Fleuve sacré de l’Égypte, à qui il procure plus de 95 % de ses ressources en eau, le Nil tire ses eaux d’un bassin versant gigantesque, de 2,9 millions de km², comptant près de 250 millions d’habitants (et potentiellement 600 millions en 2050), répartis sur onze pays (de l’Égypte et l’Érythrée jusqu’à la Tanzanie et la République démocratique du Congo). Il est constitué par la confluence, à Khartoum (Soudan), de deux cours d’eau : le Nil blanc, qui prend sa source dans le lac Victoria et le Nil bleu qui la prend dans le lac éthiopien de Tana (ou Tsana). Avec les autres cours d’eau éthiopiens, le Nil bleu dernier assure plus de 80 % du débit du Nil et même plus de 90 % en périodes de crues.
Pour appuyer ses revendications sur les eaux du Nil, l’Égypte s’appuie sur différents traités coloniaux du XIXème siècle, en vertu desquels la Grande-Bretagne avait donné la primauté aux besoins égyptiens sur ceux des pays de l’amont, même lorsqu’il s’agissait de ses propres colonies d’Afrique de l’est. Dans cette même optique, Londres avait signé des accords avec les autres puissances coloniales de la région (Italie, Belgique et France), afin qu’elles s’abstiennent de toute construction susceptible de menacer le débit égyptien du fleuve. En 1929, l’accord signé avec le Soudan (alors sous tutelle égypto-britannique) rappelait le « droit naturel » de l’Egypte sur ce fleuve et soumettait notamment tous les projets de barrage ou de détournement d’eau en amont à l’approbation préalable du Caire. Le débit, au niveau d’Assouan, était réparti entre l’Égypte (48 milliards de m3), le Soudan (4 milliards) et les besoins de la Méditerranée (32 milliards). Ces derniers sont révisés à la baisse en 1959 : sur la base d’un débit de 85 milliards de m3 à hauteur d’Assouan, le nouveau traité en attribue 18,5 au Soudan et 55,6 à l’Égypte.
Cette répartition gelant tous les projets hydrauliques des pays de l’amont, ceux-ci réclament la remise en cause de traités signés à l’époque coloniale, dans un contexte démographique, économique et climatique qui était totalement différent : en effet, la population de ces pays a nettement augmenté depuis les années 1950, en même temps que leur pluviométrie descendait et que leurs capacités à construire de grandes infrastructures hydrauliques (production d’électricité, irrigation) s’accroissaient, avec l’aide de la Chine. Circonstance aggravante pour les pays de l’amont : la plus grande réserve d’eau du Nil, le lac Nasser, est situé en plein désert égyptien… donc soumis à une évaporation qui serait sans doute bien moindre si les réserves étaient situées sur les plateaux éthiopiens. Pour ne rien arranger, l’État égyptien favorise de grands projets, financés par l’armée ou les pays du Golfe, qui consomment beaucoup d’eau.
En mai 2010, cinq pays du bassin fluvial (Éthiopie en tête, mais aussi Rwanda, Ouganda, Tanzanie et Kenya) signent donc un accord qui réclame un partage des eaux plus équilibré… mais qui est aussitôt dénoncé par les Égyptiens et les Soudanais. En 2013, l’Éthiopie entreprend la construction du grand barrage de la « Renaissance » (GERD), le plus grand ouvrage hydroélectrique d’Afrique (1,8 km de long et 145 mètres de haut), sur le Nil bleu, à une trentaine de kilomètres de la frontière avec le Soudan. Il permettrait de doubler la production d’électricité de l’Éthiopie (à laquelle seulement la moitié de la population a accès), mais avec le risque de provoquer de graves déficits hydriques au Soudan et en Égypte et de priver leurs agricultures des sédiments fertilisateurs laissés par les inondations saisonnières. En mars 2015, à la faveur du changement de régime survenu au Caire, un accord semble trouvé entre les différentes parties : l’Égypte obtiendrait que le barrage éthiopien ne modifie pas sa part des eaux du Nil, tandis que Khartoum bénéficierait d’électricité à des tarifs préférentiels. Mais le texte n’est pas signé. En janvier 2020, un nouvel accord se profile, en vue d’une mise en eau progressive du barrage, mais il ne règle pas la question des débits en période de sécheresse ; Addis-Abeba commence d’ailleurs un premier remplissage du réservoir en juillet de la même année, puis en juillet de l’année suivante. Faute de financements suffisants, consacrés à des causes telles que la guerre menée par l’Éthiopie dans sa province du Tigré – le barrage de la Renaissance a pris du retard. Néanmoins, sa première turbine a été mise en service en février 2022. Au Nord, Le Caire et Khartoum restent vigilants : en juin 2021, les deux capitales ont signé un accord de coopération militaire, un mois après que leurs armées ont réalisé des manœuvres communes baptisées « Gardiens du Nil ».
En janvier 2023, le numéro un soudanais change de position et se dit d’accord avec les choix du régime éthiopien, avant que la guerre intestine qui éclate au Soudan ne vienne brouiller les pistes. Alors que de nouvelles négociations tripartites reprennent en août suivant, Addis-Abeba annonce avoir fini le remplissage du barrage et mis en service deux de ses treize turbines. Un nouveau round de négociations tripartites s’achève, en décembre, sans la moindre avancée. En octobre 2024, l’accord de gestion concertée des eaux, signé par l’Éthiopie et les six pays de l’amont entre en vigueur, mais il est toujours rejeté par les deux pays de l’aval.