcen. En Tripolitaine, les Banu Khazrun (des Maghrawa) prennent leur indépendance au tout début du XIe (elle durera jusqu’en 1146). Dans le sud mauritanien, l’État berbère d’Aoudaghost est conquis vers 990 par le Ghâna, qui a repris de la vigueur et s’étend le long des fleuves Sénégal et Niger.

En 1015, le royaume Ziride se fractionne. Sa branche Hammadide s’émancipe et domine l’Algérie orientale, non sans conflits avec sa voisine. Les deux royaumes ayant fait allégeance aux Abbassides de Bagdad (en 1047), les Fatimides lancent contre eux des confédérations de bédouins d’Égypte, venus de la péninsule arabique : les Banu Hilal (« enfants de la lune ») ou Hilaliens en Ifriqiya, les Banu Sulaym en Cyrénaïque et Tripolitaine ou encore les Banu Maqil en Algérie et au Maroc. Ces différents apports, dont le nombre est estimé à quelques centaines de milliers d’individus, vont modifier le fonctionnement des sociétés berbères, repoussant l’agriculture vers les côtes et appauvrissant tout le haut plateau algérien. L’arrivée des Bédouins accentue aussi la disparition totale du christianisme et de la langue latine, en même temps qu’elle favorise la pénétration de l’arabe, langue de la religion majoritaire qui présente aussi l’avantage de s’écrire, à la différence de la plupart des parlers berbères.

Au besoin, les principautés berbères se servent des envahisseurs pour régler leurs conflits internes. Ainsi, en 1058, une alliance des Hammadides et des Hilaliens provoque la chute du royaume Ifrénide de Tlemcen. Sous la pression, les dynasties survivantes se replient sur le littoral : les Zirides à Mahdia sur la côte tunisienne (dont ils seront chassés par les Normands en 1148) et les Hammadides à Bougie. Dans tout l’intérieur, le nomadisme reprend ses droits.

[1] Les derniers Idrissides à tomber, en 972, sont ceux du Rif, sous les coups des Omeyyades de Cordoue.

Almoravides et Almohades

Vers 1040, le pouvoir au Maghreb bascule vers l’ouest, avec l’affirmation des Lamtouna de l’actuel Sahara occidental. Fondateurs de l’État d’Anbiya au IXe siècle, ils prennent le nom de Mourabitoun, c’est-à-dire « gens des ribat », des monastères fortifiés. Sunnites de rite malékite – et non kharidjites – ces « Almoravides » franchissent le haut-Atlas, s’attaquent aux Berghwâta qu’ils jugent hérétiques, prennent Sijilmassa, Fès et Aoudaghost, entre 1054 et 1055, ce qui leur permet de contrôler la route transsaharienne menant au Ghâna, qu’ils soumettent en 1078. Après avoir construit leur capitale à Marrakech (1062), ils s’emparent de Ceuta et traversent la Méditerranée : en 1086, ils reprennent la majeure partie du sud espagnol (al-Andalus) qui, une cinquantaine d’années plus tôt, avait éclaté en émirats rivaux, du fait des dissensions entre chefs berbères et arabes. L’Empire Almoravide s’étend alors de l’Espagne au Niger, mais il va s’effondrer, victime de ses défaites militaires (en 1125 devant le roi d’Aragon) et de son rigorisme religieux.

En 1145, une secte Masmouda de l’Anti-Atlas, née une vingtaine d’années plus tôt, se révolte : non moins rigoristes que les Almoravides, ses partisans se nomment Almohades (« ceux qui professent l’unité divine »). Déferlant sur le Rif, ils prennent Fès, s’installent à Marrakech et débarquent en 1146 dans al-Andalus, que les royaumes chrétiens d’Espagne commençaient à reconquérir. Les Almoravides survivants s’enfuient aux Baléares. Six ans plus tard, les Almohades défont les derniers Hammadides, ainsi que les tribus arabes alliées des Fatimides. Mais plutôt que de les écraser, ils préfèrent installer les Beni Hilal et les Beni Sulaym au Maghreb occidental, pour conquérir la côte Atlantique, ainsi que dans les steppes du sud et de l’est de l’Atlas, ce qui permet d’assimiler les tribus berbères ou de les repousser sur les hauteurs. Les Almohades repoussent aussi les Normands de Sicile (qui avaient mis à profit les difficultés des Zirides pour reprendre toutes les villes entre Tripoli et Tunis) et conquièrent l’Ifriqiya. Ils doivent y faire face aux révoltes fomentées par les Almoravides des Baléares (les Beni Ghaniya), du moins jusqu’à ce que ces derniers soient chassés de l’archipel espagnol en 1203.

En 1212, les royaumes chrétiens d’Espagne infligent une sévère défaite aux Almohades, dont l’empire se disloque aussi au Maghreb. En 1229, leur branche de Tunis prend son indépendance sous le nom d’Hafsides. Six ans plus tard, des Zénètes établissent leur dynastie Zianide (ou Abdalwadide) au Maghreb central, avec Tlemcen pour capitale. Dans le « Maghreb al-Aqsa » (le Maroc actuel), le pouvoir est pris par d’autres Zénètes, les Beni Marin, qui fondent la dynastie Marinide (1258), avec Fès pour capitale. Les derniers bastions Almohades à tomber sont ceux de Marrakech et Tinmel (1269), même si des Masmouda parviennent à rester indépendants au Sud. Au Sahel, la dislocation de l’Empire Almohade provoque la conquête du royaume du Ghâna par le roi du Sosso et l’affirmation de l’Empire du Mâli.


Domination ottomane et unification du Maroc

Entre 1337 et 1347, les Marinides parviennent à unifier une large partie du Maghreb, en s’emparant de Tlemcen et du Royaume Abdalwadide, puis de l’Ifriqiya Hafside. Mais cette domination est de courte durée et les Marinides se replient sur le Maroc dès 1358 : l’Ifriqiya est alors partagée en trois principautés Hafsides (Tunis, Bejaia et Constantine, qui seront réunifiées à partir de 1370) et Tlemcen reprise par les Abdalwadides. En Mauritanie et dans l’actuel Sahara Occidental, des Banu Hassan (descendants des Banu Maqil) se superposent aux Sanhadja à partir du XIVe siècle.

A partir de 1415 et tout au long du XVe siècle, les côtes marocaines et sahariennes voient par ailleurs s’implanter les Portugais (Ceuta, Tanger) et les Espagnols (Melilla au Maroc, Argente en Mauritanie). A partir de 1402, les Castillans ont commencé à conquérir les îles Canaries. La résistance des autochtones Guanches, des Berbères non islamisés, est vaincue en 1495 et leur peuple assimilé. Dans le Sahel, les Touareg s’emparent de Tombouctou (en 1434) mais la reperdent une trentaine d’années plus tard, victimes de la renaissance du royaume Songhaï.

En 1465, les Marinides disparaissent, après une quarantaine d’années de rivalités internes. Ils sont remplacés, au centre et à l’ouest du Maroc, par les Wattasides, une branche annexe qui se place en 1526 sous la suzeraineté des Turcs Ottomans, sans parvenir pour autant à conserver ses possessions. Elle doit en effet affronter les Saadiens, un mouvement de marabouts arabes originaire du moyen Draa (au sud de l’Atlas) qui a déclaré la guerre sainte à des Européens toujours plus présents : ainsi, au début du XVIe, les Portugais ont érigé des garnisons sur la côte Atlantique marocaine, à Mazagan, Mogador (actuelle Essaouira), Agadir… En 1549, la dynastie saadienne (ou zaydanide) parvient à chasser les Wattasides du pouvoir et refoule les Masmouda dans l’Atlas. Après avoir repris Agadir et écrasé l’armée portugaise au sud de Tanger (en 1578), les Saadiens ont conquis presque tout le Maroc. En 1591, ils lancent une expédition sur Tombouctou et Gao, à l’assaut des gisements d’or de la région. L’Empire Songhaï n’y résiste pas et s’effondre.

Le reste du Maghreb est aux mains des Ottomans qui, en 1551, se sont emparés de Tripoli au détriment des Hospitaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, auxquels Charles Quint avait remis la ville après sa conquête par les catholiques quatre décennies plus tôt. Dans leur entreprise, les Turcs s’appuient notamment sur des corsaires ou pirates « barbaresques » qui, depuis leurs ports du littoral maghrébin, razzient les côtes européennes à la recherche d’esclaves chrétiens pour les marchés ottoman et orientaux de l’esclavage. Certains ont même établi des « États barbaresques« , vassaux autonomes de l’Empire ottoman, à Tlemcen, Constantine, Tunis ou encore Alger. C’est là que le Turc Khair-Eddine (surnommé Barberousse) a établi son repaire en 1516, à la demande de l’aristocratie marchande de la ville qui cherchait à contrecarrer l’expansion des Espagnols. Reconnu sultan d’Alger par les Ottomans (qui viennent de conquérir l’Égypte), il intervient aux côtés de la France dans les combats qu’elle mène en Italie, contre l’Empereur germanique, ce qui conduit ce dernier à faire alliance avec les Hafsides pour s’emparer de Tunis (1535). Les deux alliés échouent en revanche à prendre Alger, que Barberousse a débarrassée de la menace que représentait la forteresse érigée par les Espagnols sur l’îlot voisin du Peñon.

En 1554, les Turcs d’Alger défont les Abdalwadides et établissent leur autorité sur tout l’ouest et le centre de l’Algérie actuelle. Vingt ans plus tard, les Ottomans mettent fin au royaume Hafside réunifié et reprennent Tunis. Ils y instaurent, comme à Alger et Tripoli, des « Régences » plus ou moins autonomes, dirigées par des pachas, des aghas, des deys, qui sont parfois des « renégats » chrétiens (Sardes, Corses, Italiens…). Leurs flottes se livrent à d’incessantes « courses », pour leur propre compte et celui de Constantinople. Parmi leurs victimes figure le futur auteur de Don Quichotte, Cervantès, qui reste emprisonné à Alger pendant cinq ans.

Au XVIIe siècle, les pachas ottomans de Tripoli soumettent la Cyrénaïque (dépendant jusqu’alors de l’Égypte ottomane) et imposent tribut aux Banu Mohammed du Fezzan, sans pour autant les soumettre. En Kabylie et dans les Aurès, le pouvoir des Turcs reste en revanche fragilisé par les révoltes chroniques de tribus berbères. Enfin, sur la côte Atlantique du Maroc naît la république de Salé (face à l’actuelle Rabat) : elle est fondée au début du XVIIe par des Morisques, des musulmans fuyant les persécutions dont ils sont victimes en Espagne. Pratiquant la piraterie, ils se livrent à des raids audacieux dans tout l’Atlantique nord, jusqu’en Islande.

A l’intérieur du Maroc, la scission de l’émirat Saadien en deux royaumes (de Marrakech et de Fès, en 1610) profite à des Sanhadja. Fondée au XVe siècle au Moyen-Atlas, leur confrérie soufie de Dila parvient à s’emparer du pouvoir, au milieu du XVIIe, et à dominer tout le Maroc central, y compris Fès et Meknès. Mais, dès 1668, elle doit l’abandonner à la nouvelle dynastie marocaine montante : les Alawites (descendants d’Ali) ou Chérifiens (descendants du Prophète). Issus de nomades arabes du Hedjaz, arrivés dans le Tafilalet au début du XIIIe, ils réunifient le Maroc, qu’ils dirigent toujours aujourd’hui. Dans les années 1660, ils mettent fin aux activités des pirates de Salé et s’emparent de Fès et Marrakech. Deux décennies plus tard, ils récupèrent Tanger (que le Portugal avait cédé comme dot à l’Angleterre, en 1661) et soumettent le Sud. Enfin, dans la seconde moitié du XVIIIe, ils s’emparent de Anfa et Mazagan, abandonnés par les Portugais. Seuls les présides de Melilla et Ceuta et quelques enclaves sont encore espagnoles, de même qu’Oran (jusqu’à sa vente au bey ottoman d’Alger, qui en prend possession en 1792).

En Tunisie, la Régence disparait en 1705. Elle est remplacée par le beylicat de la dynastie des Husseinides, fondée par un spahi (militaire à cheval) originaire de Crète dont la mère est tunisienne. Un moment sous tutelle des Turcs d’Alger, elle s’en émancipe pleinement en 1807. A Tripoli, le pacha nommé par les Ottomans est chassé en 1711 par la famille des Karamanli : devenue quasi-indépendante, elle développe le commerce maritime, ce qui favorise l’essor des ports de Benghazi, Derna et Misrata.

A compter de la fin du XVIIe, plus aucun Berbère sédentaire ou semi-nomade n’est dirigé par un des siens : de la Libye au Maroc, le pouvoir est exercé par des Arabes, des Ottomans, voire des Espagnols.

L’occupation européenne

A partir de 1830, d’autres puissances arrivent sur le devant de la scène. D’abord, les États-Unis d’Amérique qui mènent deux guerres contre les États barbaresques (en 1804-1805, puis 1815), pour mettre fin aux entraves dont leurs navires sont victimes en Méditerranée. Et surtout les Français qui conquièrent l’Algérie. A la suite d’un contentieux financier avec le dey d’Alger, Paris occupe la ville et les ports du littoral en 1830, puis soumet le bey de Constantine. A l’intérieur, la France passe d’abord un accord avec l’émir Abd el-Kader et reconnaît l’autorité de ce lointain descendant des Idrissides sur l’Algérie centrale et occidentale. Mais la trêve ne dure pas. Accusant l’émir de se livrer à des incursions dans la plaine de la Mitidja, au sud d’Alger, Paris passe à l’offensive en 1840. Se livrant à la pratique de « la terre brûlée », les troupes du général Bugeaud poussent Abd el-Kader à la fuite, puis à la reddition en 1847. Les années suivantes, l’armée française réduit les bastions berbères de Petite et Grande Kabylie et s’avance vers le Sud saharien. En 1848, l’Algérie devient partie intégrante de la République française, au sein de laquelle elle forme trois départements. Tous ses habitants non-étrangers sont déclarés français en 1865, mais avec des statuts différents, selon qu’ils sont originaires de métropole, juifs ou musulmans (85 % de la population en 1900). En 1871-1872, au lendemain de la défaite française face à l’Allemagne, les troupes de Paris doivent affronter la rébellion des Mokrani, dont les chefs appartiennent à la tribu kabyle des Beni Abbes, fondateurs de la dynastie Hafside. La révolte touche jusqu’à un tiers de l’Algérie, mais elle se conclut par une défaite des insurgés, des déportations et des expropriations de terres au profit de colons français. Ceux-ci deviennent majoritaires dans les grandes villes telles qu’Alger et Oran.

En Libye, les dissensions au sein de la famille Karamanli ont conduit les Ottomans à reprendre directement le pouvoir à Tripoli, en 1835. Mais leur autorité est contestée par des confréries religieuses, dont celle qu’un ouléma berbère originaire d’Algérie, Mohammed ben Ali al-Senoussi, implante en Cyrénaïque. D’inspiration soufie, la Senoussiya se répand dans le Fezzan et le Sahara central, ainsi que dans les régions voisines (Tchad, Soudan, Égypte). Plutôt que de l’affronter, les Ottomans lui délèguent en 1856 l’autorité sur les oasis et les nomades de la régence de Tripoli, afin de pouvoir concentrer leurs efforts sur le littoral.

Dans la régence de Tunis, la dynastie « beylicale » des Husseinides s’est consolidée, tout en restant vassale des Ottomans. Mais c’est au prix de lourdes dépenses qui ont conduit le bey à s’endetter sur la place de Paris. En quasi-banqueroute, il doit accepter en 1869 la tutelle d’une Commission financière internationale. Le rétablissement des finances ne met pas fin aux convoitises étrangères. Craignant que l’Italie ne prenne pied en Tunisie, la France prend les devants : prétextant un incident à la frontière avec sa colonie algérienne, des troupes françaises marchent sur Tunis et contraignent le bey à signer le traité du Bardo en 1881. Deux ans plus tard, la Tunisie devient un protectorat français.

Au Maroc, les Espagnols ont renforcé leurs positions. D’abord en conquérant les Iles Chafarinas au large de Melilla (en 1848), puis en battant le régime chérifien qui envisageait de reprendre les présides. Vaincus à l’issue de la guerre de Tétouan (1859-1860), les Marocains sont contraints de restituer à l’Espagne une de ses anciennes possessions, Sidi Ifni au sud d’Agadir. En 1884, la Conférence de Berlin reconnait cette annexion, ainsi que la domination de l’Espagne sur la colonie de la Seguia el-Hamra (face aux Canaries) et sur le protectorat du Rio de Oro, dans l’actuel Sahara occidental, au voisinage de la Mauritanie.

La France ne s’intéresse au « pays des Maures » qu’à la fin du XIXe siècle, en tant que carrefour entre ses possessions du Sénégal, du Mali et de l’Algérie. A l’époque, le pays est divisé en cités indépendantes (Chinguetti, Oualata, Tichitt et Ouadane), tribus nomades et émirats fondés par les Beni Hassan (Trarza, Brakna et Adrar) ou par les descendants des Sanhadja. Souvent rivaux, ces États affrontent aussi ceux situés au sud du fleuve Sénégal, comme le Fouta-Toro et le Waalo. C’est d’ailleurs pour défendre ce dernier que les Français combattent et battent l’émir de Trarza, au milieu des années 1830. En 1891, c’est celui de l’Adrar qui signe un traité faisant de son Etat central un protectorat français. Douze ans plus tard, toute la Mauritanie est placée sous la protection de Paris, avant de devenir une colonie à part entière en 1920, avec le fleuve Sénégal pour frontière méridionale. Mais la résistance armée à la présence française ne prend fin que dans la première moitié des années 1930.

A l’automne 1911, une guerre éclate entre l’Italie et l’Empire Ottoman au sujet des côtes libyennes. Désireux de se doter de colonies, le royaume italien a en effet jeté son dévolu sur une région très proche de son territoire. Au motif de protéger ses ressortissants établis en Tripolitaine et en Cyrénaïque, Rome adresse à Constantinople un ultimatum, qui tourne à l’affrontement armé. Finalement victorieuse en 1912, l’Italie récupère l’administration (et la possession de facto) des deux régions, ainsi que du Fezzan (et des îles du Dodécanèse dans la mer Égée). Elle leur redonne le nom antique de Libye.

C’est également en 1912 que, après des années d’approche (dont le sauvetage du souverain chérifien encerclé dans Fès par des Berbères révoltés), la France établit un protectorat sur le Maroc, sous la direction du général Lyautey : c’est lui qui installe la capitale à Rabat, ville de la côte Atlantique jugée plus sûre que Fès. Si Paris est parvenue à écarter les prétentions de l’Allemagne sur le Maroc – en lui cédant des territoires au Cameroun – elle a dû en revanche céder aux exigences de l’Angleterre et associer l’Espagne à son opération. Madrid se voit confier 47 000 km² de territoires marocains : la « zone de Tarfaya », entre Sidi Ifni et le « Sahara espagnol », ainsi que l’extrême-nord, dont le Rif, une région accidentée et boisée, traditionnellement rétive à toute autorité centrale. L’occupation est très mal vécue par les Berbères rifains qui se rebellent sous la direction d’Abdelkrim, un ancien officier de l’administration espagnole. Après avoir infligé une sévère défaite à l’armée occupante à Anoual (ouest de Melilla) en 1921, ils proclament quatre ans plus tard une république du Rif. Madrid ne reprend le contrôle de la situation qu’en 1925, après des années de combats ayant fait 90 000 morts et blessés, dont plus de la moitié dans les rangs espagnols. Elle le fait grâce au gaz sarin fourni par les Allemands et aux dizaines de milliers de soldats engagés par la France, sous le commandement du maréchal Pétain : Paris n’a pas apprécié que la république rebelle ait empiété sur son protectorat et redoute que les tribus berbères ne menacent les autorités arabes qu’elle soutient au Maroc. Siège de toutes les représentations diplomatiques au Maroc, et objet de rivalités internationales, Tanger est traitée à part : en 1923, le Maroc et sept pays (dont l’Espagne et la France) en font une zone internationale de 373 km², exempte d’impôts et de droits de douane ; l’extrême liberté qui y règne y favorise le trafic d’opium et de haschich, la prostitution… et l’effervescence littéraire.

En Libye, la première Guerre mondiale et la chute de l’Empire ottoman ont réveillé des sentiments nationalistes qui s’expriment, en novembre 1918, par la proclamation de la République de Tripolitaine, indépendante de l’Italie. Dès le début de l’année suivante, Rome accepte de garantir une large autonomie au nouvel État, à condition de conserver l’essentiel de ses fonctions régaliennes (armée, diplomatie et justice). Un dispositif similaire est accordé à l’Émirat de Cyrénaïque, proclamé par le chef de la confrérie des Senoussi. Mais aucune des parties, locales et coloniale, ne respectant les termes des accords passés, le nouveau pouvoir fasciste au pouvoir à Rome reprend le contrôle de toute la Libye en 1923. La seule résistance à l’occupation est une guérilla qui subsiste, jusqu’en 1931, dans les forêts et vallées du Djebel al Akhdar (la montagne verte) surplombant la côte de Cyrénaïque.


La tumultueuse indépendance algérienne

En Algérie, les Kabyles sont peu nombreux dans l’armée coloniale française, qui recrute surtout dans les tribus arabes (173 000 lors de la Première guerre mondiale). Ils sont en revanche très engagés dans la lutte pour l’indépendance. Né à la fin du XIXe siècle, un courant « berbériste » se développe au sein du mouvement indépendantiste algérien, y compris dans la communauté ayant migré en France : ainsi, le petit-fils d’Abd el-Kader préside l’Étoile nord-africaine née en 1926, dans l’orbite du parti communiste français. Tenants d’une « Algérie algérienne », les « berbéristes » s’opposent à l’idée d’une Algérie « arabo-musulmane » qu’incarnent deux hommes au profil différent : le radical Messali Hadj (fondateur, en 1937, du Parti populaire algérien) qui prône une rupture immédiate avec la France et le plus modéré Ferhat Abbas, qui milite pour une association devant mener à l’indépendance. La tension entre communautés a alors atteint des niveaux élevés. En mai 1945, une centaine d’Européens sont tués par des manifestants algériens à Sétif et Guelma ; la répression qui s’en suit fait entre 3 000 et 8 000 morts. L’année suivante, Fehrat fonde l’Union démocratique du manifeste algérien, tandis que Messali lance le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), qu’il dote d’une branche armée clandestine : l’Organisation spéciale.

C’est de celle-ci qu’est issu le Front de libération nationale (FLN), fondé en 1954 alors que le MTLD est en proie aux divisions. Le groupe débute ses opérations dès la fin de l’année, dans les Aurès et en Grande Kabylie. En dépit des renforts envoyés par Paris (jusqu’à 400 000 hommes), l’insurrection progresse et rallie la plupart des nationalistes, à l’exception de la nouvelle formation de Messali, le Mouvement national algérien (MNA). Entre 1956 et 1962, les deux formations se livrent une guerre sanglante pour le contrôle de la population algérienne émigrée en France ; elle fera près de 4 000 morts. Sur le sol algérien même, le combat du FLN conduit la France à changer de pouvoir en 1958. Le nouveau Président de la république, le général De Gaulle, accorde le droit à l’autodétermination, mais c’est insuffisant pour les indépendantistes qui obtiennent gain de cause : l’Algérie accède à l’indépendance en juillet 1962. Signés quatre mois plus tôt à Évian, les accords sont précédés et suivis de violences commises par le FLN et par l’Organisation de l’armée secrète (OAS), qui réunit des colons et militaires français hostiles à l’indépendance. La guerre s’achève sur un lourd bilan : 24 000 soldats tués côté français et entre 250 000 et 400 000 morts côté algérien, dont 60 000 à 80 000 harkis – des supplétifs musulmans de l’armée française – éliminés par les nouvelles autorités algériennes, dominées par les militaires.

Les autres indépendances

Au Maroc, la France a poursuivi son implantation en développant la zone utile entre l’Atlas et la Méditerranée (jusqu’à 300 000 Européens y demeurent au milieu du XXe siècle, dont la moitié à Casablanca) et en avançant dans les zones montagnardes majoritairement peuplées de Berbères. Leur « pacification » n’est achevée qu’en 1934, à la faveur d’opérations armées meurtrières et d’alliances avec les notables locaux tels que El Glaoui, chef d’une tribu berbère qui est pacha de Marrakech. Selon certains historiens, la conquête menée par la France, de 1907 à 1934, aurait fait 100 000 morts du côté marocain. A la même époque naissent des formations nationalistes telles que l’Istiqlal (« indépendance ») qui, en 1944, publie un Manifeste pour l’indépendance. L’arrestation de ses chefs provoque une insurrection à Fès suivie, en 1947, de troubles à Casablanca. Jugeant le sultan Mohammed V trop sensible aux sirènes indépendantistes, Paris l’exile en 1953 – avec le soutien du Glaoui – et le remplace par un cousin. Mais la manipulation est mal vécue par une partie de la population et le pays doit faire face à des attentats et des rébellions de tribus.

Défaite en Indochine, en 1954, la France change d’approche sur les questions coloniales. Le sultan est rétabli l’année suivante et l’indépendance du Maroc reconnue en 1956. L’Espagne lui rend les zones qui étaient sous son protectorat et la zone internationale de Tanger devient intégralement marocaine. En revanche, Madrid conserve les présides de Ceuta et Melilla, ainsi que Sidi Ifni, la région de Tarfaya et les provinces du Sahara. Le Maroc ne l’entend pas ainsi : deux ans plus tard, son armée et des tribus locales assiègent Sidi Ifni. A l’issue de cette « guerre oubliée », Madrid doit restituer Tarfaya, le cap Juby et la région d’Ifni au régime chérifien. L’Espagne conserve en revanche la ville d’Ifni (qu’elle restitue en 1969), ainsi que Ceuta, Melilla et le Sahara « occidental ».

En Tunisie, l’indépendance est acquise en 1954, dans des conditions moins dramatiques qu’en Algérie, sous l’égide de Habib Bourguiba ; fondateur du parti néo-Destour (« Constitution » en arabe) en 1934, il s’est imposé comme l’interlocuteur principal du pouvoir colonial.

En Libye, la défaite des Italiens lors de la Deuxième guerre mondiale entraîne le passage du pays sous la domination britannique (et française dans le Fezzan). L’indépendance libyenne est proclamée en décembre 1951, sous la forme d’un royaume fédéral que Londres confie à Idriss al-Senoussi.

Enfin, la République islamique de Mauritanie accède à l’indépendance sans heurts, en 1960. Elle est dirigée par un avocat, Moktar Ould Daddah, qui instaure un régime à parti unique en 1965 et fait de l’arabe la langue officielle, ce qui génère des troubles passagers dans le Sud, peuplé par des Noirs.

Le seul cas non résolu est celui du Sahara occidental (ex-espagnol). Considéré comme un territoire à décoloniser par l’ONU, il est très majoritairement occupé par le Maroc, contre l’avis des indépendantistes Sahraouis soutenus par l’Algérie. Le dossier reste bloqué, en raison des relations exécrables qu’entretiennent le Maroc et l’Algérie. Cf. article dédié.

Berbères : des reconnaissances à petits pas

L’opposition sourde entre Berbères et « Arabes » n’a pas disparu à l’indépendance, les nouveaux pouvoirs maghrébins choisissant d’ignorer leurs minorités pour mieux consolider leurs jeunes nations. En Algérie, l’arabisation à marche forcée entreprise par le FLN provoque l’arrestation, pour séparatisme, d’Hocine Aït Ahmed qui, au nom du pluralisme, a quitté le parti unique pour fonder son propre Front des forces socialistes (FFS). Mise sous l’éteignoir par le coup d’État militaire de 1965, la question des droits de la minorité berbère resurgit en 1980 avec le « printemps kabyle » qui, depuis Tizi Ouzou dans le massif du Djurdjura en Kabylie, gagne Alger et mobilise des centaines de milliers de personnes. Sa répression fait des dizaines de morts, comme la célébration de son vingtième anniversaire en avril 2001 (le « printemps noir »). Le régime, qui avait déjà reconnu l’amazighité comme composante de l’identité algérienne (au même titre que l’arabité et l’islamité) en 1996, décide de lâcher du lest, alors que le pays sort à peine d’un violent soulèvement islamiste : en 2002, un article réécrit de la Constitution accorde au tamazight le statut de langue nationale, l’arabe demeurant seule langue officielle. Cette évolution a provoqué l’affaiblissement des représentants du mouvement berbère (FFS, RCD, clans arouch), les partisans du dialogue avec le pouvoir ayant pris le dessus sur les berbérophones plus radicaux. La situation reste toutefois inflammable : en 2014, la campagne électorale présidentielle s’achève par diverses manifestations violentes dans le pays, en particulier dans les Aurès et en Kabylie. De nouvelles échauffourées éclatent en avril, lorsque le régime interdit la célébration du trente-quatrième anniversaire du « Printemps berbère », organisée par le Mouvement culturel berbère (MCB) et le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK-non agréé et interdit en mai 2021 en tant qu’organisation « terroriste »).

La tension est encore plus vive dans la région de Ghardaïa, où de violents affrontements opposent Mozabites et tribus arabes de rite malékite (sunnite) en 2013-2014. Vivant en quasi-autarcie dans leur vallée du Mzab (réseaux sociaux, banque, groupes d’auto-défense…), les premiers dénoncent les expropriations dont ils seraient victimes, avec la complicité des forces de l’ordre. En juillet 2015, l’apparition d’armes à feu dans les heurts provoque la mort d’une vingtaine de personnes. En février 2016, une nouvelle concession du pouvoir aboutit à la reconnaissance du tamazight comme langue officielle de l’Algérie, où le sujet reste sensible. En août 2021, Alger rompt ses relations diplomatiques avec Rabat, le Maroc ayant évoqué le droit à l’autodétermination des Kabyles, par analogie avec la cause des Sahraouis que défend l’Algérie.

Au Maroc, le pouvoir a longtemps laissé de côté la question berbère. A l’indépendance, en 1956, la monarchie interdit ainsi aux Rifains de se rendre en Algérie, encore française, où nombre d’entre eux travaillent comme saisonniers. Des émeutes contre la tutelle de Rabat surviennent en 1958 et 1959, puis en 1984 à Al Hoceima dans le Rif : leur répression conduit à une très forte immigration, en particulier vers la Belgique (sur les 700 000 musulmans du royaume belge, 500 000 seraient d’ascendance rifaine). Jusqu’en 1999, date de la mort d’Hassan II, la région ne bénéficiera d’aucun investissement… ce qui y favorise l’essor du trafic de drogue, la culture du cannabis y étant sept à seize fois plus rentable que celle d’autres plantes. En 1994, le souverain préconise toutefois l’enseignement dans toutes les écoles primaires des trois « dialectes marocains » (tarifit, tamazight et tachelhit). Son fils et successeur Mohammed VI va plus loin : en 2001, il annonce la création d’un Institut royal pour la culture amazighe, reconnaissance de l’identité « plurielle » du Maroc « bâtie autour d’affluents divers, amazighe, arabe, sub-saharien africain et andalou ». Mais la situation reste tendue, dans des régions économiquement en retard sur le reste du pays. Le violent séisme qui fait plus de six cents morts, en février 2004, dans la région d’Al Hoceima ravive le sentiment anti-marocain dans le Rif. Quatre ans plus tard, de violentes émeutes opposent des jeunes aux forces de l’ordre dans la ville berbère de Sidi Ifni, après un tirage au sort contesté pour l’embauche de trois personnes par la municipalité.

Face à l’agitation politico-sociale qui touche tout le monde arabo-musulman, le roi Mohammed VI annonce en 2011 que le tamazight sera une langue officielle de l’État, l’unité du pays s’étant « forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazigh et saharo-hassanie » (au Sahara occidental). En 2017, le roi ordonne le retrait progressif des forces de l’ordre de tous les lieux publics symboliques d’Al-Hoceima, après la mort d’un vendeur de poissons, broyé par une benne à ordures en voulant récupérer la marchandise que lui avait confisquée la police. Les leaders du mouvement de protestation qui s’en est suivi sont toutefois condamnés à des peines allant jusqu’à vingt ans de prison.

En Libye, la révolution ayant conduit à la chute du dictateur Kadhafi, en 2011, a entraîné la multiplication des factions se disputant le pouvoir central. En échange de l’inclusion de la berbérité dans la future Constitution, les Berbères des Monts Nefousa ont plutôt pris partie pour le camp islamiste, au même titre que les Touareg qui souhaitent évincer leurs ennemis Toubou du sud libyen.

Dans les autres pays sahéliens, Mali et Niger, les Touareg posent clairement la question de leur indépendance, quand ils ne se rallient pas au pouvoir central (cf. Les Touareg).