Les pays du Zambèze avant les indépendances modernes

Aux origines des pays situés au nord de la République sud-africaine

Venus d’Afrique centrale et orientale, les Bantous s’installent à partir du IIIe siècle sur les bords du Zambèze, en particulier sur ses plateaux du sud (l’actuel Zimbabwe), moins secs que ceux du nord (la Zambie). Long de 2 750 kilomètres, le fleuve prend sa source dans le nord de la Zambie, fait une courte incursion en Angola, puis revient en Zambie (dont il délimite les frontières avec la Namibie, puis sur moins de 400 m avec le Botswana et enfin avec le Zimbabwe). Il coupe ensuite le Mozambique, où il se jette dans l’océan Indien. Son bassin couvre 1 330 000 km2.

Dès le VIIIe siècle, l’exploitation d’or commence dans la partie méridionale, entre le Zambèze et le fleuve Limpopo. Le métal jaune et l’ivoire prennent la direction de la côte, où opèrent des commerçants arabo-swahili (cf. Afrique orientale). Ces activités, ainsi que l’élevage, font la richesse de petits États, dont chacun est doté d’un zimbabwe « grande maison de pierre » en langue shona remplissant des fonctions politiques et religieuses. Le royaume qui s’affirme, au XIIIe siècle, a pour capitale un ensemble monumental : le Grand Zimbabwe. Il tire sa puissance de ses échanges commerciaux avec Sofala, un comptoir de l’actuel Mozambique dépendant de la cité arabo-swahili de Kilwa située plus au nord. Au milieu du XVe, la cité est abandonnée, sans doute en raison du déboisement et de l’incapacité à nourrir une population devenue trop nombreuse.

Plus au nord, les régions situées à l’ouest et au sud du lac Malawi ont été peuplées par les Maravi (« flammes » en langue chichewa), une confédération de tribus et de clans bantous venues des actuels Katanga et Luba congolais : Banda, Mouali, Nkhoma, Phiri… Ces derniers s’affirment comme le clan dominant. Vers 1480, ils fondent le royaume Maravi, dont le kalonga (roi) gouverne depuis sa capitale de Manthimba, au centre de l’actuel Malawi. Comme ses voisins, il prospère grâce au commerce d’ivoire (et de fer).

Au début du XVe, de nouveaux États shona voient le jour sur le rebord septentrional du plateau zimbabwéen, Celui qui va prédominer, au nord-est, est le Mutapa, que les Portugais vont appeler Monomotapa, en raison du titre que porte son souverain (Mwene-Mutapa, « le seigneur des terres dévastées »). Lui aussi tire sa richesse de l’or et de l’ivoire (ainsi que du cuivre) qu’il échange aux Arabo-Swahili, lesquels ne se contentent plus de travailler sur la côte mais ont aussi créé des comptoirs sur le Zambèze. Au faîte de sa gloire, le Monomotapa couvre un territoire bien plus vaste que celui du Grand Zimbabwe, incluant la majeure partie du Zimbabwe actuel et une partie du Mozambique. Au sud-ouest du plateau émerge un autre État, le royaume du Butua, qui tire sa richesse de l’or et de l’élevage bovin. Sa population est l’ancêtre des Kalanga, peuple apparenté aux Shona qui vit aujourd’hui dans le sud-ouest du Zimbabwe et à l’est du Botswana.


Établis en 1505 à Sofala, les Portugais remontent à leur tour le Zambèze, mais ne parviennent pas à s’imposer aux États autochtones. Quand ils essaient de prendre le contrôle du commerce de l’ivoire et de l’or de la région, dans les années 1590, les Maravi envoient leurs Zimba (maraudeurs) attaquer plusieurs villes commerciales portugaises. Les tentatives de Lisbonne échouent également au Monomotapa. Le relais est pris par des aventuriers qui, à la tête d’armées d’esclaves, se font céder par des chefs locaux de vastes domaines, les prazos. L’esclavagisme et le commerce de l’ivoire ayant pris le pas sur celui de l’or, l’autorité du souverain du Mutapa commence à être contestée. En proie à une rébellion, il fait appel aux prazeiros, ce dont le Portugal profite pour imposer un protectorat au Monomotapa (1629).

Mais les Portugais vont être chassés de la région dans les années 1690, victimes d’un puissant chef Shona entré en rébellion contre le Mwene-Mutapa. Ayant soumis le Butua (en 1684), Changamire Dombo y installe la capitale de son Empire Rozvi (ou Rozwi), appellation qui renvoie à la réputation « destructrice » de ses guerriers. Alliée au Monomotapa, amoindri par la sécession de plusieurs royaumes de l’est (Sedanda, Quissanga, Manica, Quiteve, Baru), la dynastie des Changamire chasse les prazeiros. A son expansion maximale, vers 1700, le domaine Rozvi couvre 600 000 km² jusqu’à l’ouest de l’actuel Botswana et au nord de l’actuelle Afrique du Sud.

Le Maravi atteint son apogée à la même période : il contrôle le sud et le centre du Malawi, ainsi que des portions voisines des actuels Mozambique et Zambie. Mais il décline ensuite, l’autorité du kalonga étant contestée par des chefs de clan qui préfèrent traiter directement avec les commerçants esclavagistes. A partir de 1720, la confédération Maravi éclate en plusieurs factions autonomes. Les actuels Chewa et les ethnies qui leur sont apparentées (Nyanja, Tumbuka, Nsenga) sont considérés comme les descendants du peuple Maravi.

Dans l’ouest de l’actuelle Zambie, un mouvement migratoire s’est produit à partir des années 1600 : venus du nord, les Luyi (Lozi ou Barotse) ont établi un royaume Barotse qui, par une série de conquêtes expansionnistes et l’absorption de nombreux autres peuples, s’étend en Angola.

Sur le littoral, le Portugal unifie les divers comptoirs qu’il a fondés au sud du cap Delgado, lequel a été défini comme frontière avec la zone d’influence du sultanat d’Oman et Zanzibar. En 1752, Lisbonne fonde la colonie de Mozambique qui s’étend jusqu’au port d’Espirito Santo, au sud du Limpopo et au voisinage du Natal britannique[1].

[1] Devenu l’Afrique orientale portugaise, le Mozambique n’est exploité par les Portugais que dans sa partie méridionale, voisine de l’Afrique du sud. C’est là que la capitale, Lourenço Marquès, est établie en 1907, à la place de l’île septentrionale de Mozambique. Les Portugais n’établissent un semblant de domination sur le nord du Mozambique qu’à partir de 1912.


Au début des années 1800, les territoires Maravi subissent l’irruption de groupes Ngoni (ou Nguni) chassés du Natal par le royaume Zoulou (cf. Afrique australe), ainsi que les raids esclavagistes des Yao, un peuple originaire du Soudan organisé en chefferies rivales qui évolue dans le bassin du fleuve Rovuma, entre la Tanzanie et le Mozambique[1]. En contact régulier avec les Arabo-Swahili, les Yao implantent l’islam dans le sud du Malawi, où ils s’installent au milieu du XIXe siècle. Ils y sont suivis par d’autres Bantous, les Lomwe, originaires du Mozambique. Dans le royaume Barotse, les Lozi sont supplantés en 1838 par les Kololo ; la domination de ce groupe Sotho cesse en 1864, mais elle a duré suffisamment longtemps pour que le sesotho devienne la langue des Lozi.

L’Empire Rozvi n’est pas épargné par les troubles que les Zoulous ont créés au Natal et au Transvaal sud-africains : à partir des années 1820-1830, il subit les attaques de différents peuples (Tsonga, Tswana, Nguni et autres Sotho) et finit par se disloquer. En 1840, la place des Rozvi est prise par un chef Ndebele ayant fui les Zoulous, puis les Boers sud-africains : le dénommé Mzilikazi fonde le royaume Matebele, dans le sud de l’actuel Zimbabwe, avec Bulawayo comme capitale. Réfugié dans les montagnes, le dernier souverain Changamire capitule en 1866.

[1] Très indépendants, les Yao ne sont soumis que tardivement à l’autorité anglaise (au Nyasaland) et allemande (au Tanganyika).


A la même époque, les activités commerciales et missionnaires britanniques (dont celles de l’explorateur David Livingstone) s’intensifient sur les rives du Zambèze et aux abords du lac Nyasa (« lac » dans la langue locale). Dans les années 1880, les émissaires de la Compagnie britannique d’Afrique du sud (BSAC), dirigée par l’homme d’affaires sud-africain Cecil Rhodes, s’aventurent au nord du Zambèze, où des gisements de cuivre sont découverts au début des années 1890 (comme au Katanga congolais voisin). La conquête de la « Rhodésie du nord » s’achève en 1899 avec l’annexion du royaume Barotse qui, dix ans plus tôt, avait signé une concession avec la BSAC pour se protéger des visées expansionnistes des Ndebele et des convoitises minières des autres Européens. Londres en fait le protectorat du Barotseland-Rhodésie du Nord-Ouest[1]. Sur les bords du lac Nyasa, le Royaume-Uni instaure en 1891 le protectorat britannique d’Afrique centrale (qui sera renommé Nyasaland en 1907).

Londres prend soin d’établir avec ses voisins les frontières de ses possessions. En 1890, il cède au Sud-ouest africain allemand un petit morceau de Rhodésie du nord : la bande de Caprivi, peuplée de Lozi (cf. Namibie) ; le même traité de Heligoland-Zanzibar ouvre un autre contentieux futur, en fixant la frontière entre le Nyasaland et le Tanganyika allemand non pas au milieu des eaux du lac Nyasa, mais sur les berges de la future Tanzanie (cf. Malawi). A l’inverse, le tracé frontalier entre le Nyasaland et le Mozambique portugais partage bien en deux les eaux lacustres.

Au sud du Zambèze, en « Rhodésie du sud », les Britanniques accumulent les déceptions : le pays Shona comme le Matebele ne se révèlent pas aussi riches en or qu’espéré et les populations locales se révoltent en 1896. Londres songe même à se retirer, mais les colons qui ont établi leur capitale à Salisbury (au nord-est) ne l’entendent pas ainsi et refusent d’être intégrés à l’Union sud-africaine, politiquement dominée par les Afrikaners. En 1923, la Rhodésie du sud devient donc une colonie britannique dotée d’une autonomie interne, dans laquelle les Blancs possèdent 60 % des terres et constituent la quasi-totalité du corps électoral. L’année suivante, la Rhodésie du nord est également transformée en colonie de la Couronne. L’extraction du cuivre dans la « Copperbelt » au nord, et la culture du tabac au sud, attirent une forte immigration européenne dans les années 1930-1940.

[1] Le Barotseland conservera son autonomie relative à l’indépendance de la Zambie, mais la perdra en 1969, du fait de tentations sécessionnistes (également présentes chez les Lozi de la bande de Caprivi, cf. Encadré dans Namibie).


Les économies des deux Rhodésie et du Nyasaland étant de plus en plus dépendantes, en termes de débouchés et de main-d’œuvre, Londres les réunit en 1953 dans une éphémère Fédération de Rhodésie et du Nyasaland. Elle est dissoute en 1963, abandonnée par le Nyasaland qui devient indépendant en 1964 sous le nom de Malawi (nom inspiré des Maravi). Il est dirigé par Hastings Banda, un médecin Chewa qui avait été emprisonné en 1959 pour activités autonomistes au sein du Nyasaland African Congress (NAC, fondé en 1944). La Rhodésie du nord devient également indépendante en 1964, sous le nom de Zambie et sous la houlette de Kenneth Kaunda, fils d’un émigré du Malawi, sans attaches claniques. Deux ans plus tard, en 1966, le Bechuanaland accède à son tour à la pleine souveraineté, sous le nom de Botswana et sous la présidence de Seretse Khama, issu d’une importante chefferie Tswana.

Le cas de la Rhodésie du sud s’avère beaucoup plus compliqué, le chef du Front rhodésien refusant l’abandon des discriminations raciales et électorales que Londres pose comme préalable à l’indépendance de sa colonie. Ian Smith passe outre : en 1965, il déclare unilatéralement l’indépendance de la république de Rhodésie (qui ne deviendra la république du Zimbabwe, dirigée par des Noirs, qu’en 1980).

Au Mozambique, un Front de libération (Frelimo) voit le jour en 1962, à l’initiative d’un intellectuel Tsonga, Eduardo Mondlane. Déclenchée dans le nord, en 1965, la guérilla contrôle rapidement 20 % du pays, mais elle est traversée par des tensions ethniques (entre gens du Nord et Tsonga du sud) et politiques : assassiné en 1969, Mondlane est remplacé par Samora Machel, lui aussi Tsonga mais tenant d’une ligne marxiste. La république populaire du Mozambique devient indépendante en 1975, un an après le retour d’un régime démocratique chez le colonisateur portugais.